RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Jean LECA, L’État entre politics, policies et polity ou peut-on sortir du triangle des Bermudes ?In revue Gouvernement et action publique, 2012/2, no 1, pp. 59-82. Paris : Presses de Sciences Po. [M. Jean Leca nous a accordé le 3 avril 2018 son autorisation de diffuser la presque totalité de ses publications, y compris ce Traité de science politique.]

[59]

Jean LECA

politologue français [1935-]

L’État entre politics, policies et polity
ou peut-on sortir du triangle des Bermudes ?”


In revue Gouvernement et action publique, 2012/2, no 1, pp. 59-82. Paris : Presses de Sciences Po.

Résumé / Abstract [59]

Introduction [59]

Trois sous-disciplines, trois « États » ? [61]

Différences, croisements et hybridations : les effets des disciplines sur les concepts et les objets [64]
Les dynamiques du triangle et ses effets : des concepts différents pour capturer (apparemment) le même phénomène ? [64]
Les concepts d’intérêts, d’offre et de demande [65]
Les concepts d’État et de politique [67]

Pourquoi nous devons tenir ensemble les apports des trois perspectives. Le devenir de la symbolique de l’État [69]

Conclusion [75]
Bibliographie [76]

Résumé

La plus grande part des études de l’État, qu’elles soient socio-historiques, logiques ou philosophiques, partent d’un essai de définition et décrivent et expliquent ses transformations actuelles en utilisant un modèle à deux étapes (avant/après). Plutôt que de suivre ce chemin je commence par trois des grandes sous-disciplines de la science politique, la sociologie politique et économique, l’analyse des politiques publiques et la théorie politique, et tire de leurs approches leurs visions de l’État, un produit de conflits, un ensemble d’aires et de secteurs de policy-making, un centre institutionnel doté de valeur symbolique. Les hybridations des trois perspectives sont alors esquissées et quelques conclusions sont tirées en ce qui concerne l’analyse comparative et la distinction entre gouvernement et gouvernance.

Mots-clés : État, politiques publiques, politique. sociologie politique, théorie politique, gouvernement, analyse des politiques publiques

Abstract

Most of the studies of the state, whether socio-historical, logical or philosophical, start with a tentative definition and describe and explain its current transformations, using a two-stage model (“before/after”). Rather than follow that path I start with three of the main sub-disciplines of political science, political and economic sociology, policy analysis and political theory and derive from their approaches their visions of the state, as a product of social conflicts, a set of areas and sectors of policy-making, an institutional centre endowed with symbolic values. The crossbreeding of the three perspectives are then outlined and some conclusions are drawn regarding comparative analysis and the distinction between government and governance.

KEYWORDS : STATE – PUBLIC POLICIES – POLITICS – POLITY – POLITICAL SOCIOLOGY – GOVERNMENT – POLITICAL THEORY

Introduction

Il paraît que le triangle des Bermudes est un lieu maléfique où les bateaux se perdent faute de point de repère. Les politologues d’aujourd’hui perdent régulièrement de vue le vaisseau « État », immergé quelque part dans la mer des Sargasses de la globalisation et de la gouvernance – surtout n’oublions pas d’ajouter « multiniveaux » et « en réseaux ». Ces notions ont désormais leur « histoire conceptuelle » (Piattoni, 2009), leurs handbooks ou chapitres de handbooks (par exemple, Enderlein et al., 2010 ). Ainsi dépériraient les approches « stato-centrées » (Marks et al., 1996 ; Wasserman, Faust, 1994). Après l’avoir ainsi perdu, les politologues passent régulièrement leur temps à « retrouver » l’État ou à le « ramener » (Weiss, 1998).

[60]

Il y a de bonnes raisons à cela, établies par la connaissance ordinaire et naïve d’un sens commun dont il faut toujours partir. Les États seraient condamnés à décroître après un siècle et demi de croissance continue, concurrencés par les Organisations inter ou non gouvernementales, les entreprises, les mouvements nationaux et transnationaux, assiégés par les marchés financiers, contraints par des agences de notation et le Fonds monétaire, ou dans des domaines européens par une monnaie unique (pour la zone euro), une commission, une banque centrale, deux cours de justice, voire une cour des comptes et une assemblée. Les États (certains États) seraient aussi « creusés » ou « démembrés » de l’intérieur par une foule d’acteurs et de processus « privés » ou semi publics. Au demeurant tout ceci n’est pas exactement récent, quels que soient les prodigieux changements des contextes et les voyages des justifications idéologiques : faut-il rappeler, par exemple, que les États étaient, de leur propre volonté, étroitement contraints par le Gold standard jusqu’à la décision prise par l’administration Nixon en 1972 de tuer définitivement l’ordre de Bretton Woods, ce qui redonna aux banques centrales et aux institutions financières nationales le pouvoir de créer de la monnaie et du crédit leur permettant d’accroître, sinon indéfiniment, du moins dans des limites larges, leur dette publique ?

Ne conviendrait-il donc pas de suivre le juriste Léon Duguit et de remplacer le concept collectif d’État (Duguit usait de la majuscule), personne protéiforme douteuse et dangereuse, par le pluriel plus rassurant et plus proche de la réalité empirique : les gouvernants (Beaud, 2011) même si cette translation peut se prêter à deux interprétations radicalement différentes (l’État ne limitant plus les gouvernants ou au contraire ceux-ci ne pouvant se parer de ce concept pour exercer un pouvoir sans limites) ? Car l’État, comme le disait Georges Burdeau (1970) qui avait bien lu Duguit, n’est jamais que des individus. Et pourtant il faut rappeler des évidences : le nombre d’États va croissant sans que l’on puisse en trouver une explication convaincante (Wimmer, Feinstein, 2010) ; les États s’avèrent indispensables dès qu’il s’agit de prendre des mesures et d’assurer à celles-ci un soutien populaire minimal, ou du moins une conformité des comportements (compliance), même si ces mesures ont été prises « ailleurs ». Les études les plus sérieuses dans diverses sous-disciplines soulignent à l’envi l’importance de structures et d’institutions Étatiques fortes dans la formation de la gouvernance régionale internationale (Soderbaum, Sbragia, 2010 ; même les « cosmopolites » rejoignent cette vue, Brown, 2011) et la difficulté de penser une démocratie globale sans structures souveraines (MacDonald, MacDonald, 2010). Ce sont les États, et non toujours leurs gouvernants parfois poursuivis par les Cours pénales internationales, qui bénéficient du principe de « l’égalité souveraine » au sein des Organisations internationales dont ils sont membres. Certains d’entre eux osent négliger, à tort ou à raison et à leurs risques et périls, les avertissements de ces Organisations (par exemple l’Argentine). Si certains, tels les États européens et même les États-Unis tendent à réduire leurs dépenses militaires et limiter leurs engagements en exerçant un leadership from behind consistant à parler beaucoup et agir peu en laissant faire les autres ou les forces du marché, d’autres investissent lourdement dans celles-ci (la Chine, l’Inde et même le Japon et l’Australie, probablement l’Iran). Enfin, il faut rappeler que les géants transnationaux que sont BP, Shell ou Exxon deviennent, en termes de réserves prouvées qu’ils contrôlent, des pygmées comparés aux sociétés d’État iraniennes, saoudiennes, russes ou vénézuéliennes, leur avantage compétitif dans la haute technologie et le management de grands projets de recherche et de montage d’entreprises dépendant avant tout du niveau élevé du prix des hydrocarbures. On ne peut tirer grand-chose de généralisable de ces observations qui signalent le maintien d’un « capitalisme d’État » dans des pays où le marché fait la loi et nombre d’entreprises d’État ont été privatisées (la Chine est un des exemples topiques), pas même pronostiquer l’apparition de nouveaux types d’États (comme l’ont hasardé Richard Rosecrance ou Philip Bobbitt, les « États-marchés », les « États commerciaux », les « États virtuels »), la disparition de ceux-ci au bénéfice d’« États post-modernes », ou d’empires new look (Ulrich Beck est sans [61] doute le tenant le plus articulé de cette thèse), tout cela dans un monde « post-Westphalien » dont je n’ai jamais pu apercevoir le contenu empirique précis sauf à situer ses débuts en 1918 comme l’a fait Carl Schmitt dans Le nomos de la terre (1950). Insaisissable par une pensée systématique et cependant toujours là, l’État ne se laisse pas oublier. Il ne se passe pas de mois sans que quelque économiste ne le « repense » dans un essai péremptoire (Aghion, Roulet, 2011) après qu’un politologue se soit attaché plus modestement à le « penser » (Braud, 2004).

Trois sous-disciplines, trois « États » ?

Procédons donc à l’envers et commençons à la base en distinguant non pas les formes d’États mais les sous-disciplines de la science politique qui l’étudient en France et ailleurs, non seulement comme un ensemble d’institutions politico-économiques mais comme ce qui rassemble politics, policies et polity (Schmidt, 2009). L’État (ici la majuscule est toujours de rigueur mais je ne l’emploierai dorénavant que si je vise spécifiquement la situation française ou si mes sources utilisent la majuscule dans le texte) apparaît dans trois d’entre elles [1].

1/ La sociologie politique étudie les politics, i/ ce qui se passe dans l’État, et particulièrement ses hauteurs gouvernementales, administratives et parlementaires, les jeux de procédures et la manipulation des institutions, ii/ les positions sociales de ses élites, leur mode de recrutement par la reproduction mais aussi par l’élection ou l’occupation brutale du centre, iii/ leur compétition stratégique pour la conquête de positions par le jeu de coalitions, de « causes » ou de « partis » ; iv/ la formulation et la politisation des clivages sociaux, et enfin v/ l’interaction de l’État avec son « environnement » sociétal (elle est restée jusqu’à récemment assez indifférente à l’environnement international sauf en matière européenne, ceci n’étant pas sans rapport avec la vision de l’État commune aux trois sous-disciplines en France et à laquelle on viendra infra). Les quatre derniers points incluent donc l’étude des groupes, partis et formes de mobilisation sociale faisant de manière routinisée ou brutalement irruption dans ce que les élites du champ de l’État jugent (ou sont contraintes de juger) important.

2/ Les politiques publiques analysent les policies, ce qui se passe quand l’État « traite » des « problèmes » dans différents « secteurs » et quelles en sont les conséquences, voulues ou non, pour la production et la répartition de ressources ainsi que pour la satisfaction, rationnellement justifiée ou ressentie sans trop de raison, des « populations cibles », unifiées ou non, dans la même situation sociale ou non. Les « études d’impact » favorisées par les acteurs sont une de ses branches. Plus rarement, elles passent des populations cibles au public général : c’est plutôt la sociologie politique qui opère ce passage avec les importantes études sur the politics of attention, tous les mécanismes fixant l’agenda des gouvernants et faisant apparaître une policy comme [62] intéressant non plus un public spécifique mais un public général (Baumgartner, Leech, 1998 ; Jones, Baumgartner, 2005 ; Baumgartner, Jones, 2009 ; Halpin, 2011). Les politiques publiques étudient donc le « faire » de l’État, who gets what, when and how ? (Lasswell, 1936), y décèlent dans une perspective holiste inspirée de la philosophie pragmatiste qui guida Lasswell des formes inaperçues de rationalité, de la « rationalité limitée » qui fit la carrière que l’on sait à la « rationalité transactionnelle » (transactive, Kuruvillav, Dorstewitz, 2010), et parfois cherchent comment ce « faire » est partie prenante, ou non, d’une macro-logique permettant de repérer qui il sert et à quoi. Il n’est peut-être guère étonnant dans ces conditions que les politiques publiques aient dominé les études européennes car après tout, les premières formes d’union ont été ordonnées dans des domaines précis d’action publique et le sont restées largement, ce qui a produit le résultat que l’on s’est préoccupé de fonder une polity européenne sur les actions que celle-ci menait en remettant à plus tard sa définition et son institutionnalisation (Leca, 2009). Pour autant, l’enquête sur la montée en coordination, et donc en généralité, des politiques publiques vers l’État est un chemin sablonneux et malaisé. La raison principale en est que les secteurs de politiques n’ont pas le même statut ni la même importance politique et qu’ils donnent lieu à des conflits aux enjeux et aux besoins divers qui sont difficilement regroupables autour d’un conflit ou d’un besoin collectif central. Constitués dans le temps et en se superposant, les secteurs oblitèrent la logique d’ensemble supposée présider à leur articulation. Enfin, et c’est peut-être le plus important, la montée en généralité est par excellence le travail des acteurs politiques qui font de la politics un jeu de confrontation publique au sein du monde des professionnels (insiders, leaders) et de ceux qui les suivent ou les poussent (militants, électeurs). Par contraste, le jeu des politiques publiques relève de multiples compromis parlementaires plus discrets (Lascoumes, 2009), entre insiders, dont les logiques d’ensemble sont peu perceptibles. Et pourtant, si l’on ne veut pas enfermer les études d’action publique dans des objets légitimes mais marginaux marquant surtout le désir social de découvrir et de gérer paisiblement de plus en plus de besoins décrétés par différents groupes et organisations, il faut oser davantage. « Tenants des choix rationnels », marxistes résiduels, « welfaristes », « libéraux » et « républicains », s’y risquent toujours, à l’exemple de Max Weber et son fameux Gouvernement et Parlement dans une Allemagne en reconstruction qui nous mettait en garde contre les mésinterprétations de la « neutralité axiologique », confondue avec le refus de monter en généralité sur le moment présent.

