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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article d'Omar AKTOUF, “La communauté de vision au sein de l'entreprise: exemples et contre-exemples.” Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction de Gladys L. Symons, avec la collaboration de Yves Martin, La culture des organisations. Questions de culture, no 14, pp. 71-98. Québec: Institut québécois de recherche sur la culture (IQRC), 1988, 220 pp. [Autorisation formelle accordée par l'auteur le 18 février 2006 de diffuser toutes ses publications.]

[71]

Questions de culture, no 14
“La culture des organisations.”

DEUXIÈME PARTIE
3

 “La communauté de vision
au sein de l’entreprise :

exemples et contre-exemples.”
 *

par
Omar AKTOUF

En ces temps où l'on voit proliférer les travaux, recherches, publications et théories consacrés à ce que l'on dénomme « culture organisationnelle », je crois qu'il convient d'effectuer une certaine mise au point afin de se situer dans ce qui constitue déjà une véritable jungle. J'ai, en particulier, de plus en plus de mal à me retrouver dans ce que j'appellerais la « branche dominante » en la matière : une sorte de frénésie, déguisée ou non, de remplacement des bonnes vieilles psychologie et sociologie industrielles par une « anthropologie industrielle » se basant, sinon tout à fait sur les mêmes méthodes, du moins sur les mêmes prémisses et finalités, essentiellement productivistes et manipulatrices. Je ne peux partager en aucune façon ce que l'on peut mettre sous des titres tels que Gaining Control of Organizational Culture, Managing Symbols, Cultural Diagnosis, Engineering Culture, Improving Cultural Values... genres de titres que l'on rencontre de plus en plus, aussi bien sous forme d'ouvrages que d'articles, que de colloques et de symposiums [1].

Il me semble qu'il faille une bonne fois — et en cela je joins ma voix à celles de R. Witkin d'Exeter, de M. Alvesson de Lund, de B. Sievers de Wuppertal, de L. Smircich de Cornell... [2] — rompre [72] avec cette mentalité volontariste-maximaliste qui anime peu ou prou bon nombre de chercheurs de ce champ, notamment nord-américains. Je ne crois pas qu'il faille que nous reconduisions indéfiniment cette sorte de systématique et aveugle « service aux managements », avant tout préoccupé de rentabilité à court terme et fort peu de connaissance ou de compréhension. Dans ce domaine, plus que dans bien d'autres, il est peut-être grand temps d'ouvrir la voie à ce que A. Toffler dénomme « la déchirante autocritique », condition sine qua non, d'après lui, du passage à de nouvelles formes — et philosophies — d'organisations, plus « adaptatives ». Utiliser ce mouvement pour tenter de donner des recettes de fabrication de super-leader-friendly herœs, dont les employés n'ont qu'à suivre hardiment et symboliquement (surtout pas matériellement) le charismatique panache, ne me semble rien d'autre qu'une « fort vieille potion » que l'on veut passer dans une « nouvelle bouteille », pour paraphraser W. F. Whyte lui-même [3].

Il me semble enfin que l'on ne répétera jamais assez que les disciplines et méthodes de l'anthropologie ont toujours été animées par — et conçues pour — le souci de mieux connaître et mieux comprendre les regroupements humains, jamais pour essayer d'en manipuler ou d'en transformer les valeurs ou les symboles. Notre rôle, face à des modèles qui nous fascinent, tel que celui du Japon, est d'abord de comprendre — et de faire comprendre — en quoi les collectivités peuvent être animées de préoccupations et d'orientations moins individualistes et plus « viscéralement » synergiques. Et, à ce chapitre, l'une des grandes leçons que nous donne l'ethnologie est que les communautés ne se réalisent en tant que telles qu'à travers une constante dialectique-congruence entre vie concrète-matérielle, vie sociale et vie immatérielle-symbolique [4]. En aucun cas, il n'est question de recourir au seul partage de désincarnés « credos », de « projets », de « slogans » ou encore de « symboles », de surcroît préfabriqués par des « ingénieurs de cultures ». Il n'y a ni mythes ni rites ni symboles sans action et « actes primordiaux » et, dans le cas qui nous occupe, sans substrats matériels et sociaux auxquels ils renvoient directement ou indirectement. Toute situation qui vise le partage et la convergence [73] des valeurs-symboles-comportements doit d'abord viser le partage des substrats nécessaires : celui qui établit concrètement et dans la vie de tous les jours (le cas de Cascades est là pour nous le démontrer) une communauté vécue et agie autour de mécanismes d'appropriation réelle du travail et de ses fruits. Le symbole en tant que signe ou signifiant ne peut renvoyer à lui-même ; en dehors, et encore à l'extrême limite, des domaines de la magie ou des religions, il ne peut que renvoyer à un signifié qui doit exister. Des symboles de partage ou de communion ne peuvent être sans conditions concrètes — préalables — de partage et de communion. Une telle position peut paraître radicale et même peut-être extrémiste, mais à l'instar de B. Sievers [5], on se doit de répéter, avec force, qu'il n'y a pas de « dieux » en management. En effet, seules des divinités permettent une production surnaturelle de symboles qui peuvent parfois transcender la vie matérielle...

Il est donc ainsi clair, je pense, que mon propos cherchera à s'attacher principalement au rapport vie matérielle-concrète/systèmes de représentations-symbolismes engendrés dans l'entreprise. Seul ce rapport peut et doit, à mon sens, alimenter nos efforts de compréhension — et d'authentique recherche — des conditions de formation de « communautés-cultures organisationnelles ».

QUELQUES QUESTIONS PRÉLIMINAIRES
DE THÉORIE ET DE MÉTHODE


C'est tout à fait sciemment que, dans le titre du présent travail, je parie de « vision » de non de « culture ». Car, à y voir de plus près, il ne peut s'agir, au sein de l'entreprise, que de « sous-cultures » nécessairement inscrites dans une culture plus large, celle de la société globale. Il est donc à mon avis impropre de parler de « culture de l'organisation », sinon par inévitable référence à ce qu'est le contexte, le « bain social » dans lequel est née et vit l'organisation en question. Mais cela est forcément un dessein et un champ trop larges. Laissons-les aux maîtres ès arts en la matière : les spécialistes de l'anthropologie sociale. Quant à nous, qui nous [74] intéressons de façon bien plus prosaïque à la description-compréhension des facteurs d'ambiance propices à la synergie-performance collective — que nous dénommons « culture organisationnelle » — il ne nous est pas loisible de nous occuper d'autres choses que d'épiphénomènes, souvent sporadiques et fragiles, par contraste avec les phénomènes de culture, profondément enracinés dans un vécu collectif et une structure-histoire [6] qui transcendent très largement les personnes et s'inscrivent dans le temps. Pour moi, il y a d'abord « vision » ou « visions », et ensuite, peut-être, quelque chose qui peut se rapprocher de sous-culture locale, plus « ambiance » et « partage de signifiés-signifiants », provisoirement communs autour d'un consensus provisoire, qu'« ensemble de façons identiques, conscientes et inconscientes de sentir, agir, réagir... » Si donc, il est préférable de parler de « vision », encore faut-il en déterminer le sens, le contenu et le mode d'approche-reconstitution. Je ferai appel pour cela à L. Dumont [7], L. Vallée et G. Condominas [8], entre autres, pour nous conduire, à travers les notions d'opposition-englobement, de systèmes de représentations et d'espace social, vers ce qui, à mon sens, peut constituer ce que j'entends désigner par « vision » au sein de l'entreprise.

