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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Sauveur Pierre ÉTIENNE, Haïti: l’invasion des ONG. (1997)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Sauveur Pierre ÉTIENNE, Haïti: l’invasion des ONG. Montréal: Les Éditions du CIDIHCA, avec le concours du CRESFED, 1997, 343 pp. Une édition numérique réalisée avec le concours de John Peter ADOLPHE, bénévole, membre du REJEBECSS-Haïti, étudiant en sciences économiques à l'Université d'État d'Haïti. [Un grand merci à la direction des Éditions du CIDIHCA, qui nous a autorisé, le 17 octobre 2019, la diffusion en libre accès à tous de ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[11]

Haïti : l’invasion des ONG

Introduction

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Les Organisations non gouvernementales (ONG), de plus en plus nombreuses à travers le monde et dotées de moyens financiers et logistiques immenses, constituent un secteur incontournable dans la coopération au développement. En effet, des organisations internationales, telles l’ONU, la CEE, l’OEA et certaines agences bilatérales, travaillent en étroite collaboration avec les ONG et leur octroient parfois un statut consultatif. Complexes et très diversifiées, les Organisations non gouvernementales deviennent ainsi une arme à double tranchant. Dans les pays du Nord, elles peuvent servir d’instruments efficaces dans l’application de la politique de « développement » de leur gouvernement envers les pays du Tiers monde. Elles arrivent même parfois à influencer la politique de coopération externe de leur pays d’origine vis-à-vis des pays du Sud. — À titre d’exemple, citons le cas des ONG françaises sous le gouvernement socialiste. Dans le Sud, elles peuvent, dans certains cas, travailler au renforcement des structures archaïques et constituent, de ce fait, un obstacle au développement ; dans d’autres cas, elles peuvent mener à une prise de conscience réelle du drame du sous-développement et de ses causes, et jouent le rôle, à ce moment-là, de catalyseur au développement.

Situation de la recherche
dans le domaine des ONG
et du développement dans le monde


De nombreuses études sur les ONG ont été publiées en Europe, aux États-Unis d’Amérique et en Amérique latine au cours des dix dernières années. En revanche, le concept de « développement », qui est en perpétuelle [14] évolution, a été abordé depuis longtemps déjà, tout au long du XIXe siècle et dans la première moitié du XXe, en termes de développement capitaliste, de progrès et de croissance économique. Au cours des cinquante dernières années, le concept de développement proprement dit a sans doute été le thème le plus développé. La bibliographie, qu’on trouvera en annexe de cet ouvrage, témoigne de l’abondante littérature qui lui a été consacrée à travers le monde.

En Haïti, outre des documents concernant l’évaluation de projets-ONG produits par certaines agences bilatérales et multilatérales, et en plus des rapports des ONG haïtiennes aux organismes qui les financent, ainsi que les « Cahiers de l’association haïtienne des agences bénévoles » (HAVA), on peut citer le travail du Groupe de recherche et d’appui au milieu rural (GRAMIR), publié en 1989, qui a pour titre : Implantation et impact des Organisations non gouvernementales. Il convient de mentionner également la thèse de maîtrise présentée à l’Université de Bordeaux II par le Français Eric Gallibour, en 1990, intitulée : Organisations non gouvernementales et participation politique en Haïti.

En ce qui a trait au développement lui-même, des travaux d’une grande valeur ont été réalisés tant à l’extérieur qu’à l’intérieur du pays. À ce sujet, il convient de citer l’ouvrage du professeur Gérard Pierre-Charles, ayant pour titre L’Économie haïtienne et sa voie de développement, paru en 1965 ; ceux de Jean-Jacques Honorât, intitulés : Enquête sur le développement et Le Manifeste du dernier monde, publiés respectivement en 1974 et en 1984 ; Haïti : Quel Développement ? de Charles Manigat, Claude Moïse et Emile Ollivier, paru en 1975 ; L’Espace haïtien de Georges Anglade, édité en 1976 ; Penser le développement du professeur Rony Durand, publié en 1979, et L’Espace rural haïtien de Ernst A. Bernardin, édité en 1991, — pour ne citer que ceux-là.

[15]

Justification

Haïti, ancienne colonie française, accède à l’indépendance le 1er janvier 1804. Voulant empêcher les autres colonies de l’époque de suivre cet exemple, qui constituait une dérogation aux normes colonialistes et esclavagistes en vigueur depuis plus de trois siècles, les grandes puissances de l’époque, au lieu d’aider le nouvel État à s’intégrer dans le concert des nations, ont préféré, selon la formule de Talleyrand, le « laisser cuire dans son jus »1. Ainsi, si les pays africains accédant à l’indépendance Surlendemain de la Seconde Guerre mondiale étaient jugés mal partis par certains sociologues et économistes, Haïti elle, n’était jamais partie.