3/ La troisième sous-discipline est la théorie politique qui analyse les polities et leurs institutions de gouvernance. Je dois employer ici l’anglais, le terme français « polité » étant tombé en désuétude. C’est ce que Raymond Aron a nommé les « agrégats politiques par excellence » [2] (Aron, 1972). Basiquement une polity n’est pas seulement un ensemble d’élites, processus, structures, cultures, policies et techniques d’administration - une trousse d’instruments (Hood, 1983), une perspective mieux adaptée à la sous-discipline des politiques publiques - bien que toute polity puisse être étudiée à l’aide de cette boîte à outils, de même que d’autres agrégats d’ailleurs.

i/ Une polity est d’abord un ensemble de choix collectifs liant des parties soumises à la règle de « l’appartenance obligatoire » (Bergeron, 1965) et à qui est interdit en droit le recours à la forme de violence physique exclue par la division du travail politique tenue pour acceptée. Cette caractéristique est la plus générale dans la mesure où elle s’applique à toutes les formes connues d’unités politiques (tribus souveraines, États-cités, empires), les deux dernières caractéristiques étant plus proches de ce que l’on appelle communément « État » dans la période moderne.

[63]

ii/ Une polity est ensuite un groupe et une entreprise (Weber) à laquelle aucun domaine n’est attribué préalablement par une organisation d’un ordre supérieur et qui peut poursuivre toutes les finalités substantielles concevables. En tant qu’entité définie abstraitement comme un ensemble de fonctions et de pouvoirs qui leur sont associés, ce groupe revendique de ce seul fait une autorité civile distincte et prépondérante (Geuss, 2001, 50) mais indépendante du contenu de ses ordres (Green, 1988, 19). Le concept de souveraineté [3] joue ici un rôle central à condition d’y voir non pas un concept sociologique établissant qu’en fait aucune puissance n’est au-dessus de l’État, mais un concept juridique objet de différentes constructions dont la différence franco-américaine et les diverses interprétations internes aux deux traditions témoignent amplement (Raynaud, 2009). La souveraineté exprime donc une revendication normative en droit interne comme en droit international établissant qu’aucune doctrine morale compréhensive, ni aucune unité politique extérieure n’est compétente en droit pour se substituer à la volonté de l’État si celui-ci n’y a pas consenti, ce qui en fait quelque chose qui est à la fois au-dessus du droit et partie intégrante de l’ordre juridique. C’est justement cette effrayante revendication, plus effrayante que la revendication Étatique au monopole de la violence physique légitime (Weber toujours), qui explique les efforts pour en faire une « responsabilité », la soumettre à un ordre supérieur, un « super ordonnancement » juridique [4], habituellement fondé sur la loi religieuse ou naturelle, et aujourd’hui sur les exigences de régulation (Chayes, Chayes-Handler, 1995), souvent « marchandes » mais surtout « morales » et « humanitaires ». En témoigne, par exemple, la tentative faite aux Nations unies de créer une responsability to protec qui dériverait du droit international et non plus, comme chez Hobbes, de la société civile (« Protego ergo obligo ») (Bellamy, 2010), pour la circonscrire au « domaine propre de l’État » [5], et pour diviser son organisation en pouvoirs compensateurs concurrents dont le point extrême est le fédéralisme (Halberstam, 2004 ; Beaud, 2008). Quelle que soit leur force, ces efforts de soumission, circonscription et division de la souveraineté demeurent pourtant inscrits dans le cadre d’une théorie d’un gouvernement politique effectif supposant que, même divisée et partagée, la souveraineté est repérable dans des lieux déterminés.

iii/ Une polity est, enfin, l’assertion symbolique d’une identité collective englobante, la réponse [tenue pour] acquise, ou « hégémonique » aux quatre questions identitaires : « d’où venons-nous ? » (généalogie), « où allons-nous ? » (téléologie), « qui sont nos partenaires ? » (commerce), « qui sont nos ennemis ? » (polémique). Cette identité englobante a pour spécificité, dans la modernité de sociétés faites de « collage » d’individus et de groupes divers, d’être assignée à ceux-ci alors qu’ils peuvent ne pas avoir grand-chose en commun et n’interagissent que de façon partielle et spécifique à une activité. La question de savoir si ce type d’identité peut être thin et jusqu’où, et si on peut l’analyser à partir des théories du choix social ou bien de l’anthropologie culturelle, est centrale pour la théorie politique. Pour cette raison, celle-ci, influencée par la théorie juridique du jus politicum et du droit international classique, tend le plus souvent à distinguer l’État du régime et donc du gouvernement. L’État « est » et « parle droit » mais n’y est soumis que partiellement dans les circonstances exceptionnelles (Loughlin, 2010), le gouvernement « fait » et « parle politique » mais, en tant que gouvernement, il doit entièrement être soumis au droit (Poggi, 1990). Dit autrement, le gouvernement doit respecter le droit dans toutes les situations normales où la survie de l’État n’est pas en cause.

Dans tous les cas, l’enquête sur les institutions les mieux adaptées aux missions de cette communauté est au centre des préoccupations. La théorie politique de l’État d’aujourd’hui [64] prétend donc établir empiriquement comment « l’être » de l’État est plus ou moins séparé et différencié de « l’être » de la société (Badie, Birnbaum, 1979 ; Birnbaum, 1985), et normativement comment l’État équilibre et compense le fonctionnement d’autres mécanismes (fondamentalement communautaires ou marchands) ainsi que l’action des intérêts organisés ou des individus livrés à eux-mêmes et vice versa. Le concept de société civile est ici capital autant normativement qu’empiriquement comme racine morale et comme contrepoids individualiste et corporatif de l’État, à condition d’être rigoureusement construit comme un type de relations socio-politiques (Cohen, Arato, 1992 ; Gellner, 1994 ; Rosenblum, Post, 2002 ; Kaviraj, Khilnani, 2002) et non pas comme un secteur qui en est séparé. Son lien intime avec l’État moderne est sociologique, logique et normatif, mais non historiquement causal (l’État peut se former alors que la société civile est faible mais si celle-ci ne se renforce pas, l’État devient une autocratie). Cette parenté explique que les différents travaux de science politique, qu’ils soient de politiques publiques, de sociologie politique ou de relations internationales, passent de la « transnationalisation des sphères publiques » pour désigner simplement le développement des Organisations non gouvernementales (Wesler et al., 2008) à la « société civile globale » (Keane, 2003). Le glissement de sens ainsi opéré est en soi de grande signification, car c’est la perception et la conception de l’État qui s’en trouvent changées.

Voyons maintenant comment le fonctionnement de ces trois sous-disciplines engage des conceptions différentes de l’État et quels sont les modalités et les effets de leur communication.

Différences, croisements et hybridations :
les effets des disciplines
sur les concepts et les objets


Les dynamiques du triangle et ses effets :
des concepts différents pour capturer
(apparemment) le même phénomène ?


Depuis longtemps, d’abord, la théorie politique communique avec la sociologie politique, depuis Montesquieu puis Tocqueville, Durkheim et Weber jusqu’à Dahl, Deutsch, Easton, Tilly, etc., tous occupés à relier les formes institutionnelles et sociales d’un régime à une conceptualisation de la nature d’une polity, qu’ils emploient ou non le terme « État » pour la désigner. La théorie politique communique aussi, ensuite, avec les politiques publiques. La communication est parfois directe et voulue (Goodin, 1982 ; Weale, 1983). Elle peut résulter de convergences, par exemple sur les relations entre réformes administratives et évolutions d’un régime (Bezes, 2010), sur le thème « machiavelien » de l’ambiguïté nécessaire au consensus (Palier, 2008) ou encore sur les rôles institutionnels des « idées floues » (Verdier, 2008), qui évoquent le « voile du vague » analysé par Gibson et Goodin (1999). Parfois, aussi, les politiques publiques donnent à voir une transformation du « faire » et donc de « l’être » de l’État (Bezes, Siné, 2011) ou privilégient une théorie de l’État, en l’espèce celle de Léon Duguit décrétant que « la notion de service public vient remplacer celle de souveraineté », car « l’État n’est plus une puissance souveraine qui commande : il est un groupe d’individus détenant une force qu’ils doivent employer à créer et à gérer des services publics » (Beaud, 2011). La sociologie politique, enfin, préoccupée des élites sociales (Daloz, 2010 ; Genieys, 2011) et parlementaires (Best, Cotta, 2000), communique avec les politiques publiques quand elle traite de leur place dans le policy process [6]. Les deux sous-disciplines [65] se rencontrent aussi dans l’estimation des effets des politiques publiques sur l’opinion et le comportement des électeurs, bien que la thèse de « l’électeur qui punit » soit fortement contestée par une vision très différente (Mansbridge, 2003, 2004). Sociologie politique, théorie politique et analyse des politiques publiques se rencontrent aussi à l’occasion de débats sur les économies politiques de pays dits « en développement » lorsqu’ils portent sur les causes de la corruption et sur les conséquences de « l’État-rentier » ou de « la malédiction des ressources » qui lient étroitement la politique d’un secteur et la nature de l’État (Haber, Menaldo, 2011).

L’existence de ces rencontres est loin cependant, de lever toutes les ambiguïtés entre les sous-disciplines et dans les réalités empiriques qu’elles s’efforcent de rendre intelligibles. Chaque discipline génère habituellement ses propres concepts, instruments et théories pour accéder à la « réalité réelle » (Searle, 1995). Défendre l’intérêt de chacune d’entre elles et l’importance de penser leurs croisements exige, dès lors, d’affronter la question des catégories et des concepts. Le fait que les sous-disciplines génèrent des concepts différents pour capturer (apparemment) le même phénomène n’est pas en soi un inconvénient, même quand le même mot est employé pour indiquer une perspective qui ignore quasi-délibérément les résultats produits par d’autres. Pour que des croisements et des hybridations soient possibles, il est cependant indispensable d’identifier les différences conceptuelles et ce qu’elles portent en elles.

Les concepts d’intérêts, d’offre et de demande

Partons de la catégorie « intérêts » qui n’est pas la même pour les politiques publiques et la sociologie politique. Les intérêts des politiques publiques sont construits à partir de ce que l’agent estime en sa faveur ou son détriment, comparativement à d’autres, face à des mesures spécifiques présumées assez précises dans leur application pour qu’il puisse établir un jugement d’imputation et donc formuler une idée politique. Tout en étant conscient des pièges de l’implementation et de ses jeux non voulus ou intentionnels (Bardach, 1977 ; Patashnik, 2008), on ne saurait pour autant affirmer que l’agent porte des jugements justifiés, seulement qu’il estime y voir assez clair dans la chaîne causes-conséquences pour y exercer un jugement rationnel. Pour la sociologie politique, et pas seulement celle des partis et des élections mais aussi des mobilisations « multi-sectorielles » (« lycéens, professeurs, paysans, précaires, intermittents du spectacle, gays, sans-papiers, tous unis ! »), l’intérêt est apparemment construit de la même manière mais c’est face à des programmes (parfois) et des proclamations (fréquemment) trop généraux (peut-il en être autrement ?) pour que le jugement d’imputation puisse être fondé sur les mêmes standards même si l’on y applique aussi l’hypothèse de rationalité. Il y a bien longtemps que le paradoxe du votant a été exposé sans que cela ait été jamais une cause de croissance de l’abstention : les gens ne sont pas troublés par la soi-disant « irrationalité » de leur vote. De même, il est possible qu’ils « sélectionnent » sur la base de situations existentielles filtrées par des valeurs plus qu’ils ne « sanctionnent » des politiques publiques (Mansbridge, 2003, 2004). De ce fait, l’appréciation du « succès » ou de « l’échec » d’une action publique peut ne pas être la même selon les domaines de cette action, les processus, les programmes (étudiés par les politiques publiques) et la politique (étudiée par la sociologie politique) (McConnell, 2010 ; Marsh, McConnell, 2010).

Pour la même raison, la catégorie « offre » (le supply side) n’a pas le même sens, non plus que la catégorie « demande » (demand side). Ni la sociologie politique, ni les politiques publiques ne tiennent plus que l’offre répond mécaniquement à la demande, ni que la demande est entièrement structurée par l’offre, mais admettent le jeu d’influences réciproques déterminées par les arrangements organisationnels, les logiques de situation et la puissance des héritages historiques. [66] Mais les phénomènes ainsi nommés ne sont pas mesurés par les mêmes indicateurs alors que des méthodes similaires peuvent pourtant être mobilisées : la sociologie politique évalue la demande à partir de surveys généraux de votation et d’opinions, y compris les sondages postélectoraux, montrant par exemple quels enjeux sont déclarés saillants et hiérarchisés (sécurité, immigration, emploi, opposés à transports ou aide extérieure) et l’offre à partir des programmes (dont on se demandera s’ils convergent davantage selon le degré de partisanisation des gouvernements, Blumkin, Grossmann, 2010) et des campagnes (par exemple Kriesi et al., 2008), parfois complétée par les budgets consacrés aux différents secteurs de politique publique (Soroka, Wlezien, 2010 [7]). Les politiques publiques font de même pour la demande mais leurs surveys portent sur une population plus limitée, d’où leur recours plus fréquent aux entretiens avec les cibles et les élites parmi lesquelles on essaiera de ne pas distinguer trop vite les insiders des outsiders du policy making process (Hayes, 2002) alors que la distinction des « professionnels de la politique » qui « offrent » et des « extérieurs » qui « demandent » reste depuis Max Weber fondamentale en sociologie politique où Easton lui a donné le statut de dogme canonique… jusqu’au jour où l’on s’est avisé, grâce aux politiques publiques, que l’administration n’était pas seulement un exécuteur de l’offre – la « machine bureaucratique » weberienne et le quasi-contemporain « pouvoir administratif » de Chardon (1911) – mais aussi un « agrégateur », voire un « fabricateur » (Huyard, 2011), de la demande et un « articulateur » de la demande et de l’offre [8].