Dans Homo hierarchicus, L. Dumont nous montre comment la société des castes de l'Inde ne peut se comprendre sans admettre un soubassement fondamental et paradoxal constituant à la fois l'unité et les différenciations dans le système social indien : « l'opposition synthétique a priori ». Le système de castes englobe et oppose à la fois les castes les unes aux autres ; il est impossible d'en comprendre la structure et la dynamique en dehors de la double dialectique « pur/impur » et « unité/opposition ». Ce n'en est pas moins « une » culture. Les dissemblables, voire les opposés, peuvent tout aussi bien coexister au sein d'un même mouvement d'idéologie [9], de croyances et d'organisation des symbolisations-langages-comportements. G. Condominas nous en livrera une autre illustration à propos des Mnon-Gar de la vallée du Mékong au Vietnam : il parle alors d'« espaces sociaux » particuliers pour caractériser — et comprendre — les « vécus » différents constatés sur le terrain du même ensemble ethnique et culturel Mnon-Gar [10].

[75]

Il ne sert donc à rien de rechercher de façon compulsive « la » culture de l'organisation, conçue majoritairement et d'avance comme « une » et monolithique, sinon dans les faits, du moins dans l'idéal. Bien entendu, sur le fond de la question, je n'apporte rien de particulièrement nouveau car, bien qu'à travers l'ensemble de la littérature courante on semble l'ignorer, des auteurs tels que M. Burawoy [11] ou A. Wilkins et W. Ouchi [12] ou encore M. Alvesson [13] ont déjà fort bien traité de ce problème. Je considère donc que ce qu'il convient de dénommer « culture d'entreprise » touche avant tout aux aspects intangibles, immatériels, c'est-à-dire, comme dirait L. Vallée [14], « représentationnels » de la vie de l'organisation. Mais l'étude du phénomène implique au moins trois « ordres » d'investigation concomitants : structurel, dialectique et diachronique. Comme l'explique G. Condominas :

Le problème au sujet du concept de culture, c'est qu'il nous amène à présenter les faits sous une forme synchronique... Il importe de comprendre qu'on ne définit pas une culture par une étiquette, car la culture c'est d'abord un faisceau de traits, mais il faut y ajouter aussi une idée de dynamique [15].

On rejoint ici K. Marx et F. Engels qui établissaient déjà l'indissolubilité du lien « structure-histoire » dans l'étude des sociétés... L. Vallée explicite cette dynamique dialectique entre symbolismes et objets de symbolisation dans la production des systèmes de représentations (et des systèmes culturels) tels que vus par l'anthropologie :

Il n'y a pas de rupture entre les deux parties de l'univers des êtres humains (le naturel [matériel] et le surnaturel [immatériel]) mais seulement confrontation ; il existe des rapports dialectiques nécessaires entre les deux ; il y a donc continuité [16].

Il faut bien établir ici que l'approche de la culture de l'entreprise passe par les liens qu'y entretiennent les protagonistes les plus importants — ceux qui produisent et ceux qui font produire, dans le cadre d'une histoire « inscrite » dans les bases structurelles autour desquelles une « nécessaire dialectique » se noue entre éléments de contexte, symbolisations, croyances et actes. En fait, le plus fondamental reste de savoir si dirigeants et dirigés, « organisation [76] et individus » (entendre surtout : management et employés) peuvent vivre quelque réelle convergence, quand il s'agit de « partager » une conception de ce qui est fait et de ce pourquoi on le fait...

Systèmes de représentations, vécus, symboles et visions

Pour l'anthropologie et la sociologie, la notion de culture renvoie à « un ensemble lié », à la fois « objectif et symbolique », constituant une « collectivité ». Ce sont là les éléments qui retiennent le plus l'attention [17] et qui rapprochent des deux autres notions que je crois centrales pour notre propos, celles d'« espace social » et de « système de représentations ». Pour G. Condominas, le concept de « culture », à lui seul, semble très gênant pour rendre compte de ce qui caractérise, tout en respectant les différenciations internes, une « ethnie » entière. Le fait est que chaque village, au sein de l'« ethnie » Mnon-Gar induit un vécu différent chez ses membres ; vécu pourtant « appartenant » à l'ensemble Mnon-Gar. Condominas préfère alors « forger » un outil qui lui semble plus apte à transcrire ces vécus particuliers, l'« espace social » :

Ce serait en définitive l'espace délimité par l'ensemble des systèmes de relations caractéristiques du groupe étudié [...] mais la réalité sociale de ces gens, c'était le finage, c'est-à-dire tout ce qui se passait à l'intérieur des limites du village [...]. L'homme, sorti du finage, était à la fois l'hôte et l'ennemi... Et le concept de culture n'était d'aucune utilité pour résoudre cette difficulté qui était de passer de la réalité statique au vécu [18].

Dans ma propre expérience d'observateur participant, j'ai bien sûr eu à rendre compte de « vécus » et de « systèmes de représentations ». J'ai, très concrètement, rencontré la même difficulté que Condominas [19] : comment passer d'une réalité contextuelle conçue comme « objectivement commune » à des « vécus » que je ne tardais pas à reconnaître comme nettement différents ? Cette plongée dans le terrain a provoqué la confrontation à quelque chose que tout un chacun vit déjà (confusément) en situation d'entreprise : d'un département à l'autre, d'un niveau hiérarchique à l'autre, on est souvent, peu ou prou, à la fois « l'hôte et l'ennemi » [20].

[77]

Et cela est encore bien plus frappant lorsqu'il s'agit d'un ouvrier se rendant aux bureaux de la direction ou d'un haut directeur se rendant dans les ateliers de production. Adoptons donc avec G. Condominas la notion d'« espace social » pour désigner ce que vivent, chacun de leur côté, les dirigeants et les ouvriers, tout en partageant un contexte technologique, idéologique, et organisationnel « objectivement » commun. Mais c'est L. Vallée qui va nous permettre de faire la jonction du vécu au culturel, via un « espace social » lisible à travers les « systèmes de représentations », eux-mêmes inscrits dans les activités symboliques — ou de symbolisation — dont la plus « éloquente » est l'activité de langage. En effet, le modèle que propose cet auteur répond aux exigences que je posais plus haut, c'est-à-dire l'explicitation des représentations mentales à partir du triptyque structure/diachronie/dialectique, en posant comme base d'analyse les relations réciproques et constantes entre les trois systèmes qui constituent l'ossature de tout groupement humain : le système de production des biens matériels, celui des « biens sociaux » (règles, organisations...) et celui des « biens immatériels » (symboles, croyances...). C'est, bien entendu, le troisième système qui nous intéresse le plus puisque, construit, nourri et transmis (y compris dans le temps) à travers l'interaction avec les deux autres, il nous livre les visions (sources de valeurs, croyances, attitudes...) des groupes humains ; autrement dit, leurs « représentations ». Comment accéder à ces représentations ? Au-delà des idéologies officielles et des rationalisations ? L'une des clés privilégiées semble passer par l'instrument de symbolisation fondamental, le langage, mais dans un sens à la fois direct et très large. Reprenons avec L. Vallée :

Les instruments de la représentation se manifestent sous deux formes fondamentales : théorique d'abord, c'est-à-dire à travers un vaste corpus d'idées organisées, et pratique, c'est-à-dire par un ensemble d'actes, d'actions, de gestes... à caractère symbolique.

