LUCIEN FABRE

 

 

 

UNE NOUVELLE FIGURE DU MONDE

 

 

 

LES THÉORIES

 

D’EINSTEIN

 

NOUVELLE ÉDITION ÉPURÉE,

ACCRUE DE NOTES LIMINAIRES,

D’UN EXPOSÉ DES THÉORIES DE WEYL,

ET DE TROIS NOTES

DE MM. GUILLAUME, BRILLOUIN ET SAGNAC

SUR LEURS PROPRES IDÉES.

 

PAYOT & Cie, PARIS

106, BOULEVARD SAINT-GERMAIN

 

1921

Tous droits réservés.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il a été tiré de cet ouvrage sur vergé teinté pur fil Lafuma 15 exemplaires hors commerce numérotés de 1 à 15.

 

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays.

 

 

 

 

 

Copyright 1921, by Payot et cie.

 


 

 

 

 

CE LIVRE QU’IL EÛT AIMÉ
EST DÉDIÉ
À LA MÉMOIRE
DE
MARCOS RODRIGUE
CITOYEN ARGENTIN
QUI FUT MON CAMARADE
ET MON AMI
ET TOMBA SUR LA TERRE FRANÇAISE
POUR ÉPARGNER
AU PAYS DE SES PÈRES
LA SOUILLURE DE L’ENVAHISSEUR

 


TABLE ANALYTIQUE

                                                                                                  Pages.

Notes liminaires ............................................................................ 15

Avertissement ............................................................................... 19

 

CHAPITRE PREMIER

 

Exposé élémentaire et vue d’ensemble des théories d’Einstein.

 

Comment s’est posée la question, 21. — Historique sommaire et programme de l’ouvrage, 22. — Caractère mathématique des théories d’Einstein, 25. — Le principe classique de la relativité ; exemples simples, 26. — La question de l’éther, 27. — La relativité du temps, 29. — Les théories d’Einstein et la métaphysique, 31. — Inexistence de l’éther, 32. — Quelques images, 34. — Les preuves, 36. — Le principe de l’équivalence et les limites de l’espace, 37. — L’espace-temps, 40. — Les expériences cruciales, 41………………………………………………………………………….  21

 

CHAPITRE II

 

Genèse des théories de la relativité de Newton à Einstein.

 

L’exposé logique enchaîné à l’exposé historique, 43. — Découverte de la propagation rectiligne de la lumière par Roemer ; sa signification, 44. — L’explication mathématique, 45. — Les hypothèses de Newton et d’Huyghens, 47. — D’où le problème de l’existence de l’éther, 48. — Les nouveaux phénomènes découverts inexplicables par la théorie newtonienne de l’émission, 50. — Tous les phénomènes optiques y compris la diffraction expliqués par Fresnel dans la théorie ondulatoire d’Huyghens, 53. — Idée de Faraday de considérer également les phénomènes électriques comme dus, non à des actions à distance, mais à une propagation, 54. — Les lignes de force élastiques, 56. — Faraday fait apparaître le lien entre l’électricité et la lumière par la découverte de la rotation du plan de polarisation, 57. — Maxwell fait apparaître la vitesse de la lumière comme une constante électrique, 58. — Maxwell pressent que la lumière est un phénomène électromagnétique, 60. — La méthode et le génie de Maxwell, 61. — Les découvertes de Maxwell, 64. — Ses successeurs vérifient l’identité d’essence de la lumière et l’électricité, 66. — Les premières discordances entre les faits et la théorie de Maxwell ; fécondité de l’erreur, 67. — Nouvelles hypothèses : Hertz, 69. — Nouvelles expériences : Fizeau, 72. — Théories de Lorentz, 73. — Expériences qui les confirment : Zeeman, 74. — Poincaré démontre leur grave défaut, 76. — Nouvelle position de la question, 76. — Le problème de l’éther : Michelson et Morlay démontrent l’impossibilité de mettre en évidence le mouvement absolu de la terre, 80. — Chaos des recherches divergentes, 82. — Poincaré énonce définitivement et clairement le problème, 83. — Le principe de la relativité de Poincaré, 84. — L’hypothèse de la contraction de Lorentz et de Fitzgerald comme explication de l’expérience de Michelson et Morlay, 85. — Objections, 86. — La constance de la vitesse de la lumière et sa valeur de limite, 90. — Conséquences ; le temps relatif, 92. — Einstein donne une signification de réalité au temps local, 93. — Énoncé du principe de la relativité d’Einstein, 95. — Conséquences : l’énergie a une masse, 97. — Vérifications expérimentales, 99. — Rapports avec la mécanique de Newton, 100. — L’énergie est douée d’inertie, 102. — Conséquences, 104. — Disparition de la dualité entre la matière pondérable et l’énergie impondérable, 107. — L’espace-temps de Minkowski, 108. — L’énergie est pesante, 109. — Le principe de l’équivalence. — La gravitation, 110. — Fécondité des théories einsteiniennes, 111. — Déviation d’un rayon lumineux, 117. Déplacement des lignes du spectre, 118. — Déplacement du périhélie de Mercure, 120. — Attitude des savants français : Langevin, 122. — Guillaume, 124. Varcollier, 125. — Image tétradimensionnelle du monde, 126................................................................................................. 43

 

Chapitre III

 

Exposé logique des théories de la relativité.

 

I. — Par la révision des notions d’espace et de temps on peut arriver à mettre en harmonie parfaite toutes les lois physiques avec le principe de relativité........................................ 128

II. — Dissociation des idées de temps et d’espace..................... 128

III. — Les réalités de l’espace indépendantes des axes fictifs auxquels le géomètre les rapporte. Traduction mathématique..............................................................................  129

a) Le relatif et l’absolu scientifiques ;

b) Cas de l’espace.

IV. — Les réalités du mouvement indépendantes du système d’axes fictifs auxquels le mécanicien les rapporte. Traduction mathématique............................................................ 135

V. — Les réalités de la physique indépendantes du système d’axes fictifs auxquels le physicien les rapporte. Traduction mathématique............................................................ 141

VI. — Les réalités de la gravitation universelle indépendantes du système d’axes fictifs auquel le savant les rapporte. Traduction mathématique............................................................ 147

VII — Résumé............................................................................ 166

VIII. — Que nous reste-t-il à faire ?........................................... 167

 

CHAPITRE IV

 

Le principe de la relativité restreinte.

 

I. — Conséquences immédiates et générales............................... 170

1° Les lois de Newton sont une approximation du réel ;

2° Le principe fonde une réciprocité relative complète ;

3° L’espace est totalement relatif ;

4° Le temps est totalement relatif.

II. — Conséquences géométriques ............................................. 175

La longueur cinématique et la longueur géométrique.

III. — Conséquences cinématiques ............................................ 176

1° Composition des vitesses ;

2° Existence d’une vitesse-limite.

IV. — Conséquences dynamiques .............................................. 178

1° Champ électromagnétique ;

2° Force et masse :

a) Électron au repos ;

b) Électron en mouvement ;

c) Généralisation de l’électromagnétisme à la mécanique.

Énergie :

a) Variabilité de la masse ;

b) Nécessité du travail infini pour atteindre la vitesse de la lumière ;

c) L’énergie possède un coefficient d’inertie.

4° Quelques résultats thermodynamiques :

a) Équivalence de l’énergie et de la masse ;

b) Valeur énorme de l’énergie interne d’un corps.

V. — Application. — La question de l’existence de l’éther....... 183

Les hypothèses possibles. — Les difficultés du problème. — Les théories en présence. — L’expérience de Michelson et Morlay. — Son explication par les théories de la relativité.

 

CHAPITRE V

 

Le principe de la relativité universelle.

 

I. — La loi de gravitation ........................................................... 192

A) Rappel. — Signification et application du principe de l’équivalence. — L’« espace »          192

B) Etablissement mathématique de la loi de gravitation .... 196

II. — Les lois physiques et le tenseur énergie ............................ 199

III. — Les expériences cruciales ................................................. 201

A) Equations du mouvement d’une particule dans un champ de gravitation .. 201

B) Le mouvement du Périhélie de Mercure ........................ 202

C) Déviation d’un rayon lumineux ..................................... 204

D) Déplacement des lignes du spectre................................. 207

 

CHAPITRE VI

 

Valeur des théories de la relativité.

 

Valeur positive de la théorie. Témoignage favorable de leur genèse, 209. — de leur logique, 211. — de leur fécondité, 212. — de leur commodité, 213. — Signification de l’espace-temps, 214. — Attitude des savants : Négation (Lecornu), 216. — Modification (Guillaume et Varcollier), 219. — Acceptation (Langevin), 220. — Acceptation interprétative, 221 .............................................. 209

Valeur logique de la théorie. Part de l’interprétation, 222. — Critique de l’hypothèse fondamentale : ondulation ou émission, 222. — Validité logique de l’extension du principe aux sciences biologiques : le vieillissement physiologique, 224. — L’interversion des phénomènes, le sens commun et le principe de causalité, 224. — Objection nominaliste : le langage sous entend-il un ordre vrai de succession, 225 222

Valeur épistémologique de la théorie. Critique des fondements de la mécanique classique, 225. — Les exigences de l’esprit : continuité, causalité, 230. — La mécanique classique ne les satisfait pas, 231. — La mécanique einsteinienne les satisfait, 231. — Rôle de l’intervention de la gravitation, 232.  225

Valeur philosophique de la théorie. Elle réside dans les nouvelles notions d’espace et de temps ; rappel de nos observations à ce sujet, 234. — Deux points intéressants : aspect nouveau de l’intuitionnisme, 235. — distinction entre la relativité philosophique et la relativité scientifique, 236  234

 

Conclusion ......................................................................... 237

Appendice I ........................................................................... 242

Appendice II ......................................................................... 245

Appendice III ........................................................................ 250

Appendice IV ........................................................................ 252

 

 

 


NOTES LIMINAIRES (retour↑)

La présente édition de cet ouvrage diffère des précédentes.

J’ai procédé à une épuration et à une mise à jour.

J’ai d’abord purgé mon livre des déclarations de M. Einstein qui lui servaient de préface. Une partie de la presse et des amis qui me sont chers, avaient critiqué la forme et le fond de ces déclarations. Je ne les avais moi-même insérées que pour permettre au savant israëlite allemand de dire publiquement du haut de cette tribune ce qu’il voulait donner comme vrai sur ses opinions politiques, sa vie, sa nationalité, ses sentiments, en un mot, sa physionomie non scientifique, laquelle, on le sait de reste, est extrêmement discutée.

Bien que j’eusse laissé à M. Einstein la responsabilité de ses déclarations je m’en sentais un peu complice puisque je leur donnais l’hospitalité. Mais je n’en aurais pas purgé ce livre, même si leur teneur m’eût été démontrée mensongère, car elles donnaient sur ce grand savant le témoignage le plus précieux puisqu’il émanait de lui.

L’événement le plus imprévu m’a décidé ; M. Einstein a, en effet, renié ses déclarations dans la presse allemande. Je me hâte donc de les retrancher de cet ouvrage qui n’aura à connaître que de la figure purement scientifique du grand théoricien ; c’est la seule qu’on puisse considérer avec sérénité et même avec quelque sympathie.

Il va sans dire que j’ai également indiqué sur le mode dubitatif, ou même supprimé, les assertions que j’avais, dans le cours de l’ouvrage, avancées sur la foi des paroles d’Einstein, les autographes de celles-ci demeurant entre mes mains pour exercer la sagacité des psychologues futurs.

Il m’a semblé indispensable d’ajouter à ce travail un bref exposé des théories de Weyl qui complètent très heureusement celles d’Einstein. Leur audace et leur beauté ne peut guère à l’heure actuelle apparaître qu’aux savants. Il est toutefois dès à présent certain que le disciple égale au moins le maître ; et peut-être le dépasse-t-il.

Les nombreuses lettres qui me sont parvenues m’ont aussi convaincu de l’intérêt que présente pour le public la question du temps relatif. J’ai donné avec assez de détails le point de vue einsteinien pour n’y pas revenir. Mais j’ai pensé que le lecteur entendrait avec plaisir sur le même sujet la voix de M. Guillaume dont j’avais brièvement exposé les théories. Le savant bernois a bien voulu écrire y spécialement pour le présent ouvrage, la note qu’on lira en appendice. On trouvera agrément et profit à la méditer.

M. Brillouin a bien voulu également indiquer lui-même son point de vue aux lecteurs du présent ouvrage ; on trouvera sa lettre en appendice.

Il faut admirer la sûreté, la clarté de cette belle page bien française. Elle met exactement à sa place scientifique la théorie einsteinienne ; elle en dégage la convenance et l’utilité en tant qu’hypothèse ; très sobrement, elle met en garde contre les commentaires où se peuvent aventurer ceux qui confondent l’hypothèse et le réel ; j’y discerne, sans vouloir engager la pensée de son auteur, une méfiance à l’égard des conceptions philosophiques déduites des travaux einsteiniens.

Il n’est pas possible de ne pas souscrire à un jugement si parfaitement lucide ; sa réserve et sa sagesse ne diminuent en rien l’enthousiasme que les théories d’Einstein et celles de Weyl, peuvent indépendamment de leur adéquation au réel, inspirer à qui y recherche un excitant intellectuel.

Enfin M. Sagnac, dont on a pu écrire, en faisant allusion à la phrase qui termine ce livre, qu’il était peut-être le nouveau Poincaré, le seul capable de nous donner une réponse définitive sur la valeur des théories einsteiniennes, a accepté de confier à ce petit ouvrage le sort d’une note originale dont l’extraordinaire importance n’échappera à personne.

Cette note :

— d’une part résume l’effet Sagnac sur la rotation dans l’éther (auquel nous avons fait allusion dans notre ouvrage) ;

— d’autre part institue une théorie générale des champs en translation par une extension de la pure mécanique des petits mouvements.

Nous sommes extrêmement heureux de pouvoir donner à nos lecteurs la primeur d’un travail qui nous paraît contenir en germe les plus belles découvertes.

L. F.


AVERTISSEMENT (retour↑)

J’ai voulu que ce livre put être lu par tout le monde et que chacun en tirât le maximum de profit. Le premier chapitre, qui sert d’introduction, et, pour ainsi dire, de programme, est un exposé élémentaire des théories einsteiniennes aussi complet que possible. Je crois qu’il peut être compris de tous. Le deuxième chapitre est l’histoire des théories de la relativité depuis Newton. Il ne contient pas d’équations et les quelques expressions scientifiques qui y sont employées sont toujours définies d’abord et dans un langage simple. Le chapitre troisième est un tableau logique de la question écrit en langage clair et en langage mathématique, le second complétant le premier. Pour les chapitres quatrième et cinquième qui constituent l’exposé scientifique complet, j’ai employé le même procédé. C’est dire que le profane pourra se risquer à les lire en sautant les équations ; il comprendra quand même et saisira l’enchaînement. D’ailleurs les expressions mathématiques qu’il rencontrera sont des plus élémentaires et connues du moindre bachelier. Enfin le dernier chapitre, relatif à la valeur des théories einsteiniennes, me paraît accessible à chacun.

On trouvera ci-devant une table analytique où apparaît nettement le plan de l’ouvrage. Pour qu’il eût le maximum d’utilité, il fallait que chacun y pût glaner tout ce que son instruction lui permettait de glaner. C’est pourquoi je suis revenu sur certains sujets importants (tels que les expériences cruciales et, l’expérience de Michelson et Morlay) en les traitant sous toutes leurs faces depuis la description la plus élémentaire jusqu’au calcul le plus complet. Ainsi le lecteur profane est assuré de connaître tout le sujet dans la mesure où son instruction le lui permet. Il voit le spectacle de plus ou moins près mais il le voit tout entier. Quant au lecteur initié, il ne se plaindra pas de cet investissement par étapes. Il sait par expérience qu’il vaut mieux se rendre familier un sujet et l’approcher peu à peu que d’essayer de le posséder dès l’abord.

Je conseille donc à celui qui veut utiliser ce livre de le lire en entier quel que soit son degré d’instruction. Quand il rencontrera des équations qu il ne saurait comprendre, il passera par-dessus et courra aux conclusions toujours formulées en langage clair. Ainsi sera-t-il assuré en fermant cet ouvrage, sinon de posséder toutes les démonstrations, du moins de connaître tous les faits importants et la chaîne logique qui les relie.


CHAPITRE PREMIER (retour)

EXPOSÉ ÉLÉMENTAIRE ET VUE D’ENSEMBLE DES THÉORIES D’EINSTEIN

Un grand problème a préoccupé les savants à la fin du siècle dernier et au début du siècle présent : celui de mettre en évidence par des moyens quelconques, optiques ou électromagnétiques, le mouvement absolu de la terre dans l’espace. De ce que, d’une part, on croyait pouvoir affirmer l’existence d’un milieu immobile, l’éther, et de ce que, d’autre part, nulle expérience ne parvenait à rendre sensible le mouvement de la terre par rapport à ce milieu, un certain nombre de savants avaient conclu à une contradiction due à une cause indiscernable.

Le grand physicien hollandais Lorentz, créateur d’une théorie électronique demeurée en faveur jusqu’à Einstein, analysa l’une des expériences vainement tentées (celle de Michelson et Morlay dont nous reparlerons). Admettre qu’on ne pouvait manifester le mouvement de la terre, cela revenait à dire que tout se passait, au point de vue mathématique, c’est-à-dire fictivement, uniquement pour le calcul, comme si les dimensions des corps n’étaient pas absolues et variaient avec leur orientation. Cette conséquence eût paru, à la considérer comme réelle, tellement contraire au sens commun que les savants conclurent : « Si l’on n’a pas réussi à mettre en évidence le mouvement de la terre, c’est par défaut d’ingéniosité ou par la faute d’erreurs ou de vices cachés de la méthode ; mais on réussira quelque jour. »

C’est sur ces entrefaites qu’en 1906, Einstein, un physicien né à Ulm, mais d’origine juive et professant en Suisse, totalement inconnu et d’ailleurs âgé de moins de trente ans, publia un mémoire extrêmement hardi. Il y déclarait que si on n’avait pas réussi, c’est qu’on ne pouvait pas réussir ; les suppositions de Lorentz et leurs conséquences sur la relativité du temps ne devaient pas être envisagées comme une démonstration par l’absurde, mais comme l’expression du réel.

Ces théories constituent maintenant un ensemble de critique et de construction unique, dans l’histoire de la science, par son étendue, son élévation et les horizons qu’il nous permet de découvrir.

Mais on n’en peut tirer tout l’enseignement que par l’étude bien conduite et bien méditée de sa genèse, des conceptions qui l’ont préparé depuis Newton jusqu’à Lorentz, de sa logique interne et du mode de conquête qui lui est propre, enfin des travaux mathématiques qui en sont les moyens. C’est cette étude que j’ai essayé de mener à bien dans le présent ouvrage.

En écrivant ce premier chapitre je désire donner à chacun, avec les humbles ressources du langage ordinaire, quelques idées très claires, très assurées et qu’on n’a pas, jusqu’à ce jour, dégagées de façon nette. Elles l’aideront à faire une représentation sinon absolument exacte et complète, du moins suffisante pour lui permettre d’accueillir avec sérénité bien des divagations.

Puisse-t-il ne plus subir avec un sourire égaré les fantaisies de tant d’ignorants qui exploitent les ténèbres de la métaphysique et de l’analyse et bravent sans crainte l’impuissant courroux de ces déesses muettes !

Le premier caractère des théories d’Einstein considérées, non pas même dans les équations auxquelles elles aboutissent, mais seulement dans la figure qu’elles donnent du réel, est que ces théories ne sont pas traduisibles avec exactitude en langage non mathématique. Ce caractère leur est propre, à l’exclusion de toutes les autres théories générales et, en particulier, des systèmes du monde de Copernic, Laplace, etc.

C’est que notre langage concret est le fruit de conventions basées sur une interprétation communément adoptée des données de l’expérience. Il suppose certains postulats admis une fois pour toutes sur l’espace, le mouvement et le temps. Ni Copernic, ni Newton ni les autres fondateurs de systèmes universels n’ont tenté d’ébranler ces postulats qui leur paraissaient exprimer l’évidence ; l’évidence, suprême critère de la vérité selon Descartes ! Or les théories einsteiniennes bouleversent ces notions. Le lecteur comprendra facilement qu’il soit impossible à notre langage habituel de révéler des phénomènes qui se passent dans un autre monde que le sien.

De plus l’imagination d’Einstein, contrairement à celle de Newton ou de Copernic, n’est pas surtout plastique mais mathématique. Il ne procède pas dans ses déductions en suscitant des images qu’il rattacherait par les liens du raisonnement ordinaire. Sa démarche est d’ordre purement mathématique. Inachevées, ses théories n’auraient pas de sens. On ne peut en confronter avec le réel que les conclusions. D’où une nouvelle impossibilité : celle de faire suivre au lecteur, par la voie habituelle, l’enchaînement des raisonnements d’Einstein qui obéissent, en général, à la logique mathématique, pour laquelle il est extrêmement difficile de donner une représentation concrète, et, le reste du temps, à la logique interne du calcul, celle-ci vraiment tout à fait rebelle au langage ordinaire.

Ces constatations nous tracent notre voie : nous devons nous borner à essayer de marquer, avec le plus de clarté possible, quelques points de repère singuliers.

Les principes placés à la base des théories mécaniques ne sont que l’énoncé généralisé de quelques faits très simples.