De même, l’offre politique de la sociologie politique mesurée par les programmes et les campagnes gouvernées par la communication dynamique (Chong, Druckman, 2010) n’est pas la même que l’offre des politiques publiques mesurée par les policy outputs (où il n’est pas interdit de prendre en compte les « effets d’annonce ») et parfois par les policy outcomes, encore que ceux-ci n’aient pas grand-chose à voir avec l’offre du fait du paradoxe des conséquences de Max Weber [9] et de l’absence de clarté sur les détails capitaux (les mesures annoncées) de l’offre politique qui marque les campagnes électorales. Sur ces questions, on peut cependant noter en France un renouveau de la fécondation croisée des deux sous-disciplines dans la recherche des articulations entre l’analyse des politiques publiques et la sociologie de l’action collective (Dupuy, Halpern, 2009). Mais les travaux les plus intéressants car réhabilitant partiellement les relations entre « offre » comme réponse à la demande et « demande » comme sanction d’une offre inefficace concernent la mobilisation électorale qui se prête plus aisément à des analyses sophistiquées dans les pays où les élections sont libres, régulières et bien enregistrées. Ainsi le livre de H. Kriesi et ses collègues (op. cit.) cherche à établir les effets de la globalisation sur les changements de la demande et de l’offre politique dans six pays ouest-européens [10] en utilisant empiriquement trois paradigmes issus respectivement de la sociologie politique (les clivages de Rokkan), la théorie [67] politique (la modernisation réflexive de Beck) et des politiques publiques (le néo-institutionnalisme). Il consacre cependant relativement peu de sources primaires ou secondaires aux politiques publiques sauf en ce qui concerne les policy preferences [11]. Seules aux côtés du welfare, les politiques d’immigration et d’intégration sont évoquées avec quelque détail et donnent lieu à une intéressante typologie du fait du repérage de l’émergence éventuelle d’un nouveau clivage politique. Cette différence d’approche est le propre de la plupart des travaux faisant de la dépense publique, et plus particulièrement les dépenses de welfare, des changements dans les politiques publiques ou le niveau de satisfaction générale des citoyens, des variables dépendantes des types de gouvernement, des préférences de l’électeur médian ou des offres partisanes (Blais, Kil, Foucault, 2010 ; Kang, Powell, 2010 ; Budge, Ezrow, McDonald, 2010 ; Ward, Ezrow, Dorussen, 2011 ; Ezrow, Xezonakis, 2011 ; Markussen, 2011. La dimension affectée à cet article m’oblige à ne pas détailler ces exemples et à renvoyer le lecteur aux textes recensés dans cette liste).

Les concepts d’État et de politique

Entre la sociologie politique, l’analyse des politiques publiques et la théorie politique, plusieurs visions de l’État sont concurrentes. La sociologie politique le voit comme une organisation (dans les termes de Weber, un groupe ou une entreprise), un personnel et des jeux de compétition politique. Les « racines sociales de la politique » sont son thème majeur, avec en mineur les racines politiques de la construction du social (pour faire droit à la vision d’« assemblages sociaux » qui concurrence celle de « société », Latour, 2005). Les politiques publiques le voient comme « démembré » [12] en plusieurs organisations, arènes, secteurs, réseaux (Le Galès, Thatcher, 1995 ; Börzel, 1998 ; pour une application récente à l’Union européenne, Kaier, 2009), « forums » [13], « instruments » (Lascoumes, Le Galès, 2007), types de personnels (parfois symbiotiques ou du moins en relation spéciale avec des personnels non-Étatiques [14]) et de jeux de compétition « politico-administrative », et peut-être responsable effectif de leur coordination [15] et de leur performance, ce qui porte à réunifier l’État dans une perspective d’analyse coût-bénéfice (Sunstein, 2002 ). La théorie politique le voit comme une « institution » (c’est à dessein que je ne parle pas ici d’organisation), source et produit d’une « constellation sociale de l’autorité » et présidant à la « légitimation morale des intérêts », pour mettre en chiasme la fameuse distinction de Weber entre « constellation sociale des intérêts » et « ordre moral de l’autorité ». À ce titre, elle constate mais questionne aussi le phénomène de la croissance des « autorités administratives indépendantes » (près d’une quarantaine en France dont la plus récente – 2007 – touche le « saint des saints » de l’évaluation du risque nucléaire marquant le déplacement du rôle de l’État central qui s’est soumis à des autorités expertes responsables vis-à-vis d’elles-mêmes et dont les avis ont une autorité supérieure à la sienne).

Ces perceptions peuvent être ordonnées par deux concepts : l’État comme « centre » séparé de sa « périphérie », l’État comme « arène » pénétrée par ses « publics », ou dans une autre terminologie l’État comme « acteur », vision encore dominante dans les travaux, à l’État comme « réseau », une dualité que la petite mais influente école « ANT » (Actor-Network-Theory) s’efforce [68] de dépasser (Passoth, Rowland, 2010 ; Linhardt, 2012), ce qui l’expose à une difficulté : le gros des travaux sur les réseaux, essentiellement sociologique (par exemple Bidart, Degenne et Grossetti, 2011), est sans rapport avec les aspects d’injonction autoritaire et de coalitions gouvernementales constituant un aspect capital du gouvernement politique. Ils ne comportent aucune référence à la littérature sur la « gouvernance en réseaux » déjà mentionnée ou à la sociologie des partis politiques (Sawicki, 1997), ni à la littérature traitant des relations entre polarisation politique et stabilité gouvernementale dans des systèmes multipartisans (Maoz, Somer-Topcu, 2010). À cette dualité correspondent deux concepts d’« intérêt général » : une construction objectivée de façon unifiée et verticale (« hiérarchique ») et une construction objectivée multicentrée et ellipsoïdale (« modulaire ») [16]. Précisons que ce n’est un problème réel que pour les sciences sociales car si la « Haute administration » toute à son « devoir d’État » est experte à dire le premier (sans toujours le faire), supposant un « État » séparé de la société qu’il viendrait « mettre en ordre », ce qui est une méconnaissance totale du concept de « société civile » qui « fait » l’État autant qu’elle est « faite » par lui, les acteurs politiques de classe pratiquent le plus souvent le second (sans le dire), sauf dans les très rares cas où le « charisme » se révèle à l’État brut in statu nascendi (Roth, 1975 ; Tyriakian, 1995 ; Madsen, Snow, 1996). Ici encore, on peut revenir à Weber (Eisenstadt, 1968 ; Turner, 2003).

Une structure d’opposition comparable peut être repérée autour du concept de politique. Une théorie (Hacker, Pierson, 2009) réalise un croisement très différent entre la macro-sociologie (et l’économie politique) et les politiques publiques qui affecte aussi bien la théorie politique. Elle suppose de procéder « à l’envers » de la science politique déclarée dominante qui, suivant en cela le modèle d’Easton, part du fonctionnement du système politique et travaille en allant vers « l’extérieur » c’est-à-dire les politiques publiques produites par le système traitées en outputs (par exemple, Budge, Klingemann et al., 2001 ; Kedar, 2009 ; Soroka, Wlezien, 2010). La politique y est caractérisée comme un jeu dont les acteurs essentiels sont les votants et les politiciens professionnels, ce qui réduit l’essentiel de la politique à l’examen des élections et des processus législatifs. Les politiques publiques y sont vues comme résiduelles, elles sont la manifestation de ce que les politiciens font quand ils cherchent à s’aligner sur les préférences de la coalition gagnante, ce qui implique qu’ils sont sensibles (responsive) aux préférences des votants. Elle s’accompagne de l’ascendance des méthodes de survey research et d’analyses statistiques sophistiquées, de l’expansion du behaviorisme et de la théorie des jeux centrée sur l’intérêt stratégique des acteurs et, aux fins de parcimonie scientifique, de l’élimination des variables de contexte, non pas seulement ce qui dénote des détails mais aussi ce qui produit l’information définissant ce qui importe aux acteurs (Abbott, 1997). On jugera au vu des exemples qui ont précédé si cette description est tout à fait adéquate.

À cette vision, Hacker et Pierson opposent celle des politiques publiques comme « terrain » et comme « prix ». Le « terrain » permet de voir un « système de politiques publiques » comme le cœur de l’environnement institutionnel. C’est lui, et non les institutions et les coalitions, qui structure les opportunités politiques, l’organisation de la mobilisation des groupes, la formation des identités politiques et les agendas politiques. Policy determines politics, mais pas seulement dans le sens classique où elle détermine la structure et les règles du jeu définissant des gagnants et des perdants dans différents problèmes (Schattschneider, 1963 ; Lowi, 1964 ; Wilson, 1980) mais dans le sens où elle a un effet puissant sur ce que les citoyens veulent en général. Le « prix » [69] permet de voir la politique comme un « combat organisé » où les acteurs multipositionnels ont un avantage, par exemple en créant des « points aveugles électoraux » (Cohen, Karol, Noel, Zaller, 2008). De ce fait, un État est avant tout un « régime de politiques publiques » dans lequel les règles du jeu fondamentales ne sont pas dessinées par des institutions formelles mais par des « arrangements massifs » d’actions publiques associées à la gouvernance moderne. Bien que située dans le contexte du système politique américain, la thèse de Hacker et Pierson a une portée plus large (par exemple, Streeck, 2011). On y retrouve un marxisme foncier (mais Marx n’est pas cité), un complément à L’Élite du pouvoir de C. Wright Mills (pas davantage cité) et un cousinage avec les thèses latino-américaines des années 1960 faisant de l’État un système socio-économique structuré et supérieur au « gouvernement politique ». La référence à la multipositionnalité de certains acteurs-clés évoquera pour un Français la sociologie de Pierre Bourdieu (lui aussi ignoré). Son principal problème, outre une sociologie des institutions qui paraît assez pauvre (v. sous un format réduit l’excellente synthèse de Tournay, 2010) est de tenir pour acquis que tous les secteurs de politiques publiques font système même si les exemples convoqués n’apportent des démonstrations (souvent solides) que pour un secteur. Le curieux est qu’est tenue pour imputable aux politiques publiques la vision d’un État centralisé et unifié alors qu’en général celles-ci donnent à voir une réalité différente.

Pourquoi nous devons tenir ensemble
les apports des trois perspectives.
Le devenir de la symbolique de l’État

Cet article défend la thèse que les apports respectifs des trois perspectives sont nécessaires pour penser le phénomène Étatique dans toutes ses facettes. Spécifiquement, la théorie politique est importante dans ce souci de croisement et d’hybridation parce qu’elle fait voir des éléments de réalité que les deux autres perspectives laissent de côté.

Pour illustrer cet argument, cette dernière partie propose d’insister sur un aspect que l’État français permet de bien mettre en exergue, en chaussant les lunettes de la théorie politique, mais qui est peut-être présent dans tout État : l’aspect symbolique. En général les politiques publiques, attachées à établir les conditions de capacité d’un système politique fragmenté en « policy streams » ou plus coordonné par un ensemble cohérent de groupes (deux positions adverses que la recherche empirique ne confirme pas toujours, Robinson, Eller, 2010), ne sont pas portées à faire une place importante à la dimension symbolique de l’État sauf comme élément d’appoint pour expliquer ce que Pareto aurait nommé des « résidus » ou comme un masque idéologique (Edelman, 1964). La théorie politique, plus soucieuse des conditions historiques du développement de certaines formes de communautés politiques est plus prudente car, attentive à la double contrainte pesant sur les systèmes politiques, capacité efficiente et légitimité, elle ne peut réduire celle-ci dans celle-là par un usage excessif de l’idée d’output legitimacy (légitimité par la performance) au détriment de l’input legitimacy (légitimité fondée sur des croyances préalables justifiées par l’approbation expresse ou implicite de la façon dont le système politique fonctionne) pour reprendre la distinction de Fritz Scharpf. Ce n’est pas tout à fait par hasard si le leadership nationaliste est l’occasion de revisiter le concept weberien de charisme (Breuilly, 2011). Que la légitimité ait à voir avec des valeurs ou simplement des habitus, on ne peut la traiter seulement comme un produit de calculs rationnels ou de pré-requis fonctionnels (Leca, 2006), ce en quoi la théorie politique est plus proche de l’anthropologie politique (Geertz, 1986) qui, en outre, nous permet de voir que le problème dépasse le cas de l’État puisqu’il se pose aussi pour l’Union européenne (Foret, 2008). Dans le cercle plus restreint de la démocratie, la théorie politique ne [70] peut oublier que les autorités démocratiques doivent donner des raisons pour expliquer et justifier leurs actions et donc que le « raisonnement institutionnalisé » est plus qu’un truc instrumental pour faire triompher leurs intérêts (ce qu’il est partiellement aussi) [17]. La symbolique et la raison publique ne sont pas contradictoires.