[...] Cette représentation est chargée de sens. Elle est donc, comme le dit Lévi-Strauss, un langage.

[78]

Cette pratique symbolique comprend rites et rituels, cérémonies, spectacles, gestuelle, rêves, formes et rythmes, conduites et procédures, et l'instrument symbolique par excellence : la parole [21].

C'est de nouveau la confrontation au problème du passage de la réalité statique au « vécu » que nous posions plus haut avec G. Condominas. Vallée et lui se rejoignent — et nous facilitent la tâche — lorsque Condominas explique :

[...] le vécu c'est autre chose qu'une énumération de faits : car derrière le vécu, il y a des hommes avec leurs sentiments, leurs ambitions, leurs peines, leurs joies, et je crois que rien n'égale cela [...] ce qui est le propre de l'homme c'est son sens de l'histoire, du passé comme du futur... [22]

Ce « sens de l'histoire » est, pour moi, tout à fait central à la notion de « vécu » et à celle de « représentation », toutes deux pouvant se ramener à l'expression de visions véhiculées par des pratiques symboliques où le langage tient un rôle de premier plan :

Le langage est faculté de symbolisation. En fait, il représente la principale activité symbolique de l'individu. Se représenter la collectivité ou la nature, c'est l'évoquer ou l'invoquer par des signes, c'est-à-dire dans un langage [23].

La démarche consiste donc, selon toute logique, à prendre pour ainsi dire l'ensemble du processus à rebours :

1. Avoir accès, par le partage de la situation avec les acteurs, à leurs activités symboliques : actes, habitudes, locutions, comportements, gestuelle... ainsi qu'à leur « historicité », leur « vécu en perspective ».

2. Avoir accès au symbolisme privilégié qu'est le langage par la reconstitution des glossaires, idiosyncrasies, systèmes langagiers... des principaux protagonistes [24].

3. Décoder selon les « clés de lecture » du contexte et des théories de la communication les symbolisations en jeu et en « inférer » ainsi les systèmes de représentations en présence [25].

4. Dresser enfin à l'aide de ces « représentations », répertoriées et « agrégées », les contours fondamentaux « d'espaces sociaux » [79] spécifiques et donc de « contenus culturels » renvoyant à une (ou plusieurs) « vision » homogène au sein de l'entreprise.

EXEMPLES ET CONTRE-EXEMPLES :
LE CAS D'USINES DE BRASSAGE
ET DE PÂTES ET PAPIERS


Dans cette partie de la présente réflexion, je voudrais essayer de montrer comment mon travail de recherche sur le terrain, avec l'aide d'anthropologues [26] et sur la base de la méthode anthropologique (notamment l'observation participante), m'a conduit à recenser et à décrire ce que je peux aujourd'hui appeler des « exemples » et des « contre-exemples » de réalisation de vécus-visions communs au sein de l'entreprise. Commençons par les « exemples », ou plutôt par « l'exemple », car il n'y en a qu'un pour l'instant, dans la recherche que je conduis et qui doit couvrir, sur trois à quatre années, un échantillon de quatre à six entreprises de secteurs différents [27]. Il est tout de même assez édifiant, je crois, de constater que sur quatre entreprises étudiées jusque-là, une seule présente un certain nombre de caractéristiques de ce qui peut être considéré comme « une » « culture » (sacrifions au terme consacré sans perdre de vue notre importante distinction vision/culture). Est-il utile de préciser que le « choix » de ces entreprises s'est fait strictement selon le hasard des disponibilités, des possibilités, des ouvertures et des bonnes volontés des dirigeants...

Un exemple de vision partagée :
Cascades-Kingsey Falls
 [28]

L'entreprise Cascades fut fondée en 1964 par Bernard Lemaire qui a repris en main un vieux « moulin » de pâte à papier abandonné, à Kingsey Falls. Depuis le début des années 1970, Cascades ne cesse de croître très rapidement. D'une usine en 1972 à vingt-cinq en 1985 (y compris à l'extérieur du Canada), la compagnie compte aujourd'hui près de deux mille employés et s'appuie sur un chiffre d'affaires de plus de trois cents millions de dollars. Elle se distingue [80] tout particulièrement par sa politique de partage des profits, d'ouverture et de valorisation envers tous ses employés, ainsi que par la remarquable capacité de ses dirigeants à faire très rapidement d'entreprises en total déclin des firmes dynamiques et prospères. La méthode utilisée ici fut l'observation participante précédée, accompagnée et suivie d'interviews en profondeur. Elle allie « ethnographie », « ethnolinguistique » et, enfin, « ethnographie de la communication » [29]. Mon collaborateur anthropologue et moi-même fûmes secondés par deux assistants de deuxième cycle pour totaliser près de quatre-vingts jours de présence sur les lieux de production, essentiellement dans les installations de Kingsey Falls. Les interviews préliminaires ainsi que celles des différents niveaux de management ont été conduites par les professeurs, assistés des étudiants-chercheurs. Les séjours d'observation participante (incluant le travail à différents postes, le partage du travail de nuit, la présence aux fêtes et cérémonies...) ont été effectués en trois tranches d'environ vingt jours chacune.

Cette recherche est, bien entendu, loin d'être achevée. Elle devrait, pour une connaissance plus approfondie, et une plus juste appréciation des effets et possibilités de la « philosophie Cascades », s'étendre à bien d'autres lieux de production de la compagnie (syndiqués, nouveaux, éloignés...) et sur une bien plus longue période : deux à trois ans au total. Ce n'est donc ici que le résultat d'un tout premier défrichage qui relève surtout les « nouveautés » et les différences saillantes — souvent en faveur de Cascades — qui transparaissent par rapport à des modes de gestion plus « traditionnels ». En l'espace de quelque quinze années, Cascades est passée de l'état de petite entreprise familiale quasi artisanale de récupération de papier, de verre et de métal, à la dimension d'une multinationale florissante. Au plus fort de la récession des années 1980-1983, elle n'a connu que succès sur succès. De 15 millions de dollars environ à la fin des années 1970, son chiffre d'affaires vise aujourd'hui les 400 millions ! Ses niveaux de performance et sa productivité lui ont valu le « prix de l'entreprise de l'année » au Québec en 1985. À quoi doit-elle cette remarquable réussite ? « D'abord et avant tout à nos ouvriers », disent en chœur les trois [81] frères dirigeants de l'entreprise. Nous avons essayé de savoir ce que cela recouvrait plus exactement.

Tout d'abord, le premier constat qui s'impose à l'observateur, c'est un style de management très ouvert, à tous les échelons, et une liberté — voire une incitation — de parole complète et généralisée. Ce qui frappe ensuite, c'est le faible nombre de niveaux hiérarchiques : quatre niveaux en gros, depuis le simple employé jusqu'aux vice-présidents du siège social. Voilà donc deux éléments de première importance auxquels se combine tout un ensemble de pratiques qui, pour le gestionnaire classique, semblerait une hérésie managériale :

Le court-circuitage de la hiérarchie est courant et parfaitement admis (un ouvrier peut se rendre au siège et poser son problème directement au président ou à un vice-président).

Les titres et désignations des postes sont flous et considérés par tous comme sans importance (on peut être simplement « chargé de » ou « responsable de »).

