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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. (2007)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Gérard Bélanger, L’économie du Québec, mythes et réalité. Montréal: Les Éditions Varia, 2007, 361 pp. Collection “Essais — Économie—. [L’auteur nous a accordé , le 18 octobre 2019, son autorisation de diffuser en libre accès à tous ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[11]

L’économie du Québec, mythes et réalité

Introduction

La première étape d’un ouvrage de science économique appliquée à l’économie du Québec consiste à débroussailler. Cette introduction fait deux choses pour cela : elle définit l’approche choisie et expose succinctement quelques notions fondamentales de l’économique.

1. Les modes d’approche de l’étude
de l’économie du Québec

L’économie québécoise s’étudie selon deux modes d’approche. Le premier est plutôt descriptif et présente des informations détaillées. La publication de l’Institut de la statistique du Québec, Le Québec statistique, Édition 2002 [1] en est un bon exemple. On vise principalement les faits ou la description des phénomènes.

C’est un deuxième mode d’approche, plus analytique, qui a été choisi ici. On verra comment l’économiste étudie, décortique différents aspects ou problèmes de l’économie québécoise. Le lecteur y trouvera tout de même beaucoup d’informations, mais le but premier est l’utilisation de la science économique pour expliquer les phénomènes québécois. Cependant, l’auteur a essayé de faire en sorte que ce texte n’exige que peu de connaissances préalables de la science économique.

Ce livre aborde seize sujets différents de l’économie du Québec. Il n’est pas nécessaire d’en faire une lecture continue. Le lecteur peut donc s’adonner sans difficulté à une opération de saute-mouton.

[12]

2. L’économique comme discipline

Qu’est-ce que la science économique ? Comment est-elle différente des autres sciences sociales ? A-t-elle un mode d’explication privilégié ?

L’économiste se présente comme un être qui a deux discours fort différents. Le premier se veut scientifique : il vise à expliquer les phénomènes sociaux en recourant généralement à un mode d’approche qui lui est propre. C’est ce qu’on peut appeler l’économique positive. Voici un exemple. Au cours du dernier demi-siècle, un phénomène s’est répandu dans plusieurs pays : la croissance des dépenses en soins de santé par rapport à la valeur des biens et services produits par l’ensemble de l’économie (le produit intérieur brut, ou PIB). Au Canada, par exemple, les dépenses de santé représentaient 5,5% de la production en 1960, contre 10,0% en 2003. Voilà un phénomène social qui mérite explication et l’économiste essaiera de la fournir.

Disons en passant que l’économique positive ne se limite pas à l’étude des phénomènes monétaires, comme on le croit souvent; elle s’intéresse à tous les phénomènes sociaux; elle tentera par exemple d’expliquer la baisse de popularité de l’institution du mariage. Elle se distingue généralement par un mode d’approche particulier : l’individualisme méthodologique [2]. De quoi s’agit-il ? Tout simplement de se concentrer sur le fait que chacun cherche à accroître son bien-être, tout en étant soumis à différentes contraintes. Ces dernières ne sont d’ailleurs pas immuables : elles sont modifiées par le progrès technique et aussi par l’action de ces mêmes individus ou des pouvoirs publics. Par exemple, il est évident que la popularité des logements subventionnés varie selon l’importance des subventions : plus la subvention est généreuse, moins leur prix est élevé et plus leur popularité est grande.

Le deuxième type de discours de l’économique veut juger au lieu de se contenter d’expliquer. C’est l’économique normative. Cette branche devrait plutôt s’appeler « morale économique ». Elle demeure en grande partie non scientifique, à cause de son aspect « prescriptif » ou, si l’on veut, du jugement porté, toujours subjectif. Référons-nous à un exemple simple : si un scientifique prédit qu’une réaction donnée produit un champignon radioactif avec [13] une multitude de propriétés, il pratique la science. Quand il affirme s’opposer à toute utilisation de l’engin atomique, il devient moraliste.

