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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Jean-Claude Icart et Micheline Labelle, Tolérance, racisme et sondages.” Un article publié dans la revue Éthique publique, vol. 9, n° 1, 2007: L'aménagement de la diversité culturelle et religieuse. Chronique: Débat. Des accommodements raisonnables. [Autorisation accordée par l'auteure le 13 novembre 2015 de diffuser le texte de cet article en libre accès dans Les Classiques des sciences sociales.]

Jean-Claude Icart et Micheline Labelle

Tolérance, racisme et sondages.”

Un article publié dans la revue Éthique publique, vol. 9, n° 1, 2007 : L'aménagement de la diversité culturelle et religieuse. Chronique : Débat. Des accommodements raisonnables.

Résumés : Français — English
Introduction

Racisme, préjugés et méthode
Accommodements raisonnables et mise en contexte
Inquiétudes et perspectives

Les auteurs


RÉSUMÉS

Français

Au début de l’année 2007, la question des accommodements raisonnables s’est retrouvée à l’avant-plan des préoccupations des Québécois, à la suite d’un sondage imprudent et d’une importante couverture médiatique. Le débat public qui s’en est ensuivi s’est tenu dans un contexte de banalisation du racisme et indique que si d’importants progrès ont été réalisés depuis une trentaine d’années dans l’édification d’une société plurielle et inclusive, il y a encore du chemin à parcourir et la mise en œuvre du projet de politique gouvernementale de lutte contre le racisme et la discrimination constitue une étape essentielle.

English

At the beginning of 2007, following an imprudent opinion poll which received widespread media attention, the issue of reasonable accommodations was at the forefront of Quebecers’ concerns. The resulting public debate was conducted in a context which trivialized racism and indicates that, even if substantial progress has been made in the last thirty years in the development of a pluralist and inclusive society, there is still a long way to go. The implementation of the government’s policy to combat racism and discrimination constitutes an essential step along this road.

Introduction

Le 8 février 2007, le premier ministre du Québec annonçait la création de la commission de consultation sur les pratiques d’accommodements reliées aux différences culturelles. Cette commission, coprésidée par le sociologue Gérard Bouchard et le philosophe Charles Taylor, a pour mission de dresser un portrait fidèle des pratiques d’accommodements reliées aux différences culturelles ; de mener une vaste consultation dans toutes les régions du Québec pour savoir ce que les Québécois en pensent, au-delà des sondages et des réactions spontanées ; et de formuler des recommandations au gouvernement afin que les pratiques d’accommodements soient respectueuses des valeurs communes des Québécois.

Cette annonce soulignait à quel point la question des accommodements raisonnables s’est retrouvée à l’avant-plan des préoccupations des Québécois, à la suite d’un sondage imprudent [1] et d’une importante couverture médiatique. Dès la mi-janvier, la « grande enquête sur la tolérance des Québécois » allait complètement monopoliser l’espace public, alimenter une véritable guerre de médias et provoquer des remous qui subsistent encore. Une des principales revendications était la nécessité de directives claires dans ce dossier.

Racisme, préjugés et méthode

Le 15 janvier 2007, date anniversaire de la mort de Martin Luther King, Le Journal de Montréal commence la publication d’une étude, effectuée par la firme Léger Marketing à travers deux sondages internet entre le 21 décembre 2006 et le 8 janvier 2007 [2], par un titre choc présenté à la une : « 59 % des Québécois se disent racistes [3] ». Le Québec tout entier a été remué par ce scoop, d’autant plus que cette donnée ne semblait pas du tout correspondre à la réalité, tant pour le public en général que pour les chercheurs œuvrant dans ce domaine. Si cette étude arrivait à des résultats si différents de ceux d’autres enquêtes menées auparavant et de l’évidence quotidienne, la première démarche était d’interroger les questions posées et donc de se pencher sur les définitions du racisme et de l’accommodement raisonnable adoptées par les sondeurs.