Les postes (y compris de hauts niveaux) ne font l'objet d'aucune description ni fiche de poste. On se contente d'expliquer dans les grandes lignes ce que chacun aura à faire.

Les portes de bureaux, d'ailes, d'édifices... sont toutes strictement ouvertes à qui le veut. La consigne générale est d'éviter soigneusement d'avoir à refuser un entretien à qui que ce soit dans la compagnie, quelle que soit la raison (le président, Bernard Lemaire, a l'habitude de dire que si l'employé considère que ce qu'il a à dire est important, cela suffit pour l'écouter).

Aucune information n'est considérée comme confidentielle vis-à- vis des employés. Hormis quelques détails techniques, toutes les informations sont disponibles, concernant la production, les profits, les ventes... et la plupart sont affichées (au mois près) dans tous les ateliers.

Dans les usines, il n'y a qu'ouvriers, gérants d'usine et leur adjoint. En dehors des heures de bureau, y compris les fins de semaine, il n'y a que les ouvriers, seuls. Le préposé à la machine centrale dans le processus est alors « responsable », sans être investi de pouvoirs officiels...

[82]

Les salaires payés sont parmi les plus élevés du secteur (à titre de comparaison, l'entreprise de transformation de papiers de Montréal, de même type que l'une des usines de Cascades à Kingsey Falls, paye exactement moitié moins). Le salaire annuel moyen de l'ouvrier en 1986 est d'environ 30 000$.

Une portion substantielle du profit avant amortissement et impôts (qui peut aller, pour l'ouvrier, jusqu'à 7% de son salaire annuel) est redistribuée à tous les employés.

En 1982, à l'occasion de la première émission publique d'actions de la compagnie, il fut offert en cadeau aux employés cinq actions par année d'ancienneté.

Tous les employés peuvent se servir, à des fins personnelles et sans frais, de tout Outillage, installation ou véhicule de la compagnie, y compris les fins de semaines, il leur suffit d'informer.

Tout employé qui bâtit sa maison recevra sur demande, gratuitement, les matériaux de construction produits par la compagnie.

Tous les employés peuvent se rendre acquéreurs d'actions de la compagnie qui sont financées deux ans sans intérêt par l'employeur.

Tout le monde a le droit à l'erreur et est encouragé à « s'essayer », quel que soit le poste ou le niveau.

Tout le monde est encouragé à faire valoir son point de vue, à faire des suggestions. Chacun est écouté.

Il n'y a pas de cloisonnement de tâches ou de postes. Chacun peut, s'il le désire — et y est encouragé — s'initier à autre chose, apprendre, remplacer, permuter... il suffit qu'il y ait entente entre les employés concernés.

La mise à pied de quiconque est considérée à la haute direction comme « chose grave à éviter à tout prix ». On épuisera d'abord toutes les possibilités, y compris le transfert d'une usine à une autre.

Il y a assemblée générale de chacun des ateliers au moins une fois par année, y compris là où il n'y a pas de syndicat, pour discuter — directement avec la direction et un représentant de la haute direction (généralement un des frères Lemaire) — des conditions de travail, des augmentations de salaires, des doléances...

[83]

Bien entendu, les avantages sociaux sont tout à fait comparables sinon supérieurs à ce qui se fait de mieux dans le secteur et même ailleurs.

On peut donc se demander quels genres d'ambiances, de comportements et de rapports « organisationnels » une telle situation peut engendrer. Et aussi comment et pourquoi les hauts managers de cette entreprise en sont arrivés à ce genre de pratiques. Commençons par la seconde question. Il y a une véritable légende que tous connaissent et que tous répètent à Cascades : l'histoire des trois frères Lemaire, propriétaires dirigeants de la compagnie. Du dernier ouvrier au plus élevé des cadres, chacun sait que le père des Lemaire, Antonio, les a habitués à la vie dure du travailleur. Lui-même, ouvrier et syndicaliste, ne se comportait guère « comme un boss ». Les fils ont donc appris de leur père à respecter, considérer et... aimer l'ouvrier. À se mettre à sa place, à vouloir son bien pour que lui leur veuille du bien à son tour... Puis, l'aîné, Bernard, a systématisé et élargi cette façon d'être, avec ses deux frères Alain et Laurent : dialogue ouvert, transparence, rapprochement avec tous les employés, information libre, partage des profits, dons d'actions... au fur et à mesure qu'il faisait croître l'entreprise. C'est ce que tous appellent aujourd'hui « la philosophie Cascades ». « Philosophie » que les dirigeants exigent de tous les nouveaux venus, y compris des cadres d'entreprises en faillite ou quasi-faillite qu'ils relancent — toujours avec grand succès. Leur « secret » est là, disent-ils : ouverture, dialogue et proximité avec l'ouvrier, plus, ajoutent-ils, des actes concrets tels que le partage des profits, l'amélioration des conditions de travail, le réinvestissement dans les équipements... « Ce ne doit pas être juste des paroles, les employés sont touchés par les effets qui suivent les promesses », nous disait-on à la direction. Et les ouvriers rendent bien la « monnaie » d'une telle façon de voir : ils déploient de véritables actions spontanées et collectives d'intégration et de socialisation des employés des usines nouvellement acquises — en plus, bien entendu, de le faire systématiquement pour toute nouvelle recrue. C'est ainsi que l'ensemble des ouvriers d'une équipe de Kingsey Falls, profitant d'un jour de non-travail à leur usine, ont demandé, de leur propre chef, à avoir [84] un autocar pour aller visiter et passer la journée dans une entreprise fraîchement achetée par Cascades dans une autre région. Ils voulaient connaître l'entreprise et parler avec leurs nouveaux collègues, leur « expliquer » Cascades.

Quant à la première question, celle qui touche à l'ambiance générale, aux comportements et aux rapports, il est tout à fait visible dès le premier abord qu'il règne dans cette entreprise une atmosphère détendue, sereine et d'esprit très ouvert. Ainsi, dès la visite générale de démarrage de notre recherche, nos assistants n'arrêtaient pas de s'étonner de ce que personne ne surveille personne, de ce que les ouvriers forment régulièrement des petits groupes et discutent, de ce que les visages sont ouverts et souriants, de ce que certains postes de simples ouvriers sont pourvus de gros fauteuils rembourrés et confortables... Selon toute évidence, on peut dire que l'on est en présence d'une entreprise qui réunit à peu près toutes les caractéristiques d'instauration d'une « culture » commune, partagée et effectivement vécue par la majorité des membres : un langage largement commun et convergent, un même sentiment de solidarité et d'appartenance, une même identification à une figure unificatrice en la personne du président, une même vision des structures et des relations, un ensemble mythique organisé, et partagé à tous les échelons, autour des personnes des hauts dirigeants et des origines de l'entreprise (chacun connaît par cœur l'histoire et l'évolution de la compagnie depuis la première génération) ; on y voit aussi un ensemble de cérémonies et de rites bien installés et bien entretenus (en décembre-janvier 1985-1986, il nous a été donné d'être témoins de pas moins de trois cérémonies et fêtes dont deux réunissant l'ensemble des usines de Kingsey Falls, et toutes aux frais de la compagnie). On voit aussi dans cette compagnie des rites d'initiation fort bien structurés et scrupuleusement ritualisés pour tout nouveau membre, qu'il soit cadre, ouvrier, homme ou femme. On oblige la personne à se déguiser (un des hauts cadres a dû ainsi se déguiser en femme, se maquiller, danser pendant une cérémonie et garder cet accoutrement durant deux ou trois jours). Tout cela se fait dans la joie et les plaisanteries généralisées ; nous-mêmes avons partagé l'hilarité générale dans un restaurant bien [85] fréquenté par le personnel de la compagnie lorsque l'adjoint du responsable du personnel, un jeune homme très strict, venait nous rencontrer habillé en cover-girl et outrageusement maquillé ! C'était sa semaine d'initiation après moins d'une année de service à Cascades. Mais, par-dessus tout, l'entreprise est — concrètement — offerte comme lieu de partage et d'appropriation pour les employés : participation aux profits, participation aux actions, usage libre des produits, des moyens et outils de la compagnie à des fins personnelles, lieux ouverts à tous à toute heure, liberté de parole, structures et relations à base égalitaire, partage de toute l'information, accès aux décisions de gestion... Tout ce qui n'est que slogans et hypocrisie tactique ailleurs est ici réalité vécue : partenaires solidaires, convergence des objectifs et des intérêts, entreprise perçue comme « bien commun », transparence, « recherche du bien-être des employés »...

