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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Stratégies de communication de vente des « agents de marketing » dans les autobus de transport en commun en Haïti:
une étude de cas sur dix agents du département de l’Ouest
.
(2013)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du texte du mémoire de Kendson’n DANJOU, Stratégies de communication de vente des « agents de marketing » dans les autobus de transport en commun en Haïti: une étude de cas sur dix agents du département de l’Ouest. Mémoire de master 2 en Information et Communication, sous la direction de Madame Isabelle DUBOST, Centre de Recherche sur les Pouvoirs Locaux dans la Caraïbe (CRPLC/UAG), Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, Université des Antilles et de la Guyane, juin 2013, 110 pp. [Autorisation formelle accordée par l’auteur 22 février 2015 de diffuser ce mémoire dans Les Classiques des sciences sociales et autorisation confirmée par le directeur de la collection “Études haïtienne”, Ricarson Dorce, le 22 février 2015.]

[7]

Stratégies de communication de vente des « agents de marketing »
dans les autobus de transport en commun en Haïti:
une étude de cas sur dix agents du département de l’Ouest.

Introduction

1.1. MISE EN CONTEXTE

Depuis un certain temps, on assiste en Haïti à un système de vente où les « agents de marketing » vendent en face à face des produits pharmaceutiques, de beauté, des ouvrages de connaissances générales et des produits naturels (ou traditionnels) dans les bus transportant les passagers dans les différentes zones du pays, surtout au départ et en direction de la capitale de Port-au-Prince. Les agents de vente [1], connus en Haïti sous l’appellation d’« agents de marketing » sont des femmes et des hommes, qui exercent  l’activité de vente de produits naturels (sirop, anticorps, savons à base de plantes), pharmaceutiques (sirop, comprimés, savons médicinaux, etc.) et de toilettes (parfums, déodorants, savon, shampoo, etc.), de documents écrits (des  imprimés de traduction française, anglaise, créole, des recettes de cuisine, etc.) etc. dans les bus assurant le transport public. C’est une activité en pleine extension, qui tend à faire partie entière de la réalité socioculturelle haïtienne. Ces agents font partie intégrante de la configuration du bus, en ceci qu’ils ont une place fixe quasiment non négociable avec les autres passagers. Il va de soi qu’ils occupent le siège de la première ou de la deuxième rangée dans les bus, de manière à pouvoir atteindre tous les passagers tant par leur voix que par leurs regards.

Si nous retenons le fait que la pratique de vente n’est nullement nouvelle dans les différentes sociétés, il n’en demeure pas moins que ce phénomène axé essentiellement sur la communication, le discours, n’aurait pas été étudié dans d’autres endroits, selon nos lectures. Comme nous le dit Eric Giuily (2010 : 22) dans le cas de l’Europe :

« la communication est étroitement liée à l’activité marchande, laquelle s’exprime oralement ou graphiquement puisqu’elle s’adresse à la population la plus large, majoritairement illettrée. En Europe, certains produits sont déjà si intimement et depuis si longtemps associés à certains lieux qu’ils ont acquis une valeur de marque, mémorable et durable ».

Ainsi associons-nous notre terrain de recherche sous quelque forme à la situation des crieurs et des colporteurs du Moyen Age à la renaissance, tel qu’il la définit « des crieurs et des [8] colporteurs qui parcourent les rues et font du porte à porte, du Moyen Age à la renaissance, osons dire qu’ils jettent les bases de la publicité et du marketing direct ». Cette comparaison ne vise pas à dire qu’il s’agit de deux situations similaires, cependant, l’idée d’aller vers le potentiel client et de le convaincre par le discours nous semble les gouverner.

