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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Indicateurs pour l’évaluation des politiques municipales visant à contrer le racisme et la discrimination. (2005)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Jean-Claude Icart, Micheline Labelle et Rachad Antonius, Indicateurs pour l’évaluation des politiques municipales visant à contrer le racisme et la discrimination. Rapport présenté à l’UNESCO, Section de la lutte contre la discrimination et le racisme, Division des droits humains et de la lutte contre la discrimination, Secteur des sciences sociales et humaines. Montréal: Observatoire international sur le racisme et les discriminations, Centre de recherche sur l’immigration, l’ethnicité et la citoyenneté (CRIEC). UQÀM, février 2005, 86 pp. [Mme Labelle nous a accordé le 13 novembre 2015 son autorisation de diffuser électroniquement cette publication dans Les Classiques des sciences sociales.]

[1]

Indicateurs pour l’évaluation des politiques municipales
visant à contrer le racisme et la discrimination

Introduction

La diversité ethnoculturelle constitue de plus en plus une caractéristique importante des grandes villes du monde. Principaux foyers de brassage national, ethnique et culturel, les villes deviennent les laboratoires de nouvelles façons de « vivre ensemble » (UNESCO, 2004). Cependant, si elle est accompagnée d’inégalités, de racisme et de discrimination, cette diversité peut entraîner une croissance de la polarisation sociale. Le climat social en milieu urbain subit alors les conséquences des inégalités sociales et économiques qui affectent les groupes minoritaires, ce qui en certains cas a été qualifié de « racialisation de la pauvreté » (UNESCO). Inégalités, racisme et discriminations se reproduisent par le biais d’attitudes et de pratiques sociales héritées du passé et se perpétuent au sein d’institutions publiques lentes à évoluer. Afin de profiter des réels avantages de la diversité ethnoculturelle qui forme le tissu des sociétés contemporaines, il devient donc de plus en plus nécessaire d’apporter des correctifs aux injustices sociales, d’assurer l’égalité et le plein exercice de la citoyenneté. 

Même si les principaux leviers des politiques publiques sont entre les mains des gouvernements centraux, les villes et les métropoles ont une certaine autonomie dans la prise de décision, les moyens d’intervention et les réseaux d’appui et de solidarité qu’ils établissent, et elles ont clairement ressenti la nécessité de développer leurs propres politiques en ce sens (Ray, 2003).  On observe donc, depuis quelques années, de véritables efforts de conceptualisation de l’intervention des villes dans la gestion de la diversité ethnoculturelle. Ces efforts s’appuient sur les idéologies étatiques et sur la promotion de valeurs d’égalité, de justice sociale, de respect du pluralisme, par différentes organisations internationales telles que l’ONU et l’UNESCO, ou nationales, telles que les commissions des droits de la personne. Ils sont stimulés par la municipalisation des questions relatives à l’intégration des minorités comme conséquence de la décentralisation, des crises ou incidents critiques qui peuvent survenir sur le territoire urbain, par la dynamique de la politique municipale et les rapports politiques internes (Labelle, Legault et Marhraoui, 1996, p. 71). 

L’émergence plus récente d’un discours de lutte contre le racisme et la discrimination s’explique en partie par la diversification des origines des migrants internationaux et des limites des modèles traditionnels d’intégration. Ce nouveau discours témoigne également d’un changement [2] de perspective important : les difficultés d’intégration ne sont plus imputées exclusivement aux acteurs issus de diverses minorités et de diverses cultures ou religions et à leurs difficultés d’adaptation, mais elles le sont aussi au fonctionnement des grands secteurs d’intégration que constituent le marché du travail, le milieu scolaire, les institutions et les services publics.

Dans le cadre de son action pour promouvoir le renforcement des politiques antidiscriminatoires dans les villes, l’UNESCO a appuyé la mise sur pied de la Coalition internationale des Villes unies contre le racisme [1].  Le cadre de départ de cette Coalition est la proposition du Plan d’action en 10 points, adopté à Nuremberg, en juillet 2004. Ce plan d’action inclut les objectifs suivants :

1. Mettre en place un réseau de surveillance, de vigilance et de solidarité contre le racisme au niveau de la municipalité.

2. Initier ou développer davantage la collecte des données sur le racisme et la discrimination, établir les objectifs réalisables et mettre en place des indicateurs communs afin d’évaluer l’impact des politiques publiques.