La menace d’une intervention militaire de la France, dans le but de reconquérir son ancienne colonie, va porter les premiers dirigeants haïtiens à considérer la défense du territoire comme l’unique priorité du moment. Ils investirent, alors, pour être en mesure de la contrer, toutes les recettes de l’État dans l’achat d’armes et de munitions, ainsi que dans l’érection de nombreux forts, voués à la défense des zones stratégiques. Le pays vivait dans une situation d’alerte permanente, maximum. Toutes les forces vives de la nation étaient mobilisées, leurs énergies décuplées dans l’attente d’une invasion, — qui n’aura cependant jamais lieu. Cette situation de panique mais surtout la mauvaise gestion de nos dirigeants, jointes à l’isolement du pays et à son exploitation par les grandes puissances de l’époque, devaient nous conduire à une situation de marasme économique qui allait culminer, vers la fin du XIXe siècle, en banqueroute totale.

À une époque où plusieurs pays d’Amérique latine, en fonction des concepts d’État-nation, d’État-providence, s’engageaient, de façon résolue, dans la voie du progrès et s’attachaient à moderniser leurs structures archaïques, féodales, — vers la seconde moitié du XIXe siècle, plus précisément vers 1870, les élites haïtiennes (les « Libéraux » et les « Nationaux ») se retrouvaient en plein [16] débat théorique : à savoir s’il fallait opter pour la modernisation ou conserver les anciennes structures. Comme on le sait, les esprits les plus arriérés du pays, par la force des armes et la complicité de puissants alliés étrangers, ont pu s’imposer et, du même coup, enlever à Haïti la chance historique — vu le contexte international d’alors — de rompre avec l’archaïsme, le féodalisme, et tout ce que le système haïtien comportait d’oppression, d’exploitation féroce, de misère et de pauvreté absolue.

Si, dès le début du XXe siècle, on pouvait percevoir les premiers indices du processus de dégradation du pays, notamment à travers l’émigration haïtienne vers la République dominicaine et Cuba, l’ampleur du drame s’est révélée dans toute son acuité sous la dictature des Duvalier. En effet, le terrorisme d’État instauré dans le pays par François Duvalier ainsi que l’extrême violence déployée par celui-ci pour se maintenir au pouvoir allaient plonger le pays dans une longue période d’obscurantisme. L’emprisonnement, la torture et l’assassinat des milliers de cadres haïtiens, conjugués au départ massif de plusieurs centaines de professionnels et d’intellectuels vers l’exil, allaient transformer Haïti en laboratoire du sous-développement. La « révolution économique », dont parlait Jean-Claude Duvalier, n’était qu’un catalyseur destiné à accélérer « le développement du sous-développement »2 du pays.

Avec un revenu annuel per capita estimé à moins de 300 dollars3 depuis plus de deux décennies, et qui a tendance à (diminuer encore, Haïti a perdu son statut de pays du Tiers monde pour devenir le seul PMA de l’hémisphère américain. En dépit de l’aide massive que certaines puissances occidentales avaient fournie au gouvernement de Jean-Claude Duvalier, la situation n’a fait que s’aggraver, donnant lieu à un phénomène de désespoir collectif, qui allait provoquer les premières vagues de départ massif des « boat people » pour les plages de la Floride, au début des années 80.

[17]

Ce constat d’échec consacre la faillite du système traditionnel et l’incapacité historique de l’oligarchie haïtienne à concevoir et à exécuter un quelconque projet de modernisation, voire de développement national. Cette conclusion à l’examen d’un état de fait indéniable, affectera profondément la crédibilité de l’État haïtien auprès des bailleurs de fonds étrangers. Il portera certains professionnels haïtiens et étrangers à s’organiser, à partir de la politique des Droits de l’homme prônée par l’administration Carter, pour voler au secours des populations défavorisées. Cela conduira à une prolifération rapide des ONG à travers tout le pays4. Elles y ont développé une grande capacité d’intervention dans de nombreux domaines de la vie nationale, tels que la santé, l’éducation, l’agriculture, l’artisanat, le crédit aux petits commerçants, la défense des Droits de l’homme... De plus, les pays bailleurs de fonds se montrent de plus en plus enclins à faire passer une partie substantielle de l’aide à Haïti par ce canal. À la lumière de ces constatations, il est désormais inconcevable de parler de développement en Haïti sans faire mention des ONG. Elles ont certainement un rôle à jouer dans le développement du pays : mais comment et à quelle condition ?