L’un de ces principes les plus importants est implicitement postulé, plus souvent qu’énoncé explicitement. C’est le principe classique de la relativité. Il part de l’affirmation suivante :

Il n’est pas possible, par des expériences mécaniques effectuées sur la terre, de rendre manifeste le mouvement absolu à vitesse constante de cette planète. Seul son mouvement relatif par rapport à un autre astre supposé fixe, au soleil par exemple, peut être mesuré.

Et, par généralisation, ce même principe peut se formuler :

Les lois de la mécanique sont indépendantes de la vitesse absolue du système dans lequel elles s’exercent, aussi longtemps que cette vitesse reste constante.

Un exemple va éclairer le lecteur. Asseyons-nous dans la nacelle close d’un dirigeable se mouvant par rapport au sol sans trépidation et à vitesse constante au milieu des nuages. Nos sens ne nous avertiront pas du mouvement. Tentons une expérience : faisons choir un corps ou osciller un pendule par exemple. Les résultats des mesures que nous effectuerons seront les mêmes qu’au repos et par conséquent ne décèleront pas davantage le mouvement. Bien plus : si nous croisons un autre dirigeable, immobile celui-là par rapport à la terre, il pourra aussi bien nous paraître en mouvement. Et, puisque tout mouvement est relatif à quelque corps supposé fixe, de quel droit disons-nous que tel corps est fixe et tel autre en mouvement ? Chacun a pu faire dans des gares des expériences analogues sur le mouvement relatif de deux trains : ce qu’on appelle l’illusion ne se dissipe que par l’apparition subite d’un corps (un arbre, une maison) dont la perception habituelle s’accompagne toujours et essentiellement d’une idée de fixité et s’impose comme repère aux constructions de l’esprit dans l’espace. Mais qui nous assure de la fixité de ces objets ou plutôt ne savons-nous pas qu’ils sont mobiles par rapport au train supposé fixe et que nos définitions du mouvement sont de simples commodités du langage ?

Or, s’il est impossible de déterminer le mouvement uniforme d’un corps par des expériences mécaniques, ne peut-on le faire par d’autres expériences, des expériences optiques par exemple ? Les physiciens démontrent que la lumière est un mouvement vibratoire et donnent comme véhicule à ce mouvement un fluide impondérable qu’ils appellent l’éther. Une expérience extrêmement précise de Fizeau prouve que cet éther dans lequel se déplace la terre est, s’il existe, immobile par rapport à tous les astres. Ne peut-on, grâce à la lumière, autrement dit par une expérience optique, mesurer la vitesse de la terre par rapport à cet éther au repos, c’est-à-dire sa vitesse absolue ? Si nous faisons parcourir à la lumière un trajet dans un sens tel que sa vitesse doive s’ajouter à celle de la terre, la raison nous suggère qu’elle devra le parcourir plus vite que dans le sens opposé, où la vitesse de la terre viendra en déduction de la sienne.

Prenons une source lumineuse dans l’éther et un point sur la terre situé à mille kilomètres. Si la terre était immobile par rapport à l’éther, le rayon mettrait un trois centième de seconde pour y parvenir. Si la terre se meut par rapport à la source, le temps de propagation sera supérieur ou inférieur à un trois centième de seconde suivant que le point récepteur va vers la source ou s’en éloigne. L’expérience a été tentée par Michelson et Morlay et donne, quels que soient le point choisi et la direction du rayon lumineux par rapport à celle du mouvement, toujours la même durée de propagation ; c’est ce qu’on appelle le principe de la constance de la vitesse de la lumière dans toutes les directions. Tout se passe donc comme si la terre était immobile par rapport à l’éther, c’est-à-dire comme si elle entraînait complètement l’éther. Or, l’expérience de Fizeau démontre le contraire.

Comment résoudre cette contradiction ?

C’est ici qu’Einstein intervient.

Il faut s’en tenir purement aux faits tels qu’ils sont. Il est nécessaire, il est du devoir du savant de donner la signification physique de ce phénomène incompréhensible. Il le traduit en langage mathématique et interprète les opérations mathématiques dont je donnerai plus loin le détail, en disant que tout se passe comme si l’écoulement du temps n’était pas le même toujours. Autrement dit : le temps va plus vite, on vieillit plus vite en un lieu qu’en un autre ; il est possible par exemple de se déplacer dans le temps qui est relatif comme l’espace avec une plus ou moins grande rapidité. Einstein est ainsi conduit à analyser notre définition effective du temps.

Pour l’étude d’une entité scientifique, on commence toujours par la définition de cette entité ; puis on donne la définition de deux entités égales. Dans le cas du temps, cela revient à définir la simultanéité.

Considérons, dit Einstein, deux points A et B, deux villes, Paris et Pékin. Comment définir théoriquement la simultanéité de deux événements se produisant dans ces deux villes, par exemple deux coups de canon ? C’est bien simple ; imaginons qu’un observateur se trouve au point qui marque exactement le milieu de la distance Paris-Pékin, et que nous appellerons Milieu ; supposons que la lueur des coups de canon soit visible en ce point. Par un procédé optique facile à imaginer, on peut recevoir et faire coïncider les images de ces lueurs en ce point exactement milieu. On dira que les deux phénomènes sont simultanés quand l’observateur n’aperçoit pas dans son miroir deux images successives, mais une seule image.

Imaginons maintenant une planète au voisinage immédiat de la terre. Supposons-la immobile : sur les verticales de Paris et de Pékin, en des lieux de la planète que nous appellerons Paris-prime et Pékin-prime, se trouvent des canons. Un observateur, sur la verticale de notre observateur terrestre, à Milieu-prime, se fera, pour sa planète, une définition de la simultanéité exactement la même que la nôtre. Mieux : si on tire à un signal unique les quatre canons, les deux observateurs constateront que la simultanéité est incontestablement une notion première, que le temps est bien une chose de même signification universelle ; et ils s’en réjouiront si leur cœur est pur.

Ayant ainsi fait leur expérience, ils se sépareront. La planète partira au moment exact où Paris et Pékin, à cet unique signal de départ, tireront leur nouveau coup de canon. L’observateur de Milieu constatera avec satisfaction la simultanéité l’instant d’après. Mais celui de Milieu-prime ne sera plus exactement au-dessus de Milieu en cet instant ; il se sera déplacé. Il sera, par exemple, au-dessus d’un point plus voisin de Pékin que de Paris. Et, pour lui, la lueur de Pékin arrivera avant celle de Paris. Donc les deux phénomènes, simultanés pour l’observateur terrestre, ne le sont pas pour l’observateur planétaire ; la simultanéité est relative ; le temps n’est pas quelque chose d’absolu.

Prévenons les divagations et les vertiges. Je me représente avec une merveilleuse aisance un certain nombre de cuistres trouvant là matière à philosopher et tirant des théories d’Einstein des armes contre Kant ou contre Leibnitz ou saint Thomas. La « théorie kantienne du jugement », par exemple, est une chose ; la science en est une autre. La première établit la définition, la provenance et la critique des idées de temps et d’espace ; la deuxième traite des manifestations empiriques. La réflexion nous donne ici l’occasion de voir une fois de plus combien nos impressions premières sont fausses et que le sens commun est trompeur.

Qu’est en effet le temps scientifique sinon une monstruosité conventionnelle ? Les définitions classiques nous le présentent en dernière analyse comme absolu, infini, uniforme et vide.

Nous venons de voir avec quelque étonnement qu’il est relatif et n’est pas uniforme. Était-il besoin d’attendre Einstein pour y songer ? Ne savons-nous pas que tout temps réel est relatif aux mouvements qu’il mesure ? Et dire qu’il est uniforme n’est-ce pas prendre une définition pour une réalité, un postulat pour une certitude ?

Il faudra peut-être qu’Einstein ou un autre nous frappe par un coup d’éclat pour nous montrer également que le temps ne saurait être infini que par un décret de notre volonté, car il ne soumet à notre expérience que des lambeaux et ne saurait être vide puisqu’il ne nous apparaît jamais qu’en fonction du mouvement.

Quelles que soient les merveilleuses conséquences des théories einsteiniennes, n’oublions pas que le savant parle d’un temps abstrait dont il donne des interprétations physiques. L’idée métaphysique du temps est une autre chose et, au dire des philosophes, une tentative en vue de restaurer la réalité du temps expérimental. Il y a là de quoi méditer sérieusement. Je me sens très proche des métaphysiciens dans cette affaire ; mais il faudrait y voir de plus près encore. Pour mon lecteur je me contenterai de donner une certitude :

Il est vain d’emprunter aux théories d’Einstein des armes contre la métaphysique du temps et de l’espace. Il ne s’agit pas des mêmes choses.

Einstein, ayant fait disparaître la contradiction entre l’expérience de Fizeau et le principe de la constance de la vitesse de la lumière grâce aux conséquences qu’il tire de l’énoncé de la relativité du temps, en déduit que l’éther n’existe pas, sans quoi il devrait être à la fois mobile et immobile, ce qui est une impossibilité logique, donc inacceptable.

(Remarquons, en passant, l’admirable équilibre d’Einstein : l’existence du temps relatif qui choque le bon sens est une possibilité logique ; elle est acceptée. Celle de l’éther, qui ne choque pas le bon sens, est une impossibilité logique ; elle est révoquée.)

Nous mettons donc ceci en évidence : L’éther n’existe pas.

Le principe de la relativité tel que l’emploie Einstein ne diffère donc du principe classique que par la substitution du mot optique au mot mécanique. Il est bien évident d’ailleurs que le temps n’est pas relatif pour les phénomènes optiques et absolu pour les phénomènes mécaniques. Nous pouvons donc dire qu’aucune expérience mécanique, optique ou électro-magnétique ne saurait mettre en évidence un mouvement uniforme.

L’application de ce principe donne les résultats les plus étonnants pour notre esprit. Tout devient relatif : l’espace, le mouvement comme le temps. Un chronomètre planétaire n’a pas la même marche qu’un chronomètre terrestre ; la longueur des objets et des instruments de mesure varie avec leur orientation. La vitesse de la lumière est une vitesse limite qui ne saurait être dépassée (ni même atteinte que par un corps infiniment plat). Les vitesses ne s’ajoutent plus suivant la règle du parallélogramme. La masse d’un corps varie suivant ses azimuts avec la direction delà force qui lui imprime son accélération.

On conçoit que de telles propositions, qui bouleversent de fond en comble la mécanique, aient donné à réfléchir aux ingénieurs. Mais il s’agit de quantités qui sont infiniment petites dans la pratique journalière et ne prennent une importance réellement considérable que dans les phénomènes astronomiques. Il faut toutefois se rendre compte d’une chose ; c’est que, si les théories d’Einstein ne détruisent aucune de nos règles pratiques, puisqu’elles se bornent à nous dire : Ce que vous croyez exact n’est qu’approché, il n’en est pas moins certain qu’elles sollicitent l’attention des ingénieurs dès à présent et leur apportent des précisions toutes nouvelles qui leur permettent de poser des problèmes techniques insoupçonnés jusqu’ici.

Je prends un exemple très simple, mais qui me paraît lumineux.

Dans le domaine de la thermodynamique, les théories d’Einstein ont apporté des modifications considérables. La loi de la conservation de la masse se confond avec celle plus générale de la conservation de l’énergie. On va même plus loin ; l’énergie possède une masse : un corps est plus lourd quand il est chaud que quand il est froid, puisqu’il s’est accru d’une certaine quantité de chaleur rayonnante, c’està-dire d’énergie. Enfin tout corps au repos renferme une quantité fabuleuse d’énergie latente. Un kilogramme de charbon, par exemple, renferme 23 milliards de calories. On pourrait avec l’énergie correspondante faire marcher un réseau de chemins de fer métrique de 200 kilomètres pendant deux ans : avec un kilogramme de charbon ! Et cela, en conservant à nos locomotives leur déplorable rendement actuel ! Or, nos procédés barbares ne savent retirer de ce trésor qu’est, nous venons de l’apprendre, un kilogramme de houille, que l’infime partie : 7 000 calories ! Et alors, au lieu d’un kilogramme, il nous en faut 4 millions. Quel gaspillage ! L’excuse des ingénieurs est que les physiciens leur ont fait croire qu’il n’y avait pas plus de 7 000 calories dans un kilogramme de houille. Maintenant qu’ils sont avertis, ils chercheront ce moyen de désintégrer la molécule d’où viendra une source illimitée d’énergie.

Qu’on songe aux conséquences prodigieuses de l’acte de foi einsteinien dans l’existence du temps relatif ! Qu’on suppose le secret de la libération de l’énergie trouvé, — et on le trouvera, car il n’est que de savoir où réside l’énergie, et Einstein nous l’apprend, — un travail infime nous fournit toute l’énergie dont nous avons besoin. Voilà le domaine de la machine indéfiniment étendu, les prix des objets manufacturés réduits dans des proportions incalculables, le nombre des heures d’usine diminué, toute la vie transformée, le bien-être accru. Seule, éternelle et indifférente, toujours semblable à elle-même, la terre nourricière exigera de l’homme le même effort patient : mais qui empêcherait le citadin inutile aux mines et aux fabriques de retourner aux champs ?

Nous pouvons seulement, des lois énoncées et de nos anticipations, conclure avec certitude :

Les découvertes einsteiniennes ne détruisent pas l’édifice des sciences de l’ingénieur, mais ouvrent à celui-ci des voies illimitées.

Je rassure le lecteur indécis qui dans l’ivresse de son imagination se demande tout à coup s’il n’est pas le jouet d’un rêve et si on va lui fournir un semblant de preuve sur quoi on puisse étayer tant d’hypothèses.

Il y a jusqu’à ce jour des preuves de deux sortes.

Les premières sont la parfaite convenance des explications einsteiniennes aux phénomènes de radiations lumineuses jusqu’à présent inexpliquées, telles que celles du radium.

Les deuxièmes sont les vérifications expérimentales des calculs d’Einstein appliquées aux corps se mouvant à des vitesses considérables telles que celles des corpuscules cathodiques qui atteignent 250 000 kilomètres par seconde.

La valeur démonstrative de ces preuves n’est accessible qu’aux mathématiciens et je demande à mes lecteurs de vouloir bien m’en croire s’ils ne désirent pas être traînés sur les chemins étroits de l’analyse.

Nous ne nous sommes occupés que du mouvement uniforme, c’est-à-dire effectué à vitesse constante. Que se passe-t-il dans le cas d’un mouvement accéléré où la vitesse s’accroît à chaque instant ? Nous le savons par expérience : par suite de l’inertie, nous sommes projetés en avant au moment où la locomotive accroît brusquement son allure. Même dans la nacelle close et sans repères du dirigeable silencieux dont nous avons parlé, nous aurions conscience du mouvement accéléré. Donnons à cette nacelle un mouvement de descente ayant une accélération égale à celle qu’elle aurait en chute libre. L’observateur ne saura distinguer par un effet quelconque, mécanique ou autre, la différence entre ce mouvement accéléré artificiel et l’accélération de la pesanteur.

C’est ce qu’exprime le principe de l’équivalence qu’énonce Einstein :

L’effet qu’exerce la gravitation sur le cours des phénomènes observés par un observateur au repos ne diffère en rien de celui que cet observateur constaterait s’il se mouvait dans un espace libre de gravitation avec une accélération égale a celle de la pesanteur.

Partant de là, Einstein démontre la compatibilité de toutes les lois scientifiques avec les principes de la relativité. Il établit une loi universelle de gravitation qui englobe toutes les sciences et dont les lois de Newton et la mécanique newtonienne ne sont que des cas particuliers correspondant à des vitesses très inférieures à la vitesse de la lumière.

Reprenant la forme élégante de Minkowski qui avait exposé ses travaux mathématiques à l’aide d’un continu à quatre dimensions dont la quatrième est le temps, il utilise la géométrie non euclidienne de Riemann relative à l’espace courbe. D’après cette géométrie, l’espace n’aurait ni lignes droites ni plans. On sait qu’une sphère est une surface de courbure constante. On peut considérer la terre également comme ayant en gros une courbure constante mais néanmoins susceptible de variations à cause de son relief. De même l’espace serait un espace à courbure variable et variable surtout au voisinage des masses astrales. Il n’est pas possible de donner une image des conceptions auxquelles aboutissent les calculs et que seuls ils peuvent traduire. Cependant on peut dire que l’espace einsteinien a une caractéristique :

L’espace einsteinien est sans bornes mais n’est pas infini. On peut prendre une image, inexacte bien entendu, mais commode, pour représenter ce fait. Imaginons une boule et, sur elle, une circonférence. La fourmi qui parcourra cette circonférence toujours dans le même sens repas sera sans s’en douter à son point de départ ; rien ne l’arrêtera : sa trajectoire est sans bornes ; et pourtant cette trajectoire a une longueur finie.

Les astres parcourent des trajectoires dans notre espace. Ces trajectoires sont, si l’on veut, un peu semblables à ces courbes de niveau qu’on voit sur les cartes ; la présence de masses d’autres astres les modifie ; mais l’espace n’existe que par rapport à eux. Ils suivent sur leur trajectoire ainsi régie leur pente naturelle (pour employer une expression inexacte mais qui rend assez bien l’idée du principe de l’équivalence). Quant à l’action à distance entre les astres, elle n’existe pas ; en effet elle suppose une propagation instantanée, c’est-à-dire une vitesse infinie. Or, nous savons qu’il n’est pas de vitesse supérieure à celle de la lumière.

On peut maintenant embrasser la marche audacieuse d’Einstein. D’après la mécanique newtonienne, la réalité de l’espace à trois dimensions tel que le concevait Euclide ne faisait aucun doute. L’espace était un réservoir où se mouvaient les corps suivant des lois où intervenait un temps qui existait bien en soi.

Le principe spécial de relativité remplace avec Minkowski cette conception par celle d’un temps-espace à quatre dimensions qui a tout de même le caractère d’un contenant.

Enfin la dernière théorie einsteinienne que nous venons d’exposer refuse à ce temps-espace le caractère d’un contenant. Pour elle, il n’existe qu’en vertu des choses. Sans la matière, il n’est pas d’espace-temps. Espace, temps, matière sont trois choses indissolublement liées que le physicien ne rencontre que réunies et que l’esprit humain ne se représente pas séparées.

La vitesse de la lumière n’est plus toujours constante, comme Einstein l’avait cru d’abord, mais seulement dans l’espace libre de gravitation. Dans le reste de l’espace, elle dépend de la courbure. Le temps relatif à la vitesse de la lumière varie quant à son écoulement, comme elle. Ainsi, emporté par un génie dans une partie de l’espace dont la courbure serait très différente de la nôtre, un homme retrouverait en retournant sur la terre ses enfants plus âgés que lui. Une femme encore belle, à cet instant si touchant et si douloureux d’une maturité adorable, quittant un matin, sur les ailes du bon génie, sa fille jeune épousée, retournerait vieillie de dix-huit minutes, toujours désirable et retrouverait des petits-enfants en cheveux blancs.

Exemples pittoresques qui feront rêver bien des lectrices. Mais qui connaît la demeure du bon génie ? Disons en terminant quelques mots sur les récentes découvertes, en des domaines très différents, qui confèrent aux théories d’Einstein un extraordinaire caractère de fécondité sinon de certitude :

1° On sait que les couleurs sont des oscillations lumineuses comparables à celles d’un chronomètre. Si le temps ne s’écoule pas de même sur la terre, par exemple, et sur le soleil, si les chronomètres ne peuvent avoir les mêmes durées d’oscillation, on peut dire que le même corps n’aura pas la même couleur sur la terre et sur le soleil. Einstein a calculé que le métal sodium par exemple devait donner sur la terre une flamme dont il a déduit exactement de ses théories les caractéristiques par rapport à celle que donne le même métal dont on a constaté la présence dans l’atmosphère du soleil. Ses prédictions ont été vérifiées,

2° Des mêmes théories et sans faire intervenir en quoi que ce soit une hypothèse spéciale, Einstein a pu tirer l’explication du mouvement du périhélie de la planète Mercure, c’est-à-dire d’une aberration d’une valeur de quarante-trois secondes dont la course de cette planète s’est déplacée dans l’espace d’un siècle. Cette aberration était jusqu’ici demeurée une énigme pour les savants.

3° Enfin Einstein avait démontré qu’un rayon lumineux qui traverse le champ de gravitation du soleil à une distance déterminée de celui-ci devrait subir une certaine déviation. C’est cette déduction qui, sous l’expression de pesanteur de la lumière, a le plus vivement frappé l’imagination du public. Mais comment mesurer la déviation d’un rayon lumineux au voisinage du soleil ? Celui-ci, en effet, ne fait-il pas disparaître toute autre lumière que la sienne ? On se rappela fort heureusement l’existence d’une étoile fixe proche du soleil. Einstein calcula la déviation qu’on devait observer et on attendit une éclipse du soleil qui devait se produire le 29 mai 1919 et devait permettre l’observation du phénomène. La moyenne des observations donna le chiffre annoncé par Einstein.

Nous devons toutefois faire remarquer à ce propos, pour qu’il n’y ait pas d’erreur dans l’esprit du lecteur, que l’interprétation correcte de la loi de Newton fait aussi prévoir une déviation. Mais celle-ci n’est que moitié de celle qu’annonçait Einstein et que l’événement a vérifiée.


CHAPITRE II (retour)

GENÈSE DES THÉORIES DE LA RELATIVITÉ DE NEWTON À EINSTEIN

Il se trouve que dans le cas d’Einstein il n’est pas possible de saisir les proportions de l’édifice si on n’en connaît pas l’histoire. En réalité, le savant se trouve en présence de trois systèmes du monde ; le premier est de Newton ; le deuxième est d’Einstein ; le troisième est d’Einstein.