Premier contre-exemple :
les brasseries de Montréal et d'Alger


Il s'agit en fait des départements d'embouteillage et des directions d'usines locales de Montréal et d'Alger appartenant à deux grandes brasseries, où j'ai mené séjours d'observation participante, interviews et contre-interviews [30]. Dans l'une et l'autre usine, je fus introduit par les instances universitaires. Dans l'une et l'autre — contre l'avis des directions —, j'ai clairement fait savoir à tous les ouvriers que j'étais là pour un « travail universitaire ». Ce qui m'a valu le statut de « p'tit prof » ainsi qu'une collaboration sans réserve de la part de presque tous. J'ai partagé tous les aspects de la vie à l'usine des ouvriers des départements d'embouteillage (travaillé à tous les postes, pris les pauses et les repas avec eux, partagé les mêmes vestiaires...).

Toutes deux vieilles d'environ une cinquantaine d'années, ces brasseries sont, par chance, tout à fait comparables à tous points de vue : situées à proximité de grandes villes, de même taille, à peu près du même âge, utilisant la même technologie, disposées, pour l'embouteillage, dans les mêmes séquences depuis les cuves [86] de lavage des bouteilles jusqu'à la mise en cartons, entièrement mécanisées (les ouvriers « surveillent », pour l'essentiel, les flux automatiques du processus), syndiquées et organisées très « classiquement » selon un schéma centralisé et hiérarchique. Seuls diffèrent les effectifs, les débits et les salaires, tous trois plus élevés à Montréal, ainsi que le nombre de lignes d'embouteillage et leur modernisation. Les conditions posées par les directions étaient aussi identiques : un « rapport » à la fin du séjour et l'anonymat. Ces séjours furent pour moi des plus pénibles et des plus décevants, quant à l'action des gestionnaires et des conditions qui sont faites aux ouvriers et employés [31]. C'est l'usine du XIXe siècle dans les faits, avec, dans les discours, un langage « managerial-relations humaines » dans un cas et « émulation socialiste » dans l'autre. Si l'on s'appuie sur l'étude des systèmes de langage [32], on peut affirmer que le langage y apparaît comme un phénomène autour duquel se joue une très nette confrontation, reflet des confrontations plus profondes liées à la nature et à la base structurale du système social de l'entreprise. Il est ainsi apparu un clivage correspondant nettement au clivage dirigeants/dirigés, mais également à des démarcations entre différents autres discours qui peuvent être présents à l'usine : haute hiérarchie, moyenne et basse hiérarchie, syndicats [33], employés anciens et employés plus jeunes... Il a été donc possible, grâce à la teneur « indirecte » de ces langages, de recenser au moins quatre systèmes de « représentations symboliques », différents, mais surtout opposés, pour l'essentiel, selon un schéma objectif de « trois contre un » ; ceux du management/contremaîtres/syndicats-maison « contre » celui des ouvriers. Bien que les trois premiers présentent quelques différences entre eux, face à celui des ouvriers, ils se présentent comme objectivement convergents. Bien sûr, ce qui retient l'attention, c'est le clivage langagier de fond englobant et même masquant les autres : le clivage dirigeants/dirigés.

Ces deux grands systèmes de langage indiquent l'existence de deux mondes très différents. Ils témoignent d'une situation de fermeture et de coupures entre dirigeants et dirigés. Dans l'une et l'autre brasseries, ce qui frappe, c'est le contenu très rétrograde de l'imagerie que les directions entretiennent d'elles-mêmes, de l'entreprise [87] et des relations du travail. Il y domine un taylorisme tout à fait primitif et un paternalisme naïf, en même temps qu'une sorte d'occultation quasi délibérée de la réalité [34]. Les directeurs de ces usines se conçoivent d'abord eux-mêmes comme étant des instruments au service d'une sorte d'abstraction immanente : « le Siège » ou « la Haute Direction ». Lesquels siège ou haute direction n'auraient aucune autre finalité que la « productivité à tout prix ». Immanquablement, chacun des directeurs rencontrés a brandi son relevé de production ou ses états statistiques pour montrer l'importance des responsabilités qui pèsent sur lui. C'est le culte des chiffres et du jargon comptable, et tout ce qui est l'entreprise semble devoir s'y réduire. Dès lors, la philosophie de gestion de ces directeurs s'impose d'elle-même : les chiffres, la discipline, le rendement, les coûts... le reste n'est qu'accessoire ou perte de temps.

On peut compléter le tableau par leur conception du contremaître et de l'ouvrier. Le premier doit être un « gendarme », un « surveillant à poigne », qui « respecte les directives et les prévisions », qui « tient ses hommes en main », qui « doit donner l'exemple de la ponctualité et de la discipline »... Quant au second, pour qu'il soit « bon », il doit être « docile, discipliné, obéissant, silencieux »... omniconsentant et soumis ! Les deux entreprises entretiennent pendant des années des cohortes d'ouvriers temporaires qui constituent le creuset d'où sort cet employé idéal. Un des directeurs nous a même parlé d'« user » ainsi l'ouvrier avant de le « permaniser ». Mais la plupart des ouvriers (pour ne pas dire tous) sont, dans le discours de ces directeurs, des « chahuteurs », des « capricieux », des « paresseux sans ambition »... qui doivent être constamment « sous surveillance »... si on veut en « tirer le maximum ».

En même temps qu'une profession de foi, un discours, des attitudes (et en fait une réalité) relevant du taylorisme le plus étroit [35], ces dirigeants affichent volontiers des convictions du genre « former une belle famille », « s'intéresser au sort de chacun », « être parmi eux le plus possible », « établir un dialogue permanent »...

Pour ce qui est de la basse et moyenne hiérarchie, sa « philosophie » se résume à : « Ce que la compagnie veut, c'est des [88] résultats ». La direction est, à leurs yeux (selon la façon dont ils en parlent et selon l'obséquiosité généralisée de leur comportement envers elle), un temple où s'activent des équipes de « savants » et de « grands techniciens ». Aucune philosophie officielle ne leur est donnée (hormis les plans de production, rien d'autre ne se discute avec la direction), mais ils « savent » « ce que les dirigeants veulent » et ce qu'« il faut faire »... Par exemple, ils « savent » que la compagnie ne veut pas des « mous », ni des « bon gars » comme contremaîtres ; elle veut — et elle encourage — ceux qui « tiennent en main » les ouvriers... Dans l'imagerie du contremaître, induite, on ne sait comment, par les directions, l'ouvrier qui « produit » est celui que ne doit jamais quitter la crainte des « chefs » [36].