L’État en France n’est pas d’abord cette entreprise qui prétend, plus souvent que non avec succès, au monopole de la contrainte physique légitime (Weber), et, depuis les années 1930, voire plus tôt, protéger le secteur public et certains secteurs privés et déconnecter les sources de revenus (sous forme de salaires, emplois et profits) des effets produits par le marché. Ces traits sont communs avec plusieurs autres États oscillant jusqu’aux années 1980 entre le « libéralisme enchâssé » (Ruggie, 1982) et le keynesianisme (Crouch, 1999) [18]. S’il n’était que cela, les forces de la globalisation et les puissants mouvements migratoires qui l’accompagnent l’auraient déjà condamné, sinon à la faillite qu’on lui promet régulièrement (Kitschelt, 2000), du moins à une longue retraite que ses tambours battraient lugubrement car la globalisation est le type même d’un processus pour l’instant aussi irrésistible que la coulée de lave du volcan sans pour autant bénéficier d’un consensus en proportion [19]. C’est ce qu’ignorent parfois les tenants autant pro que contra du « référentiel néo-libéral », notion claire en tant qu’idéologie (Saad-Filho, Johnston, 2005 ; Robinson, 2006 ; Amable, 2011), mais moins en tant que référentiel national [20]. On peut se demander en outre si le « consensus de Washington » né de la première crise financière ayant frappé l’Amérique latine est encore en vigueur (Held, 2004) dans la mesure où la croissance de l’État qu’il prétendait faire maigrir n’en a pas été affectée, comme le déplorent certains qui du coup sont bien près de voir dans la crise de 2008-2009 et la débâcle bancaire et budgétaire de la zone euro en 2011 une sorte de « bénédiction cachée » devant mener – enfin ! – à cette décroissance qu’ils appellent de leurs vœux [21].

Personne aujourd’hui ne songe plus à nier que le processus initié dans les trente dernières années dépasse quantitativement celui des globalisations antérieures, et, aussi, génère des différences qualitatives sans précédent dans la façon dont elle est organisée et reproduite (Ritzer, 2012) et ce, bien que l’idée d’économie globale ait jadis été qualifiée de « mythe » (Zysman, 1996), ou si, comme Suzanne Berger l’a documenté, toutes les évolutions économiques ne lui sont pas redevables (Berger, Dore, 1996). L’ouverture des frontières conduit à un processus de « dénationalisation » (Zürn, 1998 [22]) marquant l’abaissement et le « dégroupage » (unbundling) des frontières [71] nationales (Ruggie, 1993). Elle faciliterait ainsi « l’érosion de la démocratie » avec laquelle elle est difficilement compatible selon certains (Rodrick, 2011). Notons que cette ouverture frappe différemment selon les types d’État et que par exemple elle laisse nombre d’États arabes, surtout ceux qui bénéficient de rentes, en situation de protéger leurs marchés par l’usage politique de subsides Étatiques face au mécontentement social. Il n’en va pas de même dans les États « ouverts », condamnés à ne plus choisir entre « le beurre » (le welfare) et « les canons » (les dépenses militaires) puisqu’ils doivent diminuer les deux ensembles afin de limiter les déficits publics et la part des dépenses publiques dans leur PNB, et ceci tout en augmentant la pression fiscale et assurer la justice sociale. Noble programme avec lequel on est assuré de perdre les élections, sauf si les adversaires se sont aussi résignés à la même contrainte (v. cependant des analyses plus fines montrant que tous les partis ne sont pas forcément perdants dans une période de recul du welfare state, Diger, Nelson, 2011), à moins qu’il n’apparaisse imposé par un dogme venu d’ailleurs, car les communautés politiques ne sont pas unies dans ces domaines par un commun intérêt. Depuis longtemps sinon toujours, elles sont faites de « gagnants » et de « perdants », aujourd’hui firmes orientées vers l’international, industries de service financiers d’un côté, firmes nationalement basées, une majorité de services publics nationaux ne produisant pas les biens collectifs utiles aux gagnants (ou les produisant trop cher) de l’autre (Frieden, Rogowski, 1996). L’administration publique figure au nombre de ces « perdants », et encore plus là où elle s’est étendue aux secteurs de la production, de la distribution, de l’éducation et du welfare [23].

C’est ici qu’il faut chercher les origines sociales du New Public Management (NPM) auxquelles s’ajoute une autre origine, « politique » (c’est-à-dire stratégique), le souci de remplacer la gestion conflictuelle (aux sommets de l’État) et hiérarchique (à ses échelons intermédiaires) par une gestion compromissoire, voire « consensuelle » (pour les optimistes) et négociée, voire « délibérative » (encore pour les optimistes, pas toujours les mêmes que les précédents), en d’autres termes le remplacement d’un appareil administratif « weberien » gouverné par la compétence, l’expertise et la neutralité politique par un appareil néo-managérial, sensible aux demandes (responsive), transparent et rendant des comptes à son public. L’origine « sociale » est due aux nouveaux conflits, liés au double phénomène de « sectorisation » et d’« ethnicisation » de la politique du fait, respectivement, de la saillance croissante des différences entre secteurs de l’économie et des différences culturelles considérées comme des critères de distribution des ressources, de formation des identités et de mobilisation politique. Paradoxalement, ceci peut mener à rendre les frontières plus saillantes et à provoquer des demandes « exclusionnistes » contradictoires aux mesures « universalistes », sympathiques aux gagnants de la globalisation et, au-delà, aux « altermondialistes » [72] gagnés à l’humanitaire, ainsi qu’aux fonctionnaires et enseignants qui, bien que « perdants », restent profondément marqués par une idéologie universaliste, d’où leur « protectionnisme à géométrie variable » (Kriesi et al., 2008). Il n’est pas certain que le NPM puisse répondre à ces deux énormes défis, d’autant moins que, lorsqu’il s’abat sur une administration française déjà en proie à la politisation fonctionnelle de la haute fonction publique, ses effets non voulus renforcent une influence partisane sur cette administration sans qu’elle renonce pour autant aux acquis du corporatisme (Rouban, 2007b, 2009 ; Gervais, 2010). Pour autant, la présentation de ces macro-causes constitue un schéma explicatif autrement plus stimulant que les facteurs internes aux organisations bureaucratiques mises en avant par les écoles de gestion (« indicateurs de bonne gouvernance », Bertelsmann Management Index, dont l’usage produit des résultats assez banals, DiRienzo, 2010) et la sociologie des organisations. Pour autant, les causes « locales » que ces dernières soulignent ont toute leur valeur, notamment en ce qui concerne l’efficacité des équipes ministérielles et de la haute administration [24].

Mais l’État n’est pas uniquement ce qui vient d’être d’évoqué et auquel se tiennent trop souvent les politiques publiques et la sociologie politique. C’est aussi le temple de ce que Jan Patocka appelle « l’âme de la cité », préalablement évoquée au sujet de l’État comme communauté organique et du concept de charisme. À ceux qui douteraient de l’actualité de cette vision, on peut conseiller la lecture du « rapport Picq » [25] et, surtout, de la longue introduction du livre de Jack Hayward, Fragmented France (2007). L’auteur de The One and Indivisible French Republic (Hayward, 1973) revisite l’objet d’une vie d’analyses et de réflexions dans cette introduction intitulée « The Anglo-American Counter-Identity ». L’État n’est pas son objet mais le principal thème du livre souligne « le contraste entre la conception française de la politique, “jacobine” ou plus strictement Étatiste et rationaliste avec la conception anglo-américaine, plus fragmentaire et pluraliste ». Que l’on s’en désole comme Hayward qui déplore « l’intolérance défensive » de l’engagement français pour la neutralité laïque de ses institutions publiques (p. 369) ou que l’on se gausse de la faillite du modèle d’intégration « multiculturel » hollandais directement contraire au modèle « républicain » français [26], il demeure que l’État continue à représenter un pôle identitaire tout en étant aussi perçu comme extérieur et objet de multiples demandes. On peut ainsi se demander, sans en être certain, si cela n’expliquerait pas pourquoi les études de cas de la haute administration française ont souvent du mal à s’intégrer confortablement dans les modèles comparatifs généraux [27]. Par exemple, une revendication identitaire forte de « justice linguistique » conduisant à l’affirmation de « l’impératif territorial » pour éviter la domination croissante d’une seule langue mondiale est rarement conçue en France comme séparée de la souveraineté de [73] l’État alors qu’elle peut être conçue ailleurs comme mise en œuvre par une fédération établissant un régime juridique non-Étatique imposant le choix d’une langue sur un territoire aux fins d’éducation et de communication (Van Parijs, 2010).

Il se pourrait bien que ceci désigne un chaînon manquant dans de nombreuses études de politiques publiques et de sociologie politique, à savoir le rôle des institutions publiques, pas seulement en tant que configurations de règles, par exemple centralisation-décentralisation, division-concentration, mais en tant que manifestations d’un habitus social et de cadre d’éclosion d’idées qu’elles ne déterminent cependant pas (Smith, 2006, 2008). Prenons l’exemple de la « gouvernance par les instruments » : la stratégie consistant à suivre soigneusement sur la moyenne durée un seul instrument afin de comprendre les changements de longue portée dans les arrangements institutionnels (Palier, 2007) a toute sa valeur pour repérer la portée politique d’instruments de policy apparemment neutres (Lascoumes, Le Galès, 2007) [28]. C’est très bien tant que la question reste « Who gets what etc. ? » dans un secteur, mais si comme Schattschneider et Lowi nous l’ont dit presque dans les mêmes termes policy determines politics (Schattschneider, 1963 ; Lowi, 1964 ; Wilson, 1980), la question qui se pose devient « comment la scène politique sur laquelle se joue ce jeu est-elle construite ? » car elle ne peut être construite par les seules politiques publiques [29]. La politique (politics) a affaire aux « affaires communes » qui ne sont pas seulement des policy problems mais aussi des problèmes que Bertrand de Jouvenel a nommés des problèmes de « politique pure » (Jouvenel, 1963). Celle-ci ne vise pas que la « bassa politica », cette lutte sans enjeu autre que la conquête de positions de pouvoir. Dans un sens plus vaste, la « politique pure » en tant qu’activation de l’action d’autrui désigne aussi la détermination et la signification d’une identité collective, en deçà et au-delà de l’identité produite par une mobilisation de politique publique et les effets de celle-ci sur son « public ». Il n’est pas certain qu’il n’y ait qu’en France que l’histoire soit une « affaire d’É[é]tat » et que l’on puisse étudier une « politique publique de la mémoire » (Gensburger, 2010).

À ce moment, les institutions publiques ne sont plus seulement des systèmes « formels » qui ne peuvent expliquer les structures réelles de décision (à supposer qu’il y en ait une) comme le pointent à l’envi les politiques publiques, elles ne sont pas davantage ces structures elles-mêmes comme le voit en général la macro-sociologie politique. Elles sont plus que cela : quand elles sont effectives [30], des « faits juridiques » surviennent en tant que fictions nécessaires pour mettre quelque ordre intelligible dans les « faits bruts » et pour créer par un processus d’objectivation une « réalité juridique » contraignant les agents, manipulée par eux et leur conférant un sens de l’identité. Dès lors, la question centrale n’est plus la question lasswellienne, mais la question eastonienne moquée supra : d’où émerge « l’authoritative allocation of values », à qui s’étend-elle et comment opère-t-elle ? D’où la pertinence, non seulement de « l’ingénierie institutionnelle » et de l’institutional design, où les institutions sont des cadres de décisions gouvernées par la logique des conséquences et la logique de l’approprié (appropriateness) pour reprendre la distinction de March et Olsen, d’ailleurs d’applicabilité incertaine, mais aussi de la « symbolique institutionnelle » qui fait de l’institution un constructeur d’identité (Heclo, 2008).

