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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Multiethnicité et refondation des nations démocratiques en Afrique noire:
perspective d’un humanisme de la diversité
. (2015)
Introduction générale


Une édition électronique réalisée à partir du mémoire d'Essodina BAMAZE N’GANI, Multiethnicité et refondation des nations démocratiques en Afrique noire: perspective d’un humanisme de la diversité. Mémoire de master en philosophie, sous la direction du professeur Nicoué Octave M. BROOHM, Faculté des lettres et des sciences humaines, Université de Lomé, décembre 2015, 141 pp. [L’auteur nous a accordé le 31 octobre 2016 son autorisation de diffuser en libre accès à tous son mémoire de master dans Les Classiques des sciences sociales.]

[6]

Multiethnicité et refondation des nations démocratiques
en Afrique noire: perspective d’un humanisme de la diversité.

Introduction générale

[7]

Tout État se veut une synthèse visant à concilier unité et diversité. À titre d’illustration, l’article 2 de la Constitution française dispose que « la France est une République indivisible ». Dans ce sens, l’article premier de la Constitution de la République du Congo stipule : « La République du Congo est un État souverain, indivisible (…) ». Même son de cloche au Togo où l’article premier de la Constitution dispose que « La République Togolaise (…) est une et indivisible ». À partir de ces exemples, on peut conclure que la Constitution de chaque État consacre la prépondérance du principe unitaire et le sentiment d’unité nationale s’est toujours inscrit dans ce cadre « indivisible ». Mais si constitutionnellement les États africains apparaissent régis par ce principe unitaire, il n’en demeure pas moins vrai que ce principe se trouve mis à rudes épreuves dans la réalité. Le constat paraît moins réfutable puisque la construction des États-nations africains se nourrit toujours du syndrome de l’identitarisme lié à une multiplication des mobilisations ethniques. Par exemple, le passage du monopartisme au pluralisme politique sera marqué du sceau de l’« ethnocentrisme partisan [1] », socle des affrontements entre différents groupes ethniques mettant de côté l’intérêt général, le bien commun, gage de la démocratie. Sur ce point, la composition des partis politiques au Congo nous en donne une illustration convaincante : tandis que l’ancien Parti unique, le Parti Congolais du Travail (PCT dont le fondateur était du Nord-Congo) se constituait pour l’essentiel des populations issues des ethnies du Nord-Congo, le Mouvement Congolais pour la Démocratie et le développement Intégral (MCDDI) et l’Union Panafricaine pour la Démocratie Sociale (UPADS), dont les fondateurs étaient du Sud-Congo, se partageaient les populations issues des ethnies du Sud-Congo [2].

Les implications directes de cette « imposture ethnocentriste [3] » en sont depuis toujours les processus de « purification ethnique » qui essaiment le continent noir en donnant du crédit aux thèses affirmant l’attachement de l’individu à sa communauté « primordiale » comme une marque distinctive de la tradition africaine. Une brève analyse des débats suscités par cette expression politique des appartenances ethniques laisse entrevoir la complexité de la cohésion démocratique qui passe pour [8] un problème crucial (au sein des États africains) avec surtout en amont la persistance des identitarismes ethniques. Cette complexité appelle des clarifications et de nouvelles représentations théoriques. Et dans la foulée, il faudrait, au regard de la politique des États africains jouant essentiellement sur des appartenances ethniques dans l’exercice du pouvoir politique, dire un mot sur ce qu’on entend par « ethnicité ».