Cela nous amène à l'image que les contremaîtres se font de l'ouvrier : sauf rarissimes exceptions, « les ouvriers », dans leurs actes et langages, constituent une sorte de masse uniforme génétiquement réfractaire au travail et indigne de confiance. Il faut « combattre » sans relâche les « vices » de l'ouvrier, y compris « pour son propre bien »... « Comment voulez-vous en tirer le maximum autrement ? »... Reste l'excuse et le prétexte généralisés. De fait, on emploie à l'égard des ouvriers un véritable vocabulaire de dressage ; ils sont massivement tenus pour des êtres pétris de défauts et de perversité : « c'est dans leur mentalité », me précisait le directeur d'Alger...

Quant aux ouvriers eux-mêmes, il est tout à fait édifiant de les voir répéter à propos d'eux-mêmes : on n'est « rien du tout », « du bétail », « des légumes », « des machines »... [37] Il y a à travers cette vision d'eux-mêmes une vision « complémentaire » de ce qui les entoure : l'entreprise, ses représentants, ses dirigeants, ses délégués, etc., tout cela n'est que mépris du travailleur, hypocrisie et tromperie. La direction n'est qu'une lointaine entité peuplée d'inconnus tout-puissants et dédaigneux. Une seule chose les intéresse : le taux de production et le profit... « Ils ne viennent que pour la bière », « moi je n'ai jamais vu leurs têtes », « il y a un Dieu au ciel, et eux, ce sont les dieux sur terre »... Il s'exprime très clairement l'idée que, pour l'ouvrier, l'entreprise est un lieu de déchéance personnelle : [89] « Même les animaux ça traite pas comme ça ses semblables »... Voilà donc comment l'employé de nos deux brasseries vit son rapport à la hiérarchie et comment il se la « représente », ainsi que l'entreprise : un univers d'hostilité, de déchéance narcissique du moi, de comportements vulgairement matérialistes et avides et de grande hypocrisie dont personne n'est dupe... « Nous ne sommes que du bétail pour eux », « ils serrent les rangs contre nous »... en sont des expressions typiques.

L'employé n'est admis à être et à s'exprimer qu'en tant qu'écho de l'idéologie des dirigeants, laquelle s'ingénie à remplacer la réalité vécue par des rites langagiers exaltant l'entreprise-famille et l'ouvrier — motivé — satisfait d'un côté, et le travailleur — militant de l'entreprise — bien collectif, de l'autre [38].

Deuxième contre-exemple :
l'usine de transformation de papier — Montréal


Pour des raisons de commodité et d'anonymat, appelons cette usine « l'entreprise Papiers-Montréal ». Il s'agit d'une PME d'environ cinquante personnes dont quarante employés, à peu près tous journaliers (donc susceptibles d'être mis à pied à volonté — selon une certaine règle d'ancienneté, cependant). Elle est en tous points similaire à une des usines Cascades de Kingsey Falls, spécialisée dans la fabrication de produits de transformation de papier : napperons unis, imprimés ou en relief, fonds de plateaux, barquettes, sous-tasses, filtres à café... Papiers-Montréal dessert l'ensemble du marché canadien et semble assez prospère, depuis deux à trois ans — bien que « créée » depuis plus de dix ans. Son chiffre d'affaires est passé à six millions de dollars en 1985 et elle compte ouvrir incessamment une autre usine en Ontario. Le processus de production est, comme dans les brasseries, et comme chez Cascades, entièrement mécanisé et semi-automatique : à peu près tous les postes ne requièrent que des travaux d'alimentation ou de surveillance des machines.

[90]

Avec mon collaborateur anthropologue et un assistant, nous y avons effectué une dizaine de jours d'interviews systématiques et un séjour d'observation-participante (essentiellement notre assistant) d'environ deux mois. Il ressort de l'étude de cette entreprise que c'est bien plus largement le modèle des brasseries qui y domine plutôt que celui de Cascades :

Un climat de méfiance et d'hostilité général et réciproque, qui s'est, semble-t-il, considérablement aggravé depuis que la direction a entrepris diverses mesures de représailles suite à l'introduction du syndicat, il y a quelques années : suppression de locaux de repos, surveillance systématique, harcèlement pour quelques minutes de retard ou d'absence ou d'arrêt de production...

Un cloisonnement strict entre dirigeants et dirigés, même sur le plan physique : la « haute » direction ne communique avec l'atelier de production que par un étroit couloir (dont la porte est un miroir du côté atelier et une vitre transparente du côté direction) et le « bureau » des contremaîtres est une sorte de « tour de contrôle » juchée au centre de l'atelier, surélevée et vitrée de tous côtés. Les contremaîtres (deux) y sont assis sur des fauteuils pivotants qui leur permettent de garder une constante vision panoramique de ce qui se passe dans tout l'atelier.

Comme dans les brasseries, la parole est prohibée (bien que le vice-président, fils du dirigeant propriétaire, soit souvent considéré comme « parlable ») et de toutes les façons très difficile compte tenu du bruit, de la distance entre postes, de la cadence et de la surveillance des contremaîtres. Ici aussi, « parler c'est perdre du temps ».

À peu près tout ce qui touche à la direction de l'entreprise est le secret des patrons : chiffre d'affaires, profits, projets (y compris celui de l'installation en Ontario), processus de production (des napperons en relief par exemple qui est une sorte d'exclusivité)... Un des dirigeants m'a même dit : « Iriez-vous donner le contenu de votre compte en banque à n'importe qui ? Notre profit c'est la même chose, ils (les employés) n'ont pas d'affaire à le savoir ! ».

Toujours comme dans les brasseries, il y a là un discours volontiers paternaliste chez les dirigeants : « nous étions une famille... », certaine « brebis galeuses ont cru bon de rentrer le syndicat », mais nous [91] « comptons sur les « bons » ouvriers « sérieux et fidèles » qui « marchent avec nous la main dans la main »...

Il y a même des vocables précis pour désigner ces catégories d'employés : les « moutons noirs » et les « hommes-clés ». Les premiers sont considérés comme peu sérieux, peu intéressés à la compagnie, peu zélés et, par-dessus tout, comme insistait un des directeurs, « incapables de parler le langage des patrons » ! Les seconds, eux, sont des « gens intelligents » sur qui on « peut compter », qui « viennent vous avertir de ce qui se passe... » et « à qui on donne de temps en temps un chèque sous la table »...

Du côté des employés, les hommes-clés deviennent les « téteux » et les « moutons noirs », tout simplement, ceux qui ont participé à l'entrée du syndicat. À chaque pause, on peut d'ailleurs remarquer la démarcation physique : téteux et assimilés se regroupent autour de la « tour de contrôle » et y achètent chocolats et cigarettes (auprès d'un contremaître qui en fait commerce), alors que les autres s'égaillent ça et là dans l'atelier ou se rejoignent dans un exigu recoin aménagé en « cafétéria ».

