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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Représentations sociales des hommes par rapport aux femmes dans les proverbes créoles haïtiens. (2017)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du mémoire de Muselène CARILUS, Représentations sociales des hommes par rapport aux femmes dans les proverbes créoles haïtiens. Mémoire de Master en développement de l’Université Senghor, Département Culture, spécialité: communication et médias, université internationale de langue française au service du développement africain, sous la direction du Dr Hdr Jean-Fançois FAU, avril 2017, 98 pp. [Autorisation formelle accordée par l’auteure le 16 février 2018 de diffuser ce mémoire, en accès libre dans Les Classiques des sciences sociales. L’autorisation nous a été transmise par le directeur de la collection “Études haïtiennes, Ricarson Dorcé.]

Introduction

Depuis la fin du XXème siècle, la problématique de genre est au centre des débats aussi bien au niveau des gouvernements que des organisations internationales. Les conventions signées et stratégies adoptées lors des grands rassemblements entre autorités étatiques et représentants de la société civile ont pour objectif de contrecarrer tous les obstacles à l’égalité des chances entre hommes et femmes. On peut citer, entre autres, la convention de Belém do para pour la prévention, la sanction et l’élimination de toutes formes de violences à l’égard de la femme, adoptée au Brésil le 9 juin 1994.

En fait, le rapport déséquilibré existant entre hommes et femmes est à l’origine de l’intérêt manifesté à cette thématique, ce, à travers le monde. Ce rapport déséquilibré a été bien avant dénoncé par l’une des figures emblématiques du féminisme, en l’occurrence, Simone de Beauvoir. Elle a remarqué qu’« en presque aucun pays [le] statut légal [de la femme] n’est identique à celui de l’homme et souvent il la désavantage considérablement. Même lorsque des droits lui sont abstraitement reconnus, une longue habitude empêche qu’ils ne trouvent dans les mœurs leur expression concrète [1] ».  Même si de nos jours le rapport entre homme et femme a évolué et que des progrès sont réalisés dans ce sens, il reste encore des pas à franchir pour un épanouissement réel des femmes. Leur participation aux sphères strictement réservées aux hommes autrefois comme la politique, leur niveau intellectuel et leur autonomisation économique sont loin d’être un satisfécit.

Cependant, Tanella Boni invite à être prudent dès qu’on aborde la question de genre. Il ne s’agit pas de s’arrêter au seul fait que dans les rapports hommes/femmes, les femmes subissent toujours les contrecoups, mais de voir la dynamique des représentations, lesquelles représentations ne sont en réalité que des constructions sociales. Selon cette auteure, « la question de genre concerne aussi bien les aspects visibles qu’invisibles, imaginaires ou inconscients, du vécu non pas seulement des femmes elles-mêmes mais aussi des hommes avec lesquels elles ont toutes sortes de relations [2] ». À en croire l’auteure, « même s’il existe une volonté manifeste de part et d’autre pour équilibrer leurs rapports, des lois orales et des manières de penser constituent des barrières psychologiques quel que soit le niveau d’instruction des hommes et des femmes [3] ». En conséquence, une attention particulière doit être accordée à la culture dans la question de genre, puisqu’elle a tendance à guider les comportements de manière consciente ou inconsciente. Haïti, un pays où l’oralité occupe une grande place dans la transmission des savoirs n’échappe pas à cette réalité. Une situation qui suscite notre intérêt pour l’étude des représentations sociales des hommes par rapport aux femmes dans les proverbes créoles haïtiens.