Le dernier n’est qu’une généralisation de celui qui le précède, mais en différant par quelle grandeur ! De l’un à l’autre cependant, du principe de relativité restreinte au principe de relativité généralisée, la continuité est telle que la difficulté qu’on peut éprouver à comprendre le second se dissipe quand on dénoue les fils qui les relient en s’emmêlant.

Et quant au premier, les travaux qui y aboutissent sont tellement et si intimement liés à ceux des prédécesseurs et des contemporains d’Einstein qu’il n’est pas possible de les comprendre sans connaître ceux-ci. Il ne serait pas davantage possible, sans jeter un coup d’œil d’ensemble sur ces travaux, d’étudier l’œuvre du savant allemand, d’en saisir la logique interne et de l’exposer clairement.

On a depuis Einstein la certitude que la lumière ne se propage pas en ligne droite, mais que, soumise à la gravitation, autrement dit pesante, elle prend la figure dynamique instantanée qu’exigent les lois dont elle dépend. Mais les écarts de la ligne droite nécessitent des mesures trop rigoureuses pour être manifestes au savant non prévenu. Un goût trop puissant pour les formes qui apparaissent les plus simples à notre esprit tend également à faire entrer dans leurs cadres les faits qui en débordent quelque peu. Il semble bien que la loi de la propagation rectiligne de la lumière avec une vitesse finie et constante dans le vide soit due à Roemer ; et l’heureuse découverte de cette loi fausse est l’un des hasards bienveillants qui nous ont permis d’entrer plus avant dans la connaissance de la matière.

Je rappelle les faits :

En 1610, Galilée en dirigeant une lunette vers le ciel découvrit les satellites de Jupiter. À chaque révolution autour de la planète, ces satellites s’éclipsent périodiquement dans le cône d’ombre qu’elle projette à l’opposé du soleil.

Or, en 1675, l’astronome danois Roemer, qui travaillait alors à l’observatoire de Paris, venant à comparer les instants de ces éclipses à ceux indiqués par les tables calculées par Cassini, remarqua, qu’au moment des oppositions, les éclipses devançaient les dates données par les tables, tandis qu’elles retardaient sur ces mêmes dates au moment des conjonctions.

Il attribua ces écarts au fait que la lumière du satellite ne se propage pas instantanément, et qu’il lui faut un temps appréciable pour parvenir jusqu’à nous.

Or, au moment des conjonctions, la distance de Jupiter à la terre dépasse de tout le diamètre de l’orbite terrestre la valeur de cette distance aux oppositions.

Roemer conclut de là qu’il fallait à la lumière 22 minutes pour parcourir ce diamètre égal au double de la distance de la terre au soleil.

Expliquer n’est que ramener le surprenant au fonds commun d’évidences quotidiennes dont la fréquentation a depuis longtemps émoussé les inquiétudes de notre esprit. On aurait admis, on a admis longtemps, la sensation de lumière comme une chose qui ne demande pas d’explication. Baignant dans la lumière ou l’obscurité, tangent par le sens intéressé à l’ambiance qui y suscite les impressions lumineuses, l’homme ne réclamait pas plus d’explication pour la vue que pour le toucher. Il en exigea lorsqu’on lui apprit que la lumière n’est pas un phénomène accompli à vitesse infinie et, par là même, statique, créateur d’une idée innée comme l’étendue, mais un phénomène dynamique. La lumière se propageait, en ligne droite, avec une vitesse finie et même dans le vide. L’explication qu’on n’avait pas demandée, il suffisait qu’on l’annonçât pour qu’elle fût trouvée nécessaire, mais insuffisante.

Certes, les anciens avaient déjà émis des hypothèses sur la nature de la lumière, avant la découverte de Roemer. On se rappelle qu’Archimède connaissait une théorie des ombres et construisait des miroirs ardents. Mais les hypothèses sur la lumière devaient rester infécondes tant que l’attention ne se portait pas sur la vitesse finie de propagation ; car c’est par la vitesse qu’on introduit une quantité mathématique, des éléments de calcul, et par conséquent qu’on passe réellement du domaine métaphysique au domaine physique.

Roemer, fixant notre attention sur une propagation — rectiligneexistant même dans le videet à vitesse finie —, nous invite à un ensemble de suppositions dynamiques, géométriques, physiques et cinématiques constituant une construction homogène satisfaisante pour l’esprit. Deux des constructions ainsi érigées, la théorie de Newton et celle de Huyghens ont subsisté.

La première, la théorie de l’émission admet que tout corps lumineux lance à travers l’espace des particules d’une nature spéciale ayant une action sur le sens de la vue. Elle reprend les systèmes analogues des anciens. Épicure, Démocrite, Lucrèce avaient assimilé la lumière aux sons et aux odeurs en admettant la projection par la source de corpuscules infimes.

Newton était déjà le créateur de la théorie du son, d’un caractère tout différent. Pour nous qui avons appris de nos maîtres à cataloguer les esprits dans des séries immuables, combien il est difficile d’admettre que ces deux théories si radicalement différentes soient issues du même cerveau ! Faut-il que notre éducation scientifique crée des associations et des idoles tenaces pour que nous apparaisse comme innée, comme une sorte de sens, la tendance furtive qui nous fait grouper dans les mêmes cadres les phénomènes les plus différents, pourvu qu’ils aient quelques points de contact ! Les lois de la réflexion, de la trajectoire rectiligne, l’existence d’une vitesse de propagation, il nous semble que tout cela entraînait inéluctablement l’hypothèse d’un mouvement vibratoire. Newton ne s’y arrêta pas ; et cependant sa théorie qui connut tant de fortunes diverses donne encore à réfléchir aujourd’hui. La théorie ondulatoire dont Aristote semble avoir eu l’intuition et qu’Huyghens formula après Malebranche ne recueillit que très peu de partisans. Il faut dire que bien des difficultés maintenant résolues parurent insurmontables à une époque où l’analyse mathématique n’était pas encore le merveilleux instrument qu’elle est devenue. L’idée d’une propagation par ondes analogues à celles qui se déplacent concentriquement quand on jette un caillou dans une eau tranquille soulevait en effet des problèmes déconcertants. Au contraire, rien ne paraissait plus naturel que la réflexion d’un corpuscule lumineux assimilé à une balle élastique ; l’image rentrait dans le domaine des représentations concrètes.

Tant qu’il ne s’agit d’ailleurs que d’expliquer les phénomènes de réflexion et de réfraction, la discussion put sembler purement académique. La théorie de Newton, plus simple, n’ayant pas besoin de faire intervenir un milieu spécial, l’éther (nécessaire aux ondes de Huyghens) apparut plus économe de suppositions et devant être préférée. Mais Newton fut conduit lui-même à admettre l’existence de l’éther (auquel il ne donnait pas, il est vrai, le rôle principal) dont il combinait les mouvements avec ceux des corpuscules lumineux pour expliquer certains phénomènes moins élémentaires que ceux de la réflexion et de la réfraction. Ainsi s’amorce un des lacis où l’esprit humain doit errer et se reconnaître ; le problème de l’existence de l’éther qui aura été un des plus obsédants de la physique et qui, suivant les réponses qu’on lui fera, pourra pendant longtemps servir à classer un savant en empiriste mécanicien ou physicien mathématicien, en partisan de Newton ou d’Huyghens, ne se posait pas pour les créateurs même des théories — ou plutôt se résolvait par une commune réponse affirmative.

Nous verrons que cette supposition de l’existence de l’éther fut infiniment féconde et que les efforts qui furent faits, pour la confronter avec la réalité, engendrèrent les plus précieuses découvertes.

En dehors des phénomènes déjà connus des anciens, Newton eut à se préoccuper des interférences qu’il observa par l’expérience des anneaux colorés qui porte son nom — et de la diffraction que Grimaldi avait découverte en 1663.

Supposons que deux trains d’ondes de même relief se rencontrent à la surface des eaux tranquilles. On pourra se trouver en présence de plusieurs cas :

ou bien, au même instant, se trouveront au même point deux renflements dont la résultante sera un renflement double et on aura un phénomène de résonance ; ou bien, on aura affaire à deux rides creuses qui s’ajouteront également ;

ou bien, se présenteront simultanément au même lieu une ride creuse et un renflement en relief qui s’annuleront, laissant en ce point les eaux non troublées : c’est le phénomène des interférences.

Il se peut donc que l’action simultanée de deux sources donne l’état de repos. De même, dans certaines conditions expérimentales, la superposition de lumière provenant de deux points provoque l’obscurité. Ce phénomène des interférences est paradoxal et difficile à expliquer avec le système de Newton. Celui de la diffraction ne l’est pas moins. « Lorsqu’on fait entrer les rayons solaires dans une chambre obscure par une ouverture d’un très petit diamètre, nous dira plus tard Fresnel, on remarque que les ombres des corps, au lieu d’être terminées nettement et d’une manière tranchée comme cela devrait arriver si la lumière marchait toujours en ligne droite, sont fondues sur leur contour et bordées de trois franges colorées bien distinctes dont les largeurs sont inégales et vont en diminuant de la première à la troisième ; quand le corps interposé est assez étroit, on voit même des franges dans son ombre qui paraît alors divisée par des bandes obscures et des bandes plus claires placées à des distances égales les unes des autres. » Newton dut, pour rendre compte de ces faits, compliquer considérablement sa théorie, admettre notamment que les inflexions diverses de rayons lumineux près des corps proviennent d’une certaine action attractive ou répulsive de ceux-ci sur les molécules lumineuses et des accès périodiques assez singuliers de facile transmission et de facile réflexion.

Devant cette carence on eût pu, dès ce moment, essayer la vertu des hypothèses d’Huyghens. Mais le prestige de Newton était tel, prestige dû à tant de découvertes dans les domaines de l’optique, des mathématiques et de l’astronomie, que la théorie de l’émission demeura intangible pendant près d’un siècle.

Entre deux hypothèses, dont l’une est plus éloignée que l’autre de la réalité plus tard constatée, il faut préférer la plus féconde, même si elle est la moins vraie. Les théories d’Einstein ont apporté un tel bouleversement à nos connaissances que nous ne savons plus, de la théorie de Newton ou de celle d’Huyghens, laquelle est la plus proche du réel. Mais nous devons constater que le XVIIIe siècle qui, au point de vue scientifique, vécut dans la grande ombre de Newton, ne fit faire à l’optique aucun progrès.

« L’utilité d’une théorie, dit Fresnel, ne se borne pas à faciliter l’étude des faits en les réunissant par groupes plus ou moins nombreux d’après leurs rapports les plus frappants. Un autre but non moins important d’une bonne théorie doit être de contribuer à l’avancement de la science, à la découverte des faits et des rapports entre les classes des phénomènes les plus distinctes et en apparence les plus indépendantes les unes des autres. »

Cependant, les premières années du XIXe siècle virent se produire d’importantes découvertes. Coup sur coup Malus, Arago, Young décrivaient la polarisation, la polarisation rotatoire et de nouveaux phénomènes de diffraction. On assistait alors à ce spectacle étrange de physiciens s’efforçant, pour rendre un inconscient hommage au génie dont le souvenir pesait sur eux, d’accorder les phénomènes nouvellement découverts avec la théorie de l’émission. Cette méconnaissance des limites dans lesquelles une hypothèse garde sa valeur, limites purement pratiques, est un exemple d’erreur collective d’autant plus remarquable que les esprits qui la commirent constituaient l’élite intellectuelle de l’humanité.

La fréquentation des œuvres de Newton avait amené les physiciens à une dextérité prodigieuse dans le maniement de la théorie de l’émission ; accrue de quelques hypothèses complémentaires, comme par Laplace, elle pouvait, à condition qu’on ne découvrît rien de nouveau, donner des phénomènes lumineux une image suffisamment concrète. L’Académie des sciences s’avoua impuissante à faire entrer dans ce système l’ensemble de phénomènes nouveaux et mit au concours le sujet suivant: « Interpréter les phénomènes de la diffraction dans la théorie de l’émission. »

Ce fut à Mathieu près de Gaen qu’un ingénieur de trente ans, Fresnel, après avoir vainement tenté de résoudre le problème, effectua avec les instruments de fortune que lui fabriquait un armurier, l’admirable série d’expériences d’où il conclut dans un mémoire célèbre (1819) au rejet des hypothèses newtoniennes et à la parfaite convenance de la théorie des ondulations.

Avec Fresnel nous aboutissons à l’affirmation d’une lumière constituée par la vibration transversale (à la fréquence de plusieurs trillions par seconde) de molécules d’un éther réel.

Cette assertion grosse de conséquences donna à réfléchir. En somme, du fait qu’aucun physicien n’avait su adapter la théorie de l’émission aux phénomènes nouveaux, on ne pouvait conclure à sa faillite. La question fut tranchée par Foucault en 1854. Le calcul le plus simple et le plus rigoureux des vitesses de la lumière comparées dans divers milieux aboutit à des résultats exactement inverses dans les deux théories. Les expériences de Foucault montrèrent que, conformément à l’hypothèse des ondulations, la vitesse était plus petite dans l’eau que dans l’air. La théorie de l’émission fut définitivement abandonnée.

Les travaux de Fresnel laissaient aux physiciens la conception d’un mouvement vibratoire, d’un milieu physique réel, l’éther, et d’un mode de propagation de proche en proche qui rejetait l’antique image de l’action à distance.

Quel démon de l’analogie fit songer Faraday à cette hypothèse que, peut-être, les attractions et les répulsions électriques et électromagnétiques étaient, elles aussi, dues non pas à des actions à distance, mais à une pression exercée sur les corps électriques par le milieu ambiant ?

Toute la science moderne repose sur cette intuition, et au seuil de cette intuition nous demeurons impuissants : il y a là un de ces mystères intérieurs dont on ne prend pleine conscience que dans le silence.

Faraday nous apporte également quelque chose de nouveau dans le domaine de l’intelligence et peut-être devons-nous cette conquête à une faiblesse ! Jusqu’à lui l’ambition des physiciens était d’énoncer des lois sous une forme propice aux développements mathématiques. Le savant anglais, excellent expérimentateur, mais calculateur sans génie, se donna à tâche d’établir indépendamment de toutes mathématiques abstraites la forme la plus générale possible, la plus susceptible de renfermer des lois nouvelles — et ainsi, la plus suggestive, c’est-à-dire la plus féconde.

On savait avant lui que l’électrisation d’un corps détermine dans l’espace ambiant l’apparition de forces attractives ou répulsives. On en déduisait la quantité, appelée charge, de fluides dits négatif ou positif. La région où s’exerçait leur action était le champ. Ce champ est déterminé en tout point de l’espace par la grandeur, le sens et la direction de la force qui s’y appliquerait si on y mettait un corps électrisé. On peut faire passer en chaque point du champ une courbe dont la direction coïncide avec celle de la force susceptible de s’y exercer, courbe qu’on appelle ligne de force ; sa signification est purement géométrique.

Ces théories reposaient donc sur trois postulats :

il y a des fluides impondérables ;

ils sont répartis à l’intérieur des corps conducteurs ;

l’action instantanée à distance est possible.

Expérimentateur remarquable, mathématicien médiocre nous l’avons dit : attiré par les représentations concrètes, Faraday devait fatalement essayer de trouver et de figurer les relations effectives de l’électricité et de la matière. Ayant constaté que l’électricité ne se manifeste pas à l’intérieur des conducteurs, ayant vérifié et soigneusement repéré toutes les actions mettant en jeu d’évidentes forces d’attraction ou de répulsion, il fit remarquer que tout se passe comme si les régions entourant les corps électrisés étaient traversées par des lignes de force fixées par leurs extrémités aux corps chargés d’électricités contraires. Ces lignes de force étaient analogues à des fils élastiques tendus (c’est-à-dire ayant tendance à se rétracter) et se repoussant réciproquement.

Ainsi les postulats anciens s’évanouissaient : il n’y avait plus de fluides, mais un état spécial d’un milieu universel (nous retrouvons l’éther).

Les charges ne se localisaient pas dans les corps.

Et, en dernier lieu, l’idée d’action à distance était remplacée par l’image physique que donnaient de la réalité les lignes de force élastiques.

Mais Faraday fit plus. En 1845, il découvrit un phénomène lumineux (la rotation du plan de polarisation) produit sous l’action d’un champ électromagnétique. Un lien apparaissait entre l’électricité et la lumière. On ne peut lire les œuvres de Faraday sans une émotion pathétique : on le sent à chaque instant voisin de la découverte, hésitant à franchir un pas qui apparaît monstrueux au physicien de cette époque, et abandonnant ou plutôt n’énonçant pas les pensées que ses observations expérimentales lui suggéraient naturellement. Ainsi que l’a fait remarquer Campbell, il semble qu’il trouvât « aussi difficile de concevoir une relation entre l’électricité et la lumière que ses contemporains trouvaient d’imaginer comment la chaleur, affectant un sens, pourrait être un mode du mouvement, lequel affecte d’ordinaire un autre sens. »

Cependant Oerstaedt, Ampère, Gauss effectuaient des expériences qui révolutionnaient la science du magnétisme. Il fut bientôt hors de doute que des rapports étroits l’unissaient à celle de l’électricité. Maxwell, calculateur éminent, cultivant par goût les travaux mathématiques d’Ampère et de Gauss essaya sans abandonner les conceptions de ceux-ci, de rendre compte dans ce langage des travaux de Faraday et d’en épuiser le contenu.

Il résolut d’abord de se donner des unités de calcul. La parenté de l’électricité statique et de l’électromagnétisme lui offrait deux solutions : ou choisir l’unité de quantité d’électricité ce qui déterminait les autres et en particulier l’unité de magnétisme ; Ou, inversement, choisir cette dernière et en déduire l’unité de quantité d’électricité.

Une quantité exprimée successivement avec les unités des deux systèmes donnait ainsi deux nombres différents. Or, Maxwell ayant recherché expérimentalement la valeur courante du rapport de ces deux nombres la trouva égale à la vitesse de la lumière.

Parti à la recherche des pépites, le prospecteur trébuchait sur un diamant. Il s’agissait de le tailler et d’en faire jaillir tous les feux ; il s’agissait de trouver la signification d’une coïncidence que tout faisait pressentir non fortuite et révélatrice des plus étonnants secrets.

Le savant anglais eut l’intuition que les travaux de Faraday recelaient les outils indispensables ; il fallait d’abord les polir et les aiguiser. Ne concédant qu’une valeur figurative à la signification concrète dont son prédécesseur s’était satisfait, il s’attacha à en exprimer les propriétés fécondes en langage mathématique. Ainsi, aux associations d’images il joignait ces associations de symboles, en nombre infini, qui, par leurs combinaisons, sollicitent le sens mathématique, provoquent les essais les plus divers et, souffrant sans risques les pires hasards, permettent le passage de l’esprit à travers les ténèbres d’édifices complexes que l’imagination ne peut, provisoirement, interpréter.

Puisque Faraday avait choisi pour terme de comparaison le fil élastique, Maxwell pensa d’abord devoir épuiser par le calcul les possibilités de cette image. Prenant le cas le plus simple, idéal (car l’abstraction de toutes propriétés physiques rejoint l’imaginaire et l’impossible, donnant ainsi au mot « idéal » ce sens corollaire d’inaccessible que notre expérience lui a depuis longtemps conféré), il se donna un fil élastique homogène, uniforme, possédant une masse finie et soumis à une tension finie. Si l’on déforme légèrement un tel fil en quelqu’un de ses points et qu’on l’abandonne à lui-même, que se passe-t-il ? Une perturbation se produit qui de proche en proche reproduit la déformation en s’avançant le long du fil avec une vitesse uniforme. Et un calcul très simple prouva à Maxwell que, dans le cas de la ligne de force de Faraday, cette vitesse avait pour expression celle même du rapport que l’expérience avait montré égale à la vitesse de la lumière.

Dans le vide, l’onde électromagnétique se propage donc avec la vitesse de la lumière. On en déduisit raisonnablement que les phénomènes électromagnétiques et les phénomènes lumineux avaient le même véhicule, l’éther, dont le rôle s’élargissait.

On pouvait aller plus loin. Si un corps électrisé se meut d’une façon quelconque, les portions du champ à une certaine distance ne seront troublées qu’au bout d’un temps fini, le temps nécessaire au parcours de la perturbation cheminant depuis le corps électrisé jusqu’à elles avec la vitesse de la lumière.

Or ces perturbations, comme la lumière, sont transversales ; comme la lumière elles se propagent dans le vide avec une vitesse indépendante de la fréquence et nous savons quelle est cette vitesse.

Qui ne pressent avec Maxwell que la lumière n’est pas autre chose qu’un phénomène électromagnétique?

Arrivé à cette étape, le précepte grec surgit dans ma mémoire : « Memnesô apistein ». Je sens combien il est hasardeux de tenter, ainsi que je viens de le faire, d’exprimer, en langage non mathématique, les prémisses de l’œuvre de Maxwell. Il sera plus difficile encore d’en présenter l’ensemble. Pourtant, ces travaux sont la clef de toute la physique moderne ; il n’est pas un calcul où n’apparaisse directement ou indirectement l’influence des théories dont la traduction précise est constituée par les équations qui portent le nom de Maxwell. Les découvertes de Hertz, de Lorentz, de Poincaré, d’Einstein en sont directement issues. Nous n’avons besoin pour nous faire comprendre, dans la suite de cet essai, que de choisir quelques résultats pratiques et de les exposer brièvement. Mais l’importance de l’œuvre maxwellienne se révèle considérable au point de vue philosophique. Il faut imaginer un cerveau dont la puissance constructive se compare à celle de Newton ou de Copernic et qui, pourtant, ne pense pas suivant les mêmes modes. Ne nous attendons pas à un système d’images ordonnées, ayant une figure géométrique ou mécanique clairement discernable avant de pénétrer le secret des calculs. L’élément concret est rigoureusement caché ; il est la récompense de l’étudiant qui ne le trouve en soi-même que par les interprétations fugitives des symboles algébriques. L’union des hétérogènes, dans l’essai pathétique d’une réalisation continue, s’effectue grâce aux opérateurs mathématiques, pour ainsi dire sans qu’il reste la trace du langage ordinaire et même d’une conscience personnelle. La rigueur de l’algèbre, en qui notre acte de foi nous assure le salut, ignore les défaillances de représentations débiles ; au jeu des formules, avec ces quantités dont les modifications formelles ne révèlent à nos yeux d’aveugles rien de la réalité qu’elles enveloppent, nous abandonnons notre main dans l’espoir de merveilleux destins.