Ce procédé de vente se déroulerait dans un système d’interaction global que nous résumerons en trois temps : l’ouverture, le maintien au cours duquel les « agents » présentent leurs produits, négocient et vendent aux passagers-acheteurs, et la clôture où la majorité des « vendeurs » emploient des formules spécifiques, sous une forme ritualisée, pour remercier les clients de leur patience et participation, et surtout de leur esprit de tolérance adopté au cours de la vente. Cette activité fait partie, de plus en plus, du vécu quotidien de tous ceux qui voyagent dans le système de transport en commun, à la capitale et dans les villes de province. C’est donc un élément constitutif du décor du transport en commun en Haïti. En effet, les agents de marketing créent leurs propres stratégies de communication joignant le gestuel au verbal pour présenter et vendre leurs produits commerciaux aux passagers-acheteurs. De plus, au-delà de cet aspect commercial de la vente, nous avons repéré un ensemble d’autres éléments utilisés par ces derniers pour créer une ambiance de vente plus cordiale et efficace dans les bus. Cette dernière va de la prise en compte de la valeur du pouvoir suprême de Dieu (pouvoir de protection, plus spécialement) à des blagues de tout genre, pour déclencher l’empathie témoignée par ces derniers pour la santé et le bien-être des passagers et celui des membres de leur famille. Ainsi font-ils usage de tout un ensemble de cérémonies pour pouvoir augmenter leurs chiffres d’affaires. Par cérémonie, nous entendons le fait de procéder à une suite d’actes ayant pour objectif de se présenter au public et d’agir sur ce dernier en le portant à s’approprier les produits disponibles.

Le contexte socioéconomique dans lequel s’inscrit cette activité de vente est marqué par un faible pouvoir d’achat des ménages et d’un problème récurrent d’accès aux soins de santé. Ce qui représente un défit de taille. Selon le rapport d’une enquête du Conseil National de Sécurité Alimentaire (CNSA), publié sur le site du journal en ligne www.haitilibre.com, en date du 28 novembre 2011, « Les résultats de l'Enquête Nationale sur la Sécurité Alimentaire‐ENSA indiquent que la prévalence de l'insécurité alimentaire reste très élevée et qu'elle représente 45% de la population haïtienne, soit environ 4.7 millions d'individus. Dans ce groupe, on retrouve environ 850,000 personnes, soit 8.2% de la population qui sont en « insécurité alimentaire élevée ».

[9]

Tandis que selon un autre article [2], un médecin enseignant à la Faculté de Médecine de l’Université d’Etat d’Haïti fait le constat suivant :

« […] le plus gros problème auquel le système de santé est confronté reste le financement des soins de santé. Qui finance les soins en Haïti ? Ils sont financés à 65% par les ménages. Or 44% des ménages ruraux vivent au-dessous du seuil de la pauvreté et 26% des ménages urbains connaissent la même situation ».

Compte tenu de ces rapports, nous pouvons avancer que l’accès à la santé est donc proportionnel au statut socio-économique des ménages. Cette disparité dans l’obtention des services de base est confortée par un manque de production d’Haïti où la majorité des produits primaires sont importés essentiellement de la République Dominicaine. Sans trop vouloir nous lancer dans l’aspect légal de la question, cette activité, nous semble-t-il, évolue en dehors du contrôle de l’Etat sur la circulation des médicaments dans le pays. Donc, c’est une activité informelle qui conforte sa place dans une société vivant dans un manque crucial de moyens économiques et d’une certaine négligence ou incapacité de l’Etat à fournir des soins de base à la population. Ce qui entraîne le recours à une économie informelle maintenue, entre autres, par ces agents qui cherchent des produits adaptés aux besoins, mais surtout aux moyens économiques des ménages.

Ainsi, dans le cadre de cette recherche, l’autobus, étant un espace mobile de rencontres et d’interactions (en face à face) de personnes de toutes catégories socioprofessionnelles, constitue un marché dans lequel les « agents de marketing » proposent leurs produits (pharmaceutiques naturels, de toilettes, documents écrits, etc.). Ce, en employant tout un ensemble de stratégies communicatives relevant de leur fonction d’agents de marketing au cours des interactions avec les « clients [3] ». Étant dans un espace non soumis à des règles formelles et explicites de conduite, les interactants établissent des pactes qui constitueraient, selon nous, des rituels, généralement communs à ces agents. C’est un phénomène social qui se déroulerait en trois moments principaux. Ainsi, à l’ouverture des interactions entre agents et passagers, les « agents de marketing » adoptent un style leur étant propre pour s’introduire. Dans un deuxième [10] temps, ils présentent leurs produits avec leurs caractéristiques. Et, finalement, dans un troisième temps, ils procèdent à ce que nous appelons la clôture ; ils « ferment » la vente, en remerciant les clients et ceux qui les ont aidés et « tolérés ». Au cours de cette activité, on constate tout un ensemble d’actes répétitifs caractérisant la communication de vente entre « agents de marketing » et passagers dans le contexte haïtien. Notre travail s’appuie sur des concepts clés de rituel, communication, interaction (échange), la scène (le bus étant considéré comme une scène), etc. dans la lignée de l’interactionnisme symbolique. Le terme de marketing, bien qu’il ne soit pas l’objet premier de notre recherche, nous semble aussi incontournable, car les stratégies utilisées par les agents s’inscrivent toutes dans un projet de marketing.