Notion récurrente à travers l’analyse de la réalité politique africaine, l’ethnicité est aujourd’hui soumise à de multiples interprétations. Elle est abordée dans une perspective double : une perspective psychologique et une perspective anthropologique. La perspective psychologique est celle qui met la « conscience » au fondement de l’expression du sentiment d’appartenir à un groupe humain distinct des autres. Elle se comprend plus amplement en se rapportant aux peuples « Hutu » et « Tutsi » ; deux peuples parfaitement homogènes aux plans linguistique et culturel et dont le conflit n’a cessé et ne cesse encore de faire écho. Dans ce sens, l’ethnicité qui détermine lourdement les choix politiques est compréhensible au niveau de l’imaginaire collectif. La perspective anthropologique, est celle qui articule l’ethnicité autour d’un référentiel commun fondé sur des critères « naturels » réels

(liens de sang, appartenance à une même origine historique). L’analyse de ces deux perspectives suggère que l’ethnicité est quelque chose de fluctuant, c’est-à-dire mouvant. En considérant son impact aussi bien sur l’organisation sociale et politique que sur les imaginaires et les comportements en Afrique noire, l’ethnicité peut se rapporter à « la conscience d’appartenir à un groupe humain différent des autres et de le revendiquer [4] ». Considérée comme telle, l’ethnicité reste en liaison étroite avec le concept d’ethnie. Puisque toutes les controverses introduites par la place de l’ethnicité dans la construction des États-nations démocratiques en Afrique noire ne se comprennent que par rapport à une gestion « défectueuse » de la diversité ethnique.

En ce sens, ce qui explique la peine éprouvée aujourd’hui à édifier la démocratie en Afrique noire réside dans la difficulté de concilier la diversité ethnique des États-nations comme un « fait », avec la promotion de la diversité comme une [9] « valeur », c’est-à-dire comme une nouvelle clé de justification apportée au point de vue cohésion démocratique par la nécessité d’une politique managériale des différences ethniques. En réalité, pendant longtemps, la construction des nations africaines s’est opérée à travers un « dépassement ethnique », ou encore une abstraction des appartenances ethniques. Or, lorsqu’on tente de cerner la logique qui conduit à l’expression politique des identités ethniques, un élément de réponse non moins douteux réside dans la pérennisation de cette conscience collective dans la mentalité africaine depuis l’époque coloniale. Pérennisation et même survalorisation [5] dont l’impact sur la vie politique en Afrique noire ne saurait faire économie de la réflexion. En réalité, au lieu d’être un simple qualificatif des groupes, l’ethnie sera l’occasion de divisions, de revendications antagonistes et, de facto, l’occasion d’une expression des replis identitaires entravant de tout bord l’émergence d’un sentiment d’appartenance nationale. N’en serviraient ici pour preuves que les multiples conflits à vocation ethnique [6] dont la récurrence et l’existence à foison dans les États africains font de l’Afrique noire aujourd’hui le lieu idéal pour affronter les multiples difficultés issues de l’ambiguïté qui s’attache fondamentalement aux notions d’ethnie (ou d’ethnicité), de nation, d’État-nation et de démocratie. Tout y concourt : le désajustement entre la forme d’État-nation et le sentiment d’appartenance communautaire, la multiplication de ces revendications à forte résonance ethnique se réclamant d’une marginalisation par les pouvoirs en place, la désarticulation entre valeurs africaines et valeurs occidentales. Tous ces facteurs ont remis au goût du jour, la nécessité d’une refondation de l’État-nation démocratique en Afrique noire.

Dans cet esprit, une position dominante est celle qui plaide pour une politique revalorisant les différences ethniques. Sous sa forme initiale, la politique des différences ethniques a pour ambition de mettre fin aux logiques mobilisatrices et calculatrices des identités ethniques en institutionnalisant les différences ethniques au plan juridique. En témoigne sur ce point le concept de « justice ethnique » à travers lequel Mbonda précise qu’

[10]

il s’agit de montrer que la forme de justice qui pourrait rendre possible une coexistence pacifique des entités ethniques composant les sociétés africaines doit pouvoir commencer par « prendre l’ethnicité au sérieux » en prenant la bonne mesure de sa signification politique (…) [7].