Quelle étonnante part de chance et de divination dans cette œuvre ! Boltzmann l’avait entrevue qui écrivait en tête de son livre sur Maxwell : « Ist es ein Gott der dièse Zeichen Schrieb ? — Est-ce un Dieu qui a tracé ces signes? » Le grand Duhem après Hertz et Poincaré a établi, par une critique définitive, les lacunes, les erreurs, les fautes accumulées dans la démarche qui devait conduire Maxwell à ses équations. Et pourtant l’exactitude de celles-ci ne saurait être mise en doute. Ainsi nul raisonnement logique par l’abstrait philosophique ou le concret, s’il était possible de le calquer sur l’analyse mathématique, ne nous eût conduits à la vérité, car la pratique séculaire de ces raisonnements nous eût, dès les premières erreurs, détournés du chemin suivi. Seuls quelques rares esprits comme Duhem transposent dans le domaine de l’analyse ce sens de la rectitude. Mais les inventeurs ne sont inventeurs que parce qu’ils pèchent en quelque point ; on sait que le premier vol ne put être réussi que lorsque l’Académie des sciences eut prouvé qu’il ne pouvait l’être.

L’opérateur essentiel introduit par Maxwell est ce qu’il appelle le déplacement électrique, grandeur particulière existant aussi bien dans l’éther que dans la matière isolante. Il n’y a plus, entre ces deux derniers, de différence essentielle et l’éther peut être soumis à l’action de toutes les forces électriques et magnétiques. La conception d’une propagation des actions par l’intermédiaire d’un milieu, conception qui remplace définitivement celle des actions instantanées à distance, s’affirme. Dans les anciennes théories, l’apparition d’une force électrique dépend de deux charges, une charge isolée ne produisant aucun phénomène dans le milieu environnant. Le potentiel et la grandeur du champ ont une signification purement mathématique, ce sont seulement des grandeurs très utiles pour le calcul des forces qui prennent naissance quand on amène une seconde charge en un endroit donné. Dans la théorie de Maxwell, au contraire, une charge prise isolément produit déjà dans l’espace environnant des tensions et des pressions réelles au lieu des modifications que nous avons précédemment indiquées comme propres à faciliter la description des phénomènes.

Les équations de Maxwell constituent d’après Hertz toute la partie positive de sa théorie ; on peut s’en tenir là en les considérant comme hypothétiquement établies entre les grandeurs physiques déterminées et bien connues qui caractérisent le milieu d’une part et, d’autre part, les champs électrique et magnétique existant dans ce milieu.

Comme nous l’avons dit, les équations de Maxwell possèdent une certitude incontestable dans un domaine déterminé — certitude que sont loin de posséder les hypothèses qui guidèrent leur auteur —. Leur expression en langage ordinaire est la suivante :

1° Tout courant électrique est entouré d’un champ magnétique ;

2° Un flux d’induction magnétique variable en grandeur est entouré d’un champ électrique.

C’est une conception de correspondances réciproques, l’affirmation qu’en chaque point existent un champ magnétique et un champ électrique. Toutes les théories modernes s’appuieront sur elle.

Maxwell, il faut bien le dire, n’avait pas eu tout de suite l’intuition qui l’amena à ses équations. On peut retrouver une ancienne théorie où il assimile le monde de la matière à une usine minutieusement étudiée avec ses machines décrites jusque dans leurs rouages et leurs pistons. L’âge devait lui donner un jour de la réalité une idée autrement compliquée et simple à la fois. Quel beau courage pour un Anglais que d’abandonner la figure d’un mécanisme précis que séculairement l’homme britannique donne à ses représentations même le plus probablement voisines de la chimère !

Mais si l’image de l’usine s’évanouit, la vieille idole mécanique sous une forme plus nouvelle demeure séductrice et instable. L’événement le plus fortuit porte en lui la fécondité de la graine infime, gonflée pourtant de l’ avenir. Cette mesure expérimentale dont nous avons parlé, ayant fait apparaître la vitesse de la lumière, Maxwell en induisit hardiment que, de même que l’électricité se propageait le long d’un fil métallique avec la vitesse de la lumière, de même la lumière se propageait à travers les corps transparents.

Et, d’une similitude de propagation, il déduisit l’identité de l’essence.

Cependant, fît-on remarquer à Maxwell, si la lumière est un phénomène électrique, on doit constater des phénomènes électriques partout où la lumière peut se propager. Or, dans les milieux isolants, on n’a jamais observé de courant. Il y en a, dit Maxwell, mais leur manifestation est d’aspect différent. Dans un fil il passe un courant « de conduction » qui offre une résistance analogue à celle d’un liquide visqueux : l’énergie s’y transforme en chaleur que vous constatez. Au contraire, dans un milieu non conducteur, la résistance est celle d’un ressort qui restituera l’énergie dès que celle-ci cessera de se manifester. « Vous n’avez pu constater ces courants, disait Maxwell, car les ressorts sont très vite tendus et les courants cessent aussitôt. Mais le jour où vous pourrez inverser le sens de ces courants, les alterner très rapidement, vous les observerez. » Vingt ans plus tard, à l’aide d’un mécanisme très simple, Hertz constatait en effet l’existence de ces courants. Rien cependant n’infirmait les théories anciennes dans ce fait. Les expériences cruciales restaient à faire qui démontreraient si, ainsi que le voulait Maxwell, l’induction se propageait le long d’un fil, non pas instantanément, mais avec la vitesse de la lumière. Ces expériences, réalisées par Sarasin et de la Rive à Genève, donnèrent raison à Maxwell.

Il fallait aller plus loin. On ne connaît pas à la lumière, en tant que mouvement vibratoire, d’autres propriétés qu’une vitesse finie, une polarité, l’intensité et la fréquence. Maxwell osa conclure en imaginant que les perturbations électromagnétiques possèdent de telles propriétés et peuvent par conséquent être mises en évidence par des expériences d’optique. Hertz, au cours d’expériences bien connues, produisit par des moyens électriques des perturbations ne différant de la lumière que par la fréquence.

Il ne restait donc plus qu’à imiter les phénomènes optiques en utilisant ces radiations électriques. On y arriva rapidement. Wiener réalisa les interférences. Righi reproduisit le phénomène des anneaux de Newton et les ondes secondaires ; Gouy, la diffraction ; Hertz, la polarisation ; Bose, la réfraction et la double réfraction. Les progrès se sont poursuivis. On a pu déterminer toutes les radiations dont se compose la lumière, depuis l’infra rouge (radiation calorifique) jusqu’à l’ultra violet (radiation chimique) en passant par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Les ondes les plus grandes dans ces radiations lumineuses sont celles de l’infra rouge où l’on a pu déceler des longueurs de trois dixièmes de millimètre. Les longueurs d’onde les plus petites des oscillations électriques qu’on ait pu déterminer sont de 2 millimètres. On voit combien est faible la lacune qu’il reste à franchir expérimentalement. Mais les savants n’ont pas besoin d’attendre. Au point de vue théorique, on peut considérer l’identité de nature entre la lumière et l’électricité comme acquise.

Les théories extrêmement séduisantes de Maxwell firent l’objet de l’étude la plus passionnée. Hertz, Helmhotz, Lorentz, Poincaré, Thomson en établirent le contenu positif. Comme toutes les hypothèses fécondes, elle suscita des expériences qui devaient la confirmer et frayer la voie à de nouvelles et plus audacieuses conceptions. Les premières discordances entre la réalité accessible et les prévisions de Maxwell apparurent nettement quand il s’agit d’expliquer le phénomène de Kerr (rotation du plan de polarisation de la lumière réfléchie dans certaines conditions sur la surface polaire d’un aimant). De cette défaillance devait jaillir une nouvelle approximation de la réalité. Par la fausseté de la représentation qu’elle donnait de la propagation de la lumière à travers les milieux matériels, elle dénonça l’idée qu’on se faisait des propriétés électromagnétiques de ces milieux ; elle a détourné l’attention des propriétés de l’électricité indépendantes des particules matérielles pour la porter sur les relations de l’électricité et de la matière qui diffèrent avec la nature de la substance. Une fois de plus, une théorie a été presque plus précieuse en raison des phénomènes qu’elle n’a pu expliquer qu’en raison de ceux qu’elle a expliqués avec succès ; ce sont les défaillances de la théorie de Maxwell qui ont jeté les fondements de la science électrique moderne ; science qui dans l’espace d’une seule génération a renouvelé presque toutes les branches de la physique et de la chimie.

Il en fut de Maxwell comme de Newton. L’usage de ses équations avait donné des résultats trop beaux pour qu’on se résignât à les abandonner sans regret. D’ailleurs elles étaient, nous l’avons dit, la forme mathématique de faits matériels incontestables indépendants de toute théorie. Ne pouvait-on, par l’introduction de termes nouveaux, les mettre en harmonie avec les faits qui leur échappaient?

Hertz le tenta. Il expliqua lucidement le sens de ces équations dans deux mémoires classiques consacrés respectivement à l’électromagnétique des corps en repos et à celui des corps en mouvement.

Dans le premier, il définit le champ et les forces avec une précision qui permet l’éventualité de vérifications expérimentales pour les phénomènes où on les fera intervenir. Il émet l’hypothèse que le courant est proportionnel à la force électrique ; et, sur cette base solide, il donne aux équations de Maxwell une forme simplifiée d’où nous pouvons tirer à chaque instant la connaissance du champ, car elles nous disent comment chaque perturbation se propage dans l’espace et dans le temps.

Aux équations du champ, il n’y a plus qu’à ajouter les équations de condition qui expriment la conservation de l’électricité et du magnétisme, et dont la première sert à distinguer l’éther de la matière. De l’interprétation de ces équations, on peut tirer toutes les lois physiques connues.

De son côté, Helmoltz, après une étude extrêmement pénétrante de la dispersion, élaborait une théorie qui, avec le correctif de Lévi Givita (hypothèse d’un temps fini pour la propagation des actions à distance) rejoignait les équations de Hertz. L’esprit humain tenta d’aller plus loin.

Hertz et Helmoltz, vénérant l’idole mécanique, essayèrent, comme leurs prédécesseurs, de ramener les actions électriques à un modèle mécanique. Les hypothèses du premier sur les forces cachées décèlent une sorte de sombre génie. Mais elles ne contenaient point l’avenir. Sans chercher à l’exposer, revenons au second mémoire de Hertz sur les corps en mouvement.

Il apporta un ensemble d’hypothèses très simples.

En premier lieu, il admit que les relations déjà trouvées liaient les forces électriques, même si leur champ est produit par des corps qui se meuvent d’une façon quelconque dans un milieu donné.

En second lieu, il admit entre les milieux différents une indépendance relative et étendit l’application des lois aux milieux déformables.

Il obtint ainsi des résultats conformes aux expériences pratiquement réalisées.

Ainsi, après Fresnel et Faraday précurseurs, Maxwell et Hertz rendaient incontestable l’hypothèse des ondulations propagées avec une vitesse finie à travers un milieu impondérable et vibrant, l’éther.

Cependant, puisqu’il faut un éther pour propager les ondes, pour servir de sujet au verbe onduler, l’esprit humain, insatiable, est amené à se poser la question de la stabilité de l’éther, car d’elle dépendent toutes nos lois.

Toutes les hypothèses furent envisagées. L’éther était-il mobile, partiellement entraîné ou totalement immobile ?

Les théories de Hertz se basent sur un entraînement total de l’éther par la matière en mouvement. Aux vitesses pratiquées dans les expériences de corps en mouvement, rien ne venait les infirmer, mais qu’advenait-il aux très grandes vitesses?

L’interprétation des phénomènes de l’aberration de la lumière devait nous éclairer à ce sujet.

Entre le moment où la lumière d’une étoile touche l’objectif, et celui où elle touche l’oculaire, le mouvement de translation de la terre a changé la position de celui-ci. Si l’éther est entraîné par la terre, comme le veut Hertz, l’image se formera néanmoins à la croisée des fils du réticule, puisque le rayon suivra le mouvement de l’éther, lequel est identique à celui de la terre, c’est-à-dire de la lunette. Or, on constate qu’il y a, au contraire, une aberration ; l’image ne se forme pas sur la croisée des fils. Tout se passe comme si l’éther était en repos par rapport à la terre. Hertz a essayé d’éluder cette difficulté, en admettant une réfraction produite sur la surface de séparation, entre l’éther stellaire immobile, et l’éther entraîné par la terre.

Or, Fizeau avait déjà, en 1851, exécuté de remarquables expériences sur l’entraînement partiel de l’éther. Michelson et Morley reprirent ses expériences, en 1889, et constatèrent en effet, que la lumière se propage un peu plus rapidement dans l’eau qui fuit, que dans l’eau au repos. Il semblait qu’il y eût, non pas entraînement total, non pas défaut d’entraînement, mais entraînement partiel. C’était l’idée de Fresnel. La théorie de Hertz se trouvait donc en défaut. L’éther paraissait rigoureusement immobile, mais susceptible d’être entraîné.

Il fallait reprendre, en la modifiant, la théorie de Fresnel.

Lorentz entreprit cette tâche (1892), et ne s’y borna point. Établissant l’inventaire des théories de la matière, élaborées avant lui, il mit en évidence le bilan. On vit ainsi que les phénomènes d’électrolyse n’étaient pas compatibles avec la théorie de Maxwell, pas plus que les phénomènes nouvellement découverts de radioactivité. À la question, si importante, du mouvement absolu, venait se greffer la question de la nature de la matière. Il parut à Lorentz qu’il était possible de tenter une nouvelle synthèse. Celle-ci est remarquable par l’ingéniosité et le mélange de prudence et de hardiesse qu’elle révèle.

Lorentz a voulu :

1° Se baser sur des hypothèses aussi générales que possible, et paraissant hors de doute ;

2° Unifier les phénomènes dispersés ;

3° Lier intimement l’ancienne idée d’un substratum particulier aux valeurs positives de la théorie de Maxwell.

Toutes les expériences citées plus haut pouvaient s’expliquer par un système d’hypothèses fondamentales que Lorentz énonça comme suit :

A. L’éther est immobile ; il ne participe pas au mouvement des corps, et des déformations y sont impossibles.

B. L’éther pénètre tous les corps.

C. Aucun corps mobile ne peut dans son mouvement entraîner l’éther ;

Aucune hypothèse n’était faite sur la constitution de l’éther qui était simplement un espace dans lequel pouvait naître un champ électromagnétique.

Partant de là, Lorentz ramenait par une déduction géniale les trois sortes de courants connus (voltaïques, électrolytiques et de convection) à un seul type.

Aux équations purement mathématiques de Maxwell, seul résidu positif de sa théorie, résidu indépendant de tout débat sur le corps même de l’électricité, il fournissait un corps vivant en ressuscitant l’ancienne théorie de Poisson, celle des deux fluides positif et négatif. Mais il leur donne un rapport par la création d’électrons, particules matérielles dont le transport constitue des courants. Au point de vue magnétique, il adopte la théorie d’Ampère qui réduit ces phénomènes à des courants électrolytiques dans les particules des aimants. Tous les phénomènes extérieurs où se manifeste l’électricité ne sont que l’apparence diverse du mouvement des électrons.

Ainsi les équations de Hertz demeuraient inchangées pour l’éther libre et légèrement modifiées pour l’éther présent dans les corps par l’intervention des forces que les électrons exercent sur la matière même.

Le système analogique qui convient à notre esprit se déplaçait donc. Du groupe lumière-électricité il passait au groupe électricité-gaz. Car nous aboutissons à une théorie cinétique statistique du mouvement des électrons qui rappelle la cinétique des gaz.

Cette nouvelle synthèse paraissait inattaquable dans l’état actuel des connaissances. Le résultat des controverses sur les phénomènes électroptiques n’y était point contredit puisqu’au contraire il en assurait la base. Les phénomènes les plus difficiles à concilier dans d’autres théories s’y éclairaient admirablement. En particulier, on y trouvait une lumineuse explication des expériences de Faraday sur la rotation du plan de polarisation de la lumière dans un champ magnétique. Enfin, sa discussion ouvrait des routes nouvelles vers des régions insoupçonnées. En se basant sur elle, on devait constater la décomposition des raies du spectre dans un champ magnétique. L’expérience fut faite par Zeemann : il constata que la présence d’un aimant au voisinage d’une flamme perturbait le spectre de celle-ci dans les conditions prévues par Lorentz.

La prodigieuse réussite de cette théorie qui faisait prévoir et vérifier de nouveaux rapports entre la lumière et l’électromagnétisme attira sur elle l’attention de Henri Poincaré. Tout de suite il en révéla le grave défaut : conservant certaines vues de Maxwell, elle ne satisfaisait pas au principe newtonien d’action et de réaction.

Ceci était extrêmement grave :

La mécanique moderne est basée sur trois principes : Le principe de l’inertie : un point matériel isolé possède une vitesse de grandeur et de direction constantes (nulle dans le cas particulier du repos).

Le principe de l’indépendance des forces ; l’effet d’une force sur un point matériel est indépendant de la vitesse de ce point et de la présence ou de l’absence d’autres forces.

Le principe de l’égalité de l’action et de la réaction : les actions mutuelles de deux points matériels sont égales et de sens contraire.

La généralisation de ce dernier principe intervient dans tous nos raisonnements. Par exemple, tous les calculs astronomiques impliquent que l’attraction exercée par le soleil sur une planète est égale et de sens inverse à celle que la planète exerce sur le soleil.

Mach a montré que ce principe découle de la définition de l’égalité des masses, c’est-à-dire de la définition de la masse elle-même. Il est donc essentiel à la mécanique. Lorentz a conservé, nous l’avons dit, tout le contenu positif des théories de Maxwell. Ainsi le grand physicien anglais avait été conduit à admettre que tout corps frappé par la lumière subit une pression. Bartholdi était arrivé par des considérations de thermodynamique au même résultat. Faye expliqua ainsi les queues des comètes : des particules détachées du noyau delà comète sont repoussées par la lumière du soleil avec une force supérieure à l’attraction newtonienne et elles forment des queues en s’éloignant du soleil. Enfin Lebedeff, par des expériences extraordinairement minutieuses, donna la confirmation du fait. Lorentz, comme Hertz, était donc bien fondé à admettre la pression de Maxwell-Bartholdi.

Comment se transmet la lumière de la source à l’écran ? — Par un déplacement d’ondes, à travers l’éther, avec une vitesse finie. Pour que le principe newtonien fût sauvegardé, il eût fallu qu’entre l’action de la pression sur l’éther et sa réaction sur la source il y eût compensation et compensation parfaite. Cela se pouvait admettre dans le cas de Hertz, car celui-ci supposait l’éther lié mécaniquement à la matière. Mais la théorie de Lorentz n’était pas compatible avec le principe de l’action et de la réaction.

Le problème se posait donc d’une manière aiguë puisqu’il mettait en question les fondements même de la mécanique classique.

Abandonnant toute hypothèse, il s’agissait de se replacer en présence des faits. Que savait-on? — On avait la certitude, depuis Faraday, d’une énergie électrostatique localisée sous forme de champ hors des conducteurs. Rien ne s’opposait à ce qu’on raisonnât en utilisant le principe de la conservation de l’énergie, principe dont aucun fait n’avait ébranlé la vraisemblance. Que dit ce principe? ou plutôt quel raisonnement inspire-t-il dans un tel cas ? — Le travail exercé par les forces électrostatiques représente une certaine dépense d’énergie, c’est-à-dire le passage d’une certaine quantité d’énergie en puissance à l’état d’énergie actuelle de mouvement. Il y a donc de l’énergie actuelle autour du corps provenant (en vertu du principe de la conservation) du travail dépensé pour produire l’état d’électrisation. Elle est proportionnelle au carré de l’intensité du champ et on peut la calculer. On calcule ainsi l’énergie localisée autour d’un conducteur électrique, ou, si l’on veut, en un point d’un champ électrostatique ; de même, celle en un point du champ magnétique. De même en un point d’un rayonnement libre se propageant avec la vitesse de la lumière et qu’on peut considérer comme superposant un champ magnétique et un champ électrique perpendiculaires l’un à l’autre.

Tout, en dehors de cela, était hypothèse. Maxwell avait admis l’éther et lui donnait mission :

1° D’onduler ;

2° D’être la substance dont l’énergie est l’accident ;

3° De représenter les actions à distance comme des pressions et des tractions exercées par ce milieu. L’éther était le seul milieu actif dans la production des phénomènes et où s’emmagasinait, sous forme de déformations statiques, l’énergie électrique et où se propageait, sous forme de perturbations, l’énergie rayonnante. Ici, comme ailleurs, Lorentz n’avait emprunté que l’indispensable, c’est-à-dire l’existence même de l’éther qui ne jouait plus qu’un rôle passif et, en quelque sorte, catalytique.