3. Soutenir les victimes du racisme et de la discrimination et contribuer à renforcer leurs capacités de défense.

4. Assurer par le biais d’une approche participative, notamment par les consultations avec les utilisateurs et fournisseurs de service, une meilleure information des habitants de la ville sur leurs droits et devoirs, sur les moyens de protection/recours et sur les risques encourus pour un acte ou un comportement raciste.

5. Faciliter les pratiques équitables en emploi et promouvoir la diversité dans le marché du travail en mobilisant le pouvoir discrétionnaire des autorités municipales.

6. S’engager, comme ville, en tant qu’employeur et fournisseur de service, à assurer l’égalité des chances.  S’engager à assurer la fonction d’observateur, la formation et le développement des mesures nécessaires pour atteindre cet objectif.

7. Renforcer par une politique volontariste la lutte contre les discriminations dans l’accès au logement dans la municipalité.

[3]

8. Renforcer les mesures qui visent à éradiquer la discrimination dans l’accès à, et la jouissance de toutes les formes d’éducation ; et promouvoir l’enseignement de la tolérance mutuelle, de la compréhension mutuelle et du dialogue interculturel.

9. Assurer une représentation et une promotion équitables de la diversité des patrimoines et des expressions culturelles des habitants dans les programmes culturels, la mémoire collective et dans l’espace public de la municipalité ; et promouvoir l’interculturel dans la vie municipale.

10. Soutenir ou établir les mécanismes pour traiter des crimes haineux ainsi que pour gérer les conflits (UNESCO, Appel à une Coalition des Villes européennes contre le Racisme en Europe, 2004).

C’est dans ce contexte qu’il faut situer le présent rapport de recherche portant sur le développement d’une série d’indicateurs pour l’évaluation des politiques municipales visant à contrer le racisme et la discrimination. Il a été fait dans la perspective de fournir un support aux villes qui souhaitent adopter des politiques publiques de gestion de la diversité et de lutte au racisme et à la discrimination, et à en évaluer l’impact. Il s’agit de se doter d’outils permettant d’évaluer, en termes quantitatifs et/ou qualitatifs, si l’action des villes donne des résultats qui correspondent aux grands objectifs des politiques adoptées.

Définir le racisme et la discrimination soulève des enjeux théoriques importants. Le piège est d’adopter une vision trop extensive du racisme (ex. racisme anti-jeunes, racisme anti-femmes, racisme anti-patrons, etc.) ou trop limitative, ou encore de le définir en faisant référence à la race, sans se distancer par rapport à cette notion qui est un produit de l’idéologie raciste elle-même. Le racisme a sa spécificité sur laquelle nous reviendrons dans la deuxième partie de ce rapport. Par ailleurs, lorsque nous parlons de discrimination, dans le contexte de cette étude, nous visons plus précisément la discrimination fondée sur des motifs racistes. Le problème de l’intersectorialité des discriminations (fondées sur le sexe, la langue, etc.) est un problème important que nous ne pourrons approfondir dans le cadre de ce rapport.

Certaines questions méthodologiques se posent également. Par exemple, faut-il analyser les mesures administratives et les politiques mises en place par les villes ou plutôt leur impact sur les situations observées sur leur territoire ? Faut-il mesurer tous les types d’inégalités et de discriminations observées sur le territoire d’une municipalité ou seulement celles relevant du [4] champ de compétences de cette municipalité ? Le champ de compétences des municipalités est-il le même dans les différents pays ? Autrement dit, les indicateurs dont elles se dotent mesurent-ils les mêmes faits sociaux ? Il existe plusieurs mesures et politiques publiques, mais relativement très peu d’outils d’évaluation de ces mesures. Certaines villes travaillent actuellement en ce sens et les résultats de plusieurs de ces travaux ne sont malheureusement pas encore disponibles. 

De plus, toute différence, même significative, ne peut être automatiquement attribuée au racisme et à la discrimination. Par exemple, la participation restreinte des membres des groupes minoritaires et racisés à l’emploi dans une institution publique devrait être comparée à l’importance de ces groupes dans la population en général, et plus spécifiquement à l’importance de ceux et celles qui, dans ces groupes, sont susceptibles d’accéder aux emplois disponibles dans cette institution. Certains types d’emplois nécessitent une connaissance intime de la culture dominante dans la société d’accueil, et font intervenir le facteur temps : indépendamment des diplômes que l’on détient, il y a des emplois auxquels on ne peut accéder dès l’arrivée. Comment tenir compte de cette contrainte ? Comment déterminer le temps nécessaire à acquérir ces « compétences sociales » qui dans certains emplois n’ont aucune importance (les invoquer constituerait de la discrimination) alors que dans d’autres cas elles en ont ?