Le racisme consiste en ceci : « Une idéologie qui se traduit par des préjugés, des pratiques de discrimination, de ségrégation et de violence, impliquant des rapports de pouvoir entre des groupes sociaux, qui a une fonction de stigmatisation, de légitimation et de domination, et dont les logiques d’infériorisation et de différenciation peuvent varier dans le temps et l’espace [4]. » Or, aucune définition du racisme n’avait été proposée aux personnes interrogées. Quant au président de la firme Léger Marketing, qui en a donné sa propre interprétation lacunaire, « au niveau populaire, tous comportements, paroles, gestes ou attitudes désagréables, si mineurs soient-ils à l’égard d’une autre culture, sont perçus comme racistes [5] ». Comme il s’agissait d’une autoclassification [6] (les personnes interrogées se disant elles-mêmes racistes), il devient difficile de mettre en doute les réponses. Il est cependant peu probable que tous les sondés aient saisi la signification profonde du terme « racisme » pour ensuite se juger « racistes ». Il y a donc là une utilisation abusive du mot, qui devient un fourre-tout de toute une gamme d’attitudes possibles, allant de l’attitude antagoniste et agressive face à ceux et celles que l’on perçoit comme étrangers (ce qui relève effectivement du racisme) à une attitude d’appréhension face aux questions existentielles que pose l’immigration à la société québécoise. L’agrégation des diverses catégories de réponses devient alors logiquement indéfendable.

De plus, les réponses à la question 11 du sondage étaient mises en exergue, sans qu’on les contre-vérifie par d’autres qui auraient permis de dresser un portrait plus nuancé, moins alarmiste. Ainsi, 78 % des membres des « communautés culturelles » se sentent bien accueillis. Le seraient-ils si 60 % des citoyens (ou même plus, si on exclut lesdites communautés du calcul) leur manifestaient de l’hostilité ? Plus de 50 % des interrogés estiment que le racisme est un problème (question 1), ce qui laisse croire qu’ils n’endossent pas cette idéologie, autrement ce ne serait pas un problème ! Mais encore, la grande majorité des Québécois (77 %), tout comme la majorité des membres des « communautés culturelles » (80 %), estiment qu’il n’y a pas de « races » humaines plus douées que d’autres (question 3). À noter cependant que le pourcentage de 16 % des Québécois pensant le contraire est le même que le pourcentage de ceux s’estimant fortement (1 %) ou moyennement racistes (15 %) en réponse à la question 11. Il semble donc y avoir une certaine cohérence au sein de ce dernier groupe.

Par ailleurs, lorsque l’on veut mesurer des attitudes pouvant se situer sur un continuum allant du rejet total de l’autre à l’acceptation la plus totale, il y a des techniques de loin préférables à la question unique, qui permettent de situer l’interlocuteur sur une échelle de distance sociale. La plus connue de ces techniques demeure l’échelle de Bogardus, mise au point dans les années 1920 justement pour mesurer la xénophobie et le racisme. Les questions 12 à 22 [7] semblent d’ailleurs être inspirées par une échelle de ce type, sans être traitées comme telles.

Autre difficulté méthodologique : le sondage s’est fait par internet, ce qui, selon les responsables, aurait permis d’avoir des réponses très fiables. Cependant, le Québec n’est pas encore « branché » à cent pour cent. L’accès à l’ordinateur et à l’internet à la maison est couramment utilisé comme un indicateur socioéconomique important (par la ville de Boston par exemple) car le développement des nouvelles technologies de l’information a créé de nouvelles formes d’exclusion [8]. Cette marginalité électronique renforce les inégalités existantes et en engendre d’autres. De plus, plusieurs études récentes parlent de « racialisation de la pauvreté », immigrants et « minorités visibles » se retrouvant de plus en plus parmi les catégories les plus pauvres de la population. Ce recours à l’internet a très certainement introduit dans l’échantillon des distorsions importantes que la pondération des résultats n’est pas arrivée à corriger.

Enfin, la question « autochtone » est complètement évacuée de l’étude. La seule mention de ce thème est une initiative du Journal de Montréal qui, dans son édition du mercredi 17 janvier 2007 consacrée à l’immigration, publiait (p. 15) un tableau intitulé « L’immigration en 5 minutes », dans lequel les 130 165 membres des « premières nations » figurent parmi les « importantes communautés culturelles du Québec » issues de l’immigration ! Cette grossière erreur s’accompagne donc d’une omission, d’autant plus grave que, dans la plupart des régions, les défis du vivre ensemble au quotidien se posent dans les relations avec les membres des premières nations plutôt qu’avec des citoyens issus de l’immigration, étant donné la grande concentration de ces derniers (80 % à 90 %) dans la grande région métropolitaine de Montréal. Cette lacune a pu contribuer à creuser davantage l’écart entre les villes et les régions.