Lorentz admettait des charges non pas fictives, mais ayant une existence physique, une structure et une inertie propres. C’est là qu’il faut chercher la cause initiale des phénomènes électriques et magnétiques. Le courant électrique ne réside pas dans l’éther mais dans le conducteur ; il est constitué par un mouvement d’ensemble des électrons libres du métal superposé à leur agitation cinétique désordonnée ; il n’y a plus de courant de conduction dû à l’éther, il n’y a que des courants de convection dus à des particules électrisées en mouvement. Et, d’autre part, la matière se pulvérise en grains d’électricité.

Mieux que jamais, il apparaissait que le point secret du problème résidait dans la détermination de l’existence et de la statique de cet éther mystérieux.

Tout démontrait, ainsi que nous l’avons vu, que cet éther, s’il existait, était immobile. Lorentz l’avait pris comme critérium du repos absolu, et avait rapporté à des axes placés dans l’éther le mouvement supposé absolu de ses électrons. Mais alors, la lumière arrivant à la terre mobile par l’ondulation d’un éther immobile, ne devenait-il pas possible de déceler le mouvement de notre planète par rapport à lui ? Michelson et Morlay, par une expérience admirable d’ingéniosité et de rigueur, démontrèrent, l’impossibilité de déceler ce mouvement.

Le principe de leur expérience est simple. Il repose sur une constatation du bon sens : deux personnes quittant leur demeure et allant au devant l’une de l’autre se rencontreront évidemment plus tôt que si l’une reste chez elle pour attendre l’autre. La terre, indépendamment de son mouvement de rotation, possède un mouvement de translation suivant une trajectoire dont la portion, correspondant à une courte durée, peut être assimilée à une ligne droite que notre planète parcourt avec une certaine vitesse. Si, de l’éther immobile, le soleil envoie, dans cette direction, un rayon lumineux à la rencontre de la terre, le temps que met ce rayon pour parcourir l’espace compris entre deux points doit logiquement être diminué du temps correspondant au déplacement simultané de la terre allant réciproquement à la rencontre du rayon.

Si, par contre, les deux points choisis entre lesquels on mesure le temps de parcours de la lumière sont placés sur une droite perpendiculaire à la direction de la translation terrestre, il est évident que celle-ci n’influera en rien sur la durée du parcours. Le chiffre expérimentalement trouvé dans ce deuxième cas doit donc être inférieur à celui qu’on aura constaté dans le premier où la vitesse du parcours était accrue de celle de la terre par rapport à l’éther.

Or, malgré les mesures très précises que l’on a faites, on n’a constaté aucune différence entre les deux chiffres ; on pourrait faire remarquer que peut-être la vitesse de la terre n’est pas suffisante pour mettre en évidence l’écart des deux chiffres réels mais, sans connaître la valeur de cette vitesse, nous savons qu’elle varie entre janvier et juillet d’une quantité atteignant 60 kilomètres par seconde, et la précision de nos mesures est largement suffisante pour déceler l’écart dû à cette variation si elle avait une influence sur l’expérience.

Ainsi, les résultats de celle-ci étaient inattaquables ; les difficultés s’accumulaient.

Notre exposé a suivi la pensée qui devait triompher et tenté d’en dégager l’arabesque dans l’écheveau embrouillé des théories et des mémoires de plus en plus pullulants. Mais pour le savant contemporain du chaos, vivant dans son sein et essayant parmi tant de sollicitations contradictoires de démêler la direction la meilleure, c’est-à-dire (puisque toute théorie se heurte un jour à l’obstacle définitif qui marque l’épuisement de ses possibilités) l’impasse de plus grande longueur, nulle ne paraît plus logique que l’autre.

La solution d’un problème n’est pas la difficulté principale ; il s’agit de poser le problème ; parmi la multitude de phénomènes constatés et de gloses tant contemporaines qu’antérieures, il faut discerner les parasites, les secondaires, les déterminées et ne garder que l’essentiel : celui-ci, énoncé sous la forme la plus générale, groupera tout le connu et réclamera la théorie susceptible avant tout de résoudre l’apparence des contradictions présentes et ensuite de donner de nos connaissances une image explicative qui féconde l’avenir.

Cette besogne de généralisation et d’abstraction est la plus élevée à quoi puisse aspirer un savant. Sur ce plan, le génie n’est plus particulièrement mathématique, mais il est essentiellement et spécifiquement le génie en tant que fonction créatrice, et la mathématique n’est même plus un de ses modes, mais simplement son expression.

Ce fut Poincaré qui, en 1901, apporta dans les débats obscurs de la physique mathématique le groupement solide, la sélection de faits et d’idées dont on manquait; il énonça dans ses célèbres Leçons d’Optique et d’Électricité les conditions minima auxquelles devait satisfaire toute théorie électromagnétique du mouvement.

Elle devait :

1° Rendre compte des expériences de Fizeau sur l’entraînement partiel des ondes lumineuses ;

2° Satisfaire au principe de conservation de l’énergie, c’est-à-dire de l’électricité et du magnétisme ;

3° Être compatible avec le principe de l’égalité de l’action et de la réaction;

4° Corrélativement à la condition précédente, expliquer l’expérience de Michelson et Morlay.

Aucune des théories utiles (celles de Hertz, de Helmholtz et de Lorentz) ne satisfaisait à ces quatre conditions. Après s’être demandé si ces dernières étaient bien compatibles, Poincaré constatait que la théorie Lorentz satisfaisait aux deux premières. Peut-être, disait-il, par des modifications de cette théorie, les deux lacunes seront-elles comblées en même temps ?

Poincaré concluait de l’expérience de Michelson et de Morlay par l’énoncé d’un principe de relativité :

Au moyen d’expériences optiques et électromagnétiques intérieures à un système en mouvement, il est impossible de déceler le mouvement de translation de celui-ci par rapport à l’éther.

La notion de relativité n’a jamais fait défaut aux savants. Elle est à la base de toutes les mesures précises d’une part et des fondements de toute science d’autre part. Coriolis nous a fait connaître la valeur de la vitesse relative. Nous savons, étant donnée la vitesse du promeneur dans un couloir de wagon relativement aux objets immobiles dans ce wagon, et la vitesse à laquelle l’entraîne le train par rapport aux bornes de la voie, calculer la vitesse du promeneur en mouvement absolu par rapport au paysage traversé.

Le principe de la relativité s’énonce plus généralement en mécanique rationnelle où il décrète que les phénomènes mécaniques qui se passent dans un système isolé ne dépendent nullement de l’état de repos ou de mouvement uniforme de celui-ci.

En géométrie euclidienne il existe pareillement un principe de relativité appliqué à l’espace. Il enseigne que la forme et les dimensions d’une figure ne dépendent pas des déplacements, c’est-à-dire de sa position absolue.

Ainsi donc, le principe de relativité en physique n’apportait en soi rien qui pût provoquer un bien grand étonnement. Il s’agissait cependant de lui donner une figure mathématique qui permit de l’incorporer à la théorie. Simultanément Lorentz et Fitzgerald émirent la même pensée. Se référant à l’expérience de Michelson et Morlay, ils raisonnèrent ainsi : La lumière met le même temps pour parcourir deux trajets auxquels nos mesures assignent la même longueur. Or, celui des deux qui est dans le sens du mouvement de la terre est parcouru par la lumière avec une vitesse plus faible que l’autre. Tout se passe donc comme si les corps entraînés dans une translation subissaient une contraction dans le sens du mouvement.

L’hypothèse de Lorentz et de Fitzgerald semble, au premier regard, la seule possible, en tout cas la plus voisine du sens commun. Elle ne l’est qu’en apparence. On aurait pu supposer, avec une vraisemblance au moins aussi grande, que le corps restait le maître d’un libre déplacement à condition que l’état de mouvement du foyer changeât les caractères de la propagation. Par exemple, on aurait admis une déformation des ondes se produisant sous l’influence du mouvement et de telle manière que le principe de relativité fut satisfait.

Ceci a une très grande importance car, pour générale que soit la théorie d’Einstein et quoiqu’elle s’appuie sur des équations exprimant la réalité accessible à l’expérience, cette théorie doit, pour avoir une valeur, partir de postulats qui renferment outre la partie de certitude, la partie de fécondité : le postulat choisi est celui des transformations de coordonnées et de la propagation indépendantes du mouvement du foyer. Nous verrons que certaines de ses conséquences le font difficilement accepter par beaucoup.

Lorentz admet donc qu’une tige de 1 mètre de longueur disposée perpendiculairement à la direction du mouvement de la terre se raccourcit de cinquante milliardièmes de millimètre quand on la fait tourner d’un angle droit. On ne peut par conséquent dans un plan horizontal décrire un cercle qu’en le traçant comme une ellipse avec des axes rigoureusement calculés. Et cette ellipse apparente ne sera un cercle réel que pour une position de son plan. Il n’est peut-être pas inutile de remar quer dès maintenant que cette modification des longueurs n’est que le signe des modifications plus profondes du donné qui nous ont échappé jusqu’ici, et non leur cause.

Une hypothèse si opposée aux témoignages de nos sens ne saurait se présenter sans que les juges quittent la chaise curule pour mieux examiner Phryné. On recommença l’expérience de Michelson et Morlay à satiété en faisant varier les circonstances et, comme disent les expérimentateurs, les facteurs, même improbables. On arriva toujours à un résultat négatif et on dut constater en particulier que la contraction (si elle existe) est indépendante delà matière employée.

Ainsi, par un simple raisonnement géométrique, avant toute considération dynamique, on posait le fait d’une variation matérielle des dimensions, variation que nous n’avons pu jusqu’ici nous accoutumer à admettre sans l’intervention d’une force (ou d’un décret spécial de la Providence).

Lorentz recula cependant la difficulté en la ramenant à un type connu. Il fît remarquer que la matière est constituée, au moins en partie, d’après les plus récentes découvertes, par des éléments électromagnétiques. Tout mouvement d’un corps entraîne une variation des champs électromagnétiques intérieurs, c’est-à-dire des forces de cohésion, des conditions d’équilibre et, subsidiairement, des dimensions. Je ne vois point dans mes recherches qu’on ait opposé à Lorentz le fait que la contraction était, dans sa théorie, toujours la même pour des corps différents. Il aurait pu invoquer sans doute le fait que la matière est une dans son essence (ce qu’on admet universellement aujourd’hui), et ne diffère que par le mode de groupement des éléments identiques. Il faut donc introduire dans les théories de la constitution de la matière une hypothèse restrictive qui pourra être une aide ou une gêne (on ne sait), mais (en tous cas) s’imposera à tous ceux qui basent leur théorie de la relativité sur l’hypothèse de Lorentz.

Cette restriction pourrait s’énoncer ainsi : Quel que soit le mode de groupement des éléments constitutifs de la matière, il doit dans la dynamique nouvelle s’opérer de telle sorte que tout changement d’orientation d’une structure quelconque entraîne dans les dimensions de celle-ci un changement quantitatif commun à toutes les structures.

Ainsi, dès l’origine, un principe de relativité qui s’appuie sur l’hypothèse de Lorentz sous-entend dans un autre domaine une loi de généralité absolue.

Remarquons cependant que le principe de relativité en soi est indépendant de cette dernière hypothèse ; l’explication de Lorentz seule est en jeu ; toutefois l’explication par la modification des ondes n’aurait pas, me semble-t-il, entraîné cette difficulté.

Une autre objection qu’on n’a pas manqué de faire à Lorentz est tirée de l’impuissance où nous sommes de déceler les variations de dimensions constatées. Ici la réponse est facile. L’observateur et les instruments en effet varient eux-mêmes comme l’objet de leurs observations. La règle dont nous nous servons pour mesurer ce dernier se contracte avec lui dans le même rapport ; et même le changement de longueur que subit un rayon tournant horizontalement échappe à notre vue, car notre rétine se contracte en tournant avec lui, et par suite la surface que son image occupe sur elle.

Quels que soient les procédés que nous emploierons pour déceler le changement, comme, à un moment quelconque, il faudra bien l’intervention de nos sens pour les utiliser, à ce moment juste notre connaissance sera faussée.

Lord Rayleigh, Rankine, Trouton et Noble ont, par des expériences minutieuses, essayé de vérifier les conséquences que l’hypothèse de la contraction entraîne dans des cas particuliers. La description et l’examen de leurs tentatives me conduiraient trop loin ; il me semble cependant dans la sérénité de ma conscience qu’après tant de controverses on peut s’accorder sur le point qu’elles n’ont pas prouvé grand’chose dans aucun sens.

Nous pouvons tout de suite déduire de l’hypothèse de Lorentz une conséquence étonnante : il ne peut exister de vitesse supérieure à celle de la lumière. En effet, le symbole de celle-ci entre dans l’expression du coefficient de contraction de manière telle que la valeur de la contraction deviendrait infinie pour un corps dont la vitesse atteindrait celle de la lumière. À cette vitesse il ne peut donc exister que des corps infiniment plats. Ceci est un très curieux exemple des affirmations d’ordre matériel auxquelles peut conduire l’interprétation des résultats exprimés en langage mathématique.

Nous allons voir également que l’hypothèse de Lorentz ébranle nos idées les plus arrêtées et les fondements mêmes de notre expérience.

Si, en effet, pour l’observateur terrestre, une surface fermée enclôt, par sa forme, un volume déterminé, nous savons maintenant que, pour un observateur au repos par rapport à la terre, ce volume n’est pas le même : car, ce qui est un ellipsoïde pour le premier est une sphère pour le second ; la contraction en effet ne se produit pas pour celui-ci. Les observateurs usent donc d’un espace différent dont la définition découle du mouvement même de l’observateur. Cela n’a, en pratique, aucune importance pour plusieurs raisons : la première est que nos lois scientifiques s’accordent fort bien avec notre espace apparent dont nous ne pouvons d’ailleurs déceler le mouvement par rapport à l’espace de l’observateur au repos dans l’éther; la deuxième est que notre vitesse par rapport à l’éther s’il existe doit être tellement grande et, par suite, la nature de ces deux espaces tellement différente, qu’il faudrait révolutionner toutes nos conceptions pour essayer de les accorder ; notre système est donc purement le nôtre et sa cohérence en certifie la légitimité dans les limites de nos utilisations pratiques.

Mais, sans doute, n’y a-t-il pas là de quoi réjouir les philosophes.

Lorentz ne se contenta pas d’émettre une hypothèse téméraire. Il voulut voir ce que devenait l’expression des différentes lois, lorsque le corps qui leur est soumis passe d’un système dans un autre, par exemple de l’éther à la terre. Le problème au point de vue mathématique est simple : il consiste en un changement de coordonnées. Comme on se borne à un mouvement de translation c’est-à-dire à un déplacement rectiligne, on peut noter sur la trajectoire même les déplacements variables x, c’est ce qu’on appelle prendre la droite pour axe des x. Le mouvement n’ayant lieu qu’en longueur et non en largeur ni en hauteur (cas d’un train en palier rectiligne), ces deux dernières dimensions ne sont pas intéressées ; aucun changement n’a lieu suivant les axes des y et des z auxquels on rapporte ce qui les concerne. Dans l’équation du mouvement, seul le terme en x variera.

Mais si nous passons du système terrestre au système de l’éther, nous changeons d’axe des x. Le terme qui renferme x prendra une nouvelle expression dépendant du temps désormais ; les deux autres y et z garderont la même expression. Lorentz fit subir la transformation de coordonnées aux équations électromagnétiques et obtint la forme nouvelle qui ne diffère de l’ancienne que légèrement. Il essaya de trouver pour le nouveau système la même expression que pour l’ancien et il y arriva très simplement en remplaçant la lettre t, symbole du temps, par une certaine quantité qui ne diffère de t que par un multiple de x. Il appela cette quantité le temps local. Il ne s’agissait que d’un artifice de calcul tel qu’on en emploie fréquemment dans toutes les sciences et Lorentz ne donnait aucune signification physique réelle à ce temps local qui était pour lui une pure fiction mathématique comme les imaginaires, les quaternions et d’une façon générale ce qu’on appelle les « opérateurs ».

On pouvait à titre de récréation mathématique chercher une interprétation physique de ce temps local. On arrivait à une conception étrange. Le temps local, nous l’avons dit, diffère du temps, que nous appellerons universel, par un multiple de x. Or x définit à chaque instant la position du corps suivant l’une des dimensions de l’espace. Il en résulte donc que le temps local ainsi défini dépend de la position du corps (ce qui justifie sa dénomination). Autrement dit, si un observateur situé dans l’éther contemple deux mortels situés sur la terre, ceux de leurs actes qui lui paraîtront simultanés ne le seront pas pour les mortels. De même un seul phénomène considéré dans deux systèmes peut avoir lieu plus tôt dans l’un que dans l’autre. Cette interprétation entraîne (le calcul le démontre) l’hypothèse d’une constance absolue pour la vitesse de la lumière.

L’idée essentielle d’Einstein fut justement de donner une signification réelle au temps local de Lorentz. Pour lui, il n’existait plus de temps universel, mais un temps vrai uniquement pour chaque point particulier ; le temps devenait ainsi une quatrième dimension d’un monde « espace-temps ». Le mémoire d’Einstein parut en 1908. Dès 1907, Minkowski en donnait une admirable figure mathématique. Ses paroles de 1908 sont célèbres :

« Von Stund, disait-il, an sollen Raum Zeit fur sich vollig Schatten herabsinken und nùr noch eine Art Union der beiden soll Selbstiindigkeit bewahren. » « À l’heure présente, de telles notions de l’espace et du temps s’évanouissent comme des ombres, et seule une union des deux conceptions peut prétendre à l’individualité. »

L’espace-temps d’Einstein s’appelle l’univers, et chaque point a quatre coordonnées répondant aux trois dimensions de l’espace et au temps. La trajectoire ancienne est devenue une courbe d’univers. Au point de vue mathématique, on arrive ainsi, par un choix convenable d’axes, à mettre sous une forme parfaitement symétrique les équations des lois connues. Minkowski énonçait désormais le principe de relativité : « Les lois physiques gardent la même forme pour tous les systèmes d’axes rectangulaires dans l’univers à quatre dimensions. »

Ceci n’est qu’une première généralisation du principe de relativité de Newton qu’Einstein étend à tous les phénomènes sans exception.

La théorie d’Einstein repose donc sur deux postulats. Le premier est la signification réelle donnée au temps local de Lorentz, le deuxième est l’extension donnée au principe de la relativité de Newton.

On peut les réunir dans l’énoncé suivant : « La nature de l’univers est telle qu’un observateur appartenant à un système en mouvement rectiligne et uniforme ne peut mettre en évidence ce mouvement ; la vitesse de la lumière mesurée par cet observateur aura, quelles que soient les circonstances, la même valeur numérique. »

Cette précision nous donne une nouvelle vue sur la simultanéité dans les théories d’Einstein. Si un événement se produit en A et qu’en même temps un signal lumineux soit lancé, si pendant la durée du trajet de la lumière un événement se produit en B avant la réception du signal, les deux événements se sont produits simultanément dans le système AB, c’est-à-dire au même instant.

L’examen des théories d’Einstein devait être particulièrement fécond, car elles représentent le plus grand effort de synthèse qui ait jamais été tenté et qui ait eu, étant donné le hasard qui en est le point de départ (car le temps local de Lorentz fut un simple artifice de calcul), la chance la plus miraculeuse. Elle satisfait à toutes les conditions de Poincaré ; toutes les équations de Maxwell-Hertz et les calculs qui en ont été déduits se transforment sans difficulté dans le système d’Einstein ; par suite, toute la dynamique de l’électron est compatible avec ces théories. Si nous mettons à part la dernière hypothèse en date sur la constitution de la matière (l’hypothèse des quanta dont l’étude nous entraînerait trop loin), on peut dire que, de toutes les dynamiques connues, seule celle de la gravitation paraît, au premier abord, échapper à la relativité. Lodge a prouvé cependant qu’elle n’était pas en dehors du principe. Car, dans le cas contraire, le mouvement du soleil, même à faible vitesse, produirait d’énormes perturbations dans les orbites de la terre et de Vénus ; de ce que ces perturbations n’ont pas été constatées, on pourrait déduire, il est vrai, que le soleil est au repos dans l’éther, mais d’autres considérations astronomiques rendent bien improbable cette supposition.

Essayons maintenant de voir à quelles conditions aboutissent les théories d’Einstein.

Les calculs des relativistes nous enseignent tout d’abord qu’il n’y a pas de vitesse supérieure à celle de la lumière. Donc il n’y a pas possibilité d’action instantanée à distance. Il faudra alors attribuer une quantité de mouvement à l’énergie rayonnante ; et c’est-à-dire une masse pour sauvegarder le principe de l’action et de la réaction.

L’expérience et la théorie avaient marché de pair dans ce cas particulier. Max Abraham et Lorentz s’étaient attaqués à une question depuis longtemps posée par le fait même des analogies. On sait que tout changement d’intensité dans les courants ne peut se faire sans un retard. Ce phénomène, nommé self-induction, qui rappelle le coup de bélier dans les conduites d’eau, a fait imaginer une cause semblable : l’inertie électromagnétique. Tout comme pour mettre en mouvement un corps inerte, il faut dépenser un certain effort pour créer un courant ; de même un mobile lancé tendant à conserver sa vitesse, un courant établi tend à maintenir son intensité. Toute variation d’intensité dans un courant a donc pour résultat, par suite de l’inertie, de donner des courants parasites dont on a constaté l’existence et dont on connaît les lois. Soumis au calcul, les phénomènes ainsi définis nous fournissent l’occasion de constater la fécondité de ce calcul ou plutôt de la représentation qu’il nous fournit. Le calcul donne en effet pour l’expression de l’énergie d’une sphère électrisée en mouvement rectiligne, uniforme et à vitesse faible, un produit comparable à l’expression de l’énergie de la même sphère non électrisée mais où la masse de la sphère est augmentée d’une quantité donnée. Tout se passe comme si la sphère possédait une inertie additionnelle due à l’énergie potentielle de sa charge — autrement dit, tout se passe comme si l’énergie était douée d’une certaine masse !