Problématique

Le thème du travail que nous avons entrepris, et qui fait l’objet de cet ouvrage, relève d’une inquiétude : la capacité effective des ONG, de plus en plus nombreuses, à contribuer au développement du pays. — Cette inquiétude nous conduit à de multiples interrogations :

La vision du développement des grandes agences internationales de développement correspond-elle aux exigences d’une politique globale de développement d’Haïti ? Les ONG évoluant en Haïti peuvent-elles avoir une conception du développement différente de celle des grandes agences internationales qui les financent ? L’action des ONG sur le terrain vise-t-elle uniquement la survie des secteurs défavorisés, ou contribue-t-elle effectivement [18] au développement du pays ? Le système de financement par projet, tel qu’il se pratique, contribue-t-il à favoriser le développement au niveau des communautés locales ou à l’émergence d’une nouvelle structure de domination des groupes de base ? Les fonds dont disposent les ONG servent-ils à financer des projets de développement au profit des secteurs défavorisés ou à épargner aux cadres moyens et supérieurs, sortant de l’université, les affres du sous-emploi et du chômage ? On peut se demander encore si les ONG peuvent effectuer un travail valable de développement sans un cadre de concertation, de planification et de coordination de leurs activités sur le terrain? Si elles sont à même de travailler au développement du pays sans que l’État ne crée les conditions favorables à une telle entreprise, et sans que leur démarche ne s’inscrive dans le cadre d’une politique globale de développement définie et appuyée par l’État ?

C’est ce questionnement qui nous a poussé à entreprendre une telle étude en espérant y apporter des éléments de réponse.

Objectifs

Objectif général. — Étudier la capacité des ONG, dans le cadre de leur fonctionnement actuel, à contribuer au développement d’Haïti.

Objectifs particuliers. — Faire une évaluation critique du travail des ONG dans le pays et des recommandations pour son amélioration. Montrer également que le travail des ONG, pour contribuer au développement du pays, doit être concerté, planifié, coordonné et inscrit dans le cadre d’une politique globale conçue et appuyée par l’État.

Hypothèses de travail

Hypothèse principale. — Les activités des ONG sur le [19] terrain s’avèrent inadaptées aux exigences de la lutte pour le développement.

Hypothèses secondaires. — La concertation, la planification et la coordination entre elles (inter-ONG) sont indispensables pour obtenir un travail efficace. Et seule l’intégration des activités des ONG dans une politique globale conçue et appuyée par l’État leur permettra d’avoir un impact positif sur le développement du pays.

Méthodologie

Pour vérifier nos hypothèses, nous avons élaboré et soumis aux responsables de diverses ONG un questionnaire afin d’obtenir d’eux une auto-évaluation de leurs activités sur le terrain. Sur le plan théorique, nous avons utilisé une approche historico-structurelle pour expliquer le sous-développement d’Haïti et déterminer les conditions de son possible développement et le rôle que les ONG peuvent y jouer.

En dehors de ce fil conducteur, nous avons consulté de nombreux ouvrages théoriques et méthodologiques qui nous ont fourni les informations nécessaires pour aborder notre sujet dans toute sa complexité et dans son aspect multidimensionnel. La bibliographie qui se retrouve en annexe de l’ouvrage témoigne de notre abondante documentation.

Exposé du plan de travail

Cette étude se divise en deux parties et comporte sept chapitres. La première partie traite des Organisations non gouvernementales, de la coopération internationale et des stratégies de développement. Dans le premier chapitre nous avons défini le cadre théorique du travail. Dans le second, nous avons établi des rapports entre organisations internationales et développement. Le troisième chapitre étudie les Organisations non gouvernementales étrangères.

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Dans la deuxième partie, qui comprend les quatre derniers chapitres, nous avons étudié les Organisations non gouvernementales en Haïti. Le sous-développement haïtien constitue l’objet du quatrième chapitre de notre travail. Le cinquième chapitre traite des Organisations non gouvernementales haïtiennes. Dans le sixième chapitre, nous avons étudié les Organisations non gouvernementales haïtiennes face aux autres acteurs intervenants dans le développement du pays. Dans le septième et dernier chapitre, nous avons fait le bilan des activités des ONG dans le pays, puis analysé et interprété les données de l’enquête.

Nous avons donc essayé, tout au long de cet ouvrage, de faire une évaluation critique du travail des ONG en Haïti en présentant la complexité de ce secteur, sa force, ses faiblesses et les conditions de sa possible contribution au développement du pays. Nous espérons que cette étude, qui représente un apport très modeste à la recherche scientifique, sera poursuivie et complétée par d’autres chercheurs.

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Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 11 juin 2020 19:17
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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