Dans la société haïtienne, les inégalités basées sur le sexe prennent appui sur des représentations de genre intériorisées dès le plus jeune âge à travers les proverbes. En effet, Bernad Py définit les représentations comme « des modes spécifiques de connaissance exprimés à travers des éléments culturels (romans, devinettes, chansons, vocabulaire d’une langue, proverbes, etc.) lors des interactions sociales [4] ». « De fait, les représentations sociales sont entachées de stéréotypes. De façon générale, les proverbes, comme éléments métaphoriques, ont parfois le pouvoir de créer des réalités, en particulier des réalités sociales [5] ». Ils participent de la volonté de définir la place de l’homme dans la société, d’orienter son action et son existence dans un sens prescrit par la tradition. « En tant que genres littéraires sacrés (ce ne sont pas des paroles ordinaires), ils jouent un rôle de courroie de transmission de génération en génération [6] ». Contrairement à d’autres éléments culturels comme les contes et les devinettes, beaucoup de gens prennent pour vrai ce que les proverbes affirment bien qu’ils ne soient pas fondés sur des faits avérés mais sur des opinions.

En fait, en Haïti les proverbes sont véhiculés à travers la langue vernaculaire qui est le créole haïtien. Celui-ci demeure la langue maternelle, celle parlée par tous les haïtiens. C’est à travers cette langue que le peuple haïtien exprime ses émotions, fait passer toutes ses dimensions affectives, sensibles et sentimentales. Le créole haïtien est très présent dans le récit des contes, les pièces de théâtres et les proverbes. Ainsi, les proverbes créoles demeurent-ils un élément très valorisé dans la culture haïtienne. Ils sont utilisés comme supports pédagogiques, dans des conversations ordinaires pour enseigner les bonnes manières, appeler à la prudence et aussi traduire le point de vue de la société sur des rapports entre certaines catégories sociales, telles que : hommes /femmes. « Tifi ak ti gason se dife ak gazolin (une fille et un garçon sont comme le feu et la gazoline) ». Aussi arrive-t-il que  certains parents haïtiens utilisent ce proverbe pour mettre leurs filles en garde contre les garçons ou vice versa. « Tifi ki pa konn lave pase chita kay manman w (Les filles qui ne savent pas faire la lessive et repasser doivent rester chez leurs mamans) », pour signifier qu’il est inacceptable et même inconcevable que les femmes et les filles ne sachent pas cuisiner et ne soient habilitées à effectuer certaines tâches ménagères (repasser, laver, faire la vaisselle etc.). Il existe d’autres proverbes qui abondent dans ce sens, c’est-à-dire qui décrivent des caractéristiques propres aux hommes et aux femmes. Ils ont tendance à présenter une vision erronée et stéréotypée de la réalité sociale, en marginalisant un groupe social au détriment d’un autre. De plus, les idées véhiculées par cet élément culturel  ont tendance à se pérenniser à cause du crédit qui leur est accordé et la fréquence de leur utilisation.

Malgré les diverses recherches effectuées sur les représentations sociales dans la perspective de la problématique de genre, à notre connaissance aucune ne porte sur les représentations sociales des hommes et des femmes dans les proverbes créoles haïtiens. Par ailleurs, pour ce qui a trait aux messages véhiculés par ces derniers sur les femmes, deux articles rédigés par deux féministes haïtiennes à savoir Marie Frantz-Joachim et Danielle Magloire traitent du sujet. Selon Marie-Frantz Joachim : «  En Haïti les proverbes sont parfois utilisés pour justifier les violences faites aux femmes [7] ». Tandis que Danielle Magloire estime que : « Le langage parlé  est intimement lié avec les idées, les croyances et doctrines qui ont cours durant une époque au sein d’une société [8] ». Elle a surtout analysé ce proverbe : « fanm se bèl flè san zodè (les femmes sont des jolies fleurs inodores) » et a affirmé par ailleurs que « la manière dont la société haïtienne parle de ses femmes, laisse comprendre qu’elles  n’ont pas assez d’importance, voire de les considérer comme des êtres à part entière [9] ». Si effectivement les proverbes servent à légitimer les violences à l’encontre des femmes et à les dévaloriser comme l’ont affirmé Marie-Frantz Joachim et Danielle Magloire, ils constituent un élément/ et/ou un moyen à travers lequel on analyse la perception que la société haïtienne a de ses hommes et femmes. Une analyse qui permet de comprendre à quel point la violence à l’encontre des femmes est tolérée, voire acceptée par une couche de la société. En outre, un travail de sensibilisation s’avère nécessaire afin de mettre en évidence cet état de fait et de conscientiser les générations futures sur le phénomène. Toutefois, ce travail doit être fait de façon équilibrée, c’est-à-dire à analyser un nombre suffisant de proverbes ayant rapport à certaines catégories de femmes de la société (mère, fille, femme…) en comparaison aux catégories d’hommes correspondantes (père, fils, homme…), afin de voir si effectivement les proverbes sont discriminants par rapport aux femmes et/ou aux hommes. D’où la question de recherche : Quelles représentations des hommes et des femmes sont véhiculées par les proverbes créoles haïtiens ?