[74]

Les bénéfices et les limites du concept de gouvernance permettent d’éclairer ce point, notamment si l’on souligne la distinction capitale qui existe entre la gouvernance avec un gouvernement et la gouvernance sans gouvernement, le gouvernement étant ici un ensemble d’autorités et institutions politiques et administratives exerçant un contrôle effectif sur les gouvernés [31]. D’un côté, la gouvernance, qui dispose aujourd’hui de son Encyclopaedia et de ses handbooks (Bevir, 2007, 2011), quand elle est définie comme un processus « sans gouvernement » [32], renvoie aussi bien en matière de « gouvernance globale » (Young, 1999) que de « gouvernance interne », aux deux notions de « réseaux » et de « volontarisme organisé » auxquels certains ajoutent la « persuasion » centrée soit sur la société, soit sur l’État (Bell, Hindmoor, Mols, 2010). Elle inclut alors l’usage systématique de standards de régulation débouchant sur des codes de bonne conduite qui n’ont pas valeur de loi, mais aussi le benchmarking pour l’évaluation de la policy performance, la délégation par les autorités politiques à des autorités indépendantes. Le problème est que la gouvernance ainsi entendue obéit à plusieurs logiques de contrôle (la gouvernance multi-niveaux, l’État régulateur, le management par la performance) qui interagissent et peuvent se neutraliser mutuellement (Lodge, Wegrich, 2011). Par contraste, d’un autre côté, la « bonne gouvernance » avec gouvernement, marquée par un degré réduit de corruption, une certaine accountability (Levi, Sachs, 2009) et surtout un minimum de sécurité physique, psychologique et sociale, est certainement un concept plus pertinent que la démocratie pour expliquer les croyances dans la légitimité d’un régime (Gilley, 2006, 2009). C’est pourquoi elle est utilisée pour expliciter les difficultés des gouvernements à affronter les problèmes dont ils sont supposés responsables, ce qui est manifesté par le fait que les indicateurs de la « bonne gouvernance » listés par la Banque mondiale sont un moyen de parler de « bon gouvernement » sans le dire en mettant l’accent sur ses aspects techniques, administratifs et managériaux (« la façon de gouverner ») en évitant soigneusement ses aspects politiques pour ne pas être accusé d’ingérence « impérialiste ». Quelle meilleure preuve par l’absurde peut-on rêver de l’aspect symbolique crucial de l’État là même où il est « privatisé » ou « écroulé » (Starr, 2008) et même s’il est confronté à des mouvements de « politique subalterne » et d’ « art de ne pas être gouverné » qui se développent à côté de lui mais cependant n’existent que contre et par lui (Chatterjee, 2009 ; Scott, 2009) ? Le récent World Development Report de la Banque mondiale, notant que la guerre s’est désormais internalisée, s’interroge sur les rapports entre la pauvreté et ce genre de guerre : bien qu’il soit avéré que dans certains cas pauvreté et violence se renforcent mutuellement, le rapport souligne que la légitimité du gouvernement compte aussi une fois que l’on a séparé ses effets de l’effet des revenus et montre que [75] la confiance dans les institutions, l’accountability et la légitimité, bien que conceptuellement distinctes, entretiennent des relations de système.

Conclusion

Concluons brièvement avec une constatation et deux appels.

1/ Les sous-disciplines donnent à voir des faces différentes de l’État. Il est bien possible que selon les approches ou les domaines d’action ces images concurrentes soient pertinentes en même temps et rien ne prouve qu’avec le temps une, et une seule, fera oublier les autres. Mais ce n’est pas parce qu’il est indéfinissable qu’un phénomène empirique cesse d’exister autrement que comme un objet singulier, ce que l’État est aussi au point qu’il est soutenable de tenir que « l’État n’existe pas » et que seuls sont connaissables « des États ». Nous n’avons pas adopté cette posture logiquement contradictoire car pour parler « d’États » au pluriel il faut bien avoir une idée de l’État au singulier. Ce que l’on ne parvient pas à construire scientifiquement comme un objet unique peut parfaitement se révéler fait d’objets solides résistant à la volatilisation. Cette apparente contradiction, analogue à celle qui frappe la lumière, à la fois corpusculaire et ondulatoire, ne désigne peut-être que les deux versants d’une même réalité empirique.

2/ En dépit de nombreux ouvrages portant sur l’une ou l’autre, il reste à rapprocher plus systématiquement les comparaisons internationales de sociologie politique et de politiques publiques. Leur distance actuelle tient aux jeux de langage différents exposés supra, par exemple sur les catégories « offre » et « demande ». Cela tient aussi au fait que, si la sociologie politique pratique ce qu’Ulrich Beck a nommé un « nationalisme méthodologique » dans la mesure où elle a pris les nations comme unités de comparaison et accessoirement semble avoir conçu toute polity sur le modèle de la nation (Rosamond, 2008), les politiques publiques, à de solides exceptions près, sont souvent, en France au moins, réticentes à la comparaison, non pas par paresse et par biais pour une approche purement historique (encore que ce biais n’existe que trop) mais par suite d’un « nationalisme ontologique », comme si les politiques publiques faisaient partie de « l’être » de l’État lui-même, personnifié comme un objet singulier, ce qui est paradoxal quand on sait que cette sous-discipline est la plus engagée pour la cause européenne mais en ce cas elle étudie « l’européanisation », sans nous dire si celle-ci s’applique à toutes les politiques nationales ou à certaines seulement, et pourquoi. Si la macro-comparaison de politiques publiques a été un moment un classique de cette sous-discipline (Heidenheimer et al., 1990), ce que l’on pourrait appeler la méso-comparaison est singulièrement plus hasardeuse, et bien entendu selon la loi classique de la comparaison (maximal intension minimal extension) encore plus quand la comparaison devient micro (Hassenteufel, 2000 ; 2005). Il s’ensuit que, faute d’un accord sur les niveaux pertinents de comparaison les deux sous-disciplines cheminent en parallèle sans trop se rencontrer. Peut-être « l’analyse systématique des processus » (systematic process analysis) appliquée à un petit nombre de cas et concurrençant l’analyse statistique et l’analyse historiquement spécifique recommandée par Peter Hall a-t-elle quelques chances d’ouvrir une voie (Hall, 2008).

3/ Il est permis d’espérer que pour sortir du triangle des Bermudes, l’une des pistes à suivre consiste à recomposer une théorie de l’État qui conjoigne une théorie néo-fonctionnaliste et une théorie du conflit social et des clivages structurants, ainsi qu’en témoigne l’étude de l’État américain, de son organisation et de ses politiques publiques dans la crise (Jacobs, King, 2009a, 2009b ; plus généralement Le Galès, King, 2011), complétées par des enquêtes en profondeur sur les comportements collectifs et les mobilisations électorales, avec une recherche sur ce qui [76] peut ou non lui assurer un réservoir d’input legitimacy lui permettant ou non de surmonter les difficultés que l’apparition de la notion de gouvernance a révélées. Pour cela, une théorie politique informée par l’histoire, la sociologie, l’économie et le droit politiques ainsi que par les politiques de l’action publique reste indispensable. L’important est de rester fidèle à ce qui devrait être l’objet central de la science politique : les principes et le fonctionnement du gouvernement dans des unités politiques données. En ce sens un enfermement trop grand des sous-disciplines sur elles-mêmes peut être un obstacle à leurs progrès respectifs.

Bibliographie

ABBOTT, A. (1997), « Of Time and Space », Social Forces, 75, p. 1149-1182.

AGHION, P., ROULET, A. (2011), Repenser l’État. Pour une social-démocratie de l’innovation, Paris, Seuil.

ALESINA, A., GIAVAZZI, F. (2006), The Future of Europe. Reform or Decline, Cambridge (Mass.), MIT Press.

AMABLE, B. (2011), « Morals and Politics in the Ideology of Neo-Liberalism », Socio-Economic Review, 9 (1), p. 3-30.

ARON, R. (1972), Études politiques, Paris, Gallimard.

BADIE, B., BIRNBAUM, P. (1979), Sociologie de l’État, Paris, Grasset.

BARDACH, E. (1977), The Implementation Game : What Happens After a Bill Becomes a Law, Cambridge (Mass.), MIT Press.

BAUMAN, Z. (1998), Globalization : the Human Consequences, Cambridge, Cambridge University Press.

BAUMGARTNER, F., JONES, B. (2009), Agendas and Stability in American Politics, Chicago (Ill.), University of Chicago Press (1re éd., 1993).

BAUMGARTNER, F., LEECH, B. (1998), The Importance of Groups in Politics and in Political Science, Chicago (Ill.), University of Chicago Press.

BEAUD, O. (2008), Théorie de la fédération, Paris, PUF.

BEAUD, O. (2011), « Duguit, l’État et la reconstruction du droit constitutionnel français », dans MELLERAY, F. (dir.), Autour de Léon Duguit, Bruxelles, Bruylant, p. 29-56.

BELL, S., HINDMOORE, A., MOLS, F. (2010), « Persuasion as Governance : A State-Centric Relational Perspective », Public Administration, 88 (3), p. 568-590.

BELLAMY, A. (2010), « The Responsibility to Protect : Five Years On », Ethics and International Affairs, 24, p. 143-169.

BELLAMY, R. (ed.) (2011), « Symposium on Democracy and New Modes of Governance », Government and Opposition, 46 (1), p. 56-144.

BERGER, S., DORE, R. (eds) (1996), National Diversity and Global Capitalism, Ithaca (N. Y.), Cornell University Press.

BERGERON, G. (1965), Fonctionnement de l’État, Paris, Armand Colin.

BEST, H., COTTA, M. (eds) (2000), Parliamentary Representatives in Europe, 1848-2000 : Legislative Recruitment and Careers in Eleven European Countries, Oxford, Oxford University Press.

BEVIR, M. (ed.) (2007), Encyclopaedia of Governance, Londres, Sage.

BEVIR, M. (ed.) 2011, Handbook of Governance, Londres, Sage.

BEZES, P. (2010), « Morphologie de la RGPP. Une mise en perspective historique et comparative », Revue française d’administration publique, 136, p. 775-802.

BEZES, P., LE LIDEC, P. (2007), « French Top Civil Servants Within Changing Configurations : From Monopolization to Contested Places and Roles ? », in PAGE, E., WRIGHT, V. (eds) (2007), From the Active to the Enabling State : The Changing Role of Top Officials in European Nations, Basingstoke, Palgrave Macmillan, p. 121-163.

BEZES, P., SINÉ, A. (dir.) (2011), Gouverner (par) les finances publiques, Paris, Presses de Sciences Po.

BIDAR, C., DEGENNE, A., GROSSETTI, M. (2011), La Vie en réseau. Dynamique des relations sociales, Paris, PUF.

BIRNBAUM, P. (1985), « L’action de l’État », dans GRAWITZ, M., LECA, J. (dir.), Traité de science politique, vol. III, Paris, PUF, p. 643-682.

BLAIS, A., KIL, J., FOUCAULT, M. (2010), « Public Spending, Public Deficit and Government Coalitions », Political Studies, 58 (5), p. 829-846.

BLUMKIN, T., GROSSMANN, V. (2010), « May Increased Partisanship lead to Convergence of Parties’ [77] Policy Platforms ? », Public Choice, 145 (3-4), p. 547-589.

BÖRZEL, T., « Organizing Babylon : On the Different Conceptions of Policy Networks », Public Administration, 76 (2), p. 253-278.

BRAUD, P. (2004), Penser l’État, Paris, Seuil.

BREUILLY, J. (2011), « Max Weber, Charisma and Nationalist Leadership », Nations and Nationalisms, 17 (3), p. 477-489.

BROWN, G. W. (2011), « Bringing the State Back Into Cosmopolitanism : The Idea of Responsible Cosmopolitan State », Political Studies Review, 9 (1), p. 53-66.

BUDGE, I., EZROW, L., MCDONALD, M. (2010), « Ideology, Party Factionalism and Policy Change : An Integrated Dynamic Theory », British Journal of Political Science, 40 (4), p. 781-804.

BUDGE, I., KLINGEMANN, H. D. et al. (2001), Mapping Party Preferences. Estimates for Parties, Electorates and Governments 1945-1998, Oxford, Oxford University Press.

BURDEAU, G. (1970), L’État, Paris, Seuil (réédition, 2009 avec une préface de Philippe Braud).

CHARDON, H. (1911), Le Pouvoir administratif, Paris, Perrin et Cie.

CHATTERJEE, P. (2009), Politique des gouvernés, Paris, Amsterdam.

CHAYES, A., CHAYES-HANDLER, A. (1995), The New Sovereignty : Compliance with International Regulatory Agreements, Cambridge (Mass.), Harvard University Press.

CHONG, D., DRUCKMAN, J. N. (2010), « Dynamic Public Opinion : Communication Effects over Time », American Political Science Review, 10 (4), p. 663-680.

CHRISTENSEN, T., LÆGREID, P. (eds) (2001), New Public Management. The Transformation of Ideas and Practices, Aldershot, Ashgate.

CHRISTENSEN, T., LÆGREID, P. (eds) (2007), Transcending New Public Management : The Transformation of Public Sector Reforms, Aldershot, Ashgate.

COHEN, J. L., ARATO, A. (1992), Civil Society and Political Theory, Cambridge (Mass.), MIT Press.

COHEN, M., KAROL, D., NOEL, M., ZALLER, J. (2008), The Party Decides. Presidential Nomination Before and After Reform, Chicago (Ill.), The University of Chicago Press.

COSTA, O., MAILLARD, J. (de), SMITH, A. (2007), Vin et Politique. Bordeaux, la France, la mondialisation, Paris, Presses de Sciences Po.

CROUCH, C. (1999), Social Change in Western Europe, Oxford, Oxford University Press.

CROUCH, C. (2004), Post Democracy, Cambridge, Cambridge University Press.

CROUCH, C. (2008), « What Will Follow the Demise of Privatized Keynesianism », The Political Quarterly, 74 (4), p. 476-487.

CROUCH, C. (2009), « Privatized Keynesianism : An Unacknowledged Policy Regime », British Journal of Politics and International Relations, 11 (3), p. 382-399.

DAHL, R. A. (1961), Who Governs ? Democracy and Power in an American City, New Haven (Conn.), Yale University Press.