1.2. PROBLÉMATIQUE

À partir des considérations faites plus haut, nous résumons notre problématique en cette interrogation : « Quelles sont les stratégies de communication employées par les « agents de marketing » dans les autobus de transport en commun en Haïti ? » ou du  moins, quels sont les rituels autour desquels s’organise l’activité de vente dans les bus de transport en commun en Haïti » ?  Pour répondre à cette question, nous inscrivons notre démarche dans le courant de l’interactionnisme symbolique. En effet, Erving Goffman (1973 : 9) souligne ceci en expliquant le point de vue adopté dans ses analyses :

« …la perspective adoptée ici est celle de la représentation théâtrale…….j’examinerai de quelle façon une personne, dans les situations les plus banales, se présente elle-même et présente son activité aux autres, par quels moyens elle oriente et gouverne l’impression qu’elle produit sur eux, et quelle sorte de choses elle peut ou ne peut pas se permettre au cours de sa représentation » [4].

Partant de cette métaphore théâtrale de l’auteur pour étudier les phénomènes d’interactions intersubjectives, le bus - notre terrain d’observation - devient la scène sur laquelle [11] se joue la représentation entre ces acteurs où chacun est appelé, même tacitement, à jouer un certain nombre de rôles. Selon E. Goffman (1973 : 23),

« Par une représentation, on entend la totalité de l’activité d’une personne donnée, dans une occasion donnée, pour influencer d’une certaine façon un des autres participants. […] on peut donner le nom de public, d’observateurs ou de partenaires à ceux qui réalisent les autres représentations. On peut appeler « rôle » (part) ou routine, le modèle d’action pré-établi que l’on développe durant une représentation et que l’on peut présenter ou utiliser en d’autres occasions ».

Ces rôles sont de divers ordres dont celui de présentateur de produits, de prédicateur et de conseiller pour certains agents, celui de « passeurs  de produits», de support publicitaire (des passagers qui corroborent ce que disent les agents sur un produit quelconque) ou celui de détracteurs (ce qui empêche, d’une manière ou d’une autre, l’agent à présenter ses produits). Ce qui signifie que l’acte de vente s’opère dans une véritable atmosphère d’interactions et d’échanges. D’où notre choix de l’interactionnisme [5] qui « regroupe un ensemble d'approches constituant les interactions entre acteurs comme élément explicatif fondamental des formes et des structures concrètes des situations et des systèmes ». L’interactionnisme symbolique est, spécifiquement, un courant privilégiant les significations spontanément élaborées par les acteurs au cours de ces interactions [6].

Le choix de cette théorie se justifie dans notre travail par le fait qu’elle correspond au phénomène que nous voulons observer. En effet, les échanges entre agents, passagers et conducteurs des bus prennent leurs sens dans cet espace et à travers les éléments socio-communicatifs intervenant dans le discours de vente. Ainsi, les significations des gestes, attitudes et discours mises en place par les interactants (agents et public) sont négociées et maintenues par la qualité de l’interaction qu’ils entretiennent. Elles sont co-construites durant l’interaction en fonction des réalités (antérieures) communes. Bien que le cadre général du discours puisse être établi à l’avance par les « agents », c’est-à-dire dans des régions antérieures selon la terminologie de Goffman (1973), c’est la qualité de l’interaction qui permet ou ne permet pas le maintien de la communication, donc, la vente effective. Prenons l’exemple de [12] l’agent Dodo qui a dû renoncer à la présentation de ses produits, au bout de sept minutes, suite au constat de désintérêt du public, lequel serait, selon nous, le résultat de l’attitude de l’agent lui-même. Comparativement aux autres agents observés, ce dernier n’arrive pas à animer le bus de manière à ramener les passagers à sa cause. Du coup, il a rapidement abandonné sa représentation. Ce qui a provoqué un sourire discret de la plupart des passagers qui le regardaient avec un air de compassion. Il avait pourtant bien placé le décor de la scène, cependant, il n’arrivait pas à bien jouer son rôle.

Avant de revenir sur les concepts clés de notre étude, nous tenons à faire le point sur l’approche que nous voulons bien appliquer. S’agissant d’un travail portant sur les stratégies de communication des « agents de marketing », nous ne pourrons en ignorer l’aspect marketing. Cependant, nous essayerons au mieux d’éviter d’orienter les analyses vers une application strictement commerciale du marketing. Ainsi, nous tenons à étudier le phénomène marketing à travers la communication, l’interaction mise en place par les « vendeurs » et les passagers-acheteurs dans les bus. Dans ce même ordre d’idées, nous parlerons de vente individualisée et non de marketing au plan général, qui serait, selon nous, un travail axé plutôt sur le commerce/économie au lieu sur la communication. Et, nous ferons des mises au point à chaque fois que le besoin se fait sentir pour la bonne explicitation de notre argumentaire. Donc, ce n’est pas un travail portant essentiellement sur le marketing, mais plutôt sur les différentes stratégies employées par les agents pour vendre leurs produits aux passagers – acheteurs.

1.3. HYPOTHÈSES

En nous inscrivant dans une perspective interactionniste où les significations sont sous-jacentes à la qualité des interactions, nous posons deux hypothèses pour tenter de répondre à notre questionnement :

  • D’abord, l’activité de vente dans les bus consiste en un ensemble de rituels [7] communs à presque tous ces « agents de marketing » et passagers quels que soient le bus et le lieu.

[13]

  • Ensuite, le bus, objet mécanique conçu originellement à des fins de transport en commun, constitue une scène sur laquelle un ensemble de personnes formant un public ponctuel avec les « agents » et les conducteurs de bus jouent des rôles différents et participent à la représentation [8].

Et, nous ajoutons une troisième qui en est accessoire, à savoir que la réussite de l’interaction dépend essentiellement de la capacité de l’agent à maintenir les échanges. Maintenir l’interaction consisterait, selon nous, à pouvoir animer le bus comme fait la majorité des agents en vue de pousser les passagers à acheter. Comme ils sont aussi dans une logique relationnelle du marketing, maintenir les échanges signifierait (dans le cas où ces derniers n’auraient pas l’argent disponible pour une transaction immédiate) d’enregistrer les coordonnées des agents pour d’éventuels achats ultérieurs. Un autre aspect qui est non négligeable dans cette étude, c’est la notion de besoin. La non animation du bus peut être le résultat d’une absence de besoin des passagers. Ce qui voudrait dire que quel que soit le degré de l’interaction, une vente peut toujours ne pas avoir lieu. Cet aspect serait mieux élucidé par une étude sur la notion de besoin des passagers en enquêtant sur leurs réelles motivations d’achat ou de non achat. Toutefois, nous relativisons en soulignant que dans les bus observés, même s’il n’y avait pas nécessairement de vente massive, il y avait toujours une sorte d’ambiance qui y régnait, sauf le cas de l’agent cité plus haut. 

1.4. MÉTHODOLOGIE

Collecte de données

Dans tout travail de recherche, il faut une méthode de collecte des matériaux destinés à valider ou invalider les hypothèses en fonction de la problématique. Alors, pour vérifier nos hypothèses, nous procéderons à deux types de méthodologies complémentaires : observation de terrain et analyse de discours avec un corpus ouvert constitué des séances de ventes enregistrées [14] dans les huit bus au départ et en direction de la capitale d’Haïti. Nous y appliquerons donc une analyse qualitative (descriptive et explicative). Cette analyse de discours tâchera de déterminer les occurrences des formes discursives dans les différentes séances, lesquelles nous permettront de décrire et d’expliquer les différents éléments qui interviennent dans le « Discours » des agents de marketing. Nous nous plaçons plutôt du côté des agents en ceci qu’ils sont tenus de respecter certains principes pour arriver à leur objectif. Ce qui est tout à fait le contraire pour les passagers qui ne seraient soumis qu’à des règles de bienséance et de tolérance. Le respect d’un certain nombre de rituels est obligatoire chez les agents pour assurer le maintien et la réussite de la représentation.

Pour collecter les données, nous avons fait les trajets dans les lignes sélectionnées en vue d’observer et d’enregistrer les interactions agent-client, client-client et agent-chauffeur. La particularité de notre corpus vient du fait que toutes les interventions sont en créole et que nous procéderons à une traduction des séquences nécessaires à la compréhension ou l’explication de notre argumentaire. Nous nous efforcerons de procéder à une traduction très littérale avec des explications quand cela s’avère nécessaire.

La durée d’observation et d’enregistrements dépend, dans la majorité des cas, de la durée de l’intervention des agents dans les bus. Cependant, étant dans le courant de l’interactionnisme symbolique avec la notion de scène dans les différentes représentations des acteurs selon leurs rôles, nous serons tenu, dans certains cas, de continuer à suivre le comportement des agents, après la clôture « officielle » de la vente pour ceux qui restent dans le bus en tant que « simple » passager.

Grille d’observation

Pour mieux cerner notre objet d’étude, nous avons construit notre grille d’observation sur les interactions verbales et non verbales. Par interaction, nous entendons les échanges verbaux et non verbaux entre les interactants. C’est aussi la collaboration établie entre les agents et les passagers pour que la vente se passe dans une ambiance de convivialité. L’interaction non verbale nous amène à porter une attention toute particulière sur le jeu des regards qui se joue au cours de l’acte de vente, bien qu’un corpus audio-visuel serait mieux approprié. En termes de [15] stratégies, le positionnement spatial des agents, la présentation des agents, les techniques de négociation de prix, la cérémonie précédant et succédant la présentation des produits, les techniques de valorisation des produits, etc. sont autant d’éléments soumis à notre observation.

Présentation du terrain

Comme nous le mentionnons dans tout le travail, notre objet de recherche, ce sont les interactions entre agents de marketing et passagers dans les autobus en Haïti. Après des études personnelles sur la faisabilité de la recherche au cours des différentes séances de travail en cours, plus précisément celle sur le mémoire, nous nous sommes rendu sur le terrain en vue de collecter des données. Ainsi, nous avons procédé d’abord à une pré-observation, au cours de laquelle nous avons vérifié nos idées de départ et pris des notes pour ajuster en fonction des éléments qui nous étaient jusque là ignorés ou négligés dans notre grille d’observation. 

Nous avons, préalablement, eu l’intention de faire un travail sur cinq agents de marketing de cinq lignes d’autobus différentes au départ ou vers la capitale haïtienne, Port-au-Prince. Cependant, nous avons jugé bon d’en faire davantage pour mieux assurer la «fiabilité» des résultats. Cette modification est le résultat des contraintes spatio-temporelles liées à nos situations d’étudiant. En effet, nous devions voyager de la Martinique vers Haïti pour conduire nos observations, au cours des fêtes de fin d’année de 2012 et du nouvel an. Etant, sur le terrain, nous sommes résolu de profiter au maximum du voyage, car le retour serait impossible avant la date limite de dépôt du mémoire au secrétariat de l’université. C’est ainsi que nous avons observé huit séances de vente, ainsi que celle de « diagnostic » mentionnée plus haut. L’idée était d’en faire plusieurs et de choisir les supplémentaires (après avoir choisi les cinq) comme éléments de support dans l’analyse de notre corpus ouvert. Et, sous le conseil de notre directrice de mémoire, nous avons soumis intégralement les huit dans notre analyse. L’ensemble de ces discours (interactions) enregistrés et retranscris est confronté à notre expérience personnelle de passager et de chercheur intéressé depuis longtemps par ce fait social. 

[16]

Déroulement des observations

Une fois choisi les destinations, nous avons établi un calendrier qui tient compte des contraintes susmentionnées. Nous avons conduit notre observation dans huit autobus :

a) Frère Juno, Petit-Goâve – Léogane, le 28 décembre 2012, 10h00 – 10h41.
b) Sœur Hay, Léogane –Port-au-Prince, Le 28 décembre 2012, 11h45 – 12h50
c) Sœur Julienne, Pétion-ville  -  Port- au - Prince, Le 31 décembre 2012, 10h42 – 11h10
d) Jean, Port-au-Prince – Petit-Goâve, le 31 décembre 2012, 15h50 – 16h27
e) Christian, Port-au-Prince – Pétion-Ville (via Bourdon), le 09 Janvier 2013, 11h00 – 11h25
f) John, Pétion – Ville -  Port-au-Prince (via Delmas), le 09 Janvier 2013, 12h15 – 12h23
g) Laventure, Pétion – Ville -  Port-au-Prince (via Delmas), le 09 Janvier 2013, 12h24 – 12h35
h) Frère Dodo, Pétion-Ville – Port-au-Prince (via Delmas), le 10 janvier 2013, 14h00 – 14h27 (début de la vente à 14h17).
i) Hilaire, station de Pétion- Ville – Port-au-Prince, le 10 Janvier 2012 (3mns)
j) Nailinie, Port-au-Prince – Léogane, le 11 Janvier 2013, 16h00 – 17h30.


Le choix des bus se fait au hasard. Quand nous sommes arrivé aux stations de bus, nous avons choisi celui qui est prêt à partir tout en évitant de tomber sur les mêmes agents de marketing. Dès l’entrée, nous nous sommes entretenu avec l’agent présent pour lui informer de notre mission et lui demander la permission d’enregistrer sa voix et obtenir ses coordonnées pour d’éventuelles suites dans les recherches. Au cours de cette prise de contact, nous leur présentons notre objectif et leur expliquer succinctement comment leur voix va être utilisée dans le cadre du travail : simple retranscription pour l’analyse.

[17]

Ensuite, pendant que nous procédions à l’enregistrement des interactions verbales, nous avons profité pour prendre des notes sur le comportement des agents et des passagers pendant la période de la vente. Cette note inclut tout ce qui attire notre curiosité de chercheur tel que les regards, les gestes, les mimiques, les rires et sourires, la voix, etc. jusqu’à la fin de la vente. La durée des observations varie en fonction de la nature des interactions et aussi de la durée du trajet. Elle s’étale en moyenne entre trois et quatre-vingt-dix minutes. Nous continuons à suivre des interactions dans les bus, même après la clôture officielle de la vente. Ce qui nous a permis de comprendre la manière implicite de gérer les tours de parole entre les agents et les passagers. En effet, nous avons remarqué que les interactions diverses ne sont faites à plus haute voix quand l’agent présente leurs produits. C’est une sorte de concession pour favoriser la tâche des marchands en ménageant leurs voix, donc leurs dépenses d’énergie. 

Présentation du corpus

Nous enregistrerons les interactions verbales des agents, plus spécialement, et des passagers au cours des séances de vente. Ces données collectées seront en suite transcrites selon un code de transcription simple [9]. Puis, nous procéderons à une analyse de discours avec un corpus ouvert en vue d’établir de rapports avec d’autres observations personnelles et réalités du pays évoquées dans les interactions. Lesquels rapports seront analysés avec des outils de l’analyse du discours pour mieux exploiter la richesse de notre corpus. Il est donc constitué de dix séances variées selon le temps et le trajet. Nous avons choisi dix agents différents dans des trajets variés. Nous avons choisi de retranscrire complètement quatre séances pour donner, en annexe, la façon dont les textes sont retranscrits. Toutes les séances sont effectuées en créole haïtien ; ce qui nous oblige à traduire en français les extraits qui nous servent d’exemples au cours de notre analyse.   

Structuration de l’analyse

Après avoir procédé à la retranscription de nos matériaux sonores, nous ferons une analyse globale avec des extraits tirés de chacune des séances, selon la catégorie d’analyse en [18] question, pour mieux faire ressortir les différentes stratégies employées par les agents et les attitudes récurrentes dans les autobus observés. Cette analyse consistera, entre autres, à confronter les différentes séances et d’établir l’ossature du « Discours » des agents de marketing en face-à-face dans le contexte du transport en commun en Haïti. L’ensemble des occurrences et leur organisation temporelle nous permettra de déterminer les rituels autour desquels se structure le « Discours » des agents. Bien que le corpus soit réduit, nous pensons que les éléments relevés seront plus ou moins représentatifs de la situation générale de la vente des produits dans le transport en commun en Haïti. Cette analyse sera présentée selon le déroulement des séquences de la vente. En effet, nous avons relevé trois grands moments dans l’organisation de la vente, à savoir, l’ouverture, le maintien des échanges autour de la vente et la clôture. Sachant que nous avons fait en sorte d’être dans le bus bien avant l’embarquement, nous tiendrons en compte deux autres parties concernant la pré-ouverture (la préparation à la vente) et l’après-clôture pour les agents qui restent dans le bus après la clôture « officielle » des interactions.

Limites du mémoire

Comme tout travail scientifique, ce mémoire ne prétend en aucun cas analyser toutes les stratégies de communication des agents de marketing dans les autobus en Haïti. C’est un travail qui gagnerait davantage s’il se donnait pour objectif de cibler les clients en vue de voir  en plus de la notion de besoin, quels autres éléments les auraient poussés à acheter. Un tel travail sur la réception nous emmènerait certainement à nous tourner sur la « préparation discursive » des agents. Ce qui signifie, au lieu de faire un travail d’observation d’analyse et d’interprétation des discours des agents de marketing, nous y intègrerions la production en « coulisse » de ces agents pour voir la valeur accordée par ces derniers dans les représentations planifiées pour offrir aux clients, qui forment avec eux les éléments centraux des interactions. Les contraintes de temps nous ont aussi empêché de faire des entretiens avec les agents ; ce qui nous donnerait à coup sûr plus d’informations sur la mise en scène de cette activité. Etant dans le domaine des sciences de l’information et de la communication, l’absence de plus de photos fait aussi défaut à ce travail qui montrerait comment, dans certains cas, les passagers interagissent avec les agents dans les bus. Cette contrainte est due à des facteurs de sécurité, car, dans certains cas, il nous était très risqué d’utiliser un appareil photo, et certains passagers y étaient hostiles.

[19]

Difficultés rencontrées

Nous avons fait face à plusieurs difficultés dans la réalisation de ce mémoire, au nombre desquelles nous noterons celles liées à l’accès au terrain. En effet, sachant que nous étions en Martinique au moment de choisir le sujet, nous devions nous rendre en Haïti pour collecter les données durant un voyage de vingt jours comportant les fêtes de fin d’année et l’Epiphanie. Ce qui signifie que notre accès au terrain était conditionné par le temps un peu serré. En plus de cela, nous noterons la difficulté de prise des notes pendant l’observation dans les autobus en marche dans des routes qui ne sont pas toujours de bonne qualité. Et, finalement, la traduction des extraits choisis constitue le problème majeur. Etant bilingue, la traduction personnelle des extraits peut causer des pertes d’informations dans l’essence des discours.  



[1] C’est nous qui définissons.

[2] Noclès Debréus « Les soins de santé en Haïti : une situation alarmante » 27/042012, disponible sur le site du journal Le Matin, consulté le 17 mars 2012.

[3] Le client dans le cadre de ce mémoire est employé pour parler des passagers susceptibles d’acheter les produits offerts par les agents de marketing. Nous parlerons incessamment de clients, passagers et acheteurs pour identifier, dans la plupart des cas, le public.

[4] Goffman, E., 1973, La mise en scène de la vie quotidienne : présentation de soi, Paris, Les Editions de Minuit, coll. « le sens commun ».

[5] Définition tirée du site : URL.

[6] Id. (l’écriture en gras est de l’auteur du site).

[7] Par rituel, nous entendons la répétition d’un ensemble de gestes et d’actes communs aux agents de marketing.

[8] Par représentation, nous entendons l’acte de vente et l’ensemble des facteurs sociaux et discursifs l’entourant.

[9] C’est-à-dire, un code qui ne tiendra compte que des éléments verbaux des interactions. D’autres éléments comme des pauses (significatives) longues, des éclats de rire, des regards seront aussi pris en compte dans certains cas.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 28 février 2015 12:48
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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