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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Jaouad Laaroussi, Aux origines du syndicalisme étudiant de combat : « participer c'est se faire fourrer ! »
Concertation, participation et contestation dans les cegeps de Montréal et à l'UQÀM (1963-1976)
. (2016)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de texte de Jaouad Laaroussi, Aux origines du syndicalisme étudiant de combat : « participer c'est se faire fourrer ! » Concertation, participation et contestation dans les cegeps de Montréal et à l'UQÀM (1963-1976). Mémoire de Maitrise en histoire à l’UQÀM, janvier 2016, 144 pp. [Autorisation accordée par l'auteur le 17 octobre 2016 de diffuser ce mémoire en libre accès à tous dans Les Classiques des sciences sociales.]

[1]

Aux origines du syndicalisme étudiant
de combat

Introduction

Au cours des années 1960, la société québécoise et les institutions qui la structurent sont en processus de mutation en raison des importantes réformes entourant la Révolution tranquille. Une des réformes principales ayant cours durant cette période d'effervescence sociale est celle du système d'éducation québécois, guidée par l'objectif de « démocratisation de l'éducation » inscrit dans les rapports de la commission Parent. Entre 1967 et 1969, le gouvernement québécois mettra tour à tour sur pied le réseau des cégeps ainsi que le réseau des Universités du Québec (UQ). Il répond, ainsi, aux recommandations formulées par la commission Parent. Un des éléments centraux qui définit ces institutions nouvelles est la démocratie de participation. Celle-ci a pour objectif d'intégrer les corps constituant les communautés collégiales et universitaires, étudiants et professeurs, à la gestion académique et administrative des institutions nouvelles. Le principe de participation oriente à la fois l'action gouvernementale, mais aussi étudiante et syndicale au cours de la période de gestation de ces nouveaux établissements d'enseignement supérieur. Notre mémoire est consacré à l’étude de cette question qui, jusqu’à aujourd’hui, est au cœur des débats sur l’enseignement supérieur.

Dès la fondation du réseau des cégeps et de l'Université du Québec, les militants étudiants remettent en cause les structures de participation et le principe de représentation ayant guidé jusque-là le syndicalisme étudiant, sous l'égide de l'Union générale des étudiants du Québec (UGEQ). La parution du manifeste Université ou fabrique de ronds de cuir, en février 1968, puis le mouvement d'occupation des cégeps, en octobre 1968, affaiblissent le syndicalisme de concertation définissant jusque-là l'UGEQ et plusieurs associations générales étudiantes. Au printemps 1969, cette désillusion de plusieurs étudiants à l'endroit des logiques de concertation, de participation et de représentation, guidant le syndicalisme étudiant, mène à une vague de dissolution des associations générales étudiantes dans les cégeps et universités, [2] ainsi qu'à la dissolution de l'UGEQ elle-même. Cette vague, comme nous l'explorerons dans ce mémoire, correspond à une période de réflexion intense sur la nature de l’idéologie de la participation dans l’administration de l’enseignement supérieur et, plus largement, de la société québécoise.

Jusqu'en 1975, le mouvement étudiant québécois, à l'échelle locale autant que nationale, n'aura pas d'organisation représentative pérenne regroupant les étudiants. C'est à cette date qu'une nouvelle organisation nationale étudiante, l'Association nationale étudiante du Québec (ANEQ), est fondée. Cette période s'étalant de 1969 à 1975 est souvent comprise dans l'historiographie du mouvement étudiant comme une période de vide politique. Pourtant, il est essentiel, afin de comprendre le syndicalisme étudiant québécois, d'observer les mutations opérées par celui-ci au cours des premières années d'existence des cégeps et du réseau des Universités du Québec. Nous formulons l’hypothèse que l'expérimentation puis la contestation des structures de participation par les étudiants et salariés des établissements d'enseignement supérieur constituent l’enjeu principal de l'action collective étudiante au cours de cette période.

Problématique

Dans le cadre de cette étude, nous allons nous intéresser à la restructuration du mouvement étudiant québécois à la suite de l'application des réformes de la Révolution tranquille dans l'enseignement supérieur. Cet intérêt à l'égard du mouvement étudiant durant la période 1967-1975 nous permettra de nous interroger sur la pérennité d'un syndicalisme étudiant combatif, basé sur l'action de masse, l'indépendance politique et la démocratie directe, au-delà du « moment 68 » [1]. Le [3] « moment 68 », décrit dans de nombreuses études, touche le Québec, mais est plus largement un objet de l’histoire transnationale. Nous tenterons dans cette étude de montrer le prolongement de ce « moment 68 » dans le mouvement étudiant québécois du début des années 1970 et son impact sur l'institutionnalisation d'un syndicalisme de combat en rupture avec les principes de concertation, de participation et de représentation politique.

Afin de saisir les mutations du milieu étudiant durant cette période, nous effectuerons un second déplacement analytique en changeant l'échelle de notre objet d'étude par rapport à l'historiographie. Nous nous intéresserons au mouvement étudiant tel qu'il existait à l'échelle des établissements d'enseignement, cégeps ou universités, délaissant ainsi une analyse strictement nationale dudit mouvement. Ce changement d'échelle s’impose, d'une part, par l'inexistence d'organisation nationale pérenne entre 1969 et 1975. D'autre part, il nous permet d'observer, au niveau local, les contradictions propres à la « démocratie de participation » qui expliquent la formation d'un syndicalisme de combat chez les étudiants, mais aussi chez les enseignants et employés des cégeps et des universités nouvelles.