L’intérêt que présente le problème s’accroit. Qu’advient-il si cette petite sphère, au lieu d’une vitesse faible, possède la vitesse de la lumière ? Il va sans dire que nous aurons des variations d’inertie puisque désormais l’inertie n’est plus une constante attachée à une masse constante mais une fonction des variations du courant et par conséquent d’une masse variable avec la vitesse. Le problème revenait à chercher la loi de variation de la masse avec la vitesse. De plus, il se posait d’une façon toute théorique puisque, conformément aux lois de Maxwell, les lignes de force du champ devaient se placer perpendiculairement à la direction du mouvement quand la vitesse du mobile devient celle de la lumière. Lorsque cette dernière est presque atteinte, c’est-à-dire atteinte moins une quantité infiniment petite qui tend vers zéro, le travail nécessaire qui s’est accru au fur et à mesure a pris des valeurs énormes et tend vers l’infini. Ce travail infini ne saurait, par définition, être réalisé et c’est-à-dire qu’un corps électrisé n’atteindra jamais la vitesse de la lumière.

Les résultats de l’analyse mathématique sont confirmés par les découvertes expérimentales : les particules cathodiques des tubes de Crookes atteignent des vitesses observées de 270 000 kilomètres par seconde, mais ne parviennent pas à la vitesse de la lumière.

Disposant expérimentalement de ces particules, on pouvait espérer étudier les variations réelles de l’inertie avec la vitesse. Deux théories étaient en présence. Celle de Max Abraham supposait une sphère indéformable ; celle de Lorentz supposait une sphère transformée en ellipsoïde par l’application du coefficient de contraction. Les formules représentatives étaient très différentes dans les deux cas, d’ailleurs beaucoup plus simples dans le cas de la théorie de Lorentz.

Les expériences de Kaufmann conclurent en faveur des formules d’Abraham ; celles, plus récentes, de Bucherer, donnèrent raison à Lorentz. De toutes façons, il apparaissait nettement que la masse de ces corps n’était plus une quantité fixe, mais variable en fonction de la vitesse.

Ici intervient une nouvelle hypothèse d’Einstein dont la hardiesse est aussi grande que celle de ses précédentes.

Le mouvement des électrons est représenté dans le système de Lorentz par des équations fondamentales relativement simples. Quel que soit le système de coordonnées auquel on réfère ces équations, du moment que ce système est lorentzien, c’est-à-dire fait intervenir la contraction lorentzienne, les équations ne sont pas changées. De même les équations fondamentales de la matière pondérable sont invariantes dans tout système newtonien. Nous nous trouvons donc en présence d’une dualité troublante ; n’oublions pas que, pour Einstein, la transformation de Lorentz n’est pas seulement un artifice mathématique ; elle a un sens physique. Il faut donc, pour satisfaire au principe de l’unité de la matière (qui n’est peut-être qu’une idole d’ailleurs) que les deux systèmes newtonien et lorentzien se ramènent à un seul. Rompant avec tout le passé, Einstein, au lieu de faire rentrer le système lorentzien dans le système newtonien, en laissant à la contraction de Lorentz sa valeur fictive, admet au contraire que le seul système lorentzien répond à la réalité et que le système newtonien n’en est qu’un cas particulier correspondant à des vitesses faibles par rapport à celle de la lumière.

La logique de cette hypothèse apparaît immédiatement lorsqu’on s’exprime en langage mathématique. Il est moins aisé de l’exposer en langage ordinaire. On peut toutefois s’en rendre compte en se rappelant comment Lorentz est parvenu à la définition du temps local. Nous avons vu que, pour tenir compte des expériences de Michelson et Morlay, le savant hollandais avait introduit un terme nouveau dans les équations newtoniennes dont il changeait ainsi la forme. L’introduction du temps local avait eu pour but de retrouver la forme newtonienne par une simplification apparente ; dès le principe, par conséquent, la forme de Lorentz se présente bien comme plus générale que celle de Newton.

Cependant, une gêne subsiste du fait que le point de départ de la nouvelle hypothèse d’Einstein n’est pas un groupe d’équations lorentziennes générales, mais un groupe d’équations lorentziennes établies sur le cas particulier du mouvement de l’électron. On me répondra que ce cas particulier est le plus général puisqu’il représente l’élément dont tout est exclusivement composé. Il me suffira de faire remarquer que nous retrouverons encore là l’axiome mystique de l’unité et que d’ailleurs, après tant de succès, la théorie de l’électron s’est trouvée impuissante à expliquer de nouveaux phénomènes et en particulier le rayonnement du corps noir qui fut l’occasion de la naissance et du triomphe de la théorie des quanta.

Gène d’ailleurs purement instinctive et qui disparaît si on veut bien faire abstraction des conditions historiques où s’est présentée la nouvelle hypothèse d’Einstein. Celle-ci, toute dégagée des contingences parasites, peut s’énoncer ainsi :

Les représentations newtoniennes ne sont qu’une approximation lointaine du réel suffisantes pour ceux des phénomènes de la pratique où les vitesses en jeu sont faibles par rapport à celle de la lumière ; l’exacte mécanique du réel a pour principes les lois électromagnétiques dont les équations newtoniennes ne sont que des cas particuliers.

Les théories einsteiniennes exigent donc qu’on étende à tous les corps en mouvement ou au repos les résultats acquis pour les électrons. Si donc l’énergie que ceux-ci mettent en jeu est douée d’inertie, nous devrons énoncer la proposition suivante :

Toute forme d’énergie possède une certaine inertie.

On peut donner une figure logique à cette étonnante conclusion.

On sait que les radiations émises par certains corps donnent lieu à des phénomènes parfaitement mesurables. Comme toujours, le sens de l’analogie est l’auxiliaire le plus précieux de la découverte ; or, du fait que, dans un coup de feu par exemple, on observe une réaction, on sera amené à se demander si l’émission d’énergie rayonnante n’implique pas un phénomène de réaction analogue. Pour un savant, le principe de l’action et de la réaction, qu’aucun fait observé n’a encore permis de rejeter, exige impérieusement l’existence d’une pression de radiation. Or, nous l’avons vu, Lebedeef a vérifié qu’en effet une source de rayonnement et l’écran soumis à ce rayonnement sont l’objet de pressions égales et de sens contraires. C’est l’égalité de l’action et de la réaction ou, si l’on veut, la constance de la quantité de mouvement.

Mais que l’on supprime l’écran ? La radiation se propage à l’infini en prenant un mouvement absolu et sans que jamais soit compensée la réaction de la source ; ainsi seraient à la fois violés le principe newtonien de l’égalité de l’action et de la réaction et le principe einsteinien de la relativité. Henri Poincaré a sauvé le second en même temps que le premier en supposant, ce qui est tout à fait satisfaisant pour l’esprit, que le rayonnement électromagnétique possède, tout comme la matière pondérable, une quantité de mouvement égale à chaque instant à relie perdue par la source, comme dans le cas d’un coup de feu.

Dès lors le rayonnement devra posséder une masse électro­magnétique sans aucun support matériel !

Mais toutes les formes d’énergie peuvent se transformer l’une dans l’autre, et nous devons donc conclure avec Einstein que toute énergie possède une certaine masse, ou mieux que la masse et l’énergie ont la même mesure si l’on prend une unité convenable. Le calcul montre que cette unité est la vitesse de la lumière.

Nous sommes maintenant en présence des conséquences extraordinaires suivantes :

Toute variation de l'énergie d’un corps s'accompagne d’une variation de sa masse. — Si deux grammes d’hydrogène, nous dit Planck, s’unissent à 16 grammes d’oxygène, nous devons trouver non pas 18 grammes d’eau mais 18 grammes moins 3 millionièmes de milligramme, ceux-ci correspondant au dégagement de chaleur observé. Il s’ensuit que la loi de la constance des masses dans les réactions chimiques est fausse.

La masse d’un corps dépend de sa température. — Une quantité d’eau pesant 1 000 kilogrammes à 0° pèsera 1 000 kilogrammes plus cinq millionièmes de gramme à 100°,

La masse d’un corps est le quotient de son énergie par le carré de la vitesse de la lumière. — Si celle-ci est prise pour unité, la masse et l’énergie sont exprimées par le même nombre. De la définition ainsi donnée, il résulte que tout corps au repos possède une quantité formidable d’énergie égale au produit de sa masse par le carré de la vitesse de la lumière.

4° On peut par le calcul, constater que la partie de l’énergie la plus considérable d’un corps en mouvement reste le produit de la masse par le carré de la vitesse de la lumière. — Seule, apparaît, à nos sens, la partie la plus infime que nous appelons énergie cinétique ou de mouvement et qui est le demi-produit de la masse du corps par le carré de la vitesse.

Les principes de la mécanique sont, comme on le voit, absolument bouleversés. Nous reconnaissons désormais la conservation de l’énergie et celle de la quantité de mouvement. L’énergie est donc contrairement à toutes nos conceptions antérieures une quantité réelle et non purement mathématique, douée d’inertie et susceptible de se localiser en dehors de la matière. L’antique dualité entre la matière pondérable et l’énergie impondérable disparaît, et avec elle toutes les difficultés métaphysiques qu’elle suscitait, Tout physicien qui réfléchit s’est, plus d’une fois, heurté à cette conception d’une énergie, agent incorporel, agissant sur la matière inerte qu’elle est susceptible de mouvoir et de déformer — ou, agent corporel, s’accumulant dans les corps sans en modifier la masse.

On se rappelle les attitudes prises par les savants devant ce problème. Les uns furent partisans d’un monisme absolu ; Boscovitch admettait des forces appliquées en des points géométriques : c’était reculer la difficulté car, comment des forces réelles s’accrochent-elles en des points géométriques ? Pour Hertz, il n’y a que des masses plus ou moins cachées ; entre deux corps qui s’attirent existe en réalité une masse élastique cachée faisant l’effet d’une force de liaison : conception pittoresque dont Boltzmann a montré l’inanité.... Enfin, pour les Anglais, il n’y a qu’un éther gyrostatique, fluide homogène et incompressible, où se meuvent des anneaux tourbillons ; mais sans la présence de masse ni de force, qu’est ce mouvement ? et qu’est une énergie, produit d’un zéro par le carré de la vitesse ?

D’autres physiciens avec Oswald prirent une position tout agnostique.

Ils se désintéressent de l’explication des phénomènes et se basent sur le fait que, physiologiquement, nous constatons exclusivement des manifestations d’énergie. Tout corps, disent-ils, possède au moins :

une énergie de volume, sans quoi il serait imperceptible ;

une énergie de masse, sans quoi la moindre impulsion lui donnerait une vitesse infinie ;

une énergie de gravité, sans quoi il quitterait la terre.

Mais la conception des corps sous la forme de ce complexe de trois énergies devint insuffisante avec l’étude approfondie des radiations.

Nous venons de voir comment, au contraire, l’étude des phénomènes de radiation donne aux théories einsteiniennes une signification singulièrement séduisante. Pour qui accepte les conclusions d’Einstein, les difficultés métaphysiques citées plus haut disparaissent ; le problème lui-même des rapports entre le pondérable, et l’impondérable, s’évanouit ; l’énergie demeure distincte de la matière, mais jouit comme elle de l’inertie.

Pour tout esprit un peu philosophe est-il possible de ne point, à ce propos, songer à ce problème des rapports entre l’âme et le corps qui préoccupa tant de sages?... Quel spiritualiste saura envisager, en s’aidant de cette analogie, l’hypothèse d’une constitution particulière de l’âme ayant avec le corps des propriétés communes non point spécifiquement matérielles, mais permettant l’action réciproque ?

Revenons à la physique.

La conservation de la quantité d’énergie et de la quantité de mouvement va se réduire en une seule loi dans le langage de Minkowski. Car ces deux principes ne font intervenir que la masse et l’énergie d’une part (et nous savons que c’est la même chose), d’autre part la vitesse c’est-à-dire le temps. Mais le temps n’est plus qu’une quatrième dimension qui se relie aux trois autres pour former le cadre nouveau d’un univers où nous pouvons exprimer simultanément, par l’intervention d’une quantité spécialement définie (l’impulsion d’univers), la conservation de l’énergie et de la quantité de mouvement.

L’effort de généralisation et la tendance vers l’unité dont Einstein nous fournit l’admirable spectacle vont aboutir à d’autres prodigieux résultats.


L’énergie est donc douée d’inertie. Qu’est-ce à dire ? Cela signifie que l’énergie est soumise à la force centrifuge par suite du fait qu’elle a une masse inerte. Mais tous les corps matériels inertes sont pondérables. C’est-à-dire qu’il ne nous apparaît pas, dans le champ de l’expérience, de corps non soumis à la pesanteur et à la force centrifuge ; dire d’un corps qu’il a une masse, c’est implicitement le vouer à l’action de ces deux forces. La mécanique newtonienne admet que la masse inerte et la masse pesante sont une seule et même constante. S’il en est ainsi, le poids qui est la résultante des deux forces (centrifuge et pesanteur), auxquelles est soumise toute parcelle matérielle, aura toujours la même direction pour tous les corps en un même lieu ; dans le cas contraire, il y aurait plusieurs verticales en un point quelconque, Eötvos a démontré avec une approximation du dix millionième que la verticale est unique en tout lieu. La masse inerte et la masse pondérable sont donc représentées par le même nombre.

Partant de ce fait, Einstein fait remarquer que, si l’énergie est inerte, elle doit être pesante en proportion, sans quoi, par exemple, une certaine quantité d’uranium et ses produits de désintégration auraient des poids égaux et des masses différentes ; par conséquent des accélérations différentes, ce qui est contraire aux expériences d’Eötvos.

Mais, si l’énergie possède une masse pondérable, la loi de Newton s’applique à elle et, par conséquent, la lumière, forme spéciale de l’énergie, doit lui obéir. Peut-être le lecteur prévoit-il maintenant ce que le génie d’Einstein saura tirer de ces prémisses.

Le savant allemand énonça d’abord le principe de l’équivalence de l’accélération et de la gravitation. Un observateur placé dans la nacelle d’un ballon au milieu des nuages ne saurait dire s’il monte ou s’il descend ; assistant à la chute d’un corps dans cette nacelle, il ne peut décider si, par rapport à l’éther, c’est le corps ou la nacelle qui se meut, car les effets sont indiscernables. Einstein en déduit que, pour connaître l’action de la gravitation sur les phénomènes physiques, il suffira de voir les modifications que leur impose le passage à un état d’accélération.

Cette liaison de l’accélération à la gravitation renforce encore l’opinion einsteinienne suivant laquelle l’éther n’existe pas, du moins en tant que milieu distinct. Pour ce savant, il n’y a pas de région de l’espace jouissant de propriétés absolues. La contraction de Lorentz elle-même n’est vraie que comme une apparence réciproque provenant d’un temps local, c’est-à-dire d’un temps relatif, et les vérités scientifiques de tout ordre ne peuvent être considérées que comme relatives. Le principe de l’équivalence nous interdit par surcroit d’imaginer un éther possédant une certaine masse et impondérable.

Cette affirmation est si grave qu’on a tenté de nouvelles expériences pour mettre en évidence l’existence d’un éther indépendant de la matière. L’expérience de Sagnac (1913) est extrêmement curieuse à cet égard. Elle consiste à l’aire interférer deux rayons lumineux qui circulent en sens inverse sur le même trajet. L’ensemble des appareils étant placé sur un plateau en dehors duquel il ne se passe rien de commun avec l’expérience, il semble que celle-ci doive être indépendante de la rotation du plateau. Or on observe exactement les phénomènes quantitatifs d’interférence qui se produiraient si l’éther, véhicule des ondes, existait, immobile et indépendant du mouvement. Ce résultat a beaucoup gêné les relativistes qui en contestent la validité à l’aide des aperçus les plus ingénieux. Il est donc bien difficile de conclure sur ce point.

Le développement harmonieux des théories d’Einstein ne s’est pas arrêté au principe de l’équivalence. Déjà celui-ci oriente les lecteurs : on va tenter une synthèse basée sur la gravitation.

Mais dès le principe, Einstein se heurte à une grosse difficulté. À l’augmentation du poids d’un corps qui s’élève doit correspondre l’accroissement d’énergie emmagasinée par le corps, et c’est-à-dire une variation de la masse du corps ou de la vitesse de la lumière. La première n’est pas admissible par suite des expériences d’Eötvos. La deuxième est contraire au principe de relativité d’Einstein.

Le savant allemand n’hésita pas cependant à abandonner la constance de la vitesse de la lumière ; cette vitesse ne fut plus désormais considérée comme invariable qu’en l’absence de tout champ de gravitation. Le premier principe de relativité gardait simplement une valeur d’approximation.

Partant de là, Einstein suivit une marche semblable à celle qu’il avait suivie dans sa première étape. De même qu’il avait, par son interprétation des équations de Lorentz, trouvé un système dont celui de Newton n’était qu’un cas particulier, il chercha un nouveau groupe encore plus général dont celui de Lorentz serait un cas particulier. Ce groupe engloberait la gravitation qui échappait au système lorentzien puisque celui-ci s’applique seulement à des systèmes en mouvement non accéléré. Autrement dit, il s’agissait de trouver pour toute loi physique une forme indépendante du mouvement même accéléré du système auquel on se référait. La tournure d’esprit d’Einstein lui fit chercher le problème sors la forme suivante, où l’on voit comment peut s’exprimer le sens de la relativité :

Étant donné un système en état de mouvement accéléré, rapporté à un système en état de repos ou de mouvement uniforme, ramener ses équations à la forme de celles d’un système en état de repos ou de mouvement uniforme, rapporté à un système en état de mouvement accéléré.

Le problème fut résolu par le développement de la théorie de Riemann-Christoffel relative au calcul différentiel absolu.

Par définition, un tenseur est une expression mathématique telle, que toute relation entre tenseurs de même caractère convient dans tout système si elle convient dans un seul.

Einstein écrit la loi de gravitation sous la forme d’équations différentielles satisfaites par certains tenseurs. Il établit ensuite la relation entre les tenseurs qui doit être satisfaite en l’absence de tout champ de gravitation. D’après la définition même des tenseurs, les équations cherchées de la loi de gravitation devront impliquer cette relation comme cas particulier.

Dès lors Einstein établit la suite la plus simple d’équations compatibles avec cette relation et la prend comme expression de la loi de gravitation.

Complétant sa pensée sous la forme de la synthèse la plus générale qu’on ait vue dans l’histoire des sciences, Einstein montre que toutes les lois de la nature sont compatibles avec le principe de relativité ou peuvent être modifiées de façon à le devenir. Partant du tenseur énergie, il calcule le champ de gravitation, puis discute les lois générales de la mécanique.

Les plus grandes difficultés que rencontre le lecteur, dans l’étude de ces travaux de génie, proviennent de l’impossibilité où il se trouve à concrétiser des représentations dans le système tétradimensionnel. Nous avons indiqué l’exemple des principes réunis de conservation de quantité de mouvement et d’énergie ; ils correspondent dans la théorie d’Einstein à un vecteur dont les composantes d’espace sont la quantité de mouvement et dont la composante de temps est l’énergie. Il faut se fier à l’analyse mathématique. Pour ceux qui « aiment à voir dans l’espace » le calcul différentiel ainsi appliqué aux lois les plus proches de la représentation matérielle est une cause de chagrin.

Einstein va plus loin encore. Ayant établi les dix équations de la gravitation, il déduit, non de son principe, mais de ces équations mêmes, diverses lois connues de l’hydrodynamique et de la théorie des gaz ; cela apparaît aux yeux du physicien une des plus impressionnantes performances de ce savant.

Il fait observer que le tenseur énergie s’avère d’ordre plus général encore que l’idée physique d’énergie et de quantité de mouvement, car il n’est pas, au point de vue du calcul, assujetti aux mêmes conditions rigoureuses ; il s’exerce dans le champ électromagnétique et cela nous permet de déduire que ce champ doit éprouver et déployer une action de gravitation. Il me semble qu’il y a là le germe de grandes découvertes expérimentales.

Une autre tentative d’Einstein et de Planck a consisté à montrer l’équivalence des équations avec le principe de la moindre action ; elle ne nous parait pas devoir pour le moment retenir l’attention du lecteur.

La conception einsteinienne se présente ainsi comme fondée sur le marbre le plus nu. Elle dépouille l’esprit humain de tout contenu positif et, par principe, défiante de tout événement et des contingences les moins suspectes jusqu’ici, introduit un relativisme universel. La belle courbe suivie par l’esprit du savant s’épure en se développant, la rigueur nous en est plus sensible et nous touche d’autant plus qu’au relatif elle abandonne davantage par amour de l’absolu.

Quelle seule chose positive nous reste-t-il ? Rien d’autre que le champ de gravitation. Comme Newton, Einstein, ayant vu tomber une pomme, développe sa synthèse en y pensant toujours. Ce fait simple, divinement simple et universel, l’existence d’un champ de gravitation, renferme toute la science. Il est ce qu’on appelait avant nous l’espace vide ; tout ce qu’on lui superpose est matière. Jamais on ne recula autant les mailles inconnues des chaînes causales ; jamais tant de chaînes ne se rejoignirent puisque aujourd’hui il n’est point de loi qui ne s’insère tout entière dans les formes einsteiniennes. Toutes les sciences qui se peuvent exprimer par le nombre se rejoignent dans les dix équations de l’univers.