Les salaires sont, à très peu de choses près, la moitié de ce qui est payé à Cascades. Aucune participation, d'aucune sorte, n'a cours. Aucun avantage en argent ou en nature n'est consenti en dehors de ce que prévoit — strictement — la convention collective. Un exemple très édifiant : un seul machiniste travaille sur deux machines à barquettes avec un salaire horaire de neuf dollars ; chez Cascades, deux machinistes, payés quatorze dollars l'heure, travaillent sur une seule machine équivalente !

Les contremaîtres vont jusqu'à chronométrer l'heure exacte d'arrêt des machines (on arrête et on redémarre d'ailleurs au son d'une cloche actionnée par eux), car, disent-ils, « les minutes consacrées à ranger, essuyer... ne sont pas de la production, il ne faut pas qu'ils en prennent cinq ou dix de plus qu'il n'en faut ».

Aucun ouvrier n'a le droit de démonter ou de « tripoter » les machines, aucune forme de rotation n'est admise ; seuls les chefs d'équipes et les machinistes préposés à l'entretien mécanique y ont droit. Nombre d'ouvriers ont d'ailleurs déclaré n'attendre que le moment où « ça casse » : chose jamais entendue à Cascades.

Enfin, incroyable signe de cloisonnement, de distance et de méfiance : huit échelons hiérarchiques depuis l'ouvrier jusqu'au sommet [92] de la pyramide ! Pour 40 employés ! Il y a là un « président et directeur général », un « vice-président »...

Comment peut-on parler d'une quelconque possibilité de constitution de « culture » de cette entreprise ? Quels magiques et mystérieux rites, credos, mots d'ordre ou « symboles » va-t-on chercher pour cela ? À la question d'envisager un éventuel partage de profits ou d'actions, il nous a été textuellement répondu : « Ils ne peuvent pas comprendre cela » !...

EN GUISE DE CONCLUSION :
INTERPRÉTATIONS


J'entends de plus en plus parler d'entreprises qui, comme Cascades ou autrement, partagent profits, actions, moyens... c'est-à-dire qui admettent de fait que le travail doit, enfin lui aussi, légitimement prétendre à une part des surplus que le capital et lui génèrent ! On peut parler peut-être d'une douzaine ou plus au Québec, dans divers secteurs depuis la fabrication de meubles ou le sciage du bois, jusqu'aux pâtes et papiers en passant par l'édition-imprimerie. Cela n'en est que très heureux et je ne doute pas que « cultures », « symboles d'excellence » et mobilisation ne manqueront pas de suivre, pour peu que ces partages soient transparents, globaux et sincères. Mais, il est, bien sûr, plus tentant de ne viser que le partage de « credos » et de « symboles » artificiellement rattachés à des « super-leaders — gentils — héros » : cela coûte bien moins en argent et en pouvoirs-privilèges, et cela peut nourrir grassement de nombreux marchands de cultures organisationnelles et ingénieurs de symboles. N'oublions pas cependant que le système de représentation de l'ouvrier s'alimente très directement à son rapport aux « conditions immédiates d'existence » et à la mémoire précise de faits du passé, récent ou non, donnant indication exacte du fossé entre ce qui est dit de lui comme « partenaire » et ce qui est fait de lui comme « outil de production ». Ce passage de l'outil de production (objet) à celui de « partenaire » (sujet) peut-il se faire par enchantement parce qu'on s'est décidé soudain à parler de [93] « culture organisationnelle » ? De plus, cette « culture » accomplirait l'exploit qui transformerait dirigeants et dirigés en « sujets historiques » « identiques » et « alliés »...

Dans l'exemple de Cascades, nous voyons une culture et une symbolique communautaire s'installer à la suite et autour d'éléments matériels-concrets de preuves de vie et de finalité convergentes. C'est le modèle de Lionel Vallée incarné : un système de production de symboles qui n'a de sens et de substance qu'à travers, en particulier, les systèmes de production de biens matériels. Nous voilà renvoyés (et L. Vallée ne s'en cache pas) au plus profond des modèles marxiens : la superstructure qui n'est qu'avec et à travers l'infrastructure : « Ce n'est pas la conscience des hommes qui fait les circonstances mais les circonstances qui font leur conscience ». C'est ce qui est effectivement agi et vécu qui forme les visions et les représentations. Un agir et un vécu en contradiction avec le représentationnel ne peuvent donner que fausse conscience et aliénation.

L'« ingénierie » de la culture organisationnelle ne doit pas devenir un fantasmatique substitut au — vrai — partage que sous-entend toute véritable « communauté ». Préparer et diffuser des boîtes à outils et des packages de fabrication de cultures ne nous semble rien d'autre qu'une nouvelle façon de céder à la vieille tentation des sciences du comportement organisationnel : évacuer, comme l'écrit Burkart Sievers [39], tout le problème du sens du travail (et de la vie au travail) au profit de concepts forgés de toutes pièces, tel celui de « motivations ». Va-t-on ainsi réussir à évacuer le problème fondamental du partage réel préalable ?

Comme le dit si bien B. Witkin :

The miracle of culture roots us in the real world. In and through our cultural forms we see the world as it is in acting accordingly. Of course, we can fictionalize culture. We can throw a false light upon the world and act according to that, but only at the expense of uprooting ourselves from the real world... [40]

[94]

[95]

NOTES

[96]

[97]

[98]



* Travaux subventionnés par le FCARF et le CRSHC.

[1] On peut ainsi citer des travaux portant des titres tels que :

« La gestion du symbolisme d'entreprise : un cadre conceptuel et un cas », R. POUPART, J. P. OUELLET, J. J. SIMARD, dans : Le comportement des individus et des groupes dans l'organisation, sous la direction de C. BENABOU et H. ABRAVANEL, Montréal, Gaétan Morin, 1986.

R. H. KILMANN et al., Gaining Control of the Corporate Culture, San Francisco, Jossey-Bass, 1985.

P. GAGLIARDI, Organization Studies, n° 7, 1986, 117-135.

J. E. HEBDEN, « Adopting an Organization's Culture », Organizational Dynamics, automne 1986, 54-72.

R. GOGEL et M. SIAT, « Culture d'entreprise et changements stratégiques ». Personnel, n° 279, juillet 1986, 6-11.

[2] B. WITKIN, P. O. BERG, « Organization Symbolling : toward a Theory of Action in Organizations », Paper presented at the First Standing Conférence in Organizational Symbolism, Université de Lund, juin 1984 ; M. ALVESSON, « On the Idea of Organizational Culture », Dragon, Journal of SCOS, n° 7, décembre 1986, 92-123 ; B. SIEVERS, « Motivation as a Surrogate for Meaning », Conférence presented at First International Standing Conférence in Organizational Symbolism, Université de Lund, juin 1984 ; L. SMIRCICH, « Concepts of Culture and Organizational Analysis », Administrative Science Quarterly, 28, 3, 1983, 329-335.

[3] Whyte parlait alors du mouvement des « relations humaines ».

[4] Voir le modèle de L. VALLÉE dans La rupture entre l'entreprise et les hommes, sous la direction de A. CHANLAT et M. DUFOUR, Montréal, Québec-Amérique, 1985 ; O. AKTOUF, « Management, employés et systèmes de représentations », inédit, Montréal, Écoles des Hautes Études commerciales. Publié en langue allemande dans Organisationentwicklung sous le titre : « Wie Manager und Arbeiter sich selbst und einander in Organisationen sehen », n° 4, 1985, 29-45. Également : B. WITKIN, op. cit. ; O. AKTOUF et M. CHRÉTIEN, « Anthropologie de la communication et culture d'entreprise, le cas Cascades », dans C. BENABOU et H. ABRAVANE (sous la direction de), Le comportement des individus et des groupes dans l'organisation, op. cit.

[5] B. SIEVERS, « Motivation as a Surrogate for Meaning », Paper presented at the First International Standing Conférence in Organizational Symbolism Université de Lund, juin 1984 ; « Leadership as a Perpetuation of Immaturity », Conférence présentée au Colloque international sur les nouvelles tendances en gestion, Montréal, École des Hautes Études commerciales, juin 1986 ; « Participation as a Collusive Quarrel over Immaturity », Dragon, Journal of SCOS, 1, décembre 1985, 72-83.

[6] Ici, je veux simplement porter indication de ce que les faits qui caractérisent un groupe social comme « culture » sont inscrits à la fois dans l'histoire-développement-genèse du groupe et dans les structures de son organisation socio-économique. Ce serait pour moi quelque chose de proche de la notion de « structuration » chez J. Piaget, qui renvoie à une sorte d'union de la structure et de la genèse, une nécessaire concomitance des approches structuraliste et génétique.

[7] L. DUMONT, Homo hierarchicus, Paris, Gallimard, 1979.

[8] La rupture entre l'entreprise et les hommes, op. cit.

[9] « Idéologie » est pris ici plus dans son sens habituel « d'ensemble d'idées implicites et organisées destinées à justifier une situation ou un projet... » que dans celui, plus althussérien, de « rapports immédiats des hommes à leurs conditions d'existence ».

[10] G. CONDOMINAS, « Nous avons mangé la forêt »... (La rupture entre l'entreprise et les hommes, op. cit.).

[11] M. BURAWOY, Manufacturing Consent, Changes in the Labor Process under Monopoly Capitalism, University of Chicago Press, 1979.

[12] A. WILKINS et W. OUCHI, « Efficient Cultures : Exploring the Relationship between Culture and Organizational Performance », Administrative Science Quarterly, 28, 3, 1983.

[13] M. ALVESSON, « On the Idea of Organizational Culture », op. cit., 92-123.

[14] La rupture..., op. cit.

[15] Ibid., 290-291.

[16] Ibid., 204.

[17] Voir G. ROCHER, L'action sociale, Paris, Seuil (Points), 1970, 111 ; E.B. TYLOR, Primitive Culture, Londres, 1871.

[18] CONDOMINAS, dans La rupture..., op. cit., 288-289.

[19] Ibid.

[20] Voir, par exemple, M. CROZIER, Le phénomène bureaucratique, où l'on retrouve, en filigrane, un mode de relations somme toute semblable à ce schéma « hôte/ ennemi » entre ouvriers d'entretien, de production et chefs d'ateliers du Monopole Industriel. Ou encore A. CHANLAT, « À travers les rapports qu'entretiennent planificateurs/opérationnels ou commissaires/directeurs/chefs de projet de l'Hydro-Québec », dans : Gestion et culture d'entreprise, Québec-Amérique, 1984.

[21] Dans : La rupture..., op. cit., 210-212-220.

[22] Ibid., 290.

[23] L. VALLÉE, ibid., 231.

[24] Voir O. AKTOUF, « Parole et vie de l'entreprise : faits et méfaits », Gestion, 11, 4, automne 1986, 31-37.

[25] Voir O. AKTOUF, « Business Internal Image : Conflictual Representation-Systems », Dragon, journal of CSOS, 1, décembre 1985, 104-119.

[26] Lionel Vallée, professeur d'anthropologie à l'Université de Montréal, auteur du modèle d'accès aux systèmes de représentations mis en œuvre dans mes recherches. Serge Bouchard, professeur d'anthropologie appliquée (au milieu de travail industriel en particulier), Département des sciences administratives de l'U.Q.A.M. Michel Chrétien, professeur d'anthropologie, spécialisé en anthropologie de la communication et dans l'étude de l'entreprise japonaise, associé avec moi dans l'étude de Cascades et de «Papiers-Montréal Inc.».

[27] Recherche subventionnée par le FCAR et le CRSHC et qui porte sur « Les actes de langage et fonction symbolique dans la vie des organisations». Elle couvre ac­tuellement, en parallèle, deux importantes institutions; le groupe Cascades et la Fédération des Coopératives Desjardins de Trois-Rivières.

[28] Cf. O. AKTOUF et M. CHRÉTIEN, «Anthropologie de la communication et culture d'entreprise», dans Le comportement des individus et des groupes dans l'organisation, op. cit., 555-572.

[29] Voir par exemple: J. J. GUMPERTZ et D. HYMES (Eds.), «The Ethnography of Communication», American Anthropologist, 6, 6, 1964; J. J. GUMPERTZ et D. HYMES (Eds.), Direction in Sociolinguistics : the Ethnography of Communication, New York, Holt, Rinehart & Winston, 1972; D. HYMES, Towards Ethnographies of Communication, dans GIGLIOLI (Ed.), Language in Social Context, New York, Penguin, 1972, 21-44.

[30] Séjours qui ont été effectués en 1981-1982 et où je me suis fait embaucher comme ouvrier saisonnier pour une durée totale d'environ six mois.

[31] Pour plus de détails, voir O. AKTOUF, «Une autre conceptualisation des comportements au travail», Interventions économiques, 12-13, printemps 1986, 261-280; Le travail industriel contre l'homme? ENAL/OPU, Alger, 1986, 363; «Une vision interne des rapports de travail: le cas de deux brasseries», Le travail humain, 49, 3, 1986, 237-248.

[32] Voir «Parole et vie de l'entreprise: faits et méfaits», op. cit., ainsi que O. AKTOUF, «Parole et travail industriel: un rapport de forces», à paraître dans Critique, Paris.

[33] Précisons qu'il s'agit de syndicats «maison» à Montréal et allié direct du pouvoir (le Parti) à Alger.

[34] À peu près tous les phénomènes de déni des réalités et d'instauration de mécanismes de «folie à deux» expliqués par M. KETZ DE VRIES dans son Comment rendre fous vos subordonnés (Harvard-L'Expansion, hiver 1980) se retrouvent peu ou prou dans ce que j'ai observé chez la plupart des dirigeants de ces brasseries. Voir en particulier O. AKTOUF, «Business Internai Image: Conflictual Représentation-Systems», op. cit.

[35] Je dois préciser que j'utilise ici «taylorien» et «taylorisme» dans le sens qu'ont laissé à ces termes les diverses applications étroites et très rentabilistes de l'OST à travers le monde. Il ne s'agit évidemment pas de l'esprit profond de la démarche d'ensemble de Taylor qui, on le sait (surtout après son «testimony before the spécial house committee»), n'a jamais voulu donner naissance, par ses travaux, au pressurage effréné que l'on a fait subir, en son nom, aux travailleurs.

[36] Voir O. AKTOUF, Le travail industriel contre l'homme ?, op. cit.

[37] Idem.

[38] Voir les notes 4 (2e référence), 25 et 31 pour détails et démonstrations-illustrations.

[39] B. SIEVERS, « Motivation as a Surrogate for Meaning », op. cit.

[40] B. WITKIN, « Organization Symbolling... », op. cit., 3.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 20 mai 2018 20:01
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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