L’idéologie de la participation visait l'intégration des étudiants et des enseignants aux instances d'administration des établissements d’enseignement. C’est alors que le mouvement étudiant développe une critique de ces structures de participation, et plus globalement de l'école, en interrelation avec les autres acteurs de la société. Nous problématiserons, en ce sens, le processus de restructuration du mouvement étudiant en le mettant en relation avec la mutation du syndicalisme enseignant durant cette période mouvementée. Ainsi, en observant les relations entretenues entre le mouvement étudiant et le syndicalisme enseignant, nous réussirons à mieux saisir les contradictions qui traversent les institutions nouvelles que sont les cégeps et le réseau des UQ. Cette interrelation nous permettra, notamment, de comprendre le renouveau du mouvement étudiant à la suite du front [4] commun de 1972 qui s'est inspiré du syndicalisme de combat des salariés québécois.

Ainsi, cette problématique nous permettra de renouveler la compréhension de l'émergence du syndicalisme de combat comme forme singulière du mouvement étudiant québécois dans l'espace nord-américain. Nous postulons que l'émergence du syndicalisme de combat chez les étudiants, mais aussi chez les enseignants et les employés, est le produit des luttes découlant du projet de démocratie de participation ayant guidé la fondation des cégeps et du réseau de l'UQ à la fin des années 1960. L'idéologie de la participation était partagée par les réformistes de la Révolution tranquille au sein du gouvernement, mais aussi au sein des syndicats et des associations étudiantes durant la première moitié des années 1960. Toutefois, les nombreux conflits sociaux qui marquent la seconde moitié des années 1960 transforment le projet participatif de démocratisation en un projet technocratique de gestion de la contestation sociale. Dans l’enseignement supérieur, les luttes entourant le projet participatif mèneront à la constitution de syndicats qui, en s’appuyant sur l’autorité de leur propre fonctionnement démocratique, bouleversera les structures de participation qui deviendront, malgré les intentions des fondateurs des institutions nouvelles, les enjeux mêmes de la contestation sociale.

La restructuration du mouvement étudiant québécois, à la suite de la vague de dissolution des associations générales étudiantes de 1969, s'effectue dans ce contexte d'émergence du syndicalisme de combat chez les salariés des établissements d'enseignement supérieur et de crise du projet de démocratie de participation. On observe, ainsi, plus largement un échec de l'idéologie libérale-réformiste ayant guidé la réforme en éducation qui postulait qu'une rationalité unique pouvait découler d'un dialogue harmonieux et de compromis entre des individus représentant les différentes composantes des cégeps et universités nouvelles.

Nous explorerons successivement trois phases dans la restructuration du mouvement étudiant au lendemain des réformes de la Révolution tranquille. Dans un [5] premier temps, nous nous pencherons sur le passage de la participation à la contestation au sein du mouvement étudiant québécois entre 1963 et 1969. Cette période débute avec la fondation de l'UGEQ au même moment où s'entament les travaux de la commission Parent. Elle se conclut avec la dissolution de cette même organisation, alors que les cégeps en sont encore à leurs balbutiements et que l'Université du Québec à Montréal (UQAM), l'université de la participation, est fondée à l'automne de la même année. Dans un second temps, nous nous pencherons sur le processus de rejet du syndicalisme de concertation par les syndicats de salariés de l'enseignement supérieur. Ce rejet mène à une série de crises internes, au sein de nombreux cégeps ainsi qu'à l'UQAM en 1971-1972, au cours desquelles les étudiants prendront parti et observeront l'émergence d'un modèle de syndicalisme enseignant combatif. La troisième phase de recomposition du mouvement étudiant s'entame au moment où le gouvernement remet en question certains principes ayant guidé les réformes en éducation de la Révolution tranquille. Dès 1972, le gouvernement Bourassa entreprend une politique de rationalisation du financement de l'éducation et remet en question les instances de participation du réseau de l'UQ et des cégeps. Les associations générales étudiantes des cégeps et universités se remettent sur pied, dans ce contexte de contre-réforme, à l'extérieur des structures de participation censées intégrer la communauté collégiale et universitaire. Au moment où se fonde une nouvelle organisation nationale, l'Association nationale des étudiants du Québec (ANEQ), en 1975, le projet de démocratie de participation a été rejeté tant par les étudiants, les enseignants que le gouvernement. Dès lors, les relations entre les différents acteurs des institutions collégiales et universitaires et l'État québécois se construisent dans un rapport de force entre les organismes autonomes — syndicats et association générale étudiante (AGE) — de chacun des corps constituant les établissements d'enseignement.



[1] Il est à ce titre révélateur d'observer que des grèves étudiantes généralisées à l'échelle du Québec se répètent périodiquement de 1968 à aujourd'hui. Ainsi, de tels conflits éclatent à neuf reprises entre 1968 et 2012.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 21 octobre 2016 9:12
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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