Dès qu’en un point de l’espace se manifeste l’embryon d’une existence, dès que le tenseur matériel diffère du zéro, la gravitation apparaît dans sa réalité accessible aux mesures d’aujourd’hui ou de demain ; et suivant l’espèce de la matière, c’est-à-dire le groupement des éléments, telle ou telle loi s’exerce que les méthodes nouvelles permettent d’écrire dans un langage général d’univers par l’introduction de champs fictifs combinés au premier. Les lois s’expriment désormais dans des formes indépendantes de l’espace et du temps. L’espace, le temps, vaines catégories apparentes qui n’ont aucune réalité absolue. Nos sciences nous donnent l’aperçu de coïncidences relatives parmi lesquelles peuvent s’établir des systèmes conventionnels de comparaison en nombre infini. Mais ces systèmes ne sont pas plus valables les uns que les autres au point de vue de l’absolu, car il n’est point d’absolu plus que d’archétype platonicien. Même la contraction de Lorentz dont Einstein a admis la signification physique n’a pas pour lui de vérité ; elle n’est qu’une figure des déformations toutes relatives auxquelles nous participons, et ainsi nous retrouvons les véritables principes de notre connaissance d’après lesquels nous enregistrons uniquement des variations.

Nul système du monde ne peut donner à un philosophe un comparable enchantement.

L’hypothèse d’Einstein, pour si harmonieux qu’en soit le développement, ne saurait donner satisfaction au plus fervent de ses adeptes si elle ne jouissait de la qualité essentielle de fécondité. Cette qualité s’est remarquablement affirmée en plusieurs circonstances dont nous allons parler succinctement.

Nous avons montré quelles raisons inclinent à considérer comme probable la déviation d’un rayon lumineux dans un champ de gravitation. L’occasion d’une vérification des calculs d’Einstein sur ce point particulier s’est heureusement offerte par l’éclipsé totale du 29 mai 1919. On devait pouvoir suivre le mouvement des étoiles au voisinage du limbe du soleil et en déduire la déviation que la lumière émise par elles a subi du fait de leur passage auprès de tel astre. La déviation fut constatée et, par conséquent, vérifié le fait que l’énergie lumineuse a une masse pondérable. Il y a plus : si la masse pondérable de l’énergie lumineuse obéit à la loi de Newton, elle subit une certaine déviation calculable ; mais cette déviation est différente de moitié de la déviation résultant de la théorie d’Einstein. L’expérience devait donc décider entre cette dernière et celle de Newton.

D’après Einstein, la déviation devait atteindre \scriptstyle 1''74 ; d’après les lois de Newton elle ne devait pas dépasser \scriptstyle 0''87.

Les observations furent pratiquées par des astronomes anglais, à deux stations. À la première, très gênées par les nuages, elles donnèrent le chiffre de \scriptstyle 1''61 avec une erreur probable de \scriptstyle 0''3 ; à la seconde, avec un ciel très clair, elles donnèrent \scriptstyle 1''98. La prédiction d’Einstein se trouvait réalisée avec une approximation remarquable.

Le principe d’équivalence abolit toute distinction, au point de vue des effets, entre la gravitation et l’accélération. Tout corps placé dans un champ gravitique se comportera donc comme s’il était dans un champ d’accélération. Or, nous savons que plus l’accélération est grande plus le corps se contracte ; plus, par conséquent, les phénomènes qui se passent en lui doivent se ralentir. De deux chronomètres identiques placés, l’un sur le soleil, l’autre sur la terre, le premier retardera par rapport au second. Or, un chronomètre est défini par sa période d’oscillation ; les atomes des corps ont aussi un mouvement vibratoire dont la période est déterminée pour chaque corps et peut être mise en évidence par l’examen, dans un appareil spécial, le spectroscope, de la flamme qu’ils produisent. On sait que la lumière se décompose en passant à travers un prisme de verre et donne des franges colorées comme un arc-en-ciel. Si nous plaçons dans la flamme lumineuse qui nous a servi à faire cette expérience une substance quelconque, nous observons une figure nouvelle des franges qui forme ce qu’on appelle le spectre caractéristique de la substance considérée.

Ce spectre est toujours identique à lui-même pour une même substance. Deux morceaux de carbonate de chaux donneront le même spectre à Paris et à Pékin. Les couleurs du spectre indiquent la rapidité de vibration des atomes qui composent la substance. Or, l’atmosphère qui enveloppe le soleil (la photosphère) contient des substances connues sur la terre. Leur présence est révélée par leurs franges spéciales au spectroscope. Une molécule solaire de sodium par exemple pouvant être considérée comme un chronomètre identique à une molécule terrestre du même corps, on devra trouver qu’elle vibre moins rapidement que cette dernière, c’est-à-dire que sa raie caractéristique est plus proche du rouge que celle de sa sœur terrestre. Le calcul montre que la différence des longueurs d’onde est de l’ordre d’un milliardième de millimètre, ce qu’on peut mesurer.

Or Fabry et Buisson ont constaté des déplacements de cet ordre.

La preuve la plus satisfaisante que puissent invoquer les partisans d’Einstein semble toutefois être l’explication du déplacement du périhélie de Mercure.

On sait que Mercure décrit une trajectoire elliptique dont le soleil, conformément aux lois de Kepler, est l’un des foyers. Le périhélie est l’un des sommets du grand axe de l’ellipse et on détermine la position de l’ellipse dans son plan par la longitude du périhélie. Les lois de Kepler, quoiqu’elles ne soient pas suivies d’une façon absolument rigoureuses, suffisent à rendre compte du mouvement des planètes ; on considère donc comme des perturbations spéciales toutes les dérogations que souffrent ces lois. Ces variations sont dites séculaires ou périodiques suivant que leur expression mathématique fait intervenir le temps par une puissance ou une ligne trigonométrique. Dans le premier cas les effets s’accumulent ; dans le second les éléments oscillent autour d’une valeur moyenne.

On voit comment peut être définitive pour les théories d’Einstein l’étude de ces variations. Le savant allemand remplace les lois de Newton par une nouvelle loi de la gravitation conforme au principe de la relativité généralisée. Dans le système newtonien, l’action de deux masses suffisamment rapprochées est indépendante des étoiles fixes. Il n’en est plus de même pour Einstein : tout est relatif ; l’inertie d’un corps, ne pouvant se comprendre que comme sa résistance aux accélérations relatives qu’il éprouve par rapport aux corps qui ne se meuvent pas avec lui, s’accroît avec la masse de ceux-ci. Un corps qui serait rigoureusement seul n’aurait pas d’inertie.

C’est pourquoi la loi de gravitation einsteinienne s’exprime en équations intrinsèques indépendantes de tout système de référence.

En partant de ces principes, le mouvement d’un corps attiré suivant les lois de Newton par un autre corps s’exprimera d’une façon toute différente de la méthode connue. Il y a lieu de faire remarquer que dans le calcul devra intervenir également le fait que l’énergie possède une masse. Une planète quelconque dispose donc d’une masse inerte dépendant de l’accroissement de potentiel gravitique, due aux autres astres et plus ou moins modifiée par la masse de l’énergie agissante.

Einstein a calculé les lois générales du mouvement et les a appliquées, sans y apporter aucune correction spéciale ni y joindre aucune hypothèse particulière, au cas de Mercure. Il a ainsi trouvé que la trajectoire n’est pas une ellipse mais une courbe s’en rapprochant et que le périhélie doit avoir un mouvement séculaire de \scriptstyle 43''.

Les observations donnent \scriptstyle 45'' : on voit combien est remarquable cette réussite.

Les savants du monde entier ont étudié et accueilli de façons très diverses les théories de la relativité.

Parmi les étrangers, Max Abraham et Lorentz, parmi les Français, Brillouin, s’y déclarèrent opposés. Par contre, Eddington en Angleterre, Langevin en France, Freundlich et Weyl en Allemagne, considèrent ces théories comme une conquête définitive de la certitude.

Il me semble que les travaux les plus intéressants qui aient été publiés sur ce sujet et qui comportent vraiment quelque chose de nouveau sont ceux de Guillaume et de Varcollier. Ils examinent les points qu’il nous est le plus difficile de concilier avec notre entendement : à savoir la question du temps local et celle de la contraction lorentzienne.

L’hypothèse du temps local entraîne des conséquences difficilement acceptables par la raison ; nous avons indiqué comment elle envisageait la simultanéité ; on peut multiplier les exemples de résultats vraiment choquants pour l’esprit ; il résulte du calcul par exemple qu’un être se déplaçant avec la vitesse de la lumière vivrait indépendant du temps, autrement dit ne vieillirait jamais.

Du fait qu’aucun objet ne peut dépasser la vitesse de la lumière par exemple, M. Langevin croit pouvoir déduire ce qui suit :

« Cette remarque fournit le moyen à celui d’entre nous qui voudrait y consacrer deux années de sa vie de savoir ce que sera la terre dans 200 ans, d’explorer l’avenir de la terre en faisant dans la vie de celle-ci un saut en avant, qui, pour elle, durera deux siècles et pour lui durera deux ans. Il suffirait pour cela que notre voyageur consente à s’enfermer dans un projectile que la terre lancerait avec une vitesse suffisamment voisine de celle de la lumière quoique inférieure, ce qui est physiquement possible, en s’arrangeant pour qu’une rencontre avec une étoile se produise au bout d’une année de la vie du voyageur et le renvoie vers la terre avec la même vitesse, Revenu à la terre ayant vieilli de deux ans il sortira de son arche et trouvera notre globe vieilli de deux cents ans, si sa vitesse est restée dans l’intervalle inférieure d’un vingt millième seulement à la vitesse de la lumière. Les faits expérimentaux les plus sûrement établis de la physique nous permettent d’affirmer qu’il en serait bien ainsi. »

M. Guillaume attaque ainsi le problème :

Si, dit-il en substance, le temps local n’est qu’une fiction et que le temps ait réellement la valeur universelle qu’on lui a attribuée avant Einstein, s’il est vraiment une forme fondamentale de notre entendement, il doit être possible d’exprimer, à l’aide de ce temps indépendant du système de référence, le groupe chronogéométrique de Lorentz. De même, Diogène le Cynique prouvait le mouvement en marchant.

Je n’entrerai pas dans les détails du mémoire ; il y est démontré que, par la simple intervention des vitesses homogènes, on peut exprimer en temps universel tous les phénomènes pour lesquels Einstein a cru nécessaire l’intervention du temps local. Il est vrai que M. Guillaume renonce à la constance absolue de la vitesse de la lumière, mais Einstein, dans la forme définitive de son principe, n’y a-t-il pas renoncé également ? M. Varcollier étudie la question autrement. Il fait remarquer, qu’en suivant pour les ondes sonores un raisonnement identique à celui qui a été suivi pour les ondes lumineuses, on démontrera d’une manière analogue qu’il n’est pas possible à un mobile de dépasser la vitesse du son, ce qui est absurde. Des deux hypothèses entre lesquelles on avait à choisir, la constatation de cette absurdité conduira à rejeter l’hypothèse de la contraction pour examiner avec faveur celle de la déformation des ondes.

Le mémoire admirablement ordonné et dont l’extrême difficulté de lecture dépend uniquement du sujet, étudie la question dans toute sa généralité et aboutit aux conclusions suivantes :

Tous les problèmes où interviennent des foyers mobiles doivent faire l’objet, pour être solubles, de certains changements de variables qui tiennent compte du principe de la relativité (en tant que fait expérimental) et ramènent la forme du problème à celle d’une propagation normale des ondes. D’où il suit que la transformation de Lorentz, qui tient lieu de ce changement de variables, est un simple artifice de calcul.

Les travaux de Guillaume et de Varcollier datent de 1918. Je ne crois pas qu’Einstein ait donné publiquement son sentiment à leur sujet. À première vue, il me semble qu’ils apportent des modifications profondes à l’édifice du savant allemand, mais ne le détruisent pas ; ils le débarrassent de la partie la plus difficile à admettre et qui est la moins féconde ; ils ne nécessitent pas l’existence de l’éther ; ils n’atteignent pas le principe de l’équivalence ; sans doute, on peut remanier l’ensemble de la théorie de manière à la mettre en harmonie avec eux.

Il est d’ailleurs possible qu’une étude approfondie démontre l’irrecevabilité des conclusions de ces mémoires.

Tous les résultats obtenus par Einstein peuvent s’inscrire dans une image tétradimensionnelle du monde.

La représentation de l’avance du périhélie de Mercure témoigne d’une ingéniosité dont les raffinés se réjouiront. L’espace réel, d’après les théories einsteiniennes, ne peut pas demeurer euclidien ; la circonférence par exemple y est le produit du rayon par un nombre inférieur à 3,14 (nombre d’ailleurs sujet à varier suivant la présence ou l’absence de masses dans la portion d’espace considérée).

À toutes lignes de l’espace euclidien correspondent naturellement dans cet espace einsteinien de nouvelles lignes auxquelles les premières ne sont évidemment pas superposables.

Figurons par un cône l’espace courbe ainsi constitué, cône dont le sommet soit le soleil. Découpons l’orbite elliptique d’une planète, orbite dessinée sur une feuille de papier. D’un coup de ciseau, fendons ce papier suivant la ligne qui joint le point représentant le périhélie, au point représentant le soleil. Faisons coïncider ce dernier point avec le sommet du cône et enroulons le papier sur le cône comme un cornet. Nous aurons ainsi la représentation de l’orbite planétaire dans l’espace einsteinien. Or les deux bords de notre cornet ne s’ajustent évidemment pas sur le cône ; ils se dépassent ; les deux points primitivement confondus au périhélie ne sont plus confondus ; l’un des bords du papier recouvre l’autre d’un angle qui représente justement l’avance du périhélie.

Il est d’autres représentations moins claires, plus difficilement admissibles et d’ailleurs indépendantes de la théorie de la relativité en ce sens que, quoiqu’on les déduise de celle-ci, on peut les rejeter sans la compromettre. Dans cette catégorie, j’indique à titre de curiosité la théorie des antisoleils. Après avoir voyagé autour du monde, les rayons du soleil reviendraient au foyer. Et les étoiles visibles ne seraient pour la plupart que les images virtuelles placées aux points où les véritables étoiles matérielles se tenaient en des temps très éloignés.


CHAPITRE III (retour)

EXPOSÉ LOGIQUE DES THÉORIES DE LA RELATIVITÉ

I. — Par la revision des notions d’espace et de temps on peut arriver à mettre en harmonie parfaite toutes les lois physiques avec le principe de relativité.

Le lecteur a sans doute déjà remarqué combien est impropre et même insensée l’expression « principe de relativité ». En réalité ce principe est plutôt un principe d’indépendance que de relativité. Il revient à dire que dans tout système en mouvement tout se passe comme si ce système était seul, les lois ne changeant pas à l’intérieur de ce système. Nous allons voir comment par une simple révision des notions d’espace et de temps on peut arriver à mettre en harmonie parfaite toutes les lois physiques avec ce principe de la relativité.

II. — Notion de la dissociation des idées de temps et d’espace.

Toutes les sciences s’occupent de faits que le savant, d’accord avec le philosophe, loge dans l’espace et le temps ; ces deux catégories sont généralement dissociées par une opération de la pensée ; nous verrons que les relativistes ont fait remarquer après Minkowski qu’on ne peut les concevoir séparément. Toutefois, disons bien qu’il n’intervient dans leur raisonnement aucune préoccupation métaphysique, mais simplement le désir de réaliser la figuration mathématique de phénomènes tels que l’expérience de Michelson et Morlay.

Nous allons montrer comment s’est exercé l’effort des savants dans le but de rendre manifeste l’indépendance des réalités qui font l’objet de la géométrie, de la mécanique, de la physique et des sciences exactes en général.

Cet exposé nous permettra de faire apparaître comme rationnelle la tentative des relativistes qui prend tout naturellement sa place dans l’édifice logique ainsi constitué.

III. — Les réalités de l’espace indépendantes des axes fictifs auxquels le géomètre les rapporte. — traduction mathématique.

A. — Le relatif et l’absolu scientifiques.

L’objet de la science est d’énoncer les lois naturelles avec le maximum de commodité et de rigueur ; c’est, autant que possible, d’en donner une traduction mathématique et, par le jeu d’une formule, de fournir, sans procéder aux mesures, le résultat exact des événements considérés.

Le premier problème qui se pose au savant est donc, par l’établissement d’une expression mathématique, de déterminer les grandeurs, seules soumises à la mesure physique, dont les combinaisons mathématiques permettront, par l’analyse, d’arriver au résultat.

Toute la science repose par conséquent sur la définition de ces grandeurs. La démarche scientifique procède toujours (nous avons eu l’occasion de le faire remarquer) suivant les lois mêmes de notre esprit, de la manière suivante :

1° Définition d’une grandeur X.

2° Définition de deux grandeurs X égales.

Le principe philosophique d’identité qui s’énonce : « X est X », revient alors ici à affirmer la réalité en soi de la grandeur considérée, c’est-à-dire l’invariance de cette grandeur en soi, quel que soit le système de mesures qu’on emploie ou le système d’axes auquel on la rapporte. Donc étant donnée une grandeur, il existe pour elle : quelque chose d’absolu qui est sa réalité indépendante de tous les systèmes de références ; quelque chose de relatif qui est son expression dans les différents systèmes.

 

B. — Cas de l’espace.

Riemann a énoncé la loi suivante implicitement admise par tous les géomètres et qu’il a dégagée, par une analyse minutieuse, des fondements de la géométrie :

« Toutes les lignes indépendamment de leur situation possèdent une longueur et chaque ligne doit être mesurable par une autre. »

Traduisons cette loi mathématiquement :

a) Prenons d’abord le cas simple et particulier d’une ligne droite rapportée à trois axes rectangulaires dans l’espace euclidien. Soient : x_0, y_0, z_0, x_1, y_1, z_1 les coordonnées des points extrêmes.

Nous écrivons

(x_1-x_0)^2 + (y_1-y_0)^2 + (z_1-z_0)^2 = \text{constante} \ d^2

Qu’est-ce à dire ?

Cela signifie que, quel que soit le changement d’axes que nous effectuerons, il y aura une chose qui demeurera inchangée ; autrement dit : il existe un invariant. Nous pouvons en effet faire ressortir cette invariance par une autre démarche. Soient x, y, z les coordonnées d’un point déterminé dans un premier système d’axes ; x', y', z' les coordonnées de ce même point dans un deuxième système ; enfin x'', y'', z'', les coordonnées de ce même point dans un troisième système d’axes.

On peut passer du premier au second par les formules suivantes :

\begin{array}{c}
x' = a_1 + b_1 x + c_1 y + d_1 z, \\
y' = a_2 + b_2 x + c_2 y + d_2 z, \\
z' = a_3 + b_3 x + c_3 y + d_3 z,  \end{array}


et du second au troisième par :

\begin{array}{c}
x'' = m_1 + n_1 x' + p_1 y' + q_1 z', \\
y'' = m_2 + n_2 x' + p_2 y' + q_2 z', \\
z'' = m_3 + n_3 x' + p_3 y' + q_3 z',  \end{array}


les coefficients des coordonnées sont des paramètres qui définissent la position des axes et sont eux-mêmes liés par les conditions d’orthogonalité.

Le passage du premier système d’axes au troisième se ferait directement par des formules de transformation analogues et les valeurs finales obtenues seraient exactement les mêmes x'', y'', z''. On exprime ce fait en disant que l’ensemble des transformations constitue un groupe.

L’invariance peut encore être mise en évidence d’une autre manière. Prenons deux points quelconques x_0, y_0, z_0 et x_1, y_1, z_1, rapportés à un système de coordonnées. Le postulat d’invariance écrit plus haut pour la longueur d’une droite s’écrira ici :

(x_1-x_0)^2 + (y_1-y_0)^2 + (z_1-z_0)^2 = \text{constante} \ d^2


c’est-à-dire exactement de la même manière Un changement d’axes s’exprimera par l’égalité

 

(x_1-x_0)^2 + (y_1-y_0)^2 + (z_1-z_0)^2 =(x'_1-x'_0)^2 + (y'_1-y'_0)^2 + (z'_1-z'_0)^2 = \text{constante} \ d^2


Ce qui est la condition à laquelle doit satisfaire l’ensemble des coefficients analogues à ceux que nous avons fait intervenir dans les formules de transformation précitées.

b) Passons maintenant au cas général.

L’exposé que nous venons de faire, bien que logique en apparence, ne résiste pas à l’analyse. Ainsi que l’a fait remarquer Riemann, toutes nos démarches scientifiques doivent se conformer strictement aux principes de continuité et de causalité. Dans le cas qui nous occupe, le premier de ces principes nous invite à formuler seulement une loi différentielle ; le second intervient par l’application même de la relativité.

Sous sa forme la plus générale on peut alors énoncer le postulat d’invariance de la manière suivante : quels que soient le nombre des dimensions de l’espace considéré et la nature des coordonnées auxquelles on se réfère (cartésiennes, obliques, de Gauss, etc.), il existe une expression invariante du second degré, entière, homogène et de la forme suivante :

ds^2 = g_{11} dx_1^2 + g_{12} dx_1 dx^2 + \cdots + g_{34} dx_3dx_4 + g_{44} dx_4

 

dans laquelle les coefficients g sont des fonctions des variables x_1, x_2, x_3, x_4.