Accommodements raisonnables
et mise en contexte


Les résultats de l’étude Léger Marketing portant sur les accommodements raisonnables ont été dévoilés le 18 janvier 2007. Ces résultats furent présentés comme la grande révélation de l’enquête : « Les Québécois ont tranché : c’est non ! Même les membres des communautés sont fortement défavorables aux accommodements raisonnables. » En plus de la une et de plusieurs articles du Journal de Montréal, un grand débat fut organisé sur les ondes de TVA, autre commanditaire de l’étude.

La question 41 visant à mesurer les attitudes relatives aux accommodements raisonnables se lit comme suit : « Quel énoncé correspond le mieux à votre opinion ? 1. Tous les immigrants devraient respecter les lois et règlements du Québec même si cela va à l’encontre de certaines croyances religieuses ou pratiques culturelles. 2. Il est nécessaire d’adopter des accommodements à nos lois et règlements pour ne pas obliger les immigrants à aller à l’encontre de leurs croyances religieuses ou pratiques culturelles. » La réponse obtenue fut la suivante : « La très grande majorité des Québécois (83 %) croient que les immigrants devraient respecter les lois et les règlements du Québec même si cela va à l’encontre de certaines croyances religieuses ou pratiques culturelles. Chez les membres des communautés culturelles, 74 % sont du même avis. »

La question ne précise pas que l’accommodement raisonnable est une notion juridique. Selon la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec, l’accommodement raisonnable est une « [o]bligation juridique découlant du droit à l’égalité, applicable dans une situation de discrimination, et consistant à aménager une norme ou une pratique de portée universelle, en accordant un traitement différentiel à une personne qui, autrement, serait pénalisée par l’application d’une telle norme. Il n’y a pas d’obligation d’accommodement en cas de contrainte excessive [9]

La question des accommodements raisonnables mobilisait l’opinion publique depuis déjà plusieurs années, mais 2006 fut une année charnière. En mars, deux décisions controversées allaient relancer le débat public sur cette question.

Une décision de la Cour suprême sur le port du kirpan à l’école souleva les passions. Des craintes liées à l’accommodement s’exprimèrent de plus en plus et elles devaient être prises en considération afin d’élucider ces appréhensions. Puis, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec (CDPDJ) donna raison à un groupe d’étudiants musulmans qui réclamaient l’accès à un local de prière à l’École de technologie supérieure (ETS). La CDPDJ reconnaissait cependant que « la réponse au cas par cas » n’était pas satisfaisante et annonçait la tenue d’une consultation sur les limites et la portée des accommodements, sur la façon de « concilier un idéal de laïcité avec le respect des droits religieux [10] ». Ces décisions provoquèrent de vives réactions. Ainsi, le sociologue Gérard Bouchard, tout en soutenant le principe des accommodements raisonnables, fit remarquer que « l’accumulation des exemptions menace d’éroder les valeurs du pluralisme en minant la culture qui doit le soutenir [11] ».

Un sondage Ekos-La Presse-Toronto Star réalisé en septembre 2006 mit en lumière les réticences du Québec quant aux signes religieux : « Ainsi, 62 % des répondants du Canada anglais se disaient alors contre le port du kirpan, comparativement à 77 % des personnes interrogées au Québec. Le fossé s’élargissait lorsqu’on abordait d’autres signes religieux. Ainsi, seulement 25 % des résidants du Canada anglais se disaient opposés à ce que le professeur de leur enfant porte le foulard islamique. Au Québec, le taux d’opposants grimpait à 54 % [12]

Le 11 octobre 2006, le ministre de l’Éducation annonçait la mise sur pied d’un comité consultatif sur l’intégration et l’accommodement raisonnable en milieu scolaire, présidé par M. Bergman Fleury, en raison d’une hausse sensible du nombre de litiges dans ce domaine. Cependant, une série de révélations plus sensationnalistes les unes que les autres commença à faire déraper le débat avant même qu’il n’ait pu véritablement commencer : fenêtres dépolies d’un YMCA, recommandations policières et hassidim, centre local de services communautaires (CLSC) et cours prénataux, etc. Toute entente pouvant être associée à la gestion au quotidien de la diversité culturelle ou religieuse fut qualifiée d’« accommodement raisonnable », ce qui vida le terme de son contenu et ouvrit la porte à toutes sortes de glissements. De plus, la presse semblait se livrer à une véritable chasse aux arrangements les plus déraisonnables possibles.