Pour apporter des éléments de réponse à cette question centrale de notre recherche, il nous revient d’analyser la différence qui existe entre les représentations des hommes par rapport aux femmes dans les proverbes créoles haïtiens. De façon spécifique, cette étude tâchera de :

  • comparer les représentations véhiculées par les proverbes sur certaines catégories d’hommes et de femmes.

  • mettre en place un projet de sensibilisation axé sur le genre à l’intention de la population haïtienne.

Afin d’atteindre les objectifs visés et répondre à la question de recherche, ce travail est structuré en deux parties. Dans la première, nous exposons le cadre contextuel dans lequel le phénomène de recherche est décrit. Les trois premiers chapitres de cette partie sont ainsi présentés : d’abord, la présentation de la langue créole, pour expliquer l’importance de cette dernière au sein de la société haïtienne (I). Ensuite, le proverbe et son utilisation dans la société haïtienne y sont traités (II). Le troisième chapitre (III) se porte sur la question de genre dans la société haïtienne avec un accent  particulier sur les inégalités basées sur le genre en Haïti et leurs formes de manifestations. Au niveau du chapitre (IV) nous présentons le cadre théorique. Il est question de mettre en exergue la théorie qui va guider les démarches de notre travail. Il s’agit de la théorie des représentations sociales. Dans la deuxième partie nous élaborons le cadre méthodologique en déclinant la méthode de recherche à savoir l’analyse de contenu, ses différentes étapes ainsi que les techniques de sélection des proverbes (V). Ensuite, nous faisons l’analyse comparative des proverbes (VI). Puis nous proposons un projet de sensibilisation axé sur le genre (VII). Finalement, la conclusion de notre recherche propose quelques pistes de réflexion et des recommandations dans la perspective du changement de l’image de la femme au sein de la société haïtienne.



[1] Simone, de Beauvoir, Le deuxième sexe I. Editions Gallimard, 1949, pp 20-21.

[2] Tanella, Boni, Femme et être humain : autonomisation et réalisation de soi. In : Revue Africultures, # 74-75, pp 31.

[3] Idem.

[4] Bernard Py, Pour une approche linguistique des représentations Sociales, Paris, Langages, 2004.

André Vilaire Chéry, Le  chien comme métaphore en Haïti. Analyse d’un corpus de proverbes et textes littéraires haïtiens, Port-au-Prince, ETHNOS, mai 2004, p 175.

[6] Jean-Philippe Claver Zouglo, Proverbe entre langues et cultures : Une étude linguistique, éd. scientifiques Européennes, 2009 p114.

[7] Marie-Frantz Joachim, Proverbes haïtiens : sagesse ou sexisme ?, In : Revue Africulture, #58, 2004.

[8] Danielle Magloire, Langaj charye ak diskriminasyon kont fanm, cité par Raoul Vital, 1994.

[9]    Traduction libre : La manière dont la société parle de ses femmes signifie qu’elles ne sont pas assez valorisées.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 20 février 2018 6:36
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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