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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Sylvie FAINZANG, “Le corps et ses organes. Nature, sens et fonction.” Un article publié dans l’ouvrage sous la direction de J.L Jamard, E. Terray et M. Xanthakou, En substances. Textes pour Françoise Héritier, pp. 359-366. Paris: Les Éditions Fayard, 2000, 604 pp. [Autorisation accordée par l'auteure le 11 février 2009 de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

Sylvie FAINZANG

Le corps et ses organes. 
Nature, sens et fonction
.

Un article publié dans l’ouvrage sous la direction de J.L Jamard, E. Terray et M. Xanthakou, En substances. Textes pour Françoise Héritier, pp. 359-366. Paris : Les Éditions Fayard, 2000, 604 pp.


Résumé:

L'étude des systèmes symboliques auxquels l'ethnologue est confronté inclut nécessairement, à un moment de sa recherche, une attention particulière pour la perception et la construction, par les populations étudiées, du corps et de ses organes, tant il est vrai que s'y lit, à la fois la manière dont les groupes humains justifient le social que la manière dont ils cherchent à l'inscrire, biologiquement, sur les individus.

*   *   *

La façon la plus juste de rendre un hommage à quelqu'un est sans doute de reconnaître ce qu'on lui doit. C'est pourquoi j'ai choisi, pour cet ouvrage, de réunir divers matériaux ethnographiques sur les représentations du corps recueillis au cours de mes recherches, et les réflexions qu'ils m'ont inspirées, nourries par la lecture des travaux de Françoise Héritier. C'est donc en resituant le sens qui leur est attribué à l'intérieur d'un système symbolique structuré que j'ai cherché à décrypter ce que la perception et le traitement du corps et de ses organes peut nous apprendre des sociétés ou des groupes qui les forgent. Les éléments de recherche présentés ici (sur le foie, le cerveau, le sexe, les nerfs et le sang) suivent la trajectoire de mes recherches africanistes puis européanistes sur les représentations du corps et de la maladie, un itinéraire qui m'a permis d'éclairer chaque terrain à la lumière des autres, et qui a bénéficié de la bienveillance et des encouragements de Françoise Héritier.

Le foie est un organe dont la position et le volume supposés dans le corps d'un individu justifie qu'on lui reconnaisse un statut singulier, chez les Bisa du Burkina-Faso (société de l'Ouest africain où je conduisis mes premières recherches). Le foie est ainsi censé être en mauvaise position chez ceux que la société juge fous. La folie est en effet considérée comme le résultat du désordre subi par un organe et causée par une perturbation (un déplacement ou un renversement) du cerveau ou du foie. L'activité mentale est assumée par ces deux organes, bien que le foie jouisse d'un statut prépondérant en la matière: le cerveau est le siège de la pensée, le foie est le siège de la raison. Les Bisa reconnaissent donc deux formes de folie, auxquelles correspond un degré de gravité différent, lié à l'organe affecté:  la "tête renversée" ou le "cerveau renversé", qui explique les hallucinations, les paroles incohérentes, les conduites inconvenantes ou les propos de celui qui "dit ce qu'on ne dit pas"; le "foie renversé", qui désigne la folie de l'individu qui, par exemple, détruit la nourriture, brûle les maisons, casse les jarres, viole les femmes, frappe les enfants sans raison ou se suicide. Si la distinction opérée entre la folie du cerveau et la folie du foie renvoie à une différence de degré, en particulier au degré de gravité (niveau quantitatif de l'appréciation du mal), elle renvoie également à une distinction des comportements que la folie entraîne, sur le plan qualitatif. La distinction entre ces deux types de folie réside dans ce qu'elles relèvent respectivement de l'ordre du verbe et de l'ordre du geste.

La comparaison entre les organes affectés dans le cas de ces deux maladies laisse apparaître une différence notoire au niveau du jugement porté sur le comportement du fou. Avec le foie renversé, la raison du patient est altérée, tandis qu'avec le cerveau renversé, seule sa pensée est perturbée, sa raison est intacte. Avoir la maladie du cerveau renversé, c'est explicitement avoir des pensées qui ne sont plus conformes à la pensée dominante. Le cerveau renversé marque donc le cadre de la pensée subversive. Diagnostiquer chez quelqu'un la maladie du cerveau renversé, c'est lui reconnaître ses raisons de dire ce qu'il dit, mais lui en refuser le droit.