La présente recherche se veut exploratoire. Elle vise à examiner dans un premier temps quelques politiques municipales de gestion de la diversité ethnoculturelle et de lutte contre le racisme et la discrimination, les outils d’évaluation de ces politiques et leurs indicateurs, s’il y a lieu. Dans un second temps, elle étend la réflexion à l’exploration de nouveaux indicateurs prenant en compte les conséquences du racisme et de la discrimination sur les groupes racisés, dont les manifestations se font sentir sur le territoire même des villes.

Soulignons que cet outil est surtout mis à la disposition des villes pour qu’elles évaluent leur propre performance. Les situations varient grandement, et un indicateur qui est pertinent dans un contexte ne le sera pas dans un autre. Il appartiendra donc aux villes d’adapter cet outil en fonction de leur contexte spécifique.

La première partie du rapport examine les moyens mis en œuvre par six municipalités (Montréal, Toronto, Saskatoon, Vancouver, Boston et Stockholm), ainsi que les indicateurs que ces villes utilisent pour évaluer leurs propres politiques. La deuxième partie de ce rapport examine les [5] difficultés conceptuelles et méthodologiques relatives à la construction de nouveaux indicateurs visant à évaluer l’état des inégalités socio-économiques ayant cours sur le territoire des municipalités. Les municipalités doivent donc tenter de jouer un rôle dans la prévention des problèmes qui découlent de ces inégalités. Le rapport soulève les difficultés méthodologiques qu’engendre l’usage de tels indicateurs. Une autre difficulté a trait au fait que les écarts socio-économiques qui affectent les groupes minoritaires et racisés sont souvent le résultat de processus historiques, de structures économiques et de politiques globales qui dépassent de loin les domaines d’action et la responsabilité de l’État municipal ou local. Il s’ensuit que même si elle était très efficace du point de vue administratif, l’action des municipalités ne se traduirait pas directement par la disparition de ces inégalités. Il n’en reste pas moins qu’à long terme, le critère ultime de l’efficacité des politiques de lutte au racisme et aux discriminations est la disparition ou du moins la diminution sérieuse des inégalités en question.

Cette étude propose deux approches complémentaires.

La première approche évalue les moyens mis en œuvre par une municipalité : y a-t-il un bureau d’ombudsman ? Est-il efficace dans le traitement des plaintes ? Y a-t-il un programme d’accès à l’égalité en emploi ? Y a-t-il des programmes pour sensibiliser les forces de l’ordre à la diversité des groupes racisés ? Etc. Cette approche aboutit à la proposition d’une grille d’analyse des initiatives prises par une ville pour contrer le racisme et les discriminations, à partir de ses principales fonctions (la ville comme organisation, comme communauté, ou comme garante de l’ordre public). Cette grille est suffisamment générale pour s’appliquer à des situations fort différentes. Une alternative, présentée en annexe, suggère de catégoriser les types d’actions que peuvent entreprendre les villes (actions symboliques, actions de mise en œuvre de politiques, et actions de correction des inégalités).

La deuxième approche, qui doit compléter la première, est fondée principalement sur la mesure des inégalités socio-économiques qui affectent les groupes racisés dans diverses sociétés, inégalités qui découlent du racisme et de la discrimination et qui contribuent à les reproduire. Il s’agit d’identifier ici les indicateurs qui évaluent la pauvreté, l’éducation, la ségrégation résidentielle, la participation réelle à la structure administrative de la ville, et la protection par la [6] ville. Ces indicateurs sont résumés dans le Tableau 3.  Enfin, un tableau synthèse fait la fusion des tableaux 2 et 3.

Les indicateurs qui découlent de cette approche doivent être interprétés avec précaution, car les situations d’inégalités qu’ils visent à mesurer relèvent de processus sociaux et économiques, nationaux et globaux, dépassant les domaines de compétences des villes. De plus, le tableau synthèse  n’est pas un modèle à imiter, mais plutôt un exemple du type d’outil dont chaque ville pourrait se doter, compte tenu de ses particularités et de ses spécificités, afin de faire le suivi et évaluer de ses politiques visant à contrer le racisme.  Nous espérons que cette étude contribuera à l’avancement de la réflexion sur cette question.



[1] Rappelons également la signature à Saint-Denis (France), le 10 mai 2000, de la Charte européenne des droits de l’homme dans la ville.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 7 octobre 2016 6:56
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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