Mbonda qui défendait cette position avait en vue l’institutionnalisation de l’ethnicité comme facteur de paix dans les sociétés multiethniques d’Afrique. La politique des différences ethniques entend désormais parler au nom des différents groupes ethniques marginalisés qu’elle présente comme des nations à part entière au sein d’un même espace sociopolitique. Cette tendance se trouve renforcée par un discours sur la justice, qui suit la perspective d’une refondation des nations démocratiques en revalorisant de plus en plus l’appartenance à une communauté ethnique comme seul gage du lien social et politique en Afrique noire. Cette nouvelle orientation de la justice est celle qui se fonde sur les quotas ethniques. D’où le recours à la politique des quotas ethniques. Satisfaisant de ce point de vue, ce modèle ne semble néanmoins pas exempt de critiques.

En réalité, la politique des différences ethniques pouvait passer autrefois pour un antidote aux dérives unitaires de l’État-nation africain. Mais aujourd’hui l’évidence qui se fait jour est que cette politique réintroduit de nouveaux problèmes plutôt que de résoudre ceux déjà existants. Par exemple, à travers l’idéal diffusé par la justice ethnique, toutes les démarches politiques et intellectuelles tendent vers le rejet de l’État-nation, présenté comme une réalité exogène à l’Afrique, au profit d’une distinction tranchée entre « nation ethnique » et « nation civique ». Or, pareille distinction contient le risque d’une fragmentation de la souveraineté étatique et celle de la société en différents groupes ethnoculturels incapables de réaliser une solidarité transcommunautaire. Du coup, une lecture différentialiste du lien social et politique dans les États africains comporte des limites. Ainsi donc, loin de prétendre à l’exhaustivité dans l’analyse de la situation démocratique actuelle en apportant une solution claire et distincte, les bouleversements actuels dans les États africains multiethniques permettent d’envisager la notion de « justice ethnique » de manière critique.

[11]

Dans une certaine mesure, plaider pour une prise en compte institutionnelle de l’ethnicité dans les États africains, fait preuve de l’impossibilité d’une entente transcommunautaire. En ce sens, se sentir toujours « Hutu » sans aucune possibilité de transcender ce sentiment au plan politique ne permet pas d’envisager une identité civique en tant que cette dernière repose sur le respect des valeurs étatiques situées au-delà des valeurs communautaires. D’ailleurs, un enracinement communautaire de ce genre réintroduit sur le chantier de la réflexion la question consistant à nous demander « si nous pouvons, d’une façon générale, transcender le contexte de la langue et de la culture ou si tous les critères de rationalité restent attachés à des visions du monde et à des traditions déterminées [8] ».

Dans ce cas, si l’on convient qu’il faut institutionnaliser l’ethnicité, avec pour souci qu’une telle institutionnalisation éviterait des heurts, l’on nous saura gré de reconnaître que pareille valorisation institutionnelle de l’ethnicité n’éloigne pas de la déchirure du tissu social. Puisque, dans les États qui ont fondé l’intégration politique sur le partage des principaux postes gouvernementaux entre les différentes composantes ethniques, on n’a pas véritablement abouti au résultat escompté en raison de la persistance de conflits interculturels. Sur ce point, le constat de Dahl se paye d’une attention particulière : « Les compromis les plus ingénieux, qui avaient provisoirement apporté la stabilité au Liban, au Nigéria et au Sri Lanka, n’ont pas résisté à la violence des conflits ethniques ni pu éviter que ces pays connaissent la guerre civile ou l’instauration d’un régime autoritaire [9] ».

En d’autres termes, la politique des quotas ethniques, parce qu’elle ne garantit pas les conditions d’un véritable « interchange » ethnique, compromet à la fois le lien social et politique. Ceci nous invite à repenser les conditions d’un véritable décloisonnement des identités ethniques en Afrique noire. Par où l’on voit se spécifier l’éventualité qu’il faut recourir à un « humanisme de la diversité » compris comme l’exigence de synthèse entre l’affirmation communautaire particularisante et la quête de l’universel. En se fondant sur la nécessité d’une « décolonisation des identités » et sur un « universalisme ouvert à la diversité », Renaut s’investit tout particulièrement dans la promotion de la diversité comme valeur à travers [12] l’humanisme de la diversité : placé au carrefour des revendications particularistes et la nécessité de sauvegarder l’universel, il affirme l’urgence d’un dépassement de l’universalisme dogmatique et celui du différentialisme radical au profit d’« une pensée de l’universel ouvert à la diversité [10] » ; laquelle pensée de l’universel s’articule, dans le cadre de ses analyses, autour d’une forme de justice se fermant à la politique des quotas [11]. Et c’est en cela, qu’il nous livre la clé de la problématique contemporaine du « savoir-vivre au pluriel [12] » des différentes ethnies composant les États-nations africains. De là procède au fond le choix du thème intitulé : « Multiethnicité et refondation des nations démocratiques en Afrique noire : perspective d’un humanisme de la diversité ».

Le choix de ce thème a pour préoccupation fondamentale de sortir l’État-nation africain des particularismes ethniques, en tant que donnant lieu à des traitements idéologiques, pour l’inscrire dans le registre d’une véritable intégration politique. Mieux dit, il sera question de promouvoir la perspective d’une conciliation de la diversité des intérêts particularistes avec l’unité de la loi. Dans ce sens, une interrogation majeure se dégage : comment promouvoir la diversité ethnique sans compromettre l’idéal de cohésion démocratique en Afrique noire ?

Le moins que l’on doive accorder à cette interrogation est qu’elle nous invite, en tout état de cause, à questionner à nouveau certaines représentations les plus solidement établies de notre tradition politique. C’est plus particulièrement évident en Afrique noire, où l’interprétation dominante du principe politique de l’unité s’est exprimée, par l’intermédiaire de l’héritage politique colonial, sous la forme de l’idéal de l’unité nationale. Pierre angulaire de notre univers politique, cet idéal, que personne ne songerait à remettre en question comme tel, a engendré la suppression du pluralisme politique. Mais avec le vent démocratique qui souffle sur le continent noir au début des années mille neuf cent quatre-vingt-dix, la question de l’unité nationale pose la formule de l’irréductibilité et l’immuabilité des « ethnicités [13] africaines » comme un défi à la construction nationale. Or, à l’analyse, même dans les « démocraties les mieux réussies [13] », il n’existe pas d’État-nation parfaitement homogène au plan ethnique ou culturel. Au constat de cette analyse, il faudra alors s’interroger : qu’est-ce qui justifie l’échec de l’État-nation en Afrique noire ? Quel modèle théorique pourrait éclairer ce débat et le guider vers la réalisation d’une liberté civique en Afrique noire ? Mieux encore : comment penser et pratiquer la cohabitation, au sein d’un même État-nation africain, de plusieurs identités ethniques ?

Ceci étant, l’hypothèse de notre recherche est la suivante : pour promouvoir la diversité ethnique sans compromettre l’idéal de cohésion démocratique, il faudrait promouvoir la perspective d’une éthique postcommunautaire. Celle-ci consiste à sortir l’identité ethnique de l’enclave d’une communauté particulière en donnant à son « altérophobie » la possibilité de « savoir-vivre au pluriel ». Il s’agit ici, au-delà des positions plaidant pour une institutionnalisation de l’ethnicité, d’assurer un traitement politique et un traitement éthique de l’ethnicité. Telle est l’hypothèse qui anime ce travail et à laquelle nous nous emploierons à donner corps à la lumière du concept de l’« humanisme de la diversité » qui

correspond à un universalisme ouvert à la diversité, où la valorisation de l’arrachement n’exclut pas toutes formes concevables d’attachements, mais ceux qui, en se neutralisant, riveraient et livreraient sans possibilité de distance (y compris de distance critique) l’individu et le groupe à leurs propres racines [14].

Pour soutenir notre hypothèse, nous avons adopté une démarche descriptive qui fonde le prescriptif. Une démarche du type de celle dont Mesure et Renaut nous ont invités à faire un élément de méthode dans l’approche des connaissances. Ces derniers nous invitaient justement à « faire nôtres cette constatation (descriptive) et cette appréciation (normative) [15] ». Tel est au fait, ce dont témoigne avec une grande clarté la formule du philosophe Walzer dans son Traité sur la tolérance : « La philosophie doit s’appuyer sur l’information historique et faire preuve de [14] compétence sociologique si elle veut éviter le « mauvais utopisme » et prendre la juste mesure des choix difficiles qui sont souvent ceux de la vie-politique [16] ».

L’intérêt de cette démarche pour la présente recherche se situe à plusieurs degrés : d’abord, elle permet de comprendre les enjeux des débats que soulève l’ouverture au pluralisme à partir du détour par l’exploration de la thématique identitaire dans les démocraties occidentales ; ensuite, cette démarche nous rendra plus attentif à l’égard des effets pervers que les solutions centrées sur la valorisation institutionnelle des particularismes ethniques entraîneraient en Afrique noire ; enfin, cette démarche orientera l’imagination et la créativité intellectuelle vers des avenues lucides et où le risque de tomber dans l’exacerbation de fortes appartenances viscérales serait exclu.

Dans l’optique de cette démarche, nous envisagerons une sorte d’« autopsie » de la réalité politique en Afrique noire, pour pouvoir « repérer les labelisations, les assignations et définitions tant pragmatiques que symboliques ou encore notionnelles qui encombrent les soi-disant cultures collectives [17] ». À la suite, une mise au point théorique devrait essayer de « caler » l’examen de tous les facteurs évoqués par le biais de cette posture descriptive afin de ne pas céder aux fantasmes qui, en se fondant sur la persistance des revendications ethniques, ambitionnent de recroqueviller le continent noir sur ses propres valeurs à une période de l’histoire où plus rien ne doit s’inscrire hors du champ de l’universel. La tradition philosophique de l’universalisme, s’impose alors comme le cadre normatif de référence. Nous nous inscrirons donc, du point de vue normatif, dans la tradition philosophique de l’universalisme. C’est ainsi tout un ensemble de liens subtils entre universalisme, humanisme, diversité et démocratie qu’il va falloir démêler. De ce fait, en raison des fortes disparités au sein de l’universalisme en tant que courant de pensée philosophique, et au-delà de la tension entre un « universalisme niveleur [18] » et un « universalisme réitératif de la tribu universalisante [19] », nous prendrons appui sur l’« universalisme ouvert à la diversité » dont la teneur scientifique se résume en un [15] juste milieu entre « le mouvement vers l’universalité (…) et l’affirmation de la diversité [20] ».

L’intérêt de cet universalisme pour la présente recherche est à situer dans un sens double. Dans un premier sens, il permet d’entrevoir l’éventualité par laquelle les Africains pourraient accéder à la culture de l’universel sans une perte de repères culturels : en élaguant par exemple certaines pratiques anciennes au profit de nouvelles valeurs héritées de la démocratie. Dans un second sens, l’intérêt du nouvel universalisme, celui ouvert à la diversité, réside en ceci que seul cet universalisme peut permettre d’accéder « à une nouvelle décolonisation des consciences individuelles et collectives [21] » africaines en conciliant la multiethnicité des États africains avec l’exigence d’universalité promue par la démocratie. Ceci, contre tous ceux qui, à l’instar de Tshiyembe, Bayart, Badie, affirment une dichotomie entre la multiethnicité des États africains et le projet de construction de la démocratie sur le continent noir.

À la lumière de cette clarification méthodologique, notre travail s’articulera autour de deux grandes parties. La première partie, intitulée « De la multiethnicité à la crise de l’État-nation démocratique en Afrique noire », présente les difficultés politiques qui émaillent l’Afrique noire relativement à la mobilisation perverse des identités ethniques. Ceci, tout en montrant comment les identités ethniques participent activement à la création, de ce que Kipré qualifie à juste titre, de « frontière de séparation [22] ». La seconde partie est consacrée à l’apport du concept de l’« humanisme de la diversité » dans la refondation des États-nations démocratiques en Afrique noire. D’où son intitulé « Refondation de l’État-nation démocratique en Afrique noire à la lumière d’un humanisme de la diversité ». En partant de l’exigence moderne qui consiste à penser les conditions d’un pluralisme démocratique, nous y essayerons de clarifier la pensée de Renaut. Nous dégagerons sa portée en Afrique noire en montrant comment cette pensée pourra permettre aux Africains, par-delà leur diversité ethnique, de tracer des « frontières de contact » entre eux.



[1] Nous empruntons cette expression à cette C. Z. Bowao, L’imposture ethnocentriste. Plaidoyer pour une argumentation éthique du politique, Brazzaville, les Éditions Hemar, 2014, p. 26.

[2] C. Z. Bowao, Ibid., p. 48.

[3] L’expression est de C. Z. Bowao, Ibid.

[4] R. Otayek, « L’Afrique au prisme de l’ethnicité : perception française et actualité du débat », Revue internationale et stratégique, n° 43, Paris, 2001, p. 129.

[5] Par survalorisation nous ne nous référons pas seulement aux populations et hommes politiques qui trouvent un prétexte pour se conserver au pouvoir, un ressourcement aux multiples revendications mais aussi aux intellectuels qui en font une spécificité des États africains.

[6] Nous pensons essentiellement aux violences ethniques qui suivirent les élections du 27 décembre 2008 au Kenya et qui ont fait d’après les estimations 3500 blessés, environ 350 000 déplacés et plus de 1200 morts.

[7] E.-M. Mbonda, “La « justice ethnique » comme fondement de la paix dans les sociétés pluriethniques. Le cas de l’Afrique.”, in J. Boulad-Ayoub et L. Bonneville (dir.), Souveraineté en crise, Québec, L’Harmattan et Les Presses de l’Université Laval, 2003, p. 27.

[8] J. Habermas, L’intégration républicaine. Essais de théorie politique, Paris, Fayard, 1998, p. 217.

[9] R. Dahl, De la démocratie, Chicago, Nouveaux Horizons, 1998, p. 189.

[10] A. Renaut, Un humanisme de la diversité. Essai sur la décolonisation des identités, Paris, Flammarion, 2009, p. 372.

[11] Il s’agit de la « justice compensatrice » qu’il développe amplement dans son ouvrage Égalité et discriminations, Paris, Seuil, 2007.

[12] Nous reprenons l’expression de F. Constant, Le multiculturalisme, Paris, Dominos-Flammarion, 2000, p. 89.

[13] Pour parler comme F. Fukuyama, La fin de l’histoire et le dernier homme, Paris, Flammarion, 1989, p. 15.

[14] A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 280.

[15] S. Mesure et A. Renaut, Alter ego. Les paradoxes de l’identité démocratique, Paris, Flammarion, 1999, p. 23.

[16] M. Walzer, Traité sur la tolérance, Paris, Gallimard, 1998, p. 18.

[17] J. Copans, La longue marche de la modernité africaine, Paris, Karthala, 1990, p. 12.

[18] J. Habermas, op. cit., p. 208.

[19] M. Elbaz, « L’inestimable lien civique dans la société-monde », in M. Elbaz et D. Helly (dir.), Mondialisation, citoyenneté et multiculturalisme, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2000, p. 25.

[20] A. Renaut, Un humanisme de la diversité, op. cit., p. 342.

[21] Ibid., p. 265.

[22] P. Kipré, « La crise de l’État-nation en Afrique de l’Ouest », Outre-Terre, n°11, Paris, 2005, p. 22.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 26 octobre 2017 8:43
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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