La tension monta encore d’un cran quand un parti politique en fit le thème central de son congrès les 17 et 18 novembre 2006, à Trois-Rivières. Quelques jours plus tard, le 22 novembre 2006, plus de 250 personnes (chercheurs, administrateurs, enseignants, etc.) signèrent une lettre ouverte, « Pour un débat inclusif sur l’accommodement raisonnable », qui fut largement ignorée par la grande presse.

Les résultats d’un autre sondage sur les accommodements raisonnables réalisé par un consortium SOM-La Presse-Le Soleil furent diffusés le 29 décembre 2006. Ils montraient sans équivoque que près de six Québécois sur dix (58,6 %) estimaient que la société est trop tolérante en la matière. Cependant, une bonne majorité (68,1 %) d’entre eux considéraient que l’immigration est un atout pour la société québécoise. Il faut noter que le nombre de personnes estimant que la société québécoise est trop tolérante augmente en fonction du revenu et du niveau de scolarité et que l’opinion des jeunes va à contre-courant. Seulement 34,1 % des jeunes de 18 à 24 ans estiment la tolérance excessive, par rapport à 65,4 % chez les 25-34 ans ou encore à 67,5 % chez les 55-64 ans. Ce sondage montrait également qu’il existe un clivage important entre les gens de langue maternelle française et les autres. Les francophones estiment à 65,9 % que la société québécoise est trop tolérante, alors que ce taux tombe à 27 % chez les personnes ayant comme langue maternelle une autre langue que le français. Par ailleurs, 92,2 % des personnes interrogées estiment que le Québec est très ou assez accueillant pour les immigrants [13].

Le sondage Léger Marketing de janvier 2007 arrive donc dans un contexte lourd. L’opinion publique est chauffée à blanc par politiciens et médias, et ces derniers se livrent à une rude concurrence sur la question de l’accommodement raisonnable. Dès le 16 janvier 2007, le lendemain du début de la publication des résultats du sondage, un chef de parti politique publie une lettre ouverte dans laquelle il invite la population québécoise « à surmonter son “vieux réflexe de minoritaire” et à cesser de courber l’échine face aux communautés culturelles [14] ». Ce contexte, la banalisation du racisme par des questions inappropriées, la forte connotation négative associée à ce terme placé en exergue de la question des accommodements raisonnables, la guerre des médias conduisant à une certaine légèreté dans le traitement et la recherche de scoops, tout cela a contribué à aboutir à ces grands titres qui ont ébranlé l’opinion publique.

Inquiétudes et perspectives

Il faut tout de même souligner un élément positif dans ce sombre tableau. La politique québécoise du développement culturel, conçue par Camille Laurin, Guy Rocher, Fernand Dumont et Jacques-Yvan Morin en 1978, proposait l’horizon de la convergence culturelle et le respect du pluralisme. Ces notions servirent de base au document que livra Gérald Godin en 1981 : Autant de façons d’être Québécois. Plan d’action à l’intention des communautés culturelles, à titre de ministre de l’immigration [15]. Dans une allocution à la conférence fédérale-provinciale sur le multiculturalisme, tenue à Winnipeg en mai 1985, Gérald Godin rappelle que la politique de convergence culturelle instituée en 1981 « propose le développement d’un pluralisme culturel proprement québécois, animé par la volonté d’un rapprochement des minorités culturelles avec la majorité francophone, et ce, dans un cadre français [16] ».

En 1990, l’Assemblée nationale adoptait à l’unanimité un Énoncé de politique en matière d’immigration et d’intégration [17]. Cet énoncé définissait les termes d’un « contrat moral » entre le Québec et les nouveaux arrivants reposant sur les principes suivants : le français est la langue commune de la vie publique ; la participation et la contribution de tous sont attendues et favorisées dans cette société démocratique ; les apports multiples sont accueillis au sein de cette société pluraliste dans les limites qu’imposent le respect des valeurs fondamentales et la nécessité de l’échange intercommunautaire.

En 1996, le nouveau ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration a la mission de promouvoir la participation civique et un cadre civique commun, l’exercice des droits et responsabilités, la solidarité et l’exclusion zéro. La citoyenneté est définie comme « un attribut commun à toutes les personnes résidant sur le territoire du Québec. La citoyenneté s’enracine dans le sentiment d’appartenance partagé par des individus qui ont à la fois des droits et libertés et des responsabilités à l’égard de la société dont ils font partie. Cette citoyenneté reconnaît les différences tout en se fondant sur l’adhésion aux valeurs communes [18]. » Le pluralisme figure parmi les grandes valeurs québécoises à promouvoir et à défendre [19]. Le plan d’action de 2004 intitulé Des valeurs partagées, des intérêts communs s’inscrit dans la même lignée [20].

Dans le débat de l’année 2006 et de janvier 2007, la question de la langue n’a pas été soulevée et le pluralisme de la société n’a pas été remis en question. Il y a vingt ans, le français y aurait occupé la place centrale. Ce qui est en jeu relève du troisième principe, à savoir « les limites qu’impose le respect des valeurs fondamentales », et c’est principalement la place du religieux dans l’espace public qui est objet d’interrogations. Nous estimons que cette question « accroche » particulièrement parce qu’elle renvoie à des enjeux cruciaux pour la société québécoise, à savoir la judiciarisation du politique et le modèle de laïcité que veut adopter la société.

Ce débat a aussi souligné la nécessité pour le Québec de mettre en œuvre dans les meilleurs délais le Projet de politique gouvernementale de lutte contre le racisme et la discrimination [21]. Si tous les interlocuteurs ont bien pris soin de distinguer la question des accommodements raisonnables de celle de la lutte contre le racisme, la frontière entre les deux n’est pas toujours étanche. En effet, le racisme n’est pas un phénomène statique, il se transforme. Le philosophe Étienne Balibar, en particulier, en a défini les nouvelles formes et logiques. Le néo-racisme n’a pas recours à des arguments biologiques ou génétiques pour justifier préjugés, discrimination et violence. Il postule l’irréductibilité et l’incompatibilité des cultures et des « civilisations », compte tenu de leur caractère primordial, irréductible, inchangeable. Il fonctionne à la généralisation, à la naturalisation et à l’essentialisation, à l’instar du racisme colonial. La logique de ce type de racisme coexiste avec la logique dérivée du racisme colonial ; elle ne s’y substitue pas [22].

Depuis une trentaine d’années, le Québec a fait de l’édification d’une société plurielle et inclusive un enjeu prioritaire. Les récents débats indiquent que si des progrès importants ont été réalisés, il y a encore du chemin à parcourir et la mise en œuvre de cette politique de lutte contre le racisme et la discrimination en constitue une étape essentielle.

Pour citer cet article

Référence électronique

Jean-Claude Icart et Micheline Labelle, « Tolérance, racisme et sondages », Éthique publique [En ligne], vol. 9, n° 1 | 2007, mis en ligne le 11 septembre 2015, consulté le 16 novembre 2015.
URL : http://ethiquepublique.revues.org/1811 ;
DOI : 10.4000/ethiquepublique.1811

Auteurs

Jean-Claude Icart

Jean-Claude Icart est coordonnateur de l’observatoire international sur le racisme et les discriminations du centre de recherche sur l’immigration, l’ethnicité et la citoyenneté de l’université du Québec à Montréal.

Micheline Labelle

Micheline Labelle est professeur au département de sociologie de l’université du Québec à Montréal et directrice du même centre de recherche.

Articles du même auteur

· Le paradigme de la mobilité propose-t-il une perspective adéquate de l’immigration internationale ? [Texte intégral]

Paru dans Éthique publique, vol. 17, n° 1 | 2015



[1] R. Antonius, J-C. Icart et M. Labelle, « Un sondage imprudent », La Presse, 19 janvier 2007, p. A19.

[2] Léger Marketing, « La grande enquête sur la tolérance des Québécois », Montréal, 15 janvier 2007. Étude réalisée pour Le Journal de Montréal, TVA et le 98,5 FM.

[3] Le journal La Presse de son côté annonçait que « 82 % des Québécois sont faiblement ou pas du tout racistes ».

[4] M. Labelle, Un lexique du racisme. Étude sur les définitions opérationnelles du racisme et des phénomènes connexes, Unesco, Coalition internationale des villes contre le racisme, documents de discussion, no 1, 2006, URL, consulté le 20 mars 2007.

[5] J.-M. Léger, « Une guerre de médias ? », La Presse, 18 janvier 2007, p. A21

[6] « Q11. Vous personnellement, à quel point vous considérez-vous raciste ? Diriez-vous que vous êtes : fortement raciste, moyennement raciste, faiblement raciste, pas du tout raciste. »

[7] « Auriez-vous une réaction positive, négative, indifférente ou cela dépendrait de l’origine ethnique : Q12. Si le chauffeur de votre taxi était une personne d’une autre origine que la vôtre ? Q13. Si au travail votre supérieur immédiat était une personne d’une autre origine que la vôtre ? Q14. Si le médecin qui pourrait vous soigner était d’une autre origine que la vôtre ? Q15. Si votre voisin était une personne d’une autre origine que la vôtre ? Q16. Si votre enfant se mariait avec une personne d’une autre origine que la vôtre ? Q17. Inviteriez-vous dans une fête familiale une personne d’une autre origine que la vôtre ? Q18. Accepteriez-vous une invitation à une fête où la majorité des personnes seraient d’une autre origine que la vôtre ? Q19. Habiteriez-vous avec une personne d’une autre origine que la vôtre ? Q20. Épouseriez-vous une personne d’une autre origine que la vôtre ? Q21. Accepteriez-vous d’être ami avec une personne d’une autre origine que la vôtre ? Q22. Voteriez-vous pour un premier ministre d’une autre origine que la vôtre ? »

[8] Intervention de Michel Laguerre lors du séminaire scientifique annuel 2003 de l’Observatoire international sur le racisme et les discriminations.

[9] M-A. Dowd, Accommodements raisonnables : éviter les dérapages, Montréal, CDPDJ, novembre 2006.

[10] C. Cauchy, « L’ETS doit offrir un lieu de prière aux étudiants musulmans », Le Devoir, 23 mars 2006, URL, consulté le 20 mars 2007.

[11] G. Bouchard, « Du kirpan… à la Charia ? Oui mais… L’accommodement raisonnable peut en venir à être nuisible », La Presse, « Forum », 14 mai 2006, p. A13.

[12] K. Gagnon et A. Gruda, « Les Québécois plus réticents que l’ensemble des Canadiens aux signes religieux », La Presse, 22 septembre 2006, URL, consulté le 20 mars 2007.

[13] A. Duchesne, « Des accommodements raisonnables qui incommodent », La Presse, 29 décembre 2006, p. A1.

[14] M. Dumont, « Une constitution québécoise pour encadrer les accommodements raisonnables. Pour en finir avec le vieux réflexe de minoritaire », lettre ouverte de Mario Dumont aux Québécois, Québec, 16 janvier 2007, URL, consulté le 20 mars 2007.

[15] Ministère des Communautés culturelles et de l’Immigration, Autant de façons d’être Québécois. Plan d’action à l’intention des communautés culturelles, Québec, 1981.

[16] G. Godin, « Allocution du ministre Godin à la conférence fédérale-provinciale sur le multiculturalisme », Winnipeg, 14 mai 1985.

[17] Ministère des Communautés culturelles et de l’Immigration, Au Québec pour bâtir ensemble. Énoncé de politique en matière d’immigration et d’intégration, Montréal, Direction des communications, 1991.

[18] « Allocution de Monsieur Ersnt Jouthe, sous-ministre adjoint aux relations civiques », colloque Mondialisation, multiculturalisme et citoyenneté, Montréal, Musée des beaux-arts de Montréal, 29 mars 1998.

[19] Ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration, La citoyenneté québécoise. Document de consultation pour le Forum national sur la citoyenneté et l’intégration, Québec, 2000.

[20] Ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration, Des valeurs partagées, des intérêts communs. Pour assurer la pleine participation des Québécois des communautés culturelles au développement du Québec. Plan d’action 2004-2007, Montréal, Direction des affaires publiques et des communications, 2004.

[21] Ministère des Communautés culturelles et de l’Immigration, Vers une politique gouvernementale de lutte contre le racisme et la discrimination, document de consultation, Montréal, juin 2006.

[22] E. Balibar, « Y a-t-il un “néo-racisme” ? », dans É. Balibar et I. Wallerstein (dir.), Race, nation, classe. Les identités ambiguës, Paris, La Découverte, 1988. Voir aussi, M. Labelle, « Racisme et multiculturalisme au Québec », dans M.-H. Parizeau et S. Kash (dir.), Discriminations sociales et dérives génétiques, Québec, Presses de l’université Laval, 2006, p. 85-119.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 8 octobre 2016 15:56
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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