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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Thierry Feral, Le national-socialisme : vocabulaire et chronologie. (1998)
Avant-propos


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Thierry Feral, Le national-socialisme : vocabulaire et chronologie. Paris: Les Éditions L'Harmattan, mai 1998, 301 pp. Collection “Allemagne d'hier et d'aujourd'hui.” Une édition numérique en voie de réalisation avec le concours de mon épouse, Diane Brunet, bénévole, guide de musée retraitée du Musée de la Pulperie de Chicoutimi. [Autorisation accordée par l'auteur le 23 septembre 2019 de diffuser ce livre en libre accès à tous dans Les Classiques des sciences sociales. Et un grand merci à Michel Bergès, historien des idées politiques pour toutes ses démarches auprès de l'auteur pour que nous puissions diffuser cette oeuvre.]

[7]

Le national-socialisme :
Vocabulaire et chronologie

Avant-propos

"Les grandes idéologies ont produit du langage ; elles entrent dans les consciences par le moyen du langage... Elles n'ont jamais dédaigné les contraintes et la violence pour s'imposer, mais elles s'insinuent ; elles persuadent. Les hommes (...) tuent et meurent pour elles, même quand ces représentations n'expriment directement ni leurs besoins, ni leurs aspirations, ni leur classe". Henri Lefèvre, Le langage et la Société, Gallimard, 1966, p.93.


Plus que tout autre, le matériau rhétorique du National-socialisme a frappé de plein fouet l'Allemagne, la transformant de 1933 à 1945 en épicentre d'un vaste phénomène mystique collectif. Une langue véritablement nouvelle est née avec ses expressions, ses tournures, ses formules imposées en des milliers de répétitions grâce aux moyens techniques de propagande les plus élaborés. Acceptée mécaniquement, source d'émotions instinctives oscillant entre la ferveur et l'angoisse [1], la "novlangue" imposée par le Troisième Reich a largement contribué à transformer l'écrasante majorité des Allemands en moutons acéphales d'un troupeau docile et malléable [2].

[8]

C'est le grand mérite du philologue Victor Klemperer d'avoir dès 1946 fait paraître un premier bilan de cette "langue du fanatisme de masse", pétrificatrice de la conscience d'un peuple. Publié à l'origine par les éditions Melzer de Darmstadt, puis régulièrement réédité en poche chez DTV (n° 575), LTI-Die unbewältigte Sprache (Lingua Tertii Imperii - La langue non surmontée), désormais disponible en traduction française chez Albin Michel, s'appuie sur le vécu personnel de V. Klemperer du Troisième Reich en tant qu'intellectuel juif qui ne dut d'échapper à la "solution finale" qu'à la fidélité de son épouse "aryenne".

1957 vit paraître chez Claasen, sous la direction du politologue Dolf Sternberger, professeur à Heidelberg et futur Président du PEN-club de RFA, une analyse sociolinguistique du système hitlérien, Aus dem Wönerbuch des Unmenschen (Extraits du Dictionnaire de l'Inhumain). Essentiellement centré sur la manipulation des masses, ce travail collectif reprenait une série d'articles initialement publiés entre 1945 et 1949 par la revue Die Wandlung fondée à Heidelberg à l'initiative de Karl Jaspers.

En 1958, partant de son expérience tragique de la déportation, le Pragois H.G. Adler, qui connut les camps d'août 1941 à avril 1945 et s'est rendu célèbre pour ses travaux sur l'antisémitisme nazi, annexait à son étude documentaire sur Theresienstadt, Die verheimlichte Wahrheit (La vérité dissimulée, Tübingen), un glossaire des euphémismes censés masquer la réalité de la Shoah.

Mais ce n'est qu'à partir de 1960 que la recherche se mobilisa véritablement. Le coup d'envoi semble avoir été donné par l'écrivain ouest-berlinois Wolfdietrich Schnurre, alors âgé de 40 ans ; Mon sollte dagegen sein (Il convenait de s'y opposer) parut précisément cette année-là chez l'éditeur Walter. Revenant sur la situation catastrophique de la littérature allemande au lendemain de la défaite et sur les efforts du Groupe 47 [3] pour lui [9] redonner vie, Schnurre statuait (p.9) ; "Nous ne pouvions même plus utiliser notre langue. Les années de nazisme et la propagande de guerre l'avaient souillée. Il était indispensable de commencer eu une pénible opération par redonner à chaque mot son sens originel en brisant la croûte sédimentaire qui l'emprisonnait... "Et tandis qu'en 1961, dans un recueil de récits, pièces radiophoniques et essais (Erzählungen, Hörspiele, Aufsätze, Kiepenheuer & Witsch), Heinrich Böll, en un texte fameux ("Worte können töten") lançait une polémique sur le pouvoir mortifère du Verbe qui, manipulé par le démagogue, est assimilable à une mitrailleuse crachant ses projectiles, paraissait à Halle-RDA un essai de E.Seidel et J.Seidel-Slotty sur la mutation du langage sous le troisième Reich (Sprachwandel im Dritten Reich) : comment la société allemande fut insidieusement intoxiquée par les immondices terminologiques et conceptuels de cette incroyable entreprise de déréalisation et dérationalisation, de mystification et réification que fut le National-socialisme. En 1962, alors que le Dictionnaire de D.Sternberger, G.Storz et W.E.Siiskind connaissait les faveurs du livre de poche, Cornelia Berning proposait dans la revue Zeitschrift fur deutsche Wortfiïhrung (n°18, pp.73 sq.) un article intitulé "Die Sprache des Nationalsozialismus" (La langue du National-socialisme), première mouture d'une réflexion qui deux ans plus tard aboutira au volume réputé, plus spécialement consacré au racisme et à l'eugénisme : Vom Abstammungs-nachweis zwn Zuchtwart (Du certificat de pureté raciale au consultant racial, Berlin 1964).

L'année 1965 fut l'occasion pour H. Drube d'étudier dans le numéro 75 de la revue Muttersprache en quoi la langue allemande serait susceptible, de par son essence même, de prédisposer toute une nation au vertige totalitaire ("Wie anfällig macht die deutsche Sprache fur die Diktatur ?"), A quoi H. Weinrich allait répliquer dans sa Linguistik der Lüge (Linguistique du mensonge, Heidelberg 1966) que ce ne sont pas " les mots en tant que tels qui mentent, trompent, [10] séduisent...", mais la manière dont l'orateur les articule et les met en rapport avec la réalité sociale.

Au congrès des germanistes allemands de Munich de 1966, quatre Universitaires de renom (E.Lämmert-Berlin ; W.Killy-Gôttingen ; K.O.Conrady-Kiel ; P.von Polenz-Heidelberg) présentèrent des communications qui constitueront à partir de 1967 la matière du volume Germanistik-Eine deutsche Wissenschaft (La germanistique - Une science allemande, édition Suhrkamp 204) : bastion depuis le début du XIXe siècle du nationalisme teutomane, cette spécialité universitaire porte une lourde responsabilité dans la diffusion du "mythe aryen" et la préparation des esprits à accueillir le troisième Reich.

Puis, dans la continuité du travail de L.Winkler sur la fonction sociale du langage fasciste (Studien zur gesellschaftlichen Funktion faschistischer Sprache, Frankfurt am Main 1970), Jean-Pierre Faye, maître de recherches au CNRS, s'attacha en 1972 dans Théorie du récit et Langages totalitaires (Hermann) à montrer comment les énoncés narratifs de l'Extrême-droite des années vingt-trente trouvèrent "au bout de leur frappe, la vibration matérielle de l'action".

En 1974, Hans Marsalek réserva les pages 346 à 368 de son Histoire du camp de concentration de Mauthausen (Geschichte des Konzentrationslagers Mauthausen, Österreichische Lagerge-meinschaft Mauthausen, réédition 1980) à un lexique des expressions, abréviations et tenues "écrans" propres aux bourreaux et à leurs victimes.

En 1983, Adalbert Rückerl consacra le deuxième chapitre (pp. 12-23) de l'ouvrage collectif Nationalsozialistische Massentötungen durch Giftgas (E.Kogon, H.Langbein.etc, Fischer Verlag ; trad.française par H. Rollet : Les chambres à gaz-secret d'État, Ed. de Minuit 1984) au "langage codé" employé par les nazis lors des exterminations massives.

En 1985, dans son extraordinaire documentation Sprachwissenschaft und Rassenideologie in Deutschland (Fink-Munich), dont Jean Fourquet fit une si élogieuse recension dans Allemagnes d'aujourd'hui (n° 108-1989), Ruth Römer a mis en [11] lumière comment les idées de la linguistique historique allemande sont entrées dans la constitution progressive de l'idéologie raciste hitlérienne.

Début 1990, dans une synthèse originale parue dans le numéro 111 d'Allemagne d'aujourd'hui (pp. 100-124) : "La langue sauvée - Les émigrés et leur rapport avec la langue allemande", Paul Dehem combla une véritable lacune quant à l'attitude courageuse de ceux qui "détenteurs d'une langue emplie de ce dont les nazis l' (avaient) vidée... la (perpétuèrent) pour la remettre un jour à une Allemagne rénovée".

Il convient enfin de mentionner l'essai "De l'excès à l'apocalypse" (Allemagne d'aujourd'hui 129-1994, pp.63-77) dans lequel G.A. Goldschmidt a excellemment analysé comment par le discours politique, "au fil des années, la folie s'est installée en Allemagne… pour (la) gagner... toute entière (et) culminer entre 1942 et 1945 dans la ferveur collective de la volonté d'anéantissement".

Parallèlement à ces indispensables chaînons théoriques existent également plusieurs encyclopédies :

  • - Louis L. Snyder, Encyclopedia of the third Reich, New York 1976,
  • - H.Kammer-E.Bartsch, Jugendlexikon des Nationalsozialismus, Reinbek 1982 (à l'usage des lycéens),
  • - C.Zentner et F. Bedùrftig, Das grofie Lexikon des Dritten Reiches, Munich 1985 (686 pages, 35 collaborateurs, plus de 3000 articles, 1200 documents iconographiques),
  • - S.Bernstein-P.Milza, Dictionnaire des fascismes et du nazisme,
    Éditions Complexe, Bruxelles, 1992,

utilement complétées par :

- pour l'événementiel :

  • M.Overesch-F.W.Saal, Chronik deutscher Zeitgeschichte. Politik, Wirtschaft, Kultur.Das Dritte Reich, 2 vol., Düsseldorf 1982-1983.

- pour les acteurs :

[12]

  • E.Stockhorst, Fiinftausend Köpfe. Wer war was im Dritten Reich, Kettwig 1967.
  • R. Wistrich, Wer war wer im Dritten Reich. Anhänger, Mitläufer, Gegner, Munich 1983.

Plus modestement, le petit vocabulaire que nous proposons ici se veut outil pratique ; si nous l'avons augmenté d'une chronologie, c'est que la confrontation à l'hermétique matérialité langagière du nazisme ne peut se faire en dehors du contexte des actes qui ponctuent la genèse et l'histoire du troisième Reich. A ce titre, l'auteur exprime sa gratitude à Madame Ariette Maquet, professeur d'histoire, qui a bien voulu assumer cette difficile tâche qu'est la réalisation de cartes et schémas souvent plus clairs qu'un long commentaire.

Il reste toutefois évident qu'un vocabulaire et une chronologie du nazisme, pour commodes et utiles qu'ils puissent être, ne fourniront jamais les éléments indispensables à la formation du jugement ; d'où la nécessité d'avoir recours à un certain nombre de travaux de recherche :

Parmi les investigations parues en français, on signalera :

  • Angel P., Hitler et les Allemands, Editions Sociales 1982.
  • Argelès J.M.-Badia G., La République de Weimar et le Troisième Reich, Messidor-Editions Sociales 1987.
  • Ayçoberry P., La question nazie, Seuil 1979.
  • Bariéty J.-Droz J., République de Weimar et régime hitlérien, Hatier 1973.
  • Bloch C, Le Troisième Reich et le monde, Imprimerie nationale 1986.
  • Bracher K.D., La dictature allemande, Privat 1986.
  • Broszat M., L'État hitlérien, Fayard 1985.
  • Castellan G., L'Allemagne de Weimar, Colin 1972.
  • Conte E.-Essner C, La quête de la race. Une anthropologie du nazisme, Hachette 1995.
  • Delarue J., Histoire de la Gestapo, Fayard 1962,
  • Droz J., Le National-socialisme, Cours de Sorbonne, CDU 1970.

[13]

  • Dupeux L. et coll., La révolution conservatrice dans l'Allemagne de Weimar, Kimé, 1992.
  • Feral T., Anatomie d'un crépuscule, Tarmeye 1990.
  • Grosser A. et coll., Dix leçons sur le Nazisme, Fayard 1976.
  • Guérin A., La Résistance, vol. l, Livre Club Diderot 1973.
  • Kershaw I., Qu'est-ce que le nazisme ? Gallimard 1992.
  • Maser W., Naissance du Parti national-socialiste allemand, Fayard 1967.
  • Mau H.-Krausnick H., Le National-socialisme, Castermann, 1982.
  • Milza P., Les Fascismes, Imprimerie nationale, Paris, 1985.
  • Richard L., Le nazisme et la culture, Maspero 1978.
  • Richard L., La vie quotidienne sous la République de Weimar, Hachette 1983.
  • Steinert M.G., L'Allemagne nationale-socialiste, Richelieu-Bordas 1972.
  • Thalmann R., La République de Weimar, PUF 1991.

Sans oublier :

  • W.L.Shirer, Le Troisième Reich. Des origines à la chute (Stock 1961 et livre de poche). Ce volumineux témoignage d'un journaliste américain ayant eu l'expérience directe du nazisme présente certes les défauts du genre, mais il reste l'ouvrage pionnier de l'hitlérologie.

D'autre part, de la multitude des publications en langue allemande, on retiendra les synthèses de :

  • Erdmann K.D., Deutschland unter der Herrschaft des Nationalsozialismus, DTV 1980,
  • Frei N., Der Fuhrerstaat-Nationalsozialistische Herrschaft 1933 bis 1945, DTV 1987,

ainsi que la mise au point :

  • Paul G.-Mallmann K.M., Die Gestapo, Darmstadt 1995.

[14]


[1] Il s'agit là d'un trait caractéristique de tout mouvement mystique ainsi que l'avait fait ressortir en son temps D.Guérin dans Lapesie brune et Fascisme et grand capital, chap. "Mystique d'abord", pp.62-73. Les deux ouvrages in FM-Petite collection Maspéro, 1971. Cf. aussi B.Brecht, Grand'peur et misère du Troisième Reich, L'Arche.

[2] Ce que confirment de nombreux témoignages. Par exemple ; Les interviews réunies par W.Kempowski, Haben Sie Hitler gesehen ?, Reihe Hanser n°113, ou l'autobiographie de H. Krilger, Dos zerbrochene Haus, UN n°10665. Voir aussi J.P.Stern, Hitler-Der Fiikrer und dos Valk, DTV n°l629, pp. 177 sq.

[3] Dont on sait maintenant que la plupart des membres fondateurs avaient eu une activité littéraire sous le troisième Reich.Cf. M.S. Rollin, Allemagne d'aujourd'hui, 130-1994, pp. 112-132 et 138-1996, pp.138-141.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 27 janvier 2020 8:37
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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