On peut facilement vérifier cette proposition dans un cas particulier en suivant la marche donnée plus haut, à partir de deux points x_1, x_2, x_3 et x_1 + dx_1, x_2 + dx_2, x_3 + dx_3 rapportés par exemple à des axes rectangulaires dans un espace à trois dimensions. L’élément invariant sera trouvé égal à

ds^2 = dx_1^2 + dx_2^2 + dx_3^2 .

Ici

\begin{array}{c}
g_{11} = g_{22} = g_{33} = 1, \\ 
g_{12} = g_{13} = g_{23} = 0. \end{array}

c) Nous n’avons fait que donner un exemple, fondamental il est vrai, car il entraînait des considérations qui nous seront utiles par la suite. Le lecteur généralisera de lui-même. Géométriquement on peut considérer comme des réalités irréductibles d’autres grandeurs qui, par le fait, constituent souvent la définition de figures. Définir un carré, c’est exprimer la constance de quatre longueurs ou, si l’on veut, écrire cinq relations entre des longueurs et des angles : une première relation exprime que les quatre points sont dans le même plan, trois autres que l’un des côtés du quadrilatère est égal à chacun des trois autres côtés et une dernière que deux angles consécutifs sont égaux. Ces relations sont bien, on le voit, indépendantes des axes. Ce sont des relations intrinsèques dont la forme par son invariance définit la réalité de l’espace.

d) Nous pouvons donc conclure par l’énoncé suivant :

Principe de la relativité de l’espace. — Toutes nos opérations géométriques postulent, sous des formes diverses relatives aux axes de référence choisis, une idéalité invariante.

Ou :

Étant donnés divers groupes d’observateurs rapportant les mesures géométriques à des systèmes d’axes différents, les propriétés des figures considérées sont exactement les mêmes pour tous ces groupes d’observateurs.

Ou enfin :

Les lois de la géométrie sont indépendantes du système de référence auquel on les rapporte.

IV. — Les réalités du mouvement indépendantes du système d’axes fictifs auquel le mécanicien les rapporte. — Traduction mathématique.

Le passage de la géométrie à la mécanique se fait par la théorie des déplacements. Mais les déplacements ne sont en géométrie qu’un moyen d’étudier les propriétés de figures idéales ; la mécanique étudie le mouvement proprement dit d’objets matériels. Ainsi est-elle obligée de fixer dès le début une figure propre au calcul pour les conceptions de masse, de force, de temps et d’espace inséparables de celle de la matière. Les définitions ainsi posées entraînent d’elles-mêmes certaines invariances traduisibles en langage intrinsèque, c’est-à-dire indépendant des axes de référence. Ce langage sera constitué par des relations entre éléments définis comme invariants ; de ce nombre seront la masse, le temps, la force, etc.

Les équations fondamentales de la mécanique sont évidemment, d’après l’objet même de la mécanique, les équations du mouvement d’un point matériel ; la matière y est représentée par la masse et la force ; le mouvement (c’est-à-dire l’espace et le temps) par l’accélération.

Elles considéreront un point matériel comme complètement défini quand elles nous auront fixé : sur sa nature, par l’intervention d’un coefficient propre au point considéré et appelé masse ; sur sa position actuelle, par l’intervention de coordonnées d’espace et de temps rapportées à un système de référence.

À un point de vue logique, le plus général que nous puissions nous placer, si un point matériel rapporté à un système d’axes S est défini par les éléments (m, x, y, z, t), il sera, quand nous le rapporterons à un autre système S’, défini par les éléments (m', x', y', z', t')différents des premiers.

De ce point de vue, considérons sous sa forme intrinsèque la loi fondamentale de la dynamique

F = m\gamma .

Rapportons-la aux systèmes d’axes S et S’ en lui donnant sa forme analytique habituelle ; elle s’exprime par les équations bien connues

\begin{array}{lc}
(S) & 
X = m \frac{d^2 x}{dt^2}, Y = m \frac{d^2 y}{dt^2}, Z = m \frac{d^2 z}{dt^2}, \\
 & \\
(S^\prime) & 
X^\prime = m^\prime \frac{d^2 x^\prime}{dt^{\prime 2}}, Y^\prime = m^\prime \frac{d^2 y^\prime}{dt^{\prime 2}}, Z^\prime = m^\prime \frac{d^2 z^\prime}{dt^{\prime 2}}.
\end{array}

Au point de vue de la mécanique classique, les équations (S’) garderont toute leur généralité en s’écrivant

X^\prime = m \frac{d^2 x^\prime}{dt^2}, Y^\prime = m \frac{d^2 y^\prime}{dt^2}, Z^\prime = m^\prime \frac{d^2 z^\prime}{dt^2}.

 

c’est-à-dire en posant  \begin{array}{c}
m = m^\prime = \text{constante} \\
t = t^\prime = \text{constante}
\end{array}

La mécanique classique admet donc :

1° que chaque point matériel est caractérisé par un coefficient attaché à ce point appelé masse et indépendant des axes de référence.

2° que le temps est indépendant des axes de référence. Autrement dit : si deux événements apparaissent comme simultanés aux observateurs du système S, ils apparaîtront également comme tels aux observateurs du système S’. Les intervalles de temps ont même sens dans les deux systèmes ; le temps n’est pas relatif à ces systèmes ; il est absolu.

Du produit  m \frac{d^2 x}{dt^2} seul  x, c’est-à-dire l’espace nous est donné comme relatif aux axes de référence dans la mécanique newtonienne. Cela résulte du sens commun. La distance des deux bombes, nulle sur l’avion, c’est-à-dire pour l’observateur du système S qui les place successivement dans le même orifice, sera considérable sur la terre, c’est-à-dire pour les observateurs du système S’ qui notent les points de chute. Il semble au contraire à priori que les intervalles de temps lus sur les chronomètres de S et de S’ soient bien les mêmes.

La disparité entre les intervalles de temps et d’espace est donc bien énoncée dans la mécanique classique, les premiers étant donnés comme absolus, les seconds comme relatifs. La relativité de l’espace dans cette mécanique ne souffre qu’une exception et qui lui vient sans doute des géomètres ; elle considère que la forme d’un corps est la même pour tous les observateurs : cela revient à dire que les positions simultanées de points matériels dans l’espace ont un sens absolu. Reprenons les équations fondamentales de la dynamique

X = m \frac{d^2 x}{dt^2}, Y = m \frac{d^2 y}{dt^2}, Z = m \frac{d^2 z}{dt^2}

 

Les premiers membres sont les projections de la force, c’est-à-dire d’un vecteur, sur des axes. Dans les seconds membres, met tsont des invariants. À quelles conditions, dans le passage de S à S’, ces seconds membres garderont-ils leur forme, c’est-à-dire seront-ils eux-mêmes des invariants ? À la condition que les dérivées secondes des seules quantités non invariantes de définition, c’est-à-dire des coordonnées, gardent leur forme, autrement dit que ces coordonnées soient liées par des fonctions linéaires en t.

 

x^\prime = f(x, t)^\prime

Or on sait qu’une telle fonction définit un mouvement uniforme. Si donc, par exemple, S’ ayant ses axes parallèles à ceux de S se déplace d’un mouvement rectiligne parallèle à son axe des xles observateurs de S et ceux de S’ feront des calculs mécaniques tout à fait identiques. En effet, les équations fondamentales seront demeurées les mêmes pour eux.

Soit Pxyz, x^\prime y^\prime z^\prime le point matériel objet de leurs observations et de leurs calculs :

Les mécaniciens S écriront ses équations fondamentales

X = m \frac{d^2 x}{dt^2}, Y = m \frac{d^2 y}{dt^2}, Z = m \frac{d^2 z}{dt^2}.


Les mécaniciens S’ les écriront

X = m \frac{d^2 x^\prime}{dt^2}, Y = m \frac{d^2 y^\prime}{dt^2}, Z = m \frac{d^2 z^\prime}{dt^2}.

 

Or, nous connaissons x^\prime y^\prime z^\prime puisque nous connaissons la loi du mouvement de S’ par rapport à S. Cette loi s’exprime par les relations suivantes

\begin{array}{ll}
\, & x^\prime = x - vt, \\
\, & y^\prime = y, \\
\, & z^\prime = z,
\end{array}


d’où nous tirons par double dérivation

 

\frac{d^2 x^\prime}{dt^2} = \frac{d^2 x}{dt^2}, \qquad \frac{d^2 y^\prime}{dt^2} = \frac{d^2 y}{dt^2}, \qquad \frac{d^2 z^\prime}{dt^2} = \frac{d^2 z}{dt^2}.

Les équations écrites par les mécaniciens de S’ seront par conséquent les mêmes que celles qui seront écrites par les mécaniciens de S. Pour des observateurs passant de S à S’ ou inversement, un même phénomène mécanique gardera donc une expression invariante. Un mécanicien observant un gyroscope dans un train lancé en mouvement uniforme notera les chiffres mêmes qu’il eut notés en observant le même gyroscope dans son laboratoire. En examinant la question sous un autre aspect il en déduira que l’observation du gyroscope ne peut pas lui fournir le moyen de savoir s’il est emporté par un mouvement uniforme ou s’il est au repos.

Le principe de la relativité des mécaniciens peut donc s’énoncer sous les formes suivantes :

Les phénomènes mécaniques dans un système animé d’un mouvement rectiligne et uniforme se produisent exactement comme dans les systèmes au repos.

ou

Les équations de la mécanique ne sont pas modifiées quand on passe d’un système de coordonnées à un autre système animé d’un mouvement rectiligne uniforme par rapport au premier.

ou

Il est impossible par des expériences mécaniques à des observateurs situés dans un système en mouvement par rapport à un autre système, de déceler ce mouvement s’il est uniforme et rectiligne.

V. — Les réalités de la physique indépendantes du système d’axes fictifs auxquels le physicien les rapporte. Traduction mathématique.

De même que nous sommes passés de la géométrie à la mécanique, étendons encore le champ de notre activité et passons de la mécanique à la physique. Nous aurons désormais à nous inquiéter non seulement des phénomènes mécaniques comme ceux de l’acoustique, mais de tous les phénomènes d’ordre physique comme les phénomènes optiques, électriques, etc. et, en dernière analyse, des phénomènes électromagnétiques auxquels on peut ramener tous les autres.

Einstein a énoncé pour les physiciens un principe de relativité analogue aux principes de relativité des géomètres et des mécaniciens :

Il est impossible par des expériences physiques, et c’est-à-dire électromagnétiques, à des observateurs situés dans un système en mouvement par rapport à un autre système, de déceler ce mouvement s’il est uniforme et rectiligne.

ou

Les équations de l’électromagnétisme ne sont pas modifiées quand on passe d’un système de coordonnées à un autre système animé d’un mouvement rectiligne et uniforme par rapport au premier.

ou

Les phénomènes électromagnétiques dans un système animé d’un mouvement rectiligne et uniforme se produisent exactement comme dans le système au repos.

Dans les cas des géomètres et des mécaniciens, nous avons posé des définitions conformes aux indications du sens commun ; de ces postulats ont découlé les lois qui constituent les sciences de la géométrie et de la mécanique et se trouvent suffisamment vérifiées par la pratique pour que nous les considérions comme commodes, sinon comme rigoureusement conformes à la réalité.

Le cas d’Einstein diffère de celui de Newton.

Einstein ne se trouve pas comme Newton en présence d’une science rationnelle d’ailleurs encore amorphe, mais au contraire d’une science constituée et expérimentale ; il ne peut pas se donner des bases, énoncer ses postulats et construire un monument déductif. Au contraire, son principe, s’il en émet un, pourra être vraisemblablement contrôlé tout de suite par l’expérience, étant donné l’état d’avancement de la physique, et, suivant les résultats, donner lieu à un examen des hypothèses fondamentales dont quelques-unes seront peut-être à modifier légèrement, d’autres à transformer davantage, d’autres à récuser.

La plus connue des expériences se rapportant à cet ordre de recherches est celle de Michelson et Morlay dont nous donnerons ailleurs la description. Elle est importante d’abord parce qu’elle vérifie le principe et ensuite parce qu’elle a conduit Einstein à énoncer une loi inséparable du principe de relativité donné plus haut :

Quel que soit le système en mouvement rectiligne uniforme où l’on mesure la vitesse de la lumière et quelles que soient les conditions dans lesquelles s’effectue cette mesure, on obtient toujours pour la vitesse cherchée la même vitesse numérique c. De même que nous nous sommes servis des équations de la dynamique pour faire apparaître le principe de la relativité newtonien sous la forme mathématique, utilisons cette loi physique pour mettre en évidence le principe einsteinien.

Soient deux systèmes S, S’ en mouvement relatif rectiligne et uniforme. Supposons que l’on émette un signal lumineux à l’origine commune des coordonnées à l’instant zéro. Nous ne faisons bien entendu aucune des hypothèses restrictives de Newton sur le temps et la masse. Le même signal réel dans un seul état est reporté par les observateurs de S et ceux de S' à la sphère sur laquelle il se trouve. Soit :

pour S  x^2 + y^2 + z^2 = c^2t^2

pour S'  x^{\prime 2} + y^{\prime 2} + z^{\prime 2} = c^2t^2


Or, d’après le principe d’Einstein, les équations ne doivent pas changer de forme quand on passe de S à S’. Nous aurons donc l’identité

 

x^2 + y^2 + z^2 - c^2t^2 \equiv x^{\prime 2} + y^{\prime 2} + z^{\prime 2} - c^2t^2

Nous avons ainsi une des relations entre les coordonnées dans S et celles dans S'. Nous savons d’autre part que les coordonnées dans S sont des fonctions linéaires de celles dans S’ puisque les deux systèmes sont en mouvement relatif rectiligne et uniforme ; de ce fait les coefficients ne peuvent être que des fonctions de la vitesse v et doivent se correspondre dans les deux systèmes en changeant le signe de v.

Cherchons ces coefficients a_1 a_2, etc. Écrivons :

\begin{array}{c}
x^\prime = a_{11} x + a_{12} y + a_{13} z + a_{14} t \\
y^\prime = a_{21} x + a_{22} y + a_{23} z + a_{24} t \\
z^\prime = a_{31} x + a_{32} y + a_{33} z + a_{34} t \\
t^\prime = a_{41} x + a_{42} y + a_{43} z + a_{44} t
\end{array}

Mais remarquons que, par suite de la coïncidence continue des plans des x zet des x y z avec ceux des x^\prime z^\primeet des  x^\prime y^\prime, on a toujours :

\begin{array}{lccc}
\text{ 1° } & x^\prime = 0 \text{ et } x = vt & \text{ quels que soient } & y \text{ et } z , \\
\text{ 2° } & y^\prime = 0 \text{ et } y = 0 & \text{ —— } & x, z  \text{ et } t, \\
\text{ 3° } & z^\prime = 0 \text{ et } z = 0 & \text{ —— } & x, y \text{ et }  t, \end{array}

Donc : 1° x^\primeest indépendant de yet z, autrement dit :

a_{12} = 0et a_{13} = 0

y^\primeest indépendant de x, de zet de t, autrement dit :

a_{21} = 0, a_{23} = 0et a_{24} = 0

z^\primeest indépendant de x, de yet de t, autrement dit :

a_{31} = 0, a_{32} = 0et a_{34} = 0

De plus

4° la relation entre y et y^\primedoit être analogue à celle entre z et z^\primepuisque les directions des axes des y et des z sont arbitraires et peuvent être changées.

Il nous reste donc :

\begin{array}{l}
x^\prime = a_{11} x + a_{14} t \\
y^\prime = a_{21} y \\
z^\prime = a_{31} z \\
t^\prime = a_{41} x + a_{42} y + a_{43} z + a_{44} t
\end{array}


Nous pouvons facilement déterminer a_{21} ; il suffit de nous rappeler que les coefficients de y et de y^\primedoivent se correspondre en changeant le signe de v ; il faut donc que la fonction que sont les coefficients soit de degré zéro en v ; et même, soit l’unité. Donc a_{21} = 1,

 

d’où   \begin{array}{r}
y^\prime = y \\
z^\prime = z
\end{array}

Enfin du groupe

\begin{array}{l}
x^\prime = 0 \\
x^\prime = vt \\
x^\prime = a_{11} x + a_{14} t .
\end{array}

Nous tirons

\begin{array}{c}
x^\prime = a_{11} (x - vt) .
\end{array}

Portons ces diverses expressions des coordonnées x^\prime, y^\prime, z^\prime, t^\prime, dans notre identité ; il vient :

\begin{array}{c}
a^2_{11} (x - vt)^2 + y^2 +z^2 + c^2 (a_{41} x + a_{42} y + a_{43} z + a_{44} t)^2 \\
= x^2 + y^2 + z^2 - c^2 t^2.
\end{array}

 

Cette identité nous donne tous les coefficients qui nous manquaient, ce qui nous permet d’écrire les formules de transformation :

 

\begin{array}{l}
x^\prime = \frac{1}{B} (x-vt), \\
y^\prime = y, \\
z^\prime = z, \\
t^\prime = \frac{1}{B} (x-vt), \\
B = \sqrt{ 1 - \frac{v^2}{c^2} }
\end{array}


appelées formules de Lorentz.

On voit que si \scriptstyle vest très petit par rapport à \scriptstyle c, \scriptstyle B est négligeable et les formules deviennent celles de la transformation de Newton. Celle-ci est donc un cas particulier correspondant aux vitesses réalisées dans la pratique.

VI. — Les réalités de la gravitation universelle indépendantes du système d’axes fictifs auquel le savant les rapporte. Traduction mathématique.

J’ai essayé de mettre en évidence la gradation, l’effort vers une synthèse plus large que l’étude attentive des théories qui nous occupent peut dégager. Le lecteur arrivé à ce point doit de lui-même oser tenter une hypothèse. N’y a-t-il pas moyen d’aller plus loin, de risquer l’énoncé d’un principe non pas seulement plus général mais le plus général possible ? De tous les éléments du mouvement nous n’avons jusqu’ici laissé de côté qu’un seul : l’accélération. De toutes les forces mises en jeu dans la nature, une seule nous a échappé : la gravitation. Ne peut-on trouver un groupe de transformations d’une application plus vaste que celui de Lorentz, d’une application universelle ? c’est-à-dire tel que les équations d’un champ de gravitation puissent être ramenées à la forme qu’ont celles d’un champ sans gravitation rapporté à un système d’axes quelconques en état d’accélération ? Résoudre ce problème c’est se donner le moyen de mettre sous une forme intrinsèque absolument indépendante de tous axes de coordonnées toutes les lois scientifiques. C’est ce qu’a cherché et réalisé Einstein.

Les faits que nous notons sont tous déterminés dans l’espace et le temps. Ils sont tous caractérisés par une heure et un lieu ; ils constituent une coïncidence de quatre coordonnées x, y, z, t. Voyons par exemple ce qui se passe sur une surface. Construisons des courbes quelconques, les adiabatiques et les isothermes de plusieurs systèmes thermiques par exemple. Elles se coupent en de nombreux points. Notons un certain nombre de ces coïncidences sur une feuille de papier que nous froissons ensuite. Malgré la déformation, les éléments des coïncidences seront encore exacts et l’observation demeurera d’accord avec eux, car aucune des coïncidences n’aura été changée ou détruite. La déformation subie par la feuille à deux dimensions dans l’espace à trois dimensions ne diminue en rien la valeur scientifique des résultats qu’elle porte. De même les lois naturelles doivent nous fournir des coïncidences intrinsèques, c’est-à-dire se mettre sous une forme indépendante des axes. Cet exemple nous fait concevoir facilement que, rapportés à des systèmes d’axes inaccoutumés, les phénomènes naturels puissent paraître surprenants.

Je prends un autre exemple. Si dans les équations d’un point matériel j’introduis un terme caractéristique de la force centrifuge, on en peut aussi bien conclure la rotation d’un système d’axes autour du point que du point autour d’un axe. Je puis donc ici indifféremment considérer que j’ai affaire à une force centrifuge fictive propriété du système d’axes en rotation ou bien à une force centrifuge réelle agissant sur le point matériel. Les observateurs entraînés sur le système d’axes qui est leur monde ou, comme on dit, leur continu, auront à choisir entre les deux suppositions.

J’insiste sur cette idée en rappelant une image de Poincaré. Un savant placé sur la planète Jupiter qui est toujours couverte de nuages ne saura acquérir la certitude de la rotation de sa planète car, n’ayant pas de repères, il sera uniquement sensible à une force centrifuge dont il ne pourra décider si c’est une force fictive due à la rotation ou une force vraie qui lui est appliquée de l’extérieur.

Partant de là nous apercevons mieux la signification formelle de nos lois. Elles sont généralement rapportées à des axes rectangulaires en mouvement non accélérés dits axes de Galilée. Or il ne nous est pas possible de reconnaître de tels axes intuitivement ; tout ce que nous pouvons en dire, c’est donc qu’ils conviennent à la forme particulière donnée aux lois, c’est-à-dire qu’ils sont privilégiés. Notre but est de trouver une forme telle qu’il n’y ait plus d’axes privilégiés.

Cette question me paraît tellement importante qu’on me pardonnera de prendre encore un exemple pour en signaler un autre aspect important. Considérons l’appareil du général Marin. Suivant que le cylindre sera, d’une part, de génératrice rectiligne, concave ou convexe et, d’autre part, en mouvement uniforme, uniformément accéléré ou varié, c’est-à-dire suivant la nature du mouvement et la courbure des axes, nous obtiendrons un graphique, c’est-à-dire une expression mathématique de la loi de la chute des corps, totalement différent et valable seulement pour le système choisi. Il s’agit de découvrir, si elle existe, la forme intrinsèque, autrement dit indépendante des axes, universelle. D’ores et déjà, tout nous fait supposer que dