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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Patrice COHEN, “Nourritures dans la religion hindoue à l’île de la Réunion. Un langage alimentaire, support d’identité et d’altérité.” In Revue Historique de l'océan Indien, n° 10, 2013, pp. 69-92. Éditions. Graphica. Numéro intitulé : “Alimentation, rituel des repas et art de la table dans les pays du Sud-Ouest de l'océan Indien depuis le XVIIIe siècle.” Texte définitif avant publication. [L’auteur nous a accordé son autorisation le 25 septembre 2014 de diffuser ce texte en libre accès à tous dans Les Classiques des sciences sociales.]

Patrice COHEN
Maître de conférences en anthropologie à l’Université de Rouen

Nourritures dans la religion hindoue
à l’île de la Réunion
. Un langage alimentaire,
support d’identité et d’altérité.”

In Revue Historique de l'océan Indien, n° 10, 2013, pp. 69-92. Éditions. Graphica. Numéro intitulé : “Alimentation, rituel des repas et art de la table dans les pays du Sud-Ouest de l'océan Indien depuis le XVIIIe siècle.” Texte définitif avant publication.

Introduction
Dynamiques de l’hindouisme réunionnais
Prescriptions et proscriptions alimentaires
Nourritures animales proscrites et prescrites
Restrictions alimentaires
Le carême
Le cas du végétarisme

Nourritures rituelles et commensalité
Un support de langage rituel et de communication mnémonique
Rituels et offrandes alimentaires
Préparation et consommation des repas commensaux

Une matrice identitaire et d’altérité au sein de la société réunionnaise

Un vecteur de l’identité et des valeurs religieuses et communautaires
Un processus d’altérité culturelle : matrice d’interaction sociale et de relations avec autrui

Conclusion
Références bibliographiques

Introduction

Dans une analyse anthropologique de l’alimentation à l’île de la Réunion, j’ai eu l’occasion d’effectuer des terrains ethnologiques entre 1986 et 1995 sur la place de l’alimentation dans l’hindouisme réunionnais, parallèlement à mes autres travaux sur l’étude du système alimentaire à l’échelle d’un quartier créole (Cohen, 2000), et sur l’alimentation des enfants scolarisés (1997). En choisissant d’étudier le rapport aux aliments et aux pratiques alimentaires au sein de cette religion, il s’agissait de révéler tout un ensemble de représentations et de pratiques particulièrement signifiantes dans l’hindouisme en général (voir notamment Atchaya, 1998, 2002 ; Assouly, 2002 : 62-79) et dans l’hindouisme réunionnais en particulier. L’hindouisme, en effet, entretient une relation privilégiée avec la nourriture rituelle comme cela a déjà été étudié au travers des textes védiques (voir notamment Malamoud, 1989). À la Réunion, cette place a été maintes fois présentée au travers de la description ou de l’analyse des rituels [1], mais très peu à partir de l’analyse de la nourriture elle-même. À ce titre, la contribution de Christian Ghasarian (2004) sur « les représentations et les pratiques culturelles alimentaires »  des Tamouls de la Réunion apporte une synthèse intéressante à la suite de ses travaux fondateurs sur l’hindouisme réunionnais (1991). Ma démarche s’inscrit donc dans cette lignée, mais s’est construite dès le départ sur l’analyse des aliments et de l’alimentation dans la vie religieuse. Les objectifs de cette recherche est ainsi assez proche des travaux de Monique Desroches qui en tant qu’ethnomusicologue a consacré une grande partie de ses travaux - parfois en collaboration avec Jean Benoist - à la place de la musique dans les rituels hindous des Antilles (1982, 1996) et de la Réunion (1997, 2000), et qui en a retiré une analyse sur les processus identitaires (2000, 2005a et b).

Ce présent article fait suite à une première analyse (Cohen, 1996) où les pratiques alimentaires de la population réunionnaise hindoue originaire de l’Inde du sud étaient présentées au regard des autres cultures alimentaires sur le sol réunionnais, valorisant ainsi la pluralité des patrimoines culinaires et alimentaires de l’île. Il mobilise de façon plus systématique le terrain qui m’a fait assisté pendant plusieurs années (régulièrement entre 1987-1992 et épisodiquement lors de mes autres terrains réunionnais de 1995 à 1997) à de nombreuses cérémonies hindoues tant publiques, que de lignage ou domestiques. Ma présence dans les rituels hindous s’est accompagnée de relations suivies avec un certain nombre de familles réunionnaises originaires de l’Inde du sud [2] qui m’ont accueillies de façon très ouverte et qui m’ont initié à leur mode de vie tant religieux que profane. En m’appuyant ici sur ces données restées de longues années en jachère, je mobiliserai certains des travaux qui m’ont inspiré sur mon terrain et qui ont accompagné mes analyses par la suite.

En identifiant ici un certain nombre de domaines où l’aliment ou l’alimentation structure le rapport au religieux, au monde invisible (divinités, esprits) ou aux relations sociales, j’aborderai dans un premier temps ce que l’on peut définir de « langage » alimentaire de la religions hindoue à la Réunion, à partir des prescriptions et des proscriptions alimentaires, ainsi que des nourritures rituelles et des repas commensaux générés par les pratiques religieuses. Dans un second temps, je proposerai d’identifier ce langage alimentaire comme une matrice identitaire et d’altérité au sein de la société réunionnaise. Mais avant, il est nécessaire de souligner la complexité de l’hindouisme réunionnais parcouru par deux courants principaux, constituant des polarités structurantes de l’hindouisme réunionnais, celui de la « religion malbar » et du « Renouveau tamoul ».

Dynamiques de l’hindouisme réunionnais

L’hindouisme réunionnais a été étudié depuis les années 1980 à partir d’approches essentiellement historiques et anthropologiques. Les approches historiques ont précisé les conditions de l’implantation des populations indiennes à la Réunion (Lacpatia, 1982, 1986 ; Marimoutou, 1986, 1989 ; Prudhomme, 1985) et la structuration de ses caractéristiques religieuses sur le sol réunionnais (Lacpatia, 1990 ; Prudhomme, 1986). Les pratiques religieuses de ces Indiens se référaient essentiellement à un hindouisme populaire du sud de l’Inde, mais la diversité des pratiques et des cultes ont favorisé au cours de l’implantation de ces populations des pratiques religieuses réunionnaises, appelée par les adeptes eux-mêmes « religion malbar », fruit d’une certaine créolisation, et marquée notamment par des cultes sanglants. Par ailleurs les modes de vie des premières générations fortement marquées par la vie dans les plantations en tant qu’engagés ont favorisé des transmissions religieuses aux enfants issus d’unions mixtes, et ont dû composer avec la religion catholique, permettant ainsi des pratiques religieuses multiples, tout en se référant principalement à cette religion hindou en constitution. Le poids démographique de ces populations indiennes et leur grande influence dans la vie réunionnaise leur ont permis d’occuper une place de plus en plus importante à la Réunion, depuis la fin de l’engagisme et plus particulièrement depuis la départementalisation.

Christian Barat (1980, 1989), au travers de l’étude de la « religion malbar » a valorisé dans son œuvre ethnographique les caractéristiques réunionnaises, voire créoles de cet hindouisme, et tout en soulignant l’attachement des pratiquants aux pratiques et valeurs traditionnelles de leurs ancêtres. Toutefois, une indianisation et une recherche des sources indiennes se sont développées depuis les années 1980, au travers du développement des grands temples dans les villes côtières recrutant des brahmanes de l’Inde ou de l’île Maurice pour y officier, et de la volonté de créer davantage de ponts avec l’Inde, et notamment le monde tamoul. Ce mouvement du « renouveau tamoul », ainsi appelé localement, a ainsi  recomposé les pratiques des populations indiennes apportant une conception brahmanique et un idéal végétarien et non violent, et complexifiant l’hindouisme réunionnais. C’est cette dynamique sociale, culturelle et religieuse en construction que Jean Benoist (1981, 1986) a étudié au travers des dynamiques sociologiques et culturelles strictement locales de l’hindouisme réunionnais. L’articulation entre le religieux, le magico-religieux et les recours thérapeutiques ont favorisé la diffusion des pratiques et des valeurs indiennes dans la société réunionnaise. Toutefois, l’hindouisme réunionnais n’est pas unique et il trouve une histoire similaire avec les hindouismes tamouls pratiqués par exemple aux Antilles ou à l’île Maurice que Jean Benoist (1998) a défini d’hindouismes créoles.

Christian Ghasarian (1991), de son côté, dans son étude d’une population malbar, revendiquant une endogamie entre Indiens depuis leur arrivée familiale à la Réunion se réfère à des valeurs centrales de l’hindouisme (honneur, chance et destin) et apporte des analyses précieuses sur l’évolution de l’hindouisme à la Réunion. Yolande Govindama (1990, 1992, 1993a&b, 1997, 2000) dans une approche ethno-psychanalytique des rituels hindous insiste sur la conservation de conceptions et de pratiques tamoules pouvant se référer à des textes védiques. De façon plus ponctuelle, Georges-Guy Lourdeaux (1979) a apporté une analyse ethnographique et impliquée (à partir de sa propre expérience de pénitent) de la marche sur le feu, et Marie-Georgette Lallement (1983) étudie les significations des rites tamouls.

Les référents hindous à la Réunion se sont ainsi complexifiés pour faire apparaître au moins deux courants principaux, les tenants d’une tradition religieuse héritée des ancêtres arrivées à la Réunion, la religion malbar, et une religion hindoue puisant dans ses racines indiennes tamoules dans une volonté de réindianisation et de revalorisation des pratiques hindoues au sein de la société réunionnaise et française (Ghasarian, 1991). Mais, ces courants coexistent au sein des familles et même dans la vie des individus créant de la fluidité dans les dynamiques sociales et religieuses, entretenant aussi des tensions, des controverses, des conflits dans la façon de vivre et penser la religion. Au XXIe siècle, c’est cette bipolarité qui anime encore les débats dans l’hindouisme réunionnais, révélant ainsi des processus successifs d’acculturation, de créolisation et de reformulations identitaires comme le souligne Christian Ghasarian (1999, 2002).

Au bilan, l’ensemble des auteurs cités ici ont apporté une grande richesse dans l’analyse de la dynamique des faits religieux du monde hindou réunionnais. Par ailleurs, chacun des auteurs ayant fait un terrain ethnographique prolongé (Barat, Benoist, Govindama, Ghasarian) ont apporté des descriptions très précieuses pour l’étude de la place des aliments et de l’alimentation dans l’hindouisme réunionnais dans leurs rituels.

Prescriptions et proscriptions alimentaires

À la Réunion, deux interdits alimentaires majeurs – et le plus souvent permanents – concernent les populations hindoues à la Réunion : celui de la viande du bœuf et celui de la viande de porc. Le premier fait référence à la pureté de la vache, le second à la saleté du cochon. Et des restrictions alimentaires temporaires ou définitives sont suivies dans le cadre des carêmes ou de l’adoption du végétarisme.

Nourritures animales proscrites et prescrites

Animal sacré par excellence dans l'hindouisme, le bœuf est considéré pur par rapport aux être humains [3]. La religion interdit d'en manger et a donc édicté un tabou vis-à-vis de tous les hindous, toutes castes confondues (Voir notamment Assouly, 2002 : 62-79). Suivi normalement par tous les pratiquants de l’hindouisme à la Réunion, cet interdit est à la source de nombreuses représentations et discours sur la vache et son essence divine (Voir notamment Lallement, 1983 : 21). Elle est d’ailleurs célébrée à la Réunion au cours de la fête de Mattou Pongal, cérémonie de l’hindouisme réunionnais et qui marque le début des récoltes dans le Tamil Nadu. Par ailleurs, cet interdit a certainement servi d’élément de distinction et de ralliement identitaire par rapport à la société coloniale (Lallement, 1983 : 21). Dans la pratique de l'hindouisme en Inde cinq produits du boeuf  - lait, lait caillé, beurre clarifié, urine, bouse - (Simoons, 1974) servent à purifier personnes, ustensiles de cuisines, ou tout objet souillé par des éléments impurs. A la Réunion, l'utilisation des produits du bœuf dans le but de purifier se retrouve aux détours des cérémonies, par exemple le lavage des statues des divinités avec du lait, l’urine de bœuf sur le pénitent avant qu'il ne traverse le feu à la fin de la fête des « dix-huit » jours. Le lait, le ghee sont par ailleurs des composants centraux des mets cérémoniels proposés en offrandes aux divinités et mangés par les fidèles.

L’interdit de cochon à l'inverse du précédent ne représente pas un tabou mais une préservation de la pollution occasionnée par le cochon et la consommation de sa viande. Il s’agit ici de se préserver de la saleté attribuée à cet animal. Néanmoins, cet interdit est moins systématique que celui du bœuf. Il ne s’est généralisé qu’au cours de la structuration de l’hindouisme réunionnais. Il est mentionné dans les documents d’époque l’existence de nombreuses charcuteries tenues par des Malbar dès le début de l'engagisme au XIXe siècle (Marimoutou, 1989 : 234). En fait, d’un coût abordable, la viande de cochon a été régulièrement consommée par les engagés indiens, qui dans leur très grande majorité n’étaient pas végétariens. Cette habitude s’est perpétuée jusqu’à très récemment [4]. Certains de mes informateurs interprètent l’arrêt progressif et massif de la consommation de la viande de cochon à l’accessibilité grandissante de viande à meilleur marché (notamment volailles) qui a permis une substitution des viandes [5], et l’on pourrait identifier ici le rôle croissant des sentiments identitaires de malbarité ou d’indianité [6].

Restrictions alimentaires

Les recherches faites sur l’hindouisme réunionnais s’accordent pour identifier les pratiques de carême, comme structurantes du rapport au sacré et de la vie quotidienne. Si le carême sert à opérer la transition du monde séculier et profane à un temps sacré (Ghasarian, 2004 : 144), il sert aussi de référence à l’idéal alimentaire du végétarisme se développant avec les formes orthodoxes et philosophiques de l’hindouisme réunionnais.

Le carême

La notion de carême fait référence à la fois à celle de sacrifice et de pureté. Il consiste en une restriction alimentaire temporaire ou définitive [7] à base d’un régime végétarien ;   une différenciation entre le pur et l'impur oppose aliments, attitudes morales et comportements quotidiens à suivre ou à proscrire. Le monde se trouve alors divisés en deux : un identifié au monde des divinités ou de leurs émanations (pur), un autre qui est source de pollution (impur). La ligne de partage entre ces deux mondes peut varier en fonction du type de carême et de l'implication de la personne et de a famille dans la religion, et des divinités honorées et sollicitées.

La notion de sacrifice, le plus souvent associé à celle de vœu (« promesse ») donne une dimension pragmatique et utilitariste au carême. Il s’agit de se contraindre (sacrifice) en établissant un engagement (promesse) auprès d’une divinité afin de lui demander son intervention (ou de la remercier) dans la résolution de problèmes (maladies, conflits, problèmes de couples, de familles, etc.), ou pour la réalisation d’un objectif précis (réussite d’un examen, obtention d’un travail, d’une promotion, d’un contrat, réalisation d’un mariage auspicieux, etc.).

L’existence de carême dans le quotidien des personnes et des familles est la résultante d’engagements familiaux – voire de lignage – qui peuvent se transmettre des parents aux enfants, d’engagements qui concernent une promesse conjointe de deux ou plusieurs personnes [8], d’engagements personnels, et des engagements liés aux rituels religieux domestiques ou publics. Ces carêmes sont le plus souvent conseillés par un pusari qui donne la durée et le type de carême et qui identifie la divinité à solliciter. Certaines fêtes et cérémonies religieuses s’accompagnent d’une durée de carême relativement standardisée à la Réunion [9] qui peut varier selon l’existence ou non d’une promesse [10]. Néanmoins, des personnes connaissant bien leur religion peuvent décider elle mêmes d’initier un carême après un rituel, une prière auprès de la divinité choisie. Par ailleurs, une personne qui décide d’assister à une cérémonie domestique ou publique est tenue à « être pure », à être « claire » et doit faire un carême en conséquence [11]. Certains carêmes peuvent être effectués systémiquement à une périodicité qui a du sens pour la personne (par exemple une fois par mois, une fois par an) et ils ont le plus souvent une fonction propitiatoire : « C'est pour éclaircir le mois » disent certains informateurs [12].

Les carêmes correspondent à un régime alimentaire végétarien qui exclue la consommation de chair animale (viande, poisson, oeufs), d’alcool et de tabac et qui proscrit la gourmandise, et sont soumis à l’interdiction des relations sexuelles. Néanmoins dans la logique de la pratique sacrificielle, les carêmes peuvent être plus contraignants, notamment lors des carêmes précédant les grands rituels de la marche sur le feu ou de celui du kâvadi, qui constituent les fêtes sacrificielles majeures à la Réunion. Par ailleurs les enjeux de certaines pratiques rituelles nécessitent de renforcer les obligations lors des carêmes précédant les cérémonies. C’est le cas des prêtres ou celui des coupeurs de cabris et de coqs avant les rituels. Le prêtre est le garant du bon déroulement des cérémonies et suit un carême le plus souvent très strict qui se rapproche des carêmes des grandes cérémonies sacrificielles. Le coupeur de cabri a la responsabilité du bon déroulement du sacrifice animal (le cou des animaux doit être coupé d’un seul coup de sabre), et un carême très strict (comme le prêtre) de plusieurs jours précède le jour du sacrifice, afin que son « coeur soit suffisamment clair ou pur ».

Le cas du végétarisme

Il semble qu'au début de l'engagisme, le végétarisme n’était suivi que par une petite partie de la population indienne. Mais  les rythmes de travail  et le contact avec des engagés se nourrissant de viande a certainement fait disparaître cette pratique (Marimoutou, 1989 : 234). Ainsi la pratique du végétarisme chez les Réunionnais d’origine indienne a subi plusieurs phases évolutives : (a) une quasi-absence de végétarisme jusqu’à l’arrivée des premiers prêtres de grands temples venant de l’île Maurice ou d’Inde, (b) une diffusion progressive du modèle végétarien chez les fidèles des grands temples et à travers le renouveau religieux dit « tamoul », et (c) une diffusion différentielle du modèle végétarien à toutes les couches de la population indienne de la Réunion.

Il ne s’agit pas d’un végétarisme systématiquement collectif et homogène. Il procède plutôt de choix individuels ; qui peuvent éventuellement s’étendre aux proches (conjoint(e), enfants, parents, amis, voisins, etc.) par un partage des mêmes valeurs. La pratique du végétarisme n’est donc pas homogène au sein des familles. Elle concrétise une volonté de différenciation avec les pratiques passées et elle est associée à une valorisation sociale sur le principe de la hiérarchie de la pureté. Hasan (1971 : 59-71) – qui a étudié l’évolution d’un village de l’Inde du nord - considère que le passage individuel au végétarisme des individus des basses castes constitue la première étape  de la "sanskritisation" pour sa communauté. L’adoption du végétarisme marque donc la volonté d’une identification aux pratiques des castes supérieures, et de ce fait accompagne le processus de mobilité sociale ascendante. Cette analyse peut être appliquée à la Réunion où le végétarisme est fortement associé au Renouveau tamoul.

Dans les années 1990, il y avait une forte réaction des prêtres malbar vis-à-vis de leurs coreligionnaires qui adoptaient le végétarisme. Certains se sentaient déclassés par les nouveaux fidèles des prêtres brahmanes et ils pensaient que leur pouvoir religieux était remis en question. Par ailleurs, ils se sentaient les garants de l’authenticité religieuse de la tradition face à l’implantation d’une religion qui leur semblait nouvelle, venant de l’extérieur, et pratiquée par les hindous considérés comme nantis. Cette opposition s’est souvent associée à un conflit de classe sociale, les prêtres malbar défendant les valeurs des populations réunionnaises pauvres – Réunionnais la misère – face aux Réunionnais en pleine ascension sociale (économique, politique, éducative, etc.), pouvant être taxés d’opportunistes. En retour, les nouveaux végétariens, se sentaient d’autant mieux intégrés dans la société réunionnaise que leur position sociale les distanciait des pratiques rituelles sanglantes des temples de plantation (sacrifices d’animaux). En affirmant une identité indienne ascendante, ils accédaient ainsi à la fois à leur positionnement supérieur dans l’échelle des valeurs des  pratiquants de l’hindouisme, et à une meilleure reconnaissance dans la société réunionnaise, comme l’a bien montré Christian Ghasarian (1991).

Selon mes observations, l’adoption du végétarisme est souvent précédée par des pratiques récurrentes de carême qui donne l’envie et la motivation d’arrêter de manger complètement de la viande. Des liens concrets entre carême et végétarisme s’inscrivent ainsi dans les pratiques individuelles. Néanmoins le modèle végétarien au fil du temps a pris une place sociale de plus en plus grande, et certains prêtres malbar tentés par cette ascension sociale sont devenus eux-mêmes végétariens et ont supprimé les sacrifices d’animaux dans leur temple. En contrepartie, la pratique du végétarisme peut s’adapter au contexte. En effet, nombreuses sont les personnes se disant végétariennes qui se permettent de manger les offrandes carnées d’une cérémonie des temples de plantation ou de moyennes pentes. J’ai pu remarquer aussi que selon les itinéraires personnels, les expériences de vie, le végétarisme était conçu comme une étape de vie, un passage vers une autre vie. Pensé comme définitif, il peut être interrompu pour des raisons familiales, de travail, ou de choix personnel. Ainsi, la période du végétarisme est souvent interprétée a posteriori comme un long carême. Par contre, les périodes de végétarisme (définitif ou transitoires) peuvent être vécues comme un véritable engagement spirituel tourné vers une mystique construite au gré des rencontres à la Réunion,  ou des lectures, ou même de voyages à Maurice ou en Inde, voire en France métropolitaine (où les spiritualités indiennes, hindoues, asiatiques sont présentes).

Nourritures rituelles et commensalité

La nourriture est considérée dans la religion hindoue comme un intermédiaire rituel entre les hommes et les dieux, au même titre que les fleurs ou la musique [13]. Elle intervient dans les offrandes faites aux dieux, et est consommée par les humains après sanctification par la prière. La tradition malbar a conservé des rites villageois de l'Inde du Sud et sacrifie des animaux (cabris, coqs) en honneur de certaines divinités. La chair de ces animaux sacrifiés est préparée selon des recettes codifiées qui entrent dans les offrandes, et est consommée par la suite par les fidèles. Des repas collectifs ont lieu au temple ; ils remplissent une fonction sociale très importante et permettent de conserver le traditionnel repas sur feuille de bananier, mangé avec la main, comme cela se fait quotidiennement en Inde du Sud. L'importance de la nourriture préparée à des fins religieuses a ainsi permis la perpétuation de nombreuses préparations culinaires, en conformité à des modèles sud-indiens, comme Christian Ghasarian le rappelle (2004). Cette tradition alimentaire s'est diffusée dans de nombreux milieux créoles : certaines préparations ou ingrédients ont même été intégrés au patrimoine culinaire créole, mais ils restent marqués par la spécificité des Malbar, des Tamouls, voire des Indiens de la Réunion[14].

Un support de langage rituel
et de communication mnémonique


À travers ce langage symbolique et rituel, une véritable relation au monde peut être identifiée. En considérant les dimensions sémiotiques et mnémoniques de la nourriture rituelle, c’est en effet – pour reprendre les termes d’Arjun Appadurai (1981) - un encodage et une mémorisation visuelle, olfactive et gustative de la mise en scène rituelle. Ainsi, selon cette grille d’analyse, la nourriture permet – avec les autres offrandes, mais de façon encore plus émotionnelle et sensible -  aux fidèles de s’approprier le sens et le déroulement des rituels en ayant accès à des empreintes et à des signes rituels qui font sens. La production de nourriture et sa consommation dans l’hindouisme constitue des enjeux sociaux qui permettent de rassembler ou au contraire de diviser les acteurs sociaux en jeu : partager les mêmes nourritures rituelles ou des repas après rituel, faire un carême au même moment ou au contraire de mettre en danger sa famille, son lignage, sa communauté part un carême mal fait, envoyer un mauvais sort par l’intermédiaire d’un rituel qui fixe un démon ou un mauvais esprit par sa nourriture (Appadurai, 1981).

Pour l’hindouisme dans les espaces créoles et notamment à la Réunion, Jean Benoist (1998 : 134) insistait sur le fait que tous les participants de cérémonies publiques ou privées maîtrisent à la fois ce qu’il a appelé le « vocabulaire » (les éléments signifiants) et la « grammaire » (la combinaison des éléments signifiants) des rituels ; même si la maîtrise des « séquences signifiantes » est attribuée aux spécialistes, au pusari (prêtre malbar) ou au père de famille (pour les rites familiaux). Par vocabulaire, il entend « tous les éléments qui servent à construire la cérémonie : les objets (camphre, bananes, encens, accessoires divers, etc.) ou les signes (couleurs, noms des divinités, orientation dans l’espace, position du corps, des mains, etc.) ». Par grammaire, il définit « toutes les règles de combinaisons de ces éléments : ordre de succession des offrandes et façon de les déposer, séquences gestuelles dans les prosternations, dans la façon de « faire tourner » le feu de camphre et de « boucaner » (encenser) les représentations de la divinité, dans les interdits alimentaires et les purifications préalables, dans la lecture des liens entre les divinités et leurs symboles, qu’il s’agisse de sculptures ou de peintures. »

Ainsi, selon cette grille d’analyse, la nourriture permet – avec les autres offrandes, mais de façon encore plus émotionnelle et sensible -  aux fidèles de s’approprier le sens et le déroulement des rituels en ayant accès à des empreintes et à des signes rituels : comme notamment l’histoire du peuplement, les caractères et les fonctions des divinités et des esprits, les relations entretenues entre ces entités, les relations sociales entre les fidèles et éventuellement ceux qui vont bénéficier de la nourriture rituelle sans avoir pratiqué (cas des invités au grand repas collectif après une cérémonie publique des temples ou après une cérémonie familiale). Comprendre ainsi le sens et les fonctions de la nourriture des dieux et des esprits nécessite de prendre en compte divers niveaux d’analyse : les définitions de ces entités et les relations hiérarchiques ou sociales qui existent entre elles, les relations (subies ou choisies) entretenues entre les pratiquants (et plus généralement les croyants) et ces entités, et la façon dont les rituels constituent un véritable langage afin d’instituer un ordre symbolique entre les fidèles et ces divinités.

Alors que selon les lieux et les pusari, il existe une certaine variabilité dans les pratiques rituelles ainsi que dans les noms utilisés pour nommer de mêmes divinités, la grammaire rituelle des grands temples ou des anciens temples de plantation semble procéder des mêmes principes structuraux. La hiérarchie relative du pur et de l’impur est régulièrement présente dans toutes les phases cérémonielles, mais les discours des pusari ou des pratiquants interrogés ne laissent pas apparaître une logique intrinsèque globale de cette grammaire. Les actions de reproduire, d’imiter et de transmettre laissent parfois la place à des innovations ou des oublis mais tous les observateurs de ces pratiques remarquent leur étonnante similitude avec les pratiques observées en Inde du sud au vers la fin du XIXe siècle et début du XXe siècle. Les pratiques religieuses n’étaient pas homogènes et étaient soumises à des variabilités géographiques, de localités, et de castes. Néanmoins, les observateurs de cette époque - notamment Whitehead (1976) et Ziegelbag (1869) - identifient des influences des pratiques religieuses des temples brahmaniques sur les celles des temples villageois. Ainsi des innovations, des syncrétismes se sont opérés au début de l’implantation des Indiens à la Réunion. Mais il semblerait qu’une grammaire se soit construite et que les pratiques fixées à la Réunion se sont transmises fidèlement de génération en génération.

Rituels et offrandes alimentaires

L’hindouisme qu’il soit indien (grande et petite tradition) ou réunionnais (des grands temples et des temples de plantation) est marqué par la personnification des entités non humaines (non vivantes) qui ont entre autres la particularité de « manger » les offrandes alimentaires qui leur sont offertes. Ces offrandes au même titre que les fleurs ou la musique contribuent à ancrer les relations entre les humains et le monde invisible (des divinités, des esprits) autour de symboles bien codifiés. Ce « nourrissage » des divinités constitue ainsi le but des rituels hindous afin de garantir l’ordre socio-cosmique (Govindama, 2000 : 57). Il intervient pour honorer la divinité, lui demander son intercession ou sa protection ou encore pour la remercier. Omniprésent dans les rituels, il est à l’image de la nature et de la place que la divinité ou l’esprit ont au sein du monde invisible. Pour concrétiser le rituel, les divinités « demandent » leur nourriture, ce qui a conduit Eichinger Ferro-Luzzi (1977) – dans le cadre de l’hindouisme du Tamil Nadu - a les considérer comme de véritables « gourmands » qui ont leurs préférences et leurs aversions culinaires. En retour, les offrandes alimentaires sont mangées par les participants au rituel, une fois que les divinités honorées aient accepté et « mangé » leur offrande (identifié lorsque le rituel est allé à son terme). Selon les références védiques, il s’agit du « prasad » correspondant à l’ingestion sacrée par la divinité. Cette nourriture « bénie » par la divinité et consommée par les humains participe au processus d’incorporation (à la fois au sens symbolique et matériel) du rituel et de la nature de la divinité, et raffermit le lien entre le participant et la figure divine. En se référant à l’hindouisme védique étudié par Charles Malamoud (1979), Yolande Govindama (2000, 66-67) souligne que, dans la logique du rituel védique, les humains ne mangent pas à proprement parlé la nourriture divine, mais plutôt ses « restes ».

La coexistence d’un hindouisme pratiquée dans les temples de plantation, véhiculant la tradition malbar, et d’un hindouisme brahmanique des grands temples des zones côtières a favorisé la stabilisation d’un panthéon hindou réunionnais autour des figures les plus célébrées ou les plus craintes localement. Jean Benoist (1998 : 97-130) pratique ainsi à l’identification de trois grandes catégories des dieux et des esprits (cf. figure ci-dessous)

Figure : Typologie des dieux et des esprits [15]


[OU]

Dieux des temples

  • Grands temples & temples de plantations : Agni, Suryan, Sivène ou Siva, Ganesh, Mourouga, Parvati, Karli, Idumbène
  • Végétariens dans temples de plantation : Mariamin, Pandialé, Arjuna, Alvan,
  • Carnivores dans temples de plantation : Karli, Idumbène, Mardévirin, Catareyen,

Dieux hors temples

  • Les 7 mini (chacune avec leur tempérament)
  • Kartéli-Petiaye (service « poule noire)
  • Les Kalpou (ambigus : maléfices)
  • Dinités & esprits privés : Koledivon (famille), Gouloudeivon (pusari)

Démons et mauvais esprits

  • Les Pey ou Pisaarsi (diable, bébêtes / âmes errantes)
  • Boudom (Bourdon) : démons isolés tenaces et dangereux

Ce schéma tente d’illustrer la remarquable analyse de Jean Benoist, en identifiant plusieurs lignes d’interprétations. L’histoire de la population indienne du sud à la Réunion et son intégration mouvementée et progressive dans la « société » réunionnaise (Benoist, 1981, 1986, 1998 : 235-279) a permis à la fois de conserver et de perpétuer des rituels issus du monde indien tamoul, tout en pratiquant une certaine créolisation de ses pratiques, tout en sélectionnant des figures divines qui ont joué des rôles importants dans l’histoire sociale de cette population et qui ont trouvé une place privilégiée dans l’hindouisme créole réunionnais. Les divinités sont régulièrement honorées, le plus souvent pour leur demander une protection à partir de cérémonies (services) qui ponctuent la vie religieuse autant au sein des grands temples que des temples de plantation, réunissant souvent de nombreux fidèles [16].

Parmi ce panthéon, une première hiérarchie sépare les divinités majeures [17] - qui ont trouvé leur place au sein des temples de plantation et des grands temples 1 et les divinités mineures non représentées dans les temples mais qui sont honorés pour les rites domestiques et familiaux, ou privés. Au bas de cette hiérarchie se trouvent les « démons », considérés comme des divinités de niveau inférieur avec un fort pouvoir de nuisance (convergence avec la notions créoles de « diable », d’ « âmes errantes », de « bébêtes »). Une deuxième hiérarchie sépare les divinités végétariennes de celles qui sont carnivores. Tout en révélant la nourriture des dieux (« mangé légume », « mangé viande »), cette catégorisation est à l’image de l’histoire sociale de l’implantation de la population d’Inde du sud à la Réunion. Si les cultes dans les grands temples sont exclusivement végétariens sous la responsabilité de Brahmanes, eux-mêmes végétariens et garants de la pureté religieuse, les cultes dans les temples de plantation associent des divinités végétariennes et carnivores selon les cérémonies et leurs phases, à l’image des cultes populaires ayant été pratiqués en Inde à l’époque des migrants tamouls. Toutefois, ces divinités sont considérées comme complémentaires dans l’hindouisme des temples de plantation ; les divinités végétariennes symbolisent la pureté, et les divinités carnivores sont identifiées comme plus puissantes pour agir et pour combattre les démons. Et cette nourriture carnivore concerne les autres catégories de divinités, qu’elles soient en dehors des temples révélant leur nature ambiguë (à la fois protectrice et dangereuse) ou les démons, dangereux par nature.

Au niveau des offrandes alimentaires, deux registres principaux peuvent être retenus, celui de la pureté (végétarien), celui de la puissance (carnivore).

Dans le registre végétarien, plusieurs logiques peuvent être retenues, en continuité avec les formes de l’hindouisme issues de l’Inde. Les offrandes de riz, de lait, de camphre, de fleurs, de fruits (noix de coco, bananes) constituent la base des offrandes habituelles dans les grands temples et dans les phases végétariennes des cérémonies dans les temples de plantation ou les temples domestiques. Le riz concentre par sa blancheur et par son symbolisme (nourriture par excellence) une nourriture pure et dotée de pouvoirs, sous toutes ses formes (simplement trempé, ou bouilli ou en association avec d’autres aliments végétariens) et s’avère ainsi un intermédiaire rituel d’une grande plasticité comme l’analyse Suzanne Hanchett (1988 : 63-64) dans le cadre de l’hindouisme dans toute l’Asie [18]. Par ailleurs, l’hindouisme reconnaît cinq produits issus de la vache à rôle purificatoire (voir notamment Simoons, 1974). Ces produits rentrent tous dans des phases rituelles dans l’hindouisme réunionnais [19]. Le lait, le lait caillé, le beurre clarifié sont utilisées pour les nourritures rituelles, contribuant à purifier les aliments qui leur sont associés ou à leur donner une charge de pureté supérieure (comme c’est le cas pour des offrandes aux dieux végétariens). Enfin, dans les nourritures et offrandes de l’hindouisme réunionnais, le miel et le sucre constituent des éléments incontournables des préparations alimentaires rituelles (notamment bonbon doux, bonbon au miel et dans diverses préparations à base de riz ou de manioc), et ceci pourrait se référer aux sous-produits de la vache, comme le suggère Simoons (1974 : 30).  L’urine et de la bouse – qui peuvent être utilisés en usage interne en association avec les trois autres produits – auraient été, à une époque indéterminée mais certainement après l’écriture des textes de référence, remplacées respectivement par du miel et du sucre [20] pour une forme édulcorée (moins puissante).

Il faut certainement chercher les autres composantes de la pureté rituelle dans la hiérarchie de pureté existant entre nourritures crues et nourritures cuites. Si la pureté intrinsèque des produits de la vache constitue une constante dans l’hindouisme, les autres aliments ont une pureté ou impureté relatives (Achaya, 2002 : 52 ; Simoons, 1974). Ils sont classés dans la tradition brahmanique de l’Inde ancienne à travers leur facilité ou leur difficulté à être pollués à travers deux types de nourritures, celles kachcha ou kaccha (facilement polluables), et celles pakka (ou pucca), difficilement polluables (Simoons, 1974). Les aliments pakka rassemblent l’ensemble des aliments crus (fruits, légumes, céréales, légumineuses) et l’ensemble des préparations faites avec des produits laitiers (lait ou ghee ou par substitution de l’huile végétale). Les aliments crus mangés tels quels (fruits, légumes) doivent par contre être protégés par une peau, une bogue, une cosse, une coque (etc.) qui leur sera enlevée juste avant leur consommation [21]. Les offrandes de fruits sont ainsi très certainement à classifier dans les nourritures pakka (difficilement polluables), car ils sont – pour les fruits les plus utilisés -  dotés de protection extérieure et ne sont préparés que par des personnes ayant fait un carême.

Les nourritures des divinités végétariennes sont, en dehors des fruits, toutes cuites. Si le feu constitue le plus haut degré de purification, la cuisson des aliments crus constitue par contre un risque potentiel à la cuisson ou au toucher. En Inde, une pollution peut intervenir si la cuisson se fait par une personne au statut de pureté inférieur à celui qui va manger, le brahmane étant le cuisinier le plus habilité pour cuire les nourritures les plus pures. C’est donc la nature du cuisinier qui va rendre la nourriture cuite végétarienne pure ou non. À la Réunion, la hiérarchie des castes étant moins opérante qu’en Inde, c’est la qualité et la longueur du carême du cuisinier et de ses aides – dotant la personne d’un degré de pureté – qui est mise en avant comme garantie des préparations rituelles. Toutes les préparations cuites ne comportant aucun produit de la vache sont ainsi dit kachcha, car potentiellement polluables (comme les fruits qui ne possèdent pas de protection extérieure). Cette opposition entre nourriture kachcha et pakka subit de nombreuses exceptions en Inde, et ne constitue qu’un modèle de référence. Toutefois, les hiérarchies de pureté générées par cette opposition peuvent servir ici comme grille de lecture des offrandes des divinités si l’on juxtapose à cette hiérarchie celle des aliments carnés issus des sacrifices d’animaux en l’honneur des divinités carnivores (considérées comme moins pures que les végétariennes). 

Les nourritures divines carnées de leur côté sont issues des rituels sanglants, supports de promesses, de demandes de protection ou de remerciements, auprès de divinités de temples de plantations (comme Karli ou Kali et Mardévirin, les plus répandus), ou de celles situées hors des temples au sein des rituels domestiques ou privés. Ces sacrifices d’animaux concernent exclusivement des boucs et des coqs, à l’exception du rituel de rite de passage consacrée à la déesse de la maternité, Petiaye.

En hommage à la divinité ambiguë, Karli, une cérémonie sanglante [22] lui est consacrée chaque année dans de nombreux temples, et constitue la fête des divinités carnivores, en intégrant d’autres divinités dans les rituels comme Mardévirin ou Minispren (Benoist, 1998 : 175). Elle constitue à la Réunion autant un événement religieux fort (où des promesses individuelles et collectives sont formulées) qu’un événement social important parmi les fidèles (organisation de la journée, des sacrifices, préparation des offrandes et des repas) et intégrant les voisins et des invités de marque pour le repas clôturant la cérémonie. Le nombre des animaux sacrifiés (boucs et coqs) qui peut aller jusqu’à plusieurs centaines [23] contribue au prestige de la cérémonie et de ses organisateurs. Les divinités habituellement végétariennes qui font partie des temples de plantation peuvent recevoir le produit des sacrifices des animaux comme offrandes, mais c’est Karli qui reçoit la plupart des offrandes. Dans une logique rituelle, la préparation de la viande issue des sacrifices constitue un moment fort. La cuisson des viandes de cabris ou de coqs bénis par les divinités apporte une purification supplémentaire. Elle est soumise ainsi à un soin extrêmement attentif, afin de retirer toute trace de sang. Des morceaux de viande et de foie grillés sont offerts en tout premier aux divinités.  Et plusieurs types de préparations culinaires sont effectués, dont les plus connues sont le massalé cabri, et le massalé coq qui constitueront la base des repas commensaux de fin de cérémonie.

L’exemple du rite de la poule noire offre un exemple des rituels de protection des rites de passage avec une nourriture divine très particulière reposant sur une histoire mythique.  Un rituel a lieu au seizième jour de la naissance de l’enfant, pour demander protection à Petiaye qui serait un avatar de Parvati, l’épouse de Shiva, et pour éviter à son avatar, Karteri de nuire aux enfants [24] (Benoist, 1998 : 167-170 ; Govindama, 1990 ; 2000 : 90 - 97). Après avoir présenté des oeufs crus à la divinité (en nombre impair), le rituel consiste à sacrifier une poule noire, qui est par la suite préparée sous la forme d’un « poulet massalé » (composé de la tête, du cou, des ailes, du thorax, la poitrine, les cuisses et parfois les pattes, et des abats) offert à la déesse par la suite. La déesse ayant eu sa part, seuls les participants au rituel peuvent manger l’offrande, scellant en cela une alliance avec la divinité qui doit être honorée régulièrement, afin d’éviter la nuisance de Karteri.

Préparation et consommation
des repas commensaux


Dans les préparations de nourriture au cours des cérémonies, deux activités principales sont effectuées, l’une lié au monde sacré (préparation des offrandes aux divinités), l’autre lié au monde social (préparation des repas pour les humains participant à la cérémonie ou y étant invité). Les deux activités sont liées, mais pas confondues. En effet, dans les plateaux d’offrandes, les padels, ne figurent qu’une petite quantité de nourriture offerte à la divinité, qui peut être mangé après la bénédiction de la divinité (notion de reste du « prasad »). Cette consommation par les participants se fait debout juste après la sanctification de l’offrande. Elle lie le fidèle à la divinité et lui permet d’effectuer une promesse, une demande ou un remerciement. Toutefois, les cérémonies familiales, dans les temples de plantation ou des grands temples se terminent toujours par un repas commensal, servi d’une façon générale sur une feuille de bananier et mangé à la main, en reproduisant en cela les codes des repas traditionnels en Inde du sud. Ce repas offert à une collectivité [25] (selon les types de cérémonie, la collectivité peut avoir un périmètre différent : monde familial, communautaire, des fidèles, ou encore ouvert au voisinage et aux invités) sanctionne la dimension auspicieuse de la cérémonie et raffermit les liens communautaires et sociaux, voire politiques lorsqu’il s’agit de démontrer le prestige des organisateurs par le nombre de convives et/ou par la qualité de la nourriture (cas des fêtes de Karli, par exemple).

Lors de certaines grandes fêtes, dans l’enceinte des grands temples ou des temples de plantation, se développe une intense activité de la préparation des nourritures divines et des repas commensaux. Une partie de ces temples est ainsi consacrés à la préparation des offrandes alimentaires et des repas (véritable pièce de cuisine ou lorsque que l’espace manque, foyers à même le sol). Ces activités culinaires sont intimement liées à l’activité rituelle au point d’en conditionner son existence et sa réussite. Ainsi, comme l’avait déjà analysé Charles Malamoud (1989) pour l’Inde védique brahmanique, le « cuire » et le « manger » sont non seulement le point central des rites hindous, mais aussi ils servent à définir l’esprit même des rituels au travers de la notion de sacrifice, dont la fonction est de « cuire le monde », ce que Max-Jean Zins (1998 : 411) a traduit par « non seulement la cuisine est un sacrifice, mais encore le sacrifice est lui-même une cuisine ». Plutôt qu’une métaphore, la « cuisson du monde » utilisé par Charles Malamoud constitue selon Francis Zimmermann (1991 : 79) une catachrèse, c’est à dire une extension de sens, ou « un écart par rapport au sens premier du mot cuisson (la cuisine), pour lui donner un nouveau sens propre qui est une conséquence du premier (la cuisine du sacrifice) ». Ainsi dans la pensée de Malamoud, « la cuisson des aliments a des conséquences cosmiques » et « le rite est une cuisson qui s’exerce sur les hommes qu’y s’y trouvent engagés et sur le monde autour d’eux » (Zimmermann, op.cit.).

Ces activités culinaires s’inscrivent dans une gestion collective dont certains auteurs ont déjà détaillé l’organisation. Dans les grands temples et la plupart des autres temples, les rituels sont gérés par des sociétés au statut d’association de loi de 1901, et portent souvent les noms des fêtes dont elles s’occupent particulièrement (Benoist, 1998 : 240). Ainsi « la chapelle, son association, ses donateurs, ceux qui la fréquentent plus ou moins épisodiquement deviennent alors un nœud de relations et d’identité (…) » (Benoist, 1998 : 243). La préparation de la cérémonie et des préparations culinaires s’organise en amont afin d’identifier les dons et les achats nécessaires pour la tenue de la cérémonie (Lallement, 1983 : 26). La préparation des nourritures divines et du repas commensal s’inscrit dans des codifications (recettes, quantités, cuisson, etc.) partagées par les organisateurs, qui peuvent être le support d’une identité familiale [26], ou plus largement communautaire. Elle est le lieu aussi de normalisation des codifications et participe à la conformité des pratiques, comme Christian Ghasarian (2004) l’a déjà analysé.

Les repas de fin de cérémonie est à l’extérieur du temps et de l’espace sacré, mais contribue à terminer le rituel. Pris sur de longues tables, en général dans des salles vertes, ces repas sont servis par les organisateurs de la cérémonie qui servent chacun des convives les différents plats sur une feuille de bananier. On y retrouve généralement dans la feuille de bananier différents composants servis sur un soubassement de riz blanc (en « piton » ou en « gazon », selon la quantité) recouvert des différents caris de légume ou de grain (le plus répandu celui du cari pois-citrouille), de massalé de cabri et/ou de coq (lors des fêtes à sacrifice d’animaux), et le plus souvent complété par du bouillon larson (ou rasam en tamoul, composé un bouillon de lentilles pimenté et épicé), versé sur le riz ou mis dans un gobelet, par des beignet pimentés à base de farine de lentilles (bonbon piments), et par des aplam ou aplon (appalam ou papadam en tamoul, galette croustillante et salée à base de farine de lentille). Le tout peut être accompagné d’eau pour les repas végétariens ou d’alcool pour les repas à base de viande (vin, rhum, etc.), et complété par des desserts sucrés comme le payassam (crème épaisse et sucrée à base de lait et de tapioca ou de fruit de sagoutier, de raisins secs, de cardamome et de cannelle, servie chaude), ou des beignets sucrés ou gâteau, comme les bonbons doux, les bonbons banane (ou palearlom en tamoul), les bonbons miel (ou sihlni en tamoul). La structure de ce repas est à la fois créole, montrant ainsi l’influence des habitudes alimentaires profanes du quotidien, mais composés de préparations culinaires fortement marquées par l’identité indienne et tamoule.

Une matrice identitaire et d’altérité
au sein de la société réunionnaise


Les règles et les codes religieux concernant l’alimentation, les aliments et les préparations rituelles contribuent à construire une matrice identitaire au centre d’enjeux sociaux, rassemblant ou divisant les fidèles, comme l’a déjà souligné Appadurai (1981) pour l’hindouisme en Inde. Par ailleurs, la population réunionnaise originaire de l’Inde du sud étant fortement implantée à la Réunion, a marqué culturellement l’île notamment par ses pratiques religieuses et magico-religieuses, par l’affirmation de son identité ou encore par ses préparations culinaires, ainsi que par l’utilisation d’aliments et de plantes venant d’Inde s’inscrivant progressivement dans le patrimoine culturel et culinaire réunionnais. Le rôle identitaire de l’alimentation et les relations d’altérité construites avec d’autres segments de la société réunionnaise participent ainsi à la construction d’un « vivre ensemble » alimentaire et culinaire, comme l’a déjà analysé Laurence Tibère (2005, 2006, 2008, 2009) pour la cuisine créole à la Réunion. Ces processus s’inscrivent dans les dynamiques culturelles et identitaires réunionnaises, source de construction de l’ethnicité, mais aussi de constructions dynamiques d’un patrimoine culturel réunionnais fait d’acculturation, de créolisation et de reformulations voire de réinventions identitaires (Ghasarian, 1999, 2002, 2004)

Un vecteur de l’identité
et des valeurs religieuses et communautaires


La relation à l’alimentation dans l’hindouisme réunionnais que nous avons décrite jusqu’à présent favorise le partage de valeurs, de représentations et de pratiques créant un sentiment d’appartenance commun. Mais elle structure les multiples façons de vivre son indianité à la Réunion, soit en référence à la religion malbar, la religion tamoule, ou en se référant à des pratiques importées plus récemment d’Inde ou de Maurice, ou encore à des pratiques spirituelles. En voici quelques exemples.

Les fruits, les aliments, les plats préparés comme offrandes et les repas commensaux consommés après les rituels contribuent à construire un patrimoine culinaire religieux qui s’exprime dans les cuisines familiales pour les rituels domestiques ou dans les temples de plantation ou dans les grands temples. La référence à l’Inde comme origine de la famille, du peuplement ou de la religion participe à rendre « indiennes » ces préparations culinaires. Elles constituent autant de repères identitaires intégrés dès l’enfance et qui participeront à identifier en dehors des rituels religieux l’indianité de ces préparations. Les fruits et les mets végétariens unifient les repères identitaires des tenants de la religion malbar et ceux de la religion tamoule au travers des recettes pratiquées dans les familles et transmises de génération en génération, comme les bonbons piments, les bonbons doux, le mangé-de-lait, le cari pois-citrouille, ou encore le bouillon larson.

Et c’est effectivement autour de cette opposition entre religion malbar et religion tamoule - qui est encore très forte dans la première décennie de ce XXIe siècle - ou encore à travers l’appropriation de nouvelles valeurs philosophiques et spirituelles indiennes que les identités alimentaires se diffractent, faisant apparaître au sein même des familles des relations différentes à la nourriture. Les préparations à base de la viande des animaux sacrifiés (cabris, coqs) sont devenues emblématiques de la religion malbar et de l’identité et de la tradition même des ancêtres dravidiens venus s’établir à la Réunion sous l’engagisme. Le massalé cabri et le massalé coq sont les préparations les plus connues – et qui ont dorénavant intégré le patrimoine culinaire réunionnais.  Mais il existe bien d’autres préparations plus discrètes mais très emblématiques pour les participants aux rituels ou aux repas commensaux : comme la viande et le foie grillés de cabri consommés juste après les avoir déposés en offrandes devant les divinités carnivores  ou encore le cari préparé à base de testicules de cabri servi en priorité aux hommes. De la même manière, l’idéal végétarien et celui de la non violence, structure le courant de la religion tamoule et de nombreuses références aux philosophies indiennes. Cet idéal influence les pratiques de carême, comme nous l’avons vu précédemment.

Les pratiques de carême, de leur côté, s’inscrivent dans la conformité attendue aux règles alimentaires et aux rituels religieux dans cet entre-soi. Elles sont source de préoccupations individuelles, familiales et collectives, favorisant le contrôle de soi mais aussi le contrôle social. Si les carêmes structurent les rythmes alimentaires, ils servent aussi de régulation des pratiques religieuses, et des relations sociales. En effet, un carême « bien fait » est considéré comme auspicieux, et inauspicieux un carême qui a subi des écarts dans les obligations ou dans les interdits. Les conséquences – selon les interprétations a posteriori - peuvent très fâcheuses pour ceux qui ont des responsabilités rituelles (prêtres, coupeurs de cabris, batteurs de tambour) et pour celles et ceux qui ont fait des promesses. Les premiers peuvent en subir directement les conséquences (maladies – voire mort - problèmes familiaux, conflits, etc.) et engagent leur collectivité (les fidèles, le lignage, les apparentés), tandis que les seconds subissent personnellement les conséquences (ils peuvent engager aussi d’autres personnes lorsqu’elles sont au centre des promesses). Ces sanctions sont au centre de nombreux discours délivrés par les pratiquants de carêmes. Et il est d’usage d’identifier différentes temporalités à ces sanctions. La première s’exprime lors d’une pratique sacrificielle dangereuse (marche sur le feu, kâvadi, marche sur les sabres, etc) qui peut blesser le pénitent (brûlures, coupures, plaies, etc.). Mais ces sanctions peuvent être identifiées après la cérémonie dans un temps plus ou moins long. Les « corrections » des divinités sont souvent perçues encore plus dures lorsqu’elles n’apparaissent pas au cours de la cérémonie. Une logique de malheur est alors identifiée chez la personne et sa famille qui peut se concrétiser dans tous les domaines de sa vie.

La peur de ces sanctions régule les comportements personnels (comme une sorte d’autocontrôle, mais toujours en relation avec les divinités) mais aussi le contrôle social. En effet, celles et ceux qui sont suspectés de mal faire leur carême sont socialement dévalorisés, voire accusés dans la mesure où leur carême implique d’autres personnes. Si les carêmes sont pratiqués pour dialoguer avec les divinités et pour des raisons pragmatiques, ils servent aussi de révélateurs des relations sociales et des normes qui régissent les vivants au monde des entités invisibles. Ce mécanisme suit les mêmes principes pour le culte aux ancêtres pratiqué par les Réunionnais indiens. Le « semblani », cérémonie annuelle de célébration des parents ou grands-parents décédés est toujours précédée elle aussi d’un carême. Tout écart à ce carême, ou tout manquement au devoir de faire ce rituel peut être interprété comme cause à toute infortune survenue après coup.

Un processus d’altérité culturelle :
matrice d’interaction sociale et de relations avec autrui


L’implantation des populations du sud de l’Inde à la Réunion est marquée dès le début de leur présence massive avec l’engagisme par des processus de créolisation culturelle et culinaire [27], et par des unions mixtes favorisant les transmissions religieuses malbar - et plus tard tamoul - à d’autres branches de la population réunionnaise. Par ailleurs, les rituels religieux ont marqué l’histoire de la société réunionnaise, de par leur visibilité publique, et ont contribué à donner des réputations magiques et magico-religieuses. Ainsi, le rapport à l’alimentation - à travers les carêmes, le végétarisme ou les prescriptions ou proscriptions alimentaires - les pratiques culinaires ou les offrandes alimentaires considérées comme « indiens », « malbar » ou « tamoul » contribuent à caractériser des relations et des rapports d’altérité au sein de la société réunionnaise. Cette altérité peut être considérée comme évolutive au gré de la revalorisation locale de la culture indienne, malbar ou tamoule, et contextuelle en fonction des nombreuses interactions sociales mettant en scène divers acteurs de la société réunionnaise. Ainsi, ces pratiques alimentaires religieuses peuvent être analysées comme autant d’éléments de ce « vivre ensemble » réunionnais, sources autant d’un patrimoine commun ou partagé que de révélateur des relations interreligieuses et interculturelles. En voici quelques exemples.

L’interdit du bœuf est devenu la spécificité des Réunionnais hindous (malbar ou tamouls), comme l’interdit du cochon pour les Réunionnais musulmans ou du cabri pour les Réunionnais d’origine malgache, comme cela est bien connu à la Réunion, et comme je l’ai déjà mentionné (Cohen, 1996, 2000). Ces interdits alimentaires sont devenus des indicateurs ou des révélateurs des origines ou de l’identité des personnes à la Réunion. Ils sont utilisés pour construire des catégorisations utilisées dans les relations sociales, et ils sont notamment pris en compte dans les cantines scolaires, permettant ainsi de créer des modalités du vivre ensemble dans la prise en compte des interdits de chaque religion. L’interdit du bœuf et la pratique du carême ne se réduisent pas forcément à la stricte communauté hindoue d’origine indienne, mais peut concerner aussi de façon permanente, temporaire ou événementielle des personnes ne se désignant pas forcément de malbar ou de tamoul, mais qui ont soit des ascendances indiennes, ou ayant recours à des rituels de protection, de remerciements ou de guérison utilisant le langage rituel hindou. Ces personnes ont accès aux repas commensaux consécutifs aux rituels religieux et donc accèdent à une partie du patrimoine culinaire religieux, en se familiarisant avec ce langage alimentaire codifié. Ceci « indianise » même temporairement ainsi une partie non négligeable de populations vivant à la Réunion, permettant ainsi des ponts entre religions et communautés.

Dans un autre registre, l’aversion pour le bœuf est par ailleurs souvent un signe d’interprétation de la possession d’une divinité malbar, ceci induisant des comportements malbar chez la personne possédée. Cette « infraction identitaire » constitue des inquiétudes fort répandues dans la culture créole où les divinités et les esprits malbar sont souvent assimilés au diable ou au démon, faisant craindre tout contact avec cette religion ou avec la population la pratiquant, et notamment avec ses objets rituels, ses offrandes ou sa nourriture rituelle ou profane. La peur d’être « arrangé » (ensorcelé) fait aussi référence à la croyance à la sorcellerie fort répandue à la Réunion, et la figure du sorcier malbar a marqué l’histoire de l’île, comme le sorcier malgache ou comorien. Ainsi, la peur d’être ensorcelé ou empoisonné par de la nourriture, véhiculée par une culture créole populaire, a-t-elle trouvé un ancrage tout particulier dans la crainte des Malbar. Dans l’étude d’un quartier créole des Hauts de l’île à la fin des années 1980, j’avais eu l’occasion d’identifier de véritables réseaux de sociabilité pouvant se créer et se défaire au gré de la confiance construite pour manger chez autrui ou de la nourriture donnée par autrui (Cohen, 2000 : 207-208). Cette délimitation des relations sociales par la nourriture participe ainsi à composer et recomposer les rapports sociaux selon les représentations de l’Autre.

Dans le domaine culinaire, la cuisine tamoule a contribué à la construction du patrimoine culinaire créole, notamment au travers de l’utilisation du piment et de ses préparations, mais aussi et surtout dans l’appellation même de certaines préparations emblématiques comme le cari et le rougail, dont l’origine des termes serait tamoule.  Mais l’exemple de la poudre de massalé constitue une illustration de l’intégration évolutive des recettes culinaires indiennes dans le patrimoine culinaire réunionnais. L’appellation massalé est dérivée du terme hindi « masala » (que l’on retrouve aussi en tamoul) qui signifie « mélange».  Il est utilisé pour définir un mélange de poudre d’épices utilisé en cuisine ou pour des préparations médicinales. Alors qu’en Inde, la poudre de masala fait référence à une très grande diversité de composition, celle de massalé, en caractérise une seule qui s’est stabilisé au fil du temps sur le sol réunionnais, constituant ainsi une sélection locale, et en fin de compte une « réunionnisation ». À la Réunion, ce mélange d’épices est resté pendant très longtemps une spécificité « indienne », préparé essentiellement par les populations originaires de l’Inde du sud. La valorisation de la culture indienne au sein de la société réunionnaise, le développement touristique et des circuits de distributions et le développement des livres de recettes réunionnaises ont contribué à inscrire cette poudre de massalé et ses préparations culinaires dans le patrimoine culinaire réunionnais, pouvant caractériser ainsi  une  variante du cari réunionnais. L’évolution de l’intégration du cabri massalé dans la cuisine réunionnaise, quant à elle, mérite une analyse particulière. Constituant un des plats préparés à l’issue des sacrifices d’animaux, cette préparation culinaire a été longtemps assimilée aux cultes sanglants des rites malbar. Nourriture commensale pour les pratiquants lors des repas consécutifs aux sacrifices, mais aussi pour tous les autres invités non indiens et non hindous, elle peut se parer aussi de valeur presque magique, source de valorisation pour les pratiquants, mais aussi à l’origine d’inquiétudes, voire de diabolisation pour les non-pratiquants. Grâce au développement du tourisme et de la valorisation de la culture réunionnaise qui se sont accélérés depuis la fin des années 1990, ce massalé s’est en quelque sorte « sécularisé » et constitue à l’heure actuelle un plat de choix valorisé autant dans les tables d’hôtes, que dans les restaurants ou dans les livres de recettes de l’île ou les sites internet sur la cuisine réunionnaise.

Conclusion

Cet article n’a bien sûr pas épuisé la richesse de la place de la nourriture dans la vie religieuse hindoue à la réunion. La lecture attentive des auteurs cités ici pourra apporter de nombreux autres détails et analyses, et il serait nécessaire de réactualiser et de compléter ces analyses avec la situation contemporaine du début du XXIe siècle.  Toutefois, il est proposé ici d’identifier un certain nombre de domaines structurant le rapport de cette religion - et de ses pratiquants – à l’alimentation et aux diverses nourritures. La vie religieuse est ainsi indissociable de représentations et de pratiques alimentaires. Christian Ghasarian (2004) a en retenu l’idée d’un patrimoine alimentaire vécu en conformité à des modèles sud-indiens, s’ancrant dans le respect de l’ordre du passé et de la religion des ancêtres. Toutefois, en tenant compte des dynamiques sociales et des évolutions et de la fluidité des hindouismes créoles, comme Jean Benoist (1998) l’a remarquablement démontré, il est proposé ici d’intégrer cette notion de patrimoine alimentaire dans une vision dynamique. En reprenant l’idée d’un langage alimentaire proposé par Arjun Appadurai (1981), cet article tente plutôt d’identifier une matrice structurante d’une culture alimentaire religieuse qui révèle - et selon les cas structure - non seulement les dynamiques de l’hindouisme de l’Inde du sud à la Réunion, mais aussi les nombreuses influences et interactions au sein de la société réunionnaise. C’est ainsi un va-et-vient constant entre dynamiques religieuses et dynamiques sociales qui est proposé ici.

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[1] Ces travaux sont présentés plus bas après l’introduction.

[2] Je suis extrêmement reconnaissant à l’ensemble des personnes et des familles rencontré sur ce terrain. M’accordant leur confiance et me gratifiant de leur sympathie voire de leur amitié, je leur dois le privilège d’avoir côtoyé de près ces pratiques religieuses. Je les remercie ici chaleureusement.

[3] Cf. origine du végétarisme et de la vache sacrée en Inde dans Mahias (1988 : 87).

[4] Voir Marie Valentin (1982 : 60) qui s’interroge en effet dans les années 1980 sur la consommation du porc chez les « Créoles d’origine indienne », en contradiction avec la prohibition de la saleté.

[5] Ce discours m’a été très souvent tenu par des prêtres malbar et par des pratiquants

[6] Les pratiques de carême, les contacts avec un hindouisme plus structuré et plus normatif venant de l’extérieur (île Maurice, Inde) ont certainement contribué à cet arrêt de la consommation de viande de cochon.

[7] Certains prêtres malbar interrogés disent qu’à force de faire des carêmes pour l’organisation des cérémonies, ils deviennent complètement végétariens.

[8] Selon mes observations, par exemple les deux membres d’un couple, la mère (ou le père) et un ou plusieurs de ses enfants, des membres de la famille élargie, des amis, etc..

[9] Par exemple : 18-20 jours pour la marche sur le feu, 10 jours pour le port du Kâvadi, 5 semaines pour la fête de Pelmal.

[10] Selon les pratiquants rencontrés : pour les fêtes de Mariemin (Marliemen) ou celles de Karli, 2 semaines pour les personnes qui font une promesse, et seulement une pour celles qui ne font qu’assister aux rituels.

[11] Selon la ferveur religieuse ou le contrôle social exercé sur les personnes, ces carêmes sont en général de un à trois jours.

[12] Certaines familles font  systématiquement un carême d’une semaine à chaque commencement de mois.

[13] Cf. les travaux de Monique Descroches (1982, 1996, 1997, 2000, 2005a, 2003b)

[14] Selon les appellations produites localement.

[15] Cette schématisation m’est personnelle mais reprend la typologie effectuée par J. Benoist.

[16] Si ces cérémonies sont détaillées dans les travaux de Christian Barat, Jean Benoist et de Yolande Govindama ou de Marie-Georgette Lallement, on trouvera un utile inventaire dressé par Christian Ghasarian (1991 : 91-97).

[17] De natures différentes : (1) les divinités génériques (Agni, le feu, ou Surien, le soleil), (2) des divinités personnalisées selon la lignée shivaiste ; Shiva lui-même, ses deux garçons, Ganesh (dieu à la tête d’éléphant), et Mourouga (dont le culte est spécifique des grands temples et célébré par la fête des 10 jours), Parvati, la femme de Shiva, et Karli, sa  manifestation ambiguë, mais puissante, (3) des divinités liés à des histoires mythiques : le Mahabharata et l’histoire de Pandialé, élevée au rang de divinité à l’occasion de la marche sur le feu.

[18] Suzanne Hanchett (1988, 63-64) considère que le riz est le médium le plus plastique dans tous les rituels hindous et qu’il constitue dans toute l’Asie au sein des rituels un médium symbolique très puissant.

[19] Le lait de vache et le ghee (nèy en tamoul) - et dans son extension des huiles végétales - servent à purifier les représentations des divinités (morceaux de pierres, statuettes, etc.), l’urine est utilisée dans la marche sur le feu où elle est mélangée à du lait ou à de l’eau de mer pour baigner les pieds des marcheurs. 

[20] Il faut peut-être y voir une substitution par similarité, les couleurs du miel pouvant  être assimilées à celles de l’urine, et le sucre qui dans sa forme habituellement utilisée dans l’Inde rurale – une mélasse brune cristallisée – ressemble à la bouse de vache.

[21] Les fruits les plus connus dans ce domaine sont les noix de coco et les bananes qui font partie intégrante des rituels hindous autant en Inde qu’à la Réunion et qui ont eux aussi un symbolisme spécifique. Mais, d’autres fruits sont utilisés, comme  des mangues, des oranges, des pommes, des melons, voire du raisin, etc.

[22] Pour une analyse de cette cérémonie, voir Benoist (1998 : 175-177).

[23] Certaines cérémonies auxquelles j’ai assisté au début des années 1990 ont compté jusqu’à 400 boucs et près du double de coqs.

[24] Pour le rituel de la poule noire, voir aussi Christian Ghasarian (1991 : 92-94 ; 2004b).

[25] Selon les types de cérémonie, la collectivité peut avoir un périmètre différent : monde familial, communautaire, des fidèles, ou encore ouvert au voisinage et aux invités.

[26] On trouvera de nombreux exemples dans la description des rituels familiaux et domestiques effectués dans l’ensemble des travaux de Yolande Govindama.

[27] Notamment au travers de la langue créole comme outil de communication,  et les habitudes alimentaires qui se créolisent en adoptant des manières de table et des préparations culinaires créoles comme références et comme pratiques quotidiennes



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 15 décembre 2019 9:19
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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