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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Marianne Kempeneers, “In Memoriam. Pierre Dandurand”. Un article publié dans la revue Sociologie et sociétés, vol. 28, no 2, automne 1996, pp. 3-5. Québec: Les Presses de l'Université de Montréal.

“In Memoriam Pierre Dandurand”

Courriel: marianne.kempeneers@umontreal.ca

Pierre Dandurand nous a quittés le 19 décembre 1995 à l'âge de 63 ans. Il était professeur au département de sociologie de l'Université de Montréal depuis 1963. Nous perdons d'un seul coup la tranquille convivialité d'un ami cher, le support d'un pédagogue attentif, la clairvoyance d'un collègue toujours soucieux du bien-être de son département et, enfin, la voix d'un intellectuel profondément engagé sur le terrain qui fut le sien pendant près de quarante ans, la sociologie de l'éducation. Autant d'années au cours desquelles notre collègue n'a cessé d'interroger et de bousculer les idées reçues dans ce domaine. 

Une préoccupation majeure traverse son oeuvre de part en part : les liens entre l'éducation et le pouvoir. D'entrée de jeu, la notion de pouvoir lui est en effet apparue comme l'enjeu crucial d'un renouvellement de l'analyse sociologique de l'éducation et de l'ouverture de cette dernière à de nouvelles perspectives. Ce thème est creusé, retourné, travaillé sans relâche tout au long de sa production scientifique qui en acquiert de ce fait une saisissante unité. Au fil de ses écrits, on assiste à l'élaboration patiente d'une pensée qui interroge les multiples figures de ce pouvoir et les « champs de force » que celui-ci traverse : rapports de classes, d'ethnies et de sexes, articulation au politique et à l'économique. Guidées par cette préoccupation centrale, ses recherches présentent une configuration que l'on pourrait qualifier de « pendulaire », marquée par d'incessants mouvements d'aller-retour d'un pôle à l'autre de l'entreprise éducative : à un bout, les corps enseignants et les changements suscités dans le mouvement de bureaucratisation-professionnalisation qui a marqué les institutions éducatives ces dernières décennies ; à l'autre bout, les étudiants confrontés aux questions cruciales d'accessibilité à l'éducation, qualité des études et formation professionnelle. Cette alternance entre le point de vue d'« en haut » et le point de vue d'« en bas » se double, de plus, d'un va-et-vient constant entre l'élaboration théorique de type fondamental et une réflexion de type « social » concernant l'impact des transformations étudiées sur les conditions de vie et de travail des groupes concernés. C'est au rythme de ces perpétuels déplacements entre les divers niveaux d'appréhension de son objet que l'auteur a fait peu à peu émerger les contours d'une perspective originale englobant le social, l'école et la culture. 

Dès 1971, l'armature de l'œuvre est en place, son programme annoncé. En effet, dans son Essai sur l'éducation et le pouvoir, Pierre Dandurand avance et développe son hypothèse concernant la centralité de la notion de pouvoir comme condition d'un renouvellement de l'analyse sociologique de l'éducation. Il identifie les conditions d'émergence de cette nouvelle perspective selon deux ordre reliés, le premier se rapportant à la dynamique des institutions éducatives et des définitions de cette évolution à travers le prisme des idéologies ; le second relevant du développement même de la discipline sociologique. Au premier ordre de conditions se rattachent les concepts de démocratie et de développement (économique et politique). Concernant le deuxième ordre de conditions d'émergence d'une nouvelle problématique, à savoir les développements du champ de la sociologie de l'éducation, l'auteur indique les thèmes de recherche qui selon lui vont permettre d'asseoir ses propositions : l'étude de l'éducation dans ses relations avec les classes sociales et le processus de mobilité sociale ; l'étude du rôle de l'école dans la socialisation politique ; l'analyse des relations entre l'éducation et l'économie ; l'analyse des institutions d'enseignement sous leurs aspects bureaucratique et organisationnel. On a, dans ce texte de 1971, un condensé des principes qui allaient guider la démarche intellectuelle de Pierre Dandurand au cours des vingt-cinq années suivantes : problématique centrée sur la notion de pouvoir, affirmation de l'idée que l'étude d'un phénomène social est inséparable d'une démarche épistémologique et identification des thèmes de recherche centraux à approfondir dans le cadre de la problématique annoncée. La lecture des textes de Pierre Dandurand révèle en effet une remarquable constance, une ténacité rare dans la poursuite de l'ambitieux programme de recherche qu'il s'était donné dans ce texte fondateur de 1971. Tant ses écrits théoriques majeurs [1] que ses articles thématiques [2], les numéros spéciaux de revue dont il fut responsable [3] ou encore ses prises de position sur des questions plus immédiates [4] s'insèrent en effet dans une trame qui s'élabore tranquillement sous nos yeux, sans jamais nous épargner les doutes qui constamment la questionnent et l'enrichissent tout à la fois. 

En 1991, dans l'article considéré comme l'une des contributions théoriques les plus importantes et les plus originales à la sociologie de l'éducation, Centralité des savoirs et éducation : vers de nouvelles problématiques (voir note 1), Pierre Dandurand et Émile Ollivier en arrivent à élargir considérablement la réflexion. L'objet est repensé et complexifié à la lumière des évolutions qui traversent tout le champ symbolique : d'une part, l'institutionnalisation accélérée des moyens de production, de stockage et de transmission des savoirs et des connaissances, d'autre part, le développement de la rationalité scientifique comme mode de connaissance valorisé. Constatant un certain essoufflement de la sociologie de l'éducation, dangereusement rétrécie au fil des années, à une « sociologie de l'école », les auteurs centrent alors le propos sur une problématique proche d'une sociologie de la connaissance. Par là, cette démarche s'apparente à celle de la nouvelle sociologie de l'éducation (NSÉ) britannique. Mais elle va bien au-delà et s'en démarque entre autres par l'inclusion des processus d'éducation « hors école ». Outre les savoirs institués, on veut rejoindre les savoirs informels. Écrit sur le mode de l'essai, ce texte cherche à évaluer les conséquences de la problématique moderne des rapports savoir/société sur les instances de production/diffusion du savoir. Cette problématique indique que « savoir et pouvoir n'ont jamais été aussi intimement associés. En fait, ce qui semble devoir expliquer de façon décisive l'intimité de ce lien, c'est le double statut de la science comme mode de connaissance dominant. Désormais elle constitue en effet la force productive probablement la plus importante à l'heure actuelle dans nos sociétés, en même temps que l'une des principales bases de légitimation des rapports de domination dans l'ordre du discours social ». Sont alors repensés, d'une part, le rôle de l'ordre scolaire dans la valorisation de la rationalité scientifique et, d'autre part, le débordement de l'école par les instances informelles de diffusion du savoir. 

Ce chercheur de fond qu'était Pierre Dandurand ne s'est jamais pour autant détourné de ce qu'il considérait comme sa mission première, l'enseignement et l'encadrement des étudiants. En pédagogue subtil et bienveillant, il a transmis à plusieurs générations ce savoir patiemment élaboré. La minutie qu'il mettait à la préparation de ses cours et séminaires n'avait d'égale que son infinie disponibilité aux étudiants. Combien d'entre nous gardent à l'esprit l'image de notre collègue aperçu par l'entrebâillement de sa porte, en discussion animée avec ses étudiants, souvent bien au-delà des heures de bureau. À sa façon discrète et attentive, il a su communiquer les passions intellectuelles qui l'animaient tout en restant à l'écoute, constamment, de tous ces jeunes dont il formait la pensée. 

Ce qui apparaît rétrospectivement comme une véritable philosophie du métier d'intellectuel, Pierre Dandurand a dû lutter pour s'y tenir, pour y rester fidèle. Il a dû pour cela marcher à contre-courant, éviter les pièges et les tentations d'un système académique qui encourage plutôt les modes, l'éparpillement et la redondance dans la recherche, le moindre effort dans l'enseignement. Et il est toujours resté, envers et contre tout, un chercheur libre, un enseignant attentif et un intellectuel engagé, pour la cause des jeunes avant tout. Tout cela non sans souffrances et tensions, inévitables dès lors qu'on échappe aux normes et critères de reconnaissance symbolique. Jamais cependant, même dans les périodes de doute et de solitude, Pierre Dandurand n'a renoncé à être ce qu'il était profondément, un homme de constance et de sagesse. 

Marianne Kempeneers
Département de sociologie
Université de Montréal


[1]    En particulier, en collaboration avec É. Ollivier (1987), « Les paradigmes perdus. Essai sur la sociologie de l'éducation et son objet », Sociologie et sociétés, vol. XIX, no 2 ; (1991), « Centralité des savoirs et éducation : vers de nouvelles problématiques », Sociologie et sociétés, vol. XXIII, no 1.

[2]    Par exemple (1980), en collaboration avec Marcel Fournier, « Développement de l'enseignement supérieur. Classes sociales et luttes nationales au Québec », Sociologie et sociétés, vol. XII, no 1 ; (1986), « Les rapports ethniques dans le champ universitaire », Recherches sociographiques, vol. XXVII, no 1 ; (1995), « Sens des études, trajectoires scolaires et destination socioprofessionnelle des étudiants universitaires », Les Cheminements scolaires et l'insertion professionnelle des étudiants de l'université, Québec, Presses de l'université Laval ; (1989), « Un corps professionnel renouvelé : les professeurs des universités québécoises francophones entre 1959 et 1976 », La Revue canadienne de l'enseignement supérieur, vol. XIX, no 1 ; (1991), « Accélération des mouvements de professionnalisation et de normalisation de la tâche chez les universitaires québécois francophones de 1976 à 1990 », La Profession enseignante au Québec, Enjeux et défis des années 1990, Québec, IQRC ; (1986), « Situation de la formation professionnelle au Québec », Une société de jeunes, Québec, IQRC ; (1993), « Enjeux actuels de la formation professionnelle », introduction et conclusion à cet ouvrage collectif sous la direction de Pierre Dandurand, Québec, IQRC ; (1990), « Démocratie et école au Québec », L'éducation 25 ans plus lard et après, Québec, IQRC.

[4]    Entre autres : (1984), « Post-scriptum : devenir adulte au Québec », Possibles, vol. 8, no 2 ; (1990), « Le dégel des frais de scolarité », Relations, septembre ; (1994), « Comment évaluer l'impact des frais de scolarité sur l'accessibilité et sur la qualité des études ? » Journal de l'Université de Montréal ; (1995), « École et solidarité », Relations, décembre.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 4 mars 2007 13:08
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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