DALOZ, J.-P. (2010), The Sociology of Elite Distinction, Basingstoke, Palgrave Macmillan.

DELLA PORTA, D., PIAZZA, G. (2008), Voices of the Valley, Voices of the Straits : How Protest Creates Community, Oxford/NY, Berghahn Books.

DERLIEN, H.-U., PETERS, B. G. (eds) (2008a), The State at Work, volume I. Public Sector Employment in Ten Western Countries, Cheltenham, Edward Elgar.

DERLIEN, H.-U., PETERS, B. G. (eds) (2008b), The State at Work, volume II. Comparative Public Service Systems, Cheltenham, Edward Elgar.

DIGER, N., NELSON, M. (2011), « The Electoral Consequences of Welfare State Retrenchment : Blame Avoidance or Credit Claiming in the Era of Permanent Austerity », European Journal of Political Research, 50 (1), p. 1-23.

DIRIENZO, C. (2010), « Quality of Political Management and the Role of Corruption : A Cross-Country Analysis », International Journal of Public Administration, 33 (14), p. 832-842.

DUPUY, C., HALPERN, C. (2009), « Les politiques publiques face à leurs protestataires », Revue française de science politique, 59 (4), p. 701-722.

EDELMAN, M. J. (1964), The Symbolic Uses of Politics, Urbana (Ill.), University of Illinois Press.

EISENSTADT, S. N. (1968), Max Weber on Charisma and Institution-Building, Chicago (Ill.), The University of Chicago Press.

ENDERLEIN, H., WÄLTI, S., ZÜRN, M. (eds) (2010), Handbook on Multi-level Governance, Cheltenham, Edward Elgar.

ESPING-ANDERSEN, G. (ed.) (1996), Welfare States in Transition, National Adaptations in Global Economies, Londres, Sage.

EYMERI-DOUZANS, J.-M., PIERRE, J. (eds) (2011), Administrative Reforms and Democratic Government, Londres, Routledge.

EZROW, L., XEZONAKIS, G. (2011), « Citizen’s Satisfaction with Party Democracy and Parties’ Policy Offering », Comparative Political Studies, 44 (9), p. 1152-1178.

FAUROUX, R., SPITZ, B. (2000), Notre État : le livre vérité de la fonction publique, Paris, Laffont.

FRIEDEN, J., ROGOWSKI, R. (1996), « The Impact of the International Economy on National Policies. An Analytical Overview », in KEOHANE, R. O., MILNER, V. H. (eds), Internationalization and Domestic Politics, Cambridge, Cambridge University Press, p. 25-47.

[78]

GAINES, F., STOKER, G. (2009), « Delivering “Public Value” : Implications for Accountability and Legitimacy », Parliamentary Affairs, 62 (3), p. 438-455.

GEERTZ, C. (1986), Savoir local, savoir global. Les lieux du savoir, Paris, PUF.

GELLNER, E. (1994), Conditions of Liberty. Civil Society and its Enemies, Londres, Hamilton.

GENIEYS, W. (2011), Sociologie politique des élites, Paris, Armand Colin.

GENIEYS, W., SMYRL, M. (eds) (2008), Elites, Ideas, and the Evolution of Public Policy, Basingstoke, Palgrave Macmillan.

GENSBURGER, S. (2010), Les Justes de France. Politiques publiques de la mémoire, Paris, Presses de Sciences Po.

GERVAIS, J. (2010), « Fusionner pour durer ? Légitimité institutionnelle et rétributions matérielles dans les recompositions de corps en France », Revue internationale des sciences administratives, 76 (3), p. 453-468 (version anglaise dans International Review of Administrative Sciences, 76 (3), p. 425-441.

GEUSS, R. (2001), History as Illusion in Politics, Cambridge, Cambridge University Press.

GIAVAZZI, F. (2004), « Challenges for Macroeconomic Policies in EMU », in GUAL, J. (ed.), Building a Dynamic Europe. The Key Policy Debates, Cambridge, Cambridge University Press, p. 100-126.

GIBSON, D., GOODIN, R. (1999), « The Veil of Vagueness. A Model of Institutional Design », in EGENBERG, M., LAEGREID, P. (eds), Organizing Political Institutions. Essays for Johan P. Olsen, Oslo, Scandinavian University Press, p. 357-385.

GILLEY, B. (2006), « The Determinants of State Legitimacy. Results from 72 Countries », International Political Science Review, 27 (1), p. 47-71.

GILLEY, B. (2009), The Rights to Rule. How States Win and Lose Legitimacy, New York (N. Y.), Columbia University Press.

GOLDFINCH, S. H., WALLIS, J. (2010), « Two Myths of Convergence in Public Management Reform », Public Administration, 88 (4), p. 1099-1115.

GOODIN, R. E. (1982), Political Theory and Public Policy, Chicago (Ill.), University of Chicago Press.

GRAZIANO, P., JACQUOT, S., PALIER, B. (2011a), The EU and Domestic Politics of Welfare State Reforms : Europa Europae, Basingstoke, Palgrave Macmillan.

GRAZIANO, P., JACQUOT, S., PALIER, B. (eds) (2011b), « Letting Europe in. The Domestic Usages of Europe in Reconciliation Policies », European Journal of Social Security, 13 (1), special issue, p. 3-24.

GREEN, L. (1988), The Authority of the State, Oxford, Clarendon Press.

GREENWOOD, D. (2011), « The Problem of Coordination in Politics : What Critics of Neoliberalism Might Draw from its Advocates », Polity, 43 (1), p. 36-57.

HABER, S., MENALDO, V. (2011), « Do Natural Resources Fuel Authoritarianism ? A Reappraisal of the Resource Curse », American Political Science Review, février, p. 1-26.

HACKER, J., PIERSON, P. (2009), « The Case for Policy-Focused Political Analysis », présenté à l’APSA, Toronto, 3-6 septembre.

HALBERSTAM, D. (2004), « On Power and Responsibility. The Political Morality of Federal Systems », Virginia Law Review, 90 (2), p. 732-834.

HALL, P. (2008), « Systematic Process Analysis : When and How to Use It », European Political Science, 7 (3), p. 304-317.

HALL, P. A., SOSKICE, D. (eds), (2001), Varieties of Capitalism : the Institutional Foundations of Comparative Advantage, Oxford, Oxford University Press.

HALPIN, D. (2011), « Explaining Policy Bandwagons : Organized Interests and Cascades of Attention », Governance, 24 (2), p. 205-230.

HASSENTEUFEL, P. (2000), « Deux ou trois choses que je connais d’elle : quelques enseignements tirés d’expériences de comparaison européenne », dans CURAPP (dir.), La Méthode au concret, Paris, PUF, p. 105-124.

HASSENTEUFEL, P. (2005), « De la comparaison internationale à la comparaison transnationale », Revue française de science politique, 55 (1), p. 113-132.

HASSENTEUFEL, P. (2008), Sociologie politique : action publique, Paris, Armand Colin.

HAY, C. (2009), « Good Inflation, Bad Inflation : The Housing Boom, Economic Growth and the Disaggregation of Inflationary Preferences in the UK and Ireland », British Journal of Politics and International Relations, 11 (3), p. 461-478.

HAY, C. (2011), « Pathology Without Crisis ? The Strange Demise of the Anglo-Liberal Growth Model », Government and Opposition, 46 (1), p. 1-31.

HAYEK, F. A. (1973), Law, Legislation and Liberty. I : Rules and Orders, Londres, Routledge.

HAYEK, F. A. (1976), Law, Legislation and Liberty. II : The Mirage of Social Justice, Londres, Routledge.

HAYES, G. (2002), Environmental protest and the State in France, New York (N. Y.), Palgrave Macmillan.

HAYWARD, J. (1973), The One and Indivisible French Republic, Londres, Weidenfeld & Nicolson.

HAYWARD, J. (2007), Fragmented France, Oxford, Oxford University Press.

HECLO, H. (2008), On Thinking Institutionnally, Boulder (Colo.) et Londres, Paradigm Publishers.

HEIDENHEIMER A. J., HECLO, H., ADAMS, C. T. (1990), Comparative Public Policy : The Politics of Social Choice in America, Europe, and Japan, 3e éd., New York (N. Y.), St Martin’s Press.

HELD, D. (2004), Global Covenant : The Social Democratic Alternative to the Washington Consensus, Cambridge, Polity.

[79]

HOOD, Chr. (1983), The Tools of Government, Basingstoke, Macmillan.

HOOD, Chr. (1995), « The New Public Management. A New Global Paradigm », Public Policy and Administration, p. 104-117.

HUYARD, C. (2011), « Quand la puissance publique fait surgir et équipe une mobilisation protestataire. L’invention des “maladies rares” aux États-Unis et en Europe », Revue française de science politique, 61 (11), p. 183-200.

IVERSEN, T., SOSKICE, D. (2010), « Real Exchange Rates and Competitiveness : The Political Economy of Skill Formation, Wage Compression, and Electoral Systems », American Political Science Review, 104 (3), p. 610-623.

JACOBS, L., KING, D. (eds) (2009a), The Unsustainable American State, New York (N. Y.), Oxford University Press.

JACOBS, L., KING, D. (eds) (2009b), « Ironies of State Building : a Comparative Perspective on the American State », World Politics, 61 (3), p. 547-88.

JENSEN, C. (2011a), « Catching up by Transition : Globalization as a Generator of Convergence in Social Spending », Journal of European Public Policy, 18 (1), p. 106-121.

JENSEN, C. (2011b), « Conditional Contraction : Globalization and Capitalist Systems », European Journal of Political Research, 50 (2), p. 168-189.

JONES, B., BAUMGARTNER, F. (2005), Politics of Attention. How Government Prioritizes Problems, Chicago (Ill.), University of Chicago Press.

DE JOUVENEL, B. (1963), De la politique pure (original anglais, The Pure Theory of Politics), Paris, Calmann-Lévy.

KAIER, W. (ed.) (2009), « Networks in European Union Governance », Journal of Public Policy, 29 (2), special issue.

KANG, S.-G., POWELL, G. BINGHAM Jr (2010), « Representation and Policy Responsiveness : The Median Voter, Election Rules and Redistributive Welfare Spending », Journal of Politics, 72 (4), p. 1014-1028.

KAVIRAJ, S., KHILNANI, S. (eds) (2002), Civil Society : History and Possibilities, New York (N. Y.), Cambridge University Press.

KEANE, J. (2003), Global Civil Society ?, Cambridge, Cambridge University Press.

KEDAR, O. (2009), Voting for Policies, not Parties. How Voters Compensate for Power Sharing, New York (N. Y.), Cambridge University Press.

KICKERT, W. (ed.) (2008), The Study of Public Management in Europe and the US, Londres, Routledge.

KIRKUP, A. (2011), « Liberal Silences and the Political Economy of Global Governance », Political Studies Review, 9 (1), p. 13-25.

KITSCHELT, H. (2000), « State Failure, Political Party, and Electorate », European Journal of Political Research, 37 (2), p. 149-179.

KOHLER-KOCH, B. (2010), « How To Put Matters Right ? Assessing the Role of Civil Society in EU Accountability », West European Politics, 34 (3), p. 113-136.

KRIESI, H., GRANDE, E., LACHAT, R., DOLEZAL, M., BORNSCHIER, S., FREY, T. (2008), West European Politics in the Age of Globalization, Cambridge, Cambridge University Press.

KURUVILLA, S., DORSTEWITZ, Ph. (2010), « There is no “point” in Decision-Making : A Model of Transactive Rationality for Public Policy and Administration », Policy Sciences, 43 (3), p. 263-287.

LASCOUMES, P. (2009), « Les compromis parlementaires, combinaison de surpolitisation et de sous-politisation. L’adoption des lois de réforme du code pénal (décembre 1992) et de la création du Pacs (novembre 1999) », Revue française de science politique, 59 (3), p. 455-478.

LASCOUMES, P., LE GALÈS, P. (eds) (2007), « Special issue : Understanding Public Policy Through its Instruments », Governance : An International Journal of Policy, Administration and Institutions, 60 (1), p. 1-126.

LASCOUMES, P., SIMARD, L. (dir.) (2011), « Dossier : L’action publique aux prismes de ses instruments », Revue française de science politique, 61 (1), p. 5-103.

LASSWELL, H. D. (1936), Politics : Who Gets What, When, How, New York (N. Y.), McGraw-Hill.

LATOUR, B. (2005), Re-assembling the Social, Oxford, Oxford University Press.

LECA, J. (2006), « Légitimité/Légitimation », dans BORLANDI, M., BOUDON, R., CHERKAOUI, M., VALADE, B. (dir.), Dictionnaire de la pensée sociologique, Paris, PUF, p. 393-395.

LECA, J. (2009), « The Empire Strikes Back ! An Uncanny View of the European Union. Part I : Do we Need a Theory of the European Union ? », Government and Opposition, 44 (3), p. 285-320.

LECA, J. (2010), « L’État », dans BOUSSAGUET, L., JACQUOT, S., RAVINET, P. (dir.), Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Presses de Sciences Po, 3e éd. revue et augmentée [1re éd., 2004], p. 231-246.

LECA J., MULLER, P. (2008), « Y a-t-il une approche française des politiques publiques ? Retour sur les conditions de l’introduction de l’analyse des politiques publiques en France », dans GIRAUD, O., WARIN, P. (dir.), Politiques publiques et démocratie, Paris, La Découverte, p. 35-72.