En revanche, la détention d'une quantité importante de foie peut être interprétée comme un signe d'élection, visant à faire passer l'individu dans le camp des devins, une fonction sociale de toute première importance chez les Bisa, puisque ce sont eux qui sont chargés de diagnostiquer les maladies et de résoudre les désordres mettant en péril la reproduction sociale. Le foie est détenu en grande "quantité" par ceux que le groupe reconnaît comme devins, aptes à voir ce que les autres hommes ne voient pas, à savoir "l'intérieur des choses". Ils sont considérés comme les intermédiaires entre les hommes et les génies, ces puissances surnaturelles supposées régir la société des hommes. L'élection se manifeste tout particulièrement à travers l'égarement d'un homme en brousse dont on dit qu'il est devenu fou. La mise en parallèle entre la notion de folie et la notion d'égarement en brousse (qui est le monde des génies) situe le futur devin à l'écart de l'espace normal des hommes (le village). L'éloignement spatial fournit la matière d'une métaphore sur la folie où l'égarement physique est la condition de l'égarement mental. Cette conception n'est d'ailleurs pas étrangère à d'autres systèmes de représentations, et on peut la trouver sous la plume de Michel Foucault dans l'emploi du terme "égaré" pour signifier le fou. L'égarement en brousse est l'inscription dans l'espace d'une rupture avec le monde de la norme humaine: le village.

La différence entre le fou-malade et le fou-élu est que ce dernier, le devin, n'a pas le cerveau ni le foie renversé, mais au contraire, qu'il a, dit-on, "beaucoup de foie". La possession de foie en grande quantité rend apte au travail particulièrement difficile du devin. Il est un homme hors du commun, et sa cécité aux choses ordinaires (le devin est appelé bu: l'aveugle) exprime sa clairvoyance mentale et son aptitude à ordonner aux autres hommes les conduites à tenir, en toute conscience  ¾ le foie est aussi le siège de la conscience ¾, en vue d'assurer la reproduction sociale (Fainzang 1986). Le rôle du foie est une remarquable illustration de la biologisation du social. Il s'agit ici de trouver une différence biologique à ceux qui ont, ou doivent avoir, un comportement ou un statut social singulier.

L'étude de la manière dont la maladie est gérée dans ce type de société permet de constater une différence de traitement selon le sexe dans l'organisation de la cure. Cette différence est corrélée avec un système numérique symbolique en vertu duquel le 3 est affecté aux hommes et le 4 aux femmes, et qui est supposé quantifier les organes spécifiques des deux sexes en vue de justifier la répartition des rôles sociaux. Ces chiffres et le respect de leur usage, loin d'être une attribution purement décorative, règlent non seulement les conditions de l'efficacité du processus thérapeutique mais l'ensemble des relations entre les sexes. Ce système numérique est généralement rapporté dans la littérature ethnologique aux particularités anatomiques des sexes masculin et féminin (suivant en cela le discours local), et prévaut dans la majeure partie de l'Ouest africain. Toutefois, son caractère arbitraire est rendu manifeste par l'existence d'un symbolisme contraire dans d'autres populations. Chez les Bisa du Burkina, il a un sens et une fonction qui entretiennent une étroite cohérence avec les représentations de la personne, d'une part, et avec les espaces sociaux qui la définissent à travers les règles de résidence, d'autre part. Ainsi le principe vital de l'homme (le nyi, composante essentielle de la personne) est constitué de trois parties, tandis que celui de la femme se compose de quatre parties. Entrent dans la composition du nyi de chacun une part du nyi de son père, une part du nyi de sa mère, et son nyi propre; mais pour que le nyi de la femme soit complet, il faut que s'y ajoute une part du nyi de son mari. La femme ne peut prétendre à l'intégrité de sa personne qu'à la condition d'être mariée, de même qu'elle doit devenir épouse pour acquérir un statut social. L'absence d'autonomie sociale de la femme est ainsi légitimée par la nécessité où elle se trouve de subordonner sa personne à celle de son mari pour atteindre à l'intégrité de son être et déjouer l'imperfection qui la caractérise. La logique dans laquelle s'inscrivent les représentations relatives à l'homme et à la femme d'une part, aux nombres 3 et 4 d'autre part, révèle que ce système numérique ne sert pas seulement à organiser la vie sociale et à structurer les rituels. Il sert également à socialiser les sexes en leur assignant une valeur différentielle, apte à favoriser la reproduction des rapports hommes/femmes (Fainzang 1985b).

De retour en France, sollicitée pour mener une enquête sur les mutilations sexuelles en milieu africain immigré (étude commanditée par le Ministère des Droits de la Femme), je tentai de recueillir des informations sur les pratiques de clitoridectomie, et de cerner le sens qu'elle revêtent dans le contexte plus général des procédures de socialisation des filles. La permanence de ces pratiques et les modifications qu'elles ont subies quant à leurs modalités dans un contexte sociologique nouveau (en milieu urbain et dans le contexte de l'immigration en France notamment) invitaient à repenser leur signification par delà celle que leur ont traditionnellement attribuée les ethnologues.

Généralement analysées dans la littérature ethnologique comme l'étape obligée d'un accès au statut d'adulte sexuellement marqué, excision et circoncision sont ainsi le plus souvent comparées comme les deux pôles symétriques et inverses d'un processus de socialisation des sexes, et conçues par les intéressés comme nécessaires à la reproduction biologique du groupe. En marge de ces analyses, j'avais remarqué l'apport que représentaient les travaux qui soulignaient à juste titre les limites de cette symétrie. S'interrogeant sur la spécificité de l'excision au sein de ce qu'il est convenu d'appeler des "rites de passage", leurs auteurs mettaient en évidence la non-équivalence entre circoncision et excision, tant du point de vue anatomique qu'au regard de leur contexte rituel.

Il me paraissait néanmoins possible de déceler un certain parallélisme entre ces deux institutions, non pas comme traduisant un changement de statut social de l'enfant à l'adulte, mais comme visant à assigner à l'individu une place sociale jugée conforme à son sexe. On s'aperçoit que derrière le discours officiel centré sur l'impératif de la reproduction biologique se dissimule un autre discours, au travers duquel le marquage sexuel équivaut à un marquage des rôles sociaux qui doivent être assumés par chacune des catégories de sexe.

Les matériaux recueillis révèlent en effet que le "travail" accompli sur le corps ne vise pas tant à confirmer la différence biologique entre les sexes qu'à corriger le sexe biologique de manière à rendre possible l'exercice, par la personne socialisée comme féminine ou masculine, du statut qui lui est assigné, dans la mesure où réduire ou supprimer ce qui, chez la femme est conçu comme l'équivalent du sexe masculin, revient à créer les conditions (physiologiques) de la domination (sociale) de l'homme sur la femme.

Je mis à profit mes enquêtes pour sonder également le sens dévolu à la circoncision, dont les représentations doivent être comprises comme l'autre versant de cette logique de socialisation des sexes, sans pourtant qu'on puisse y déceler l'inversion pure et simple de celles qui sous-tendent l'excision. Au terme de cette étude, il m'apparaissait que l'excision et la circoncision visent respectivement à déviriliser la femme et à surviriliser l'homme, aux fins de réduire le pouvoir de la première et d'accroître le pouvoir du second. Les mutilations sexuelles non seulement résultent de l'inscription corporelle des rapports sociaux entre les sexes, mais se présentent comme les conditions de leur reproduction (Fainzang 1985a).

La transposition de mes recherches sur les représentations de la maladie en France me conduisit à travailler sur un groupe d'anciens alcooliques ("Vie libre"), c'est-à-dire sur un univers qui structure son rapport au monde par référence à une maladie particulière: l'alcoolisme. L'étude des représentations que ses membres ont des effets de l'alcool sur le corps (en particulier sur les nerfs, le cerveau et le sang) révèle le rôle attribué à ces différents organes dans la formation du comportement social de l'alcoolique. Le corps renvoie ici à une réalité sociale en même temps que les troubles qui l'affectent sont source de désordres sociaux.

La perturbation des nerfs est supposée expliquer l'agressivité du buveur. Elle est associée à la perte de contrôle, au fait de "ne plus être soi-même", et renvoie à une conduite de violence. L'état pathologique auquel les sujets se réfèrent n'est toutefois pas identifiable à la catégorie nervios, syndrome généralement interprété dans la littérature ethnologique comme l'expression d'une détresse résultant d'une rupture familiale, sociale et culturelle, et que l'on retrouve dans les modèles explicatifs de nombreuses sociétés (Low 1981). La violence du corps est ici attribuée à l'excitation des nerfs, elle-même liée à la propagation de l'alcool dans le corps, dès lors envahi par une "force nerveuse". Les nerfs, excités par la présence d'alcool, communiquent, comme par un fluide drainé par le sang, leur violence à toutes les parties du corps.

De nombreux travaux font état de la féminisation du "symptôme des nerfs". L'impact de ces "idéologies de genre" (Cayleff 1988) sur la construction sociale de la catégorie des nerfs ne se retrouve toutefois ici que dans le discours sur les causes de l'alcoolisme et non dans le discours sur les effets. Ainsi, les nerfs subissent toujours les effets de l'intoxication par l'alcool, mais leur perturbation peut se situer soit en amont, soit en aval de l'alcoolisation, chaque schème valant préférentiellement pour l'un ou l'autre sexe: si l'alcool fragilise les nerfs des hommes, ce ne sont jamais des nerfs malades qui permettent d'expliquer, en amont, l'alcoolisation masculine. Les nerfs des femmes, en revanche, sont naturellement fragiles, sinon malades. Tout se passe comme si, en vertu de leur conformation naturelle, les femmes avaient les nerfs plus vulnérables, leur nervosité et les problèmes y afférents étant susceptibles d'induire une conduite d'alcoolisation excessive, alors que les nerfs des hommes ne seraient malades qu'à condition d'être touchés par une substance extérieure, l'alcool, dont les caractères intrinsèques viendraient pervertir leur nature propre. En somme, les nerfs sont l'organe de la relation et l'idée de nerfs malades rend compte de l'incapacité à vivre la relation.

La lecture d'articles médicaux relatifs aux conséquences, sur le plan psychique, des lésions des cellules nerveuses n'empêche pas les buveurs et leurs conjoints de faire une différence marquée entre nerfs et cerveau, liée à celle qu'ils établissent entre les activités qu'ils attribuent au fonctionnement respectif de ces deux organes. Les nerfs sont ainsi plus volontiers associés à la dimension affective et le cerveau à la dimension intellectuelle. C'est donc à la perturbation du cerveau qu'est attribuée l'incapacité à faire ses comptes, à remplir des papiers officiels, à se comporter de manière conforme à son statut ou à remplir ses obligations sociales ¾ ce qui n'est pas sans rappeler, en partie, le "renversement" du cerveau chez les Bisa, responsable du manquement à la conformité.

La "maladie alcoolique" touche à la fois le cerveau et les nerfs par l'intermédiaire du sang. Le sang est à la fois vecteur de la souillure de l'alcool qu'il véhicule jusqu'au cerveau et aux nerfs, et lui-même, une des proies de l'intoxication alcoolique. Le sang est envisagé comme une substance qui se diffuse et nourrit les autres organes. Lorsqu'il est souillé, infecté par l'alcool, tout se passe comme si deux liquides se livraient bataille et parcouraient le même trajet. La substance alcool s'infiltre dans les veines et finit par prendre la place du sang. La cure vise d'ailleurs, par le truchement de l'abstinence, la purification du sang.

Bien que dans l'imaginaire collectif, l'alcool soit associé à la virilité et le vin à la fécondité, l'imprégnation alcoolique est considérée par les anciens buveurs et leurs conjoints comme générateurs de désordres auxquels le champ de la sexualité n'échappe pas. Toutefois, ce sont le plus souvent les nerfs qui sont impliqués dans ce désordre: qu'un alcoolique soit "violent au lit" ou qu'il soit au contraire "mou" (appréciation plus souvent rapportée par les conjoints), on dira que son état est dû à celui de ses nerfs. Lorsque la sexualité du mari est invoquée, c'est donc généralement aux nerfs mais aussi parfois au cerveau qu'elle est associée. Les troubles de la sexualité semblent plutôt associés aux nerfs quand il y a excitation sexuelle ou surexcitation (voire violence), et au "détraquement" du cerveau quand il y a impuissance. Encore l'impuissance est-elle plus volontiers imputée aux nerfs lorsqu'elle est considérée comme physiologique et au cerveau lorsqu'elle est considérée comme psychologique.

Le lien fréquemment établi, dans des univers culturels différenciés, entre le cerveau et la production des humeurs d'une part, et entre le sang et le sperme d'autre part (Héritier-Augé 1985), m'a conduite à m'interroger sur les effets attribués à l'alcool dans la production de sperme. Mais ici, point de discours sur l'hérédité biologique en filiation paternelle. C'est seulement lorsque le parent alcoolique est la mère que l'idée d'hérédité est affirmée. L'idée que l'alcool souille le sang n'implique donc pas que l'alcoolique transmette à sa progéniture un sang souillé. Nourris de connaissances alcoologiques et d'une philosophie politique afférente à l'hérédité sociale, les membres de "Vie libre" récusent donc la transmission paternelle de la pathologie. Et quand bien même la qualité du sperme est à l'image de celle du sang, celui-ci ne transmet pas le mal à sa descendance.

La perception des effets de l'alcool sur le corps met donc en jeu deux registres: celui des conséquences physiologiques de la présence d'alcool dans le corps, et celui des jugements sociaux. La souillure du sang exprime le désordre physiologique, le trouble des nerfs le désordre relationnel, et celui du cerveau le désordre dans le domaine de la réflexion et des obligations sociales.

Reprenant à leur compte la thèse de Mary Douglas (1970) selon laquelle le corps est un symbole naturel dans lequel nous puisons nos métaphores les plus riches, aptes à représenter les relations sociales, Scheper-Hughes & Lock (1987 : 19) considèrent que les constructions culturelles relatives au corps permettent d'exprimer des représentations particulières de la société et des relations sociales. L'attention accordée ici à tel ou tel symptôme est fonction de la charge symbolique attribuée à ce symptôme ou à l'organe qui en est le support, ainsi qu'à la conséquence de ce symptôme sur l'ordre relationnel et social. Comme on le voit, les trois pôles corporels que sont les nerfs, le cerveau et le sang sont différemment mis en cause selon que l'accent est mis sur telle ou telle caractéristique de la conduite du buveur. Ainsi, les discours sur le corps de l'alcoolique le situent toujours dans ses relations à autrui et au monde, et lorsque sont exprimés les désordres physiologiques associés à la maladie, c'est soit par rapport à l'autre, soit en référence à un comportement social (Fainzang 1996).

En définitive, la perception d'un organe (de sa nature et de sa fonction), le sens qui lui est attribué et, éventuellement, le traitement qui lui est réservé, ne se font pas hors d'une société ou d'un système de pensée donnés et ne prennent sens qu'en fonction de ce contexte. Dans la plupart des cas, il s'agit pour le groupe de repérer ou de fabriquer une différence en vue de lire ou d'inscrire le social sur les corps, ce qui permet tout à la fois de le justifier et de le faire exister. Le traitement du corps n'est jamais une simple activité soit purement utilitaire soit purement décorative, pas plus qu'il ne remplit de fonction à visée exclusivement thérapeutique ou esthétique par exemple. Il est lié à la manière dont les groupes et les sociétés construisent l'individu en lui assignant une place ou en lui reconnaissant un statut.  A cet égard, la lecture des corps et de ce qu'ils sont supposés receler dans le langage d'une culture donnée, est une clé pour la compréhension de cette culture et de la manière dont elle inscrit son ordre ou décèle son désordre.

Références bibliographiques

Cayleff S.E., 1988, "Prisoners of their Own Feebleness: Women, Nerves and Western Medicine - a Historical Overview", Social Science and Medicine, vol 26, n°12: 1199-1208.

Douglas M., 1970, Natural Symbols. New York, Vintage.

Fainzang S.,

1985a, "Circoncision, excision et rapports de domination", Anthropologie et sociétés, v.9/1: 117-127.

1985b, "Les sexes et leurs nombres. Sens et fonction du 3 et du 4 dans une société burkinabé", L'Homme, XXV (4): 97-109.

1986, "L'intérieur des choses". Maladie, divination et reproduction so­ciale chez les Bisa du Burkina,  Paris, L'Harmattan.

1996, Ethnologie des anciens alcooliques. La liberté ou la mort. Paris, Presses Universitaires de France (Collection: Ethnologies).

Héritier-Augé F., 1985, "Le sperme et le sang. De quelques théories anciennes sur leur genèse et leurs rapports", in: "L'humeur et son changement", Nouvelle Revue de Psychanalyse, n°32: 111-122.

Low S.M., 1981, "The Meaning of Nervios; a sociocultural analysis of symptom presentation in San Jose, Costa Rica", Culture, Medicine, Psychiatry, 5, 25-47.

Scheper-Hughes N. & Lock M., 1987, "The mindful body: a prolegomenon to future work in medical anthropology", Medical Anthropology Quarterly, Vol 1, n°1, 1987: 6-41.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 31 mars 2009 9:44
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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