C’est exactement la même chose pour un économiste, lorsqu’il se prononce sur le fait qu’un projet donné doit être entrepris ou non. Le mot « doit » montre bien que la question se situe dans le domaine des prescriptions basées sur des normes. Il en est de même pour toutes les tentatives de jugement ou d’évaluation de situations, comme dans les exemples suivants : Y a-t-il surplus ou pénurie de médecins au Québec ? La construction de nouvelles autoroutes est-elle rentable ? Le secteur public québécois est-il trop lourd ?

La partie « prescriptive » ou normative de l’économique est fort développée et sera régulièrement utilisée dans tous les chapitres. Elle fournit d’ailleurs de bons emplois aux économistes. Les concepts-clés sont ceux de rentabilité, d’efficacité et de non-gaspillage. Pour sa part, la rentabilité exige que les avantages attendus d’une action soient supérieurs aux coûts estimés, afin de dégager un surplus ou un avantage net. Qu’en est-il du concept d’efficacité ?

3. L’efficacité

Les ressources d’une société existent pour le bénéfice de ses citoyens, qui cherchent à obtenir le maximum de satisfaction. Quelles règles doivent être suivies pour réaliser une économie efficace et ainsi avoir le plus gros gâteau possible ? Comment le gaspillage peut-il être évité ? Il s’agit de produire au coût le plus bas possible les produits réellement demandés par la population.

L’efficacité est au centre de l’économique normative ou de la morale économique et comporte trois aspects : consommation, production et relation entre ces deux éléments.

a) L’efficacité dans la consommation

Les produits doivent respecter les préférences des individus. Il n’est sûrement pas recommandable de réserver le vin aux abstinents, car alors, le vin ne serait pas créateur de satisfaction ou d’utilité. Heureusement, le commerce existe. Dans un monde [14] caractérisé par des droits de propriété bien définis et des coûts de transaction peu élevés, le commerce est un créateur de richesse. Les abstinents qui sont propriétaires de vin seront heureux de l’échanger contre des produits plus proches de leurs préférences. Les échanges libres permettent ainsi d’accroître la satisfaction de tous les participants en réallouant les produits selon les préférences de chacun.

b) L’efficacité dans la production

L’efficacité dans la production requiert que les coûts soient le plus bas possible. Hydro-Québec servira d’exemple. Cette entreprise a un attrait pour les grands projets à fort capital au détriment des petits projets. Comme dit l’adage, les dinosaures aiment d’autres dinosaures. Hydro-Québec a délaissé au cours des ans l’utilisation des petites centrales hydro-électriques qui avaient été mises en opération par des entreprises privées [3], de sorte que, lorsque le gouvernement a décidé de développer les petites centrales, il s’est tourné vers les producteurs indépendants. Il faut savoir en effet que les méthodes de décision d’Hydro-Québec sont mal adaptées à des projets de faible taille : en s’y adonnant, cette entreprise ne produirait pas à un coût minimum et deviendrait une source de gaspillage.

c) L’efficacité et le lien entre consommation et production

Pour éviter le gaspillage, il est nécessaire de s’assurer que toute utilisation d’une ressource ou d’un produit entraîne un avantage au moins égal au coût de cette ressource ou de ce produit. Par exemple, si un kilowatt-heure (kWh) supplémentaire coûte 10 ¢ et qu’il est vendu au prix de 6 ¢, nous sommes en présence d’un gaspillage, puisque la valeur de ce kWh pour les utilisateurs est inférieure au coût de production pour la société. Le coût de production de 10 ¢/kWh représente la valeur des ressources employées pour le produire. On ferait mieux de les utiliser pour des produits dont la valeur pour le consommateur est au moins de 10 ¢, sinon on détourne l’emploi de facteurs qui valent 10¢ vers une production qui en vaut moins, ce qui est un gaspillage. Suivant [15] la même logique, un emprunteur s’appauvrit si le taux de rendement du montant emprunté n’est pas supérieur au taux d’intérêt exigé par le prêteur.

Pour éviter les gaspillages de cette nature, il est donc nécessaire que l’entreprise publique vérifie si l’augmentation de la production résultant d’un investissement vaut au minimum son coût. Dans une économie décentralisée, chaque agent économique est libre de choisir son panier de consommation, en fonction des prix relatifs des produits, tout en respectant sa contrainte budgétaire. L’absence de gaspillage est assurée par le recours à une tarification au coût marginal, c’est-à-dire au coût de production de la dernière unité. Alors, les utilisateurs ajustent leurs décisions en fonction des vrais coûts qu’entraîne une variation de leur consommation. Chacun devient « responsable » des coûts engendrés par ses actions.

L’existence d’un tarif domestique inférieur au coût marginal entraîne un gaspillage de l’électricité. Un bon exemple est le chauffage des résidences, au Québec, où la suprématie de l’électricité est incontestable. En 1972, seulement 8,0% des logements étaient chauffés à l’électricité, contre 81,9% au mazout. En 2000, l’électricité était utilisée dans 70,4% des logements alors que 17,3% étaient chauffés au mazout. Cela a été entraîné par ce qu’on pourrait appeler des « subventions tarifaires », c’est-à-dire des prix inférieurs au coût de production marginal de l’électricité. Elles ont considérablement favorisé la popularité du chauffage électrique au Québec et sont ainsi une source de gaspillage. Il en est de même pour les entreprises énergivores du Québec, comme le secteur de l’aluminium. Les rabais consentis à ces entreprises constituent des subventions qui représentent un montant très élevé par travailleur [4].

4. Les systèmes économiques

Il convient sûrement, pour s’ouvrir aux diverses possibilités, d’accepter que la réalité comporte une multitude de méthodes ou de styles. S’agissant de la répartition des décideurs et de leur puissance, on a le choix entre les extrêmes, décentralisation pure et centralisation complète; il y a toute une gamme de choix, dont trois sont indiqués ici par les flèches A, B, C.


En principe, tout le segment serait à notre disposition, avec la possibilité de s’y déplacer. On peut même faire des mixages : suivant l’étiquette d’un défunt parti fédéral, on pourrait être à la fois progressiste et conservateur à différents degrés.

La décentralisation et la centralisation possèdent toutefois leurs propres dynamiques, qui s’opposent à une combinaison variable et continue des deux éléments. La réalité se présente plutôt de la façon suivante :


En fait, les choix sont plutôt restreints et proches des deux pôles, décentralisation pure et centralisation complète. Il n’y a pas moyen de décentraliser à cinquante pour cent la centralisation.

a) La décentralisation

La décentralisation d’un système économique permet la liberté de choix, la souplesse, l’autonomie et la responsabilisation des décideurs. Selon plusieurs, cependant, la décentralisation doit être dénoncée, car elle engendrerait l’anarchie. Mais le cas hypothétique suivant permet de dissiper cette appréhension. Une revue médicale majeure, disons le New England Journal of Medecine, publie cette semaine une importante étude concluant que la consommation quotidienne de brocoli diminue appréciablement la probabilité d’avoir le cancer. Les gens, avec la préoccupation bien égoïste d’éviter cette maladie, augmenteront leur consommation de ce légume bienfaisant. Cet accroissement de la demande engendrera un prix plus élevé pour le brocoli. Dans leur désir bien légitime d’augmenter leur revenu, les producteurs accroîtront sensiblement leur culture de ce légume pour en inonder les [17] marchés. Ainsi, la consommation du brocoli se généralisera sans la présence d’un plan et sans l’intervention d’une autorité centrale, mais plutôt comme résultat de décisions individuelles tout à fait égoïstes.

Cependant, pour engendrer les effets escomptés, la décentralisation exige une assise légale appropriée, par exemple des droits de propriété bien définis. Dans l’exemple donné plus haut, il ne servirait à rien aux producteurs de se convertir à la culture du brocoli, s’ils ne récoltaient pas les bénéfices de leur action. Ajoutons que la décentralisation embrasse beaucoup plus que les seules sociétés capitalistes. Elle concerne les sociétés sans but lucratif, les coopératives de producteurs et de consommateurs, les sociétés à nom collectif et à propriétaire unique et même les ménages et les familles.

b) La centralisation

La centralisation implique une uniformisation ou une cartellisation, à cause de l’application nécessaire de normes. Et comme l’idée de normes flexibles est contradictoire, la centralisation est aux antipodes de la flexibilité. Toutefois, elle permet une plus grande égalité dans la consommation des services publics.

Par exemple, le système de santé canadien (y compris le québécois) a un financement passablement centralisé, puisque les gouvernements défraient environ soixante-dix pour cent de l’ensemble des dépenses, et en particulier la presque totalité des services hospitaliers et médicaux. Ce sont donc eux qui fixent les règles. Une expression anglaise résume très bien la situation : He who pays the piper calls the tune (celui qui paie a bien le droit de choisir).

La centralisation implique le recours à des critères bureaucratiques. Voici trois exemples tirés des programmes du gouvernement du Québec. Pour le bois récolté sur les terres publiques, en l’absence d’un marché où s’expriment les forces de l’offre et de la demande, les autorités établissent des « prix administrés »  en se référant à une vingtaine de variables. Rien de moins ! Autre exemple : lors du règlement sur l’ « équité salariale » dans le secteur public, dix-sept variables auraient été utilisées pour comparer les emplois. Un véritable casse-tête ! Enfin, la détermination des hausses du salaire minimum se base sur l’évolution de onze variables. On centralise ou pas; et le gouvernement central doit montrer qu’il est sophistiqué.

[18]

Les processus décentralisés n’ont évidemment pas l’ampleur tentaculaire de la centralisation qui, de son côté, affiche une allure d’ordre et de rationalité tout à fait illusoire. La décentralisation se réfère à de l’inconnu et la centralisation donne l’illusion de pouvoir contrôler le futur.

5. Un important constat :
le déclin relatif du Québec en Amérique du Nord


Le Québec est relativement en perte de vitesse en Amérique du Nord. La croissance de la population entre 1981 et 2005 le montre très bien (tableau 0-1). Durant cette période, l’accroissement relatif de la population du Québec (16,0%) est égal aux trois huitièmes de l’accroissement ontarien (42,5%) et à la moitié de celui du Canada (30,1%) et des États-Unis (29,0%). Le pourcentage de la population du Québec relativement à celle de l’Amérique du Nord est passé de 2,57 en 1981 à 2,31 en 2005.

Au cours des récentes décennies, le rapport de la population du Québec à celle du Canada a diminué d’un dixième d’unité de pourcentage par année. Par rapport à la population de l’ensemble de l’Amérique du Nord, la baisse est d’un centième d’unité de pourcentage par année.

Différentes facettes du déclin relatif du Québec apparaîtront dans les chapitres suivants.

Tableau 1

POPULATION DU QUÉBEC, DE L’ONTARIO, DU CANADA ET DES ÉTATS-UNIS,
1981 ET 2005, EN MILLIERS.

1981

2005

∆%

Québec

6 547,7

7 597,8

16,0

Ontario

8 811,3

12 558,7

42,5

Canada

24 820,4

32 299,5

30,1

États-Unis

229 966

296 639

29,0

Source : Institut de la statistique du Québec, Comparaisons interprovinciales, http://www.stat.gouv.qc.ca/donstat/econm_finnc/conjn_econm/TSC/pdf/chapl.pdf; U.S. Census Bureau, Statistical Abstract of the United States 2006, http://www.census.gov/prod/2006pubs/07statab/pop.pdf.


[1] Institut de la statistique, Le Québec statistique, Édition 2002, Québec, 2002, 868 p.

[2] Le recours à l’individualisme méthodologique n’est pas le propre des économistes, même s’il est fort répandu chez ces derniers. Par exemple, le sociologue Raymond Boudon a utilisé cette approche dans ses travaux. (R. Boudon avec R. Leroux, Y a-t-il encore une sociologie ?, Paris, O. Jacob, 2003, chap. II, « Aux fondements de l’individualisme méthodologique », p. 47-88).

[3] Sur ce sujet et ceux des paragraphes suivants, voir G. Bélanger et J.T. Bernard, « La tarification de l’électricité au Québec », dans F. Palda (s.l.d.), L’État interventionniste : le gouvernement provincial et l’économie du Québec, Vancouver : Fraser Institute, 1994, pp. 169-191.

[4] Ces points seront repris au chapitre 6, qui s’intéresse à l’hydro-électricité et aux richesses naturelles.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 24 novembre 2019 18:57
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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