LE GALÈS, P., THATCHER, M. (dir.) (1995), Les Réseaux de politiques publiques : débat autour des policy networks, Paris, L’Harmattan.

LE GALÈS, P., KING, D. (dir.) (2011), « L’État », Revue française de sociologie, numéro spécial.

LEIBFRIED, S., PIERSON, P. (eds), (1995), European Social Policy : Between Fragmentation and Integration, Washington (D. C.), The Brookings Institution.

[80]

LEVI, M., SACHS, A. (2009), « Legitimating Beliefs : Sources and Indicators », Regulation and Governance, 3 (4), p. 311-333.

LINHARDT, D. (dir.) (2012), « Épreuves d’État », Quaderni, numéro spécial.

LODGE, M., WEGRICH, K. (2011), « Governance as Contested Logics of Control : Europeanized Meat Inspection Regimes in Denmark and Germany », Journal of European Public Policy, 18 (1), p. 90-105.

LOUGHLIN, M. (2010), Foundations of Public Law, Oxford, Oxford University Press.

LOWI, T. J. (1964), « American Business, Public Policy, Case Studies, and Political Theory », World Politics, 16, p. 677-715.

MACDONALD, K., MACDONALD, T. (2010), « Democracy in a Pluralist Global Order : Corporate Power and Stakeholder Representation », Ethics and International Affairs, 24 (1), p. 19-44.

MADSEN D., SNOW P. G. (1996), The Charismatic Bond. Political Behavior in Time of Crisis, Harvard University Press.

MANSBRIDGE, J. (2003), « Rethinking Representation », American Political Science Review, 97, p. 515-528.

MANSBRIDGE, J. (2004), « Representation Revisited : Introduction to the Case against Electoral Accountability », Democracy and Society, 2 (1), p. 12-13.

MAOZ, Z., SOMER-TOPCU, Z. (2010), « Political Polarization and Cabinet Stability in Multiparty Systems : A Social Network Analysis of European Parliaments », British Journal of Political Science, 40 (4), p. 805-833.

MARCH, J. G., OLSEN, J. P. (1989), Rediscovering Institutions : The Organizational Basis of Politics, Londres, Collier Macmillan.

MARKS, G., HOOGHE, L., BLANK, K. (1996), « European Integration from the 1980s : State-Centric vs. Multilevel Governance », Journal of Common Market Studies, 34 (3), p. 341-378.

MARKUSSEN, Th. (2011), « Democracy, Redistributive Taxation and the Private Provision of Public Goods », European Journal of Political Economy, 27 (1), p. 201-213.

MARSH, D., MCCONNELL A. (2010), « Towards a Framework for Establishing Policy Success », Public Administration, 88 (2), p. 564-583.

MAYER, N. (2010), Sociologie des comportements politiques, Paris, Armand Colin.

MCCONNELL, A. (2010), « Policy Success, Policy Failure and Grey Areas In-Between », Journal of Public Policy, 30 (3), p. 345-362.

MESNARD, P. (1969), L’essor de la philosophie politique au XVIe siècle, Paris, Vrin.

PALIER, B. (2007), « Tracking the Evolution of a Single Instrument can Reveal Profound Changes : the Case of Funded Pensions in France », Governance, 20 (1), p. 85-107.

PALIER, B. (2009), « L’européanisation des réformes de protection sociale », Sociologie du travail, 51, p. 518-535.

PASSOTH, J. H., ROWLAND, N. J. (2010), « Actor-Network State : Integrating Actor-Network Theory and State Theory », International Sociology, 25 (6), p. 818-841.

PATASHNIK, E. (2008), Reforms at Risk : What Happens After Major Policy Reforms are Enacted, Princeton (N. J.), Princeton University Press.

PAYRE, R., POLLET, G. (2005), « Analyse socio-historique et analyse des politiques publiques : quel(s) tournant(s) socio-historiques ? », Revue française de science politique, 55 (1), p. 133-154.

PIATTONI, S. (2009), « Multilevel Governance. A Historical and Conceptual Analysis », Journal of European Integration, 31 (2), p. 163-180.

PIERRE, J. (ed.) (2000), Debating Governance, Oxford, Oxford University Press.

POGGI, G. (1990), The State : Its Nature, Development and Prospect, Cambridge, Polity Press.

POLLITT, C., BOUCKAERT, G. (eds) (2000), Public Management Reform. A Comparative Analysis, Oxford, Oxford University Press.

RAYNAUD, P. (2009), Trois révolutions de la liberté. Angleterre, Amérique, France, Paris, PUF.

RITZER, G. (ed.) (2012), The Wiley-Blackwell Encyclopedia of Globalization, Londres, Wiley-Blackwell.

ROBERT, C., VAUCHEZ, A. (dir.) (2010), « L’Académie européenne : savoirs, experts et savants dans le gouvernement de l’Europe », Politix, 89, numéro spécial.

ROBINSON, R. (ed.) (2006), The Neo-Liberal Revolution. Forging the Market State, New York (N. Y.), Palgrave.

ROBINSON, S. E., ELLER, W. S. (2010), « Participation in Policy Streams : Testing the Separation of Problems and Solutions in Subnational Policy Systems », Policy Studies Journal, 38 (2), p. 199-216.

RODRICK, D. (2011), The Globalization Paradox. Why Global Markets, States and Democracy Cannot Coexist, Oxford, Oxford University Press.

ROSAMOND, B. (2008), « Open Political Science. Methodological Nationalism and the Study of the European Union », Government and Opposition, 43 (4), p. 599-612.

ROSENBLUM, N. L., POST, R. C. (eds) (2002), Civil society and Government, Princeton (N. J.), Princeton University Press.

ROTH, G. (1975), « Socio-Historical Model and Developmental Theory : Charismatic Community, Charisma of Reason and the Counter Culture », American Sociological Review, p. 148-157.

ROUBAN, L. (2007a), « Conclusion », dans PERRINEAU, P., ROUBAN, L. (dir.), La Politique en France et en Europe, Paris, Presses de Sciences Po.

[81]

ROUBAN, L. (2007b), « Public Management and Politics. Senior Bureaucrats in France », Public Administration, 85 (2), p. 475-501.

ROUBAN, L. (2009), « La politisation de l’administration française ou la privatisation de l’État », Télescope, hiver, p. 52-64.

ROUBAN, L. (2010), « Les élites de la réforme », Revue française d’administration publique, 136, p. 865-879.

RUGGIE, J. G. (1982), « Transaction and Change. Embedded Liberalism in the Post War Economic Order », International Organization, 36 (2), p. 375-415.

RUGGIE, J. G. (1993), Multilateralism Matters. The Theory and Practice of an Evolutionary Form, New York (N. Y.), Columbia University Press.

SAAD-FILHO, A., JOHNSTON, D. (eds) (2005), Neoliberalism. A Critical Reader, Londres, Pluto Press.

SALIN, P. (2010), Pour éviter les crises. Revenir au capitalisme, Paris, Odile Jacob.

SAMUELS, D., HELLWIG, T. (2010), « Elections and Accountability for the Economy : A Conceptual and Empirical Reassessment », Journal of Elections, Public Opinion and Parties, 20 (4), p. 393-419.

SAWICKI, F. (1997), Les réseaux du PS. Sociologie d’un milieu partisan, Paris, Belin.

SCHAKEL, A. H., (2010), « Explaining Regional and Local Government : An Empirical Test of the Decentralization Theorem », Governance’, 23 (2), p. 331-355.

SCHARPF, F., SCHMIDT, V. A. (eds) (2000), Welfare and Work in the Open Economy, Oxford, Oxford University Press.

SCHATTSCHNEIDER, E. E. (1963), Politics, Pressures and the Tariff, Hamden (Conn.), Archon Books edition.

SCHMIDT, V. A. (2009), « Putting the Political Back into the Political Economy by Bringing the State Back In Yet Again », World Politics, 61 (3), p. 516-546.

SCOTT, J. (2009), The Art of not Being Governed, New Haven (Conn.), Yale University Press.

SEARLE, J. (1995), The Construction of Social Reality, Londres, Penguin.

SKRENTNY, J. D. (2006), « Law and the American State », Annual Review of Sociology, 32, p. 213-244.

SMITH, R. (2006), « Which Comes First ? The Ideas or the Institutions ? », in SHAPIRO, I., SKOWRONEK, S., GALVIN, D. (eds), Rethinking Political Institutions : The Art of the State, New York (N. Y.), New York University Press, p. 91-113.

SMITH, R. (2008), « Historical Institutionalism and the Study of Law », in WHITTINGTON, K. E., KELEMEN, R. D., CALDEIRA, G. A. (eds), The Oxford Handbook of Law and Politics, Oxford, Oxford University Press, p. 46-59.

SODERBAUM, F., SBRAGIA, A. (2010), « EU Studies and the “New Regionalism” : What Can be Gained from Dialogue ? », Journal of European Integration, 32 (6), p. 563-582.

SOROKA, S., WLEZIEN, C. (2010), Degrees of Democracy. Politics, Public Opinion, and Policy, New York (N. Y.), Cambridge University Press.

STARR, H. (ed.) (2008), « Failed States », Conflict Management and Peace Science, 25 (4), special issue.

STREECK, W. (2011), « Taking Capitalism Seriously : Towards an Institutionalist Approach to Contemporary Political Economy », Socio-Economic Review, 9 (1), p. 137-168.

SUNSTEIN, C. (2002), The Cost-Benefit State. The Future of Regulatory Protection, New York (N. Y.), Cambridge University Press.

TARROW, S. (2008), Politique(s) du conflit : de la grève à la révolution, Paris, Presses de Sciences Po.

TIRYAKIAN, E.A. (1995), « Collective Effervescence, Social Change and Charisma : Durkheim, Weber and 1989 », International Sociology, 10 (3), p. 269-281.

TOURNAY, V. (2010), Sociologie des institutions, Paris, PUF.

TURNER, S. (2003), « Charisma Reconsidered », Journal of Classical Sociology, 3, p. 5-26.

VAN BERGEIJK, P. A. G. (2010), On the Brink of Deglobalization. An Alternative Perspective on the Causes of the World Trade Collapse, Cheltenham, Edward Elgar.

VAN PARIJS, Ph. (2010), « Linguistic Justice and the Territorial Imperative », Critical Review of International Social and Political Philosophy, 13 (1), p. 181-202.

VERDIER, E. (2008), « L’usage des idées floues. L’éducation et la formation tout au long de la vie », dans GIRAUD, O., MULLER, P., WARIN, P. (dir.), Politiques publiques et démocratie. Mélanges en l’honneur de Bruno Jobert, Paris, La Découverte, p. 109-138.

VIBERT, F. (2011), Democracy and Dissent. The Challenge of International Rule Making, Cheltenham, Edward Elgar.

WARD, H., EZROW, L., DORUSSEN, H. (2011), « Globalization, [Social-Democratic] Party Positions and the [Western Eurpean] Median Voter », World Politics, 63 (3), p. 509-547.

WASSERMAN, S., FAUST, K. (1994), Social Network Analysis : Methods and Applications, Cambridge, Cambridge University Press.

WEALE, A. (1983), Political Theory and Social Policy, Houndmills, Macmillan.

WEISS, L. (1998), The Myth of the Powerless State. Governing the Economy in a Global Era, Cambridge, Cambridge University Press.

WEISS, T. G. (2009), « What Happened to the Idea of World Government ? », International Studies Quarterly, 58.

WESLER, H., PETERS, B. G., BRUGMANS, M. et al. (2008), The Transnationalization of Public Spheres, Basingstoke, Palgrave, Macmillan.

WILDAVSKY, A. (1964-1979), The Politics of the Budgetary Process, Boston (Mass.), Little, Brown (1re et 2e ed.).

WILSON, J. Q. (1980), « The Politics of Regulation », in WILSON, J. Q. (ed.), The Politics of Regulation, New York (N. Y.), Basic Books, p. 374-382.

[82]

WIMMER, A., FEINSTEIN, Y. (2010), « The Rise of the Nation-State Across the World, 1816 to 2001 », American Sociological Review, 75 (5), p. 764-790.

WOLLMANN, H. (ed.) (2003), Evaluation in Public Sector Reform. Concepts and Practice in International Perspective, Cheltenham, Edward Elgar.

YOUNG, O. (1999), Governance in World Affairs, Ithaca (N. Y.), Cornell University Press.

ZEITLIN, J., POCHET, P. (eds) (2005), The Open Method of Coordination in Action : The European Employment Strategy and Social Inclusion Strategies, Bruxelles, PIE-Peter Lang.

ZEITLIN, J. H., HEIDENREICH, M. (eds) (2009), Changing European Employment and Welfare Regimes : The Influence of the Open Method of Coordination on National Reforms, Routledge/EUI Studies in the Political Economy of Welfare, Londres, Routledge.

ZÜRN, M. (1998), Regieren jenseits des Nationalstaates. Globalisierung und Denationalisierung als Chance, Francfort, Suhrkampf.

ZYSMAN, J. (1996), « The Myth of the “Global Economy”. National Foundations and Emerging Regional Realities », New Political Economy, 1 (2), p. 157-189.



[1] Je n’oublie pas que d’autres disciplines jointives étudient le même phénomène : la science juridique, utile, voire fondamentale, pour les politiques publiques et la théorie politique (comment une théorie de l’État pourrait-elle ignorer le droit ? Skrentny, 2006) ; la science économique influente en politiques publiques jusqu’à dominer entièrement le champ des politiques économiques, monétaires et fiscales, voire celui du calcul des risques liés au changement climatique ou au développement de l’énergie nucléaire, mais trop négligée par la science politique française jusqu’à une période très récente avec l’institutionnalisme des choix rationnels et en théorie politique avec la théorie des biens collectifs et la théorie économique de l’État ; l’histoire, influente dans les trois domaines malgré sa perspective résolument idéographique et non-nomologique, en particulier en sociologie politique avec la socio-histoire (Payre, Pollet, 2005), l’institutionnalisme historique en politiques publiques et l’histoire des idées et des représentations en théorie politique. La « science politique de l’administration », enfin, chevauche la sociologie politique et les politiques publiques dont l’ancienne « science administrative », elle-même venue du « droit administratif », a été une source (Leca, Muller, 2008).

[2] Souligné par l’auteur. Aron n’a jamais soutenu qu’il n’y avait pas de politique dans une organisation, pas plus qu’il n’aurait nié que la politique a une base organisationnelle (March, Olsen, 1989).

[3] La Majestas romaine dont Jean Bodin a dérivé son concept de « puissance souveraine » (Mesnard, 1969).

[4] Kelsen y voit une Grundnorm.

[5] Humboldt, c’est tout l’effort de la pensée libérale.

[6] C’était déjà l’objectif de Dahl dans le fameux Who Governs ? (1961) inspiré par Lasswell. Voir aussi Genieys et Smyrl (2008). Notons pourtant, à la suite de L. Rouban (2009), le peu de relations entre les études de management public et celles des élites.

[7] La répartition sectorielle des budgets peut n’être pas considérée comme une manifestation de l’offre mais seulement comme un indicateur de performance car les électeurs ne sont pas censés se préoccuper de documents aussi techniques et il est trop connu que les décisions gouvernementales ne sont pas toujours conformes aux promesses électorales. Mais les électeurs ne se déterminent pas seulement sur la base d’une offre ex ante mais en fonction de ce qu’ils jugent ex post de la façon dont elle a été honorée, et les gouvernements hiérarchisent les problèmes et leur traitement en fonction de la « politique de l’attention » (Jones, Baumgartner, 2005).

[8] Voir récemment Hassenteufel (2008), dont le titre Sociologie politique : action publique indique non seulement un survey mais un programme. Curieusement, ce livre est conçu par Nonna Mayer comme en dehors de la « sociologie des comportements politiques » limitée par elle à ceux et celles qui sont extérieurs au système politico-administratif (Mayer, 2010).

[9] Curieusement, la distinction entre outputs (ce qui est produit dans le très court terme par les mesures d’action publique) et outcomes (les effets de plus long terme où les jeux de l’environnement s’affirment), familière aux spécialistes de l’évaluation n’a pas un statut bien affirmé en sociologie politique qui se borne le plus souvent à distinguer les revendications qui en sont issues des revendications « identitaires » et « statutaires » (Tarrow, 2008 ; cette dernière distinction se brouille parfois, Della Porta, Piazza, 2008).

[10] France, Autriche, Suisse, Hollande, Allemagne, Royaume-Uni.

[11] Analysés entre autres par Budge, Laver, Klingemann, Page et Shapiro etc., tous sociologues politiques.

[12] Ici le sens est tout à fait différent du sens que le droit administratif français donne aux « démembrements » de l’État dont celui-ci demeure le centre.

[13] Les cousins américains ont inventé les jolis « forum-shopping » et « venue shopping », critiqué sur un cas par Costa et al. (2007).

[14] Au point que certains acteurs publics peuvent faire alliance contre d’autres avec des outsiders.

[15] Notamment en étudiant les budgets en utilisant d’abord les travaux historiques, nombreux en France, et en suivant la voie ouverte par Aron Wildavsky (Wildavsky, 1964-1979).

[16] Pour quelques compléments, voir l’entrée « État » dans le Dictionnaire des politiques publiques (Leca, 2010). Le phénomène avait déjà été perçu par Duguit, notant, et souhaitant, la revalorisation de l’action contractuelle contre l’action unilatérale de l’État (Beaud, 2011).

[17] Un raccourci adroit consiste à faire des fonctionnaires des créateurs de « valeur publique » par la fabrication de « contrats de service public » modifiant le sens de l’accountability et de la légitimité dans l’action publique. Mais l’entreprise est plus facile semble-t-il dans des communautés locales que dans le cœur de l’exécutif et ne résout pas le problème de la confiance générale du public dans son gouvernement (Gaines, Stoker, 2009). Cf. infra note 26, p. 72 sur le « post-public management ».

[18] Pour comprendre la force et la portée de cette conceptualisation, le mieux est d’adopter une stratégie « schmittienne » et de chercher son « ennemie » du côté de chez Hayek (Hayek, 1973, 1976) et des économistes libéraux actuels (Giavazzi, 2004 ; Alesina, Giavazzi, 2006), dont l’argument extrême, propre à la logique du genre « Essais », est que l’État, seul de tous les agents économiques, peut se permettre de se comporter impunément de façon irrationnelle et gaspilleuse, pour le plus grand mal de ses ressortissants (Salin, 2010). L’opposition ne porte pas sur la nécessaire coordination du gouvernement politique mais sur ses buts et ses formes (Greenwood, 2011).

[19] Bien que les circonstances de la crise de 2008-2009 amènent déjà certains à scruter les causes et les chances d’une « déglobalisation » commerciale (van Bergeijk, 2010).

[20] Ceci notamment dans la mesure où il est affirmé le plus hautement par les experts et pratiqué par les gouvernants - la « Révision générale des politiques publiques » en est un exemple (Bezes, 2010) – dans un pays, la France, où l’opinion lui est la plus hostile de tous les pays occidentaux, en y ajoutant l’Inde et la Chine, comme l’indiquent de nombreuses enquêtes internationales, et où un bonne partie des hauts fonctionnaires n’y adhèrent pas (Rouban, 2010).

[21] C’est le cas du grand magazine libéral The Economist.

[22] Voir aussi Bauman (1998), dont le post-modernisme idéaliste est ici très bien inspiré.

[23] On comparera cette thèse avec celle, d’un marxisme classique, de Colin Crouch voyant dans le keynesianisme l’expression de la coïncidence entre les intérêts de la classe ouvrière et l’intérêt général du système politico-économique du capitalisme d’après la seconde guerre mondiale et qualifiant le « keynesianisme privatisé » des années 1990 (terme qu’il estime plus exact que « néo-libéralisme » car combinant un effet d’entraînement de la consommation, le financement par l’endettement privé puis une fois établi, un haut niveau de dépenses publiques) d’effet plus fortuit que volontaire de la coïncidence des intérêts du capital financier et, face à une classe ouvrière rétrécie, des intérêts plus amorphes des consommateurs et des propriétaires de logements (Crouch, 2004, 2008, 2009 ; Hay, 2009, 2011). Il est cependant capital de noter que ces défis communs ne conduisent pas obligatoirement à une convergence des politiques publiques des États dont les institutions, la structure syndicale, la volonté politique de suivre telle ou telle stratégie en matière d’éducation et de politique salariale peuvent conduire à des situations dans l’économie internationale liées à des économies politiques très différentes (Hall, Soskice, 2001 ; Scharpf, Schmidt, 2000 ; Iversen, Soskice, 2010 ; Jensen, 2011a, 2011b), ce qui est établi depuis longtemps en matière de welfare (Leibfried, Pierson, 1995 ; Esping-Andersen, 1996). Une bonne partie des dilemmes européens actuels y trouvent sa source mais on notera qu’avant que la crise financière ne se développe en balayant tout sur son passage, l’européanisation faisait sentir ses effets en matière sociale (Zeitlin, Pochet, 2005 ; Heinderich, Zeitlin, 2009 ; Palier, 2009 ; Graziano, Jacquot, Palier, 2011a, 2011b). Si la tornade passe, le mouvement reprendra probablement du fait même des effets de la crise si la zone euro n’éclate pas, ce qui suppose des politiques économiques à la fois compatibles et propres aux besoins de chaque État.

[24] Voir par exemple les travaux anglais de l’Institute for Government ou de l’Institute for Public Policy Research, en cours de développement en France, comme le montre la multiplication des « agences de consultants » pour réformer les services publics qui accompagnent un « leadership présidentiel de rupture » (Bezes, 2010). Voir aussi les nombreuses contributions à la revue Politique et management public. Il paraîtrait que nous serions entrés dans une phase de post public management (Christensen, Lægreid, 2007) marquée par le paradigme de « la valeur publique du leadership » (Goldfinch, Wallis, 2010). Sur ces différents éléments, voir les travaux classiques suivants : Hood (1995) ; Pollitt, Bouckaert (2000) ; Christensen, Lægreid (2001) ; Wollmann (2003) ; Kickert (2008) ; Derlien, Peters (2008a et 2008b) ; Eymeri-Douzans, Pierre (2011).

[25] Rapport Picq, Mission sur les responsabilités et l’organisation de l’État, 1995. François Mitterrand est président de la République et Édouard Balladur Premier ministre. Le ton du rapport Fauroux est différent (Fauroux, Spitz, 2000) : Jacques Chirac est président de la République et Lionel Jospin Premier ministre. Luc Rouban a observé qu’une partie importante des fonctionnaires français reste fidèle à la vision d’un État non « privatisé » et garant du caractère « public » (publicness) de son action (Rouban, 2007b ; 2009 ; 2010). Même s’il ne le mentionne pas, il semble que Rouban désigne à la fois la publicité et l’impératif de la « raison publique ».

[26] Kriesi et al. (2008) signalent que le clivage culturel y est aujourd’hui le premier clivage au détriment du clivage socio-économique resté dominant en France, et que le spectre politique s’est sensiblement déplacé vers la droite.

[27] Voir sur les hauts fonctionnaires la contribution de P. Bezes et P. Le Lidec (2007).

[28] Voir aussi les numéros spéciaux de Governance (Lascoumes, Le Galès et al., 2007), et la Revue française de science politique (Lascoumes, Simard et al., 2011).

[29] Il en est ainsi dans les travaux cherchant à valider « le théorème de la décentralisation » selon lequel la décentralisation dans la mise en œuvre d’une politique est expliquée par les caractères fonctionnels de celle-ci (facilite-t-elle plus ou moins le « trade off » entre préférences hétérogènes, production d’externalités et économies d’échelle ?). Or, d’autres variables propres à chaque pays telles qu’entre autres la nature du régime ne peuvent être oubliées (Schakel, 2010). C’est pourquoi la construction de Hacker et Pierson (2009) exposée supra et réduisant la nature d’un régime à son « système de politiques publiques » reste insatisfaisante.

[30] On ne peut s’étendre ici sur cette « effectivité » et ses significations contextuelles et langagières, car ce qui caractérise une règle juridique c’est qu’elle est toujours violable et plus ou moins violée.

[31] Sur l’improbabilité d’une institutionnalisation coordonnée de la gouvernance globale, Vibert, 2011. Méditons aussi, à la suite de Weiss (2009) et avec les trop rares européanistes qui ne sont pas voués corps et âme à la « chose » publique européenne, sur ses intéressants développements sur la gouvernance globale sans gouvernement, comparée au chat de Cheshire d’Alice au pays des merveilles, « une tête grimaçante sans corps ni substance réels ». Ceci semble d’autant plus urgent au vu des travaux visant à démontrer que les nouveaux modes de gouvernance de l’Union européenne sont des modes de gouvernement européen et que, bien que ne se déployant pas dans un État, et donc leur degré de démocratie et d’accountability ne pouvant se mesurer par la démocratie électorale (même si les résultats de celle-ci en termes de changements des partis au pouvoir semblent dépendre d’un manque de clarté dans l’établissement des responsabilités (Samuels, Hellwig, 2010) et s’il existe d’autres moyens de la mesurer) ils peuvent être démocratiques moyennant l’existence supposée d’une « société civile européenne » (Kohler-Koch, 2010) ou bien un nombre de préconditions normatives vertigineux (Bellamy, 2011). Il est intéressant de noter à cet égard que « l’Académie européenne » (Robert, Vauchez, 2010) parle moins souvent de « déficit démocratique » qu’elle n’insiste sur les traits démocratiques des processus de décision les plus variés. Pour une critique de la vision libérale de la gouvernance globale privilégiant la sphère formelle de la société civile et minorant d’autres modes d’expression des agents sociaux ainsi que l’importance continue de la souveraineté, voir Kirkup, 2011.

[32] « Ce qui assure la coordination et la cohérence parmi une grande variété d’acteurs aux projets et objectifs différents tels les acteurs et institutions politiques, les intérêts organisés, la société civile et les gouvernements transnationaux » (Pierre, 2000). On mesure la différence avec ce qui était jadis, en anglais, la vieille définition de la gouvernance, le fonctionnement concret du gouvernement d’une organisation ou d’une collectivité publique.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 10 juin 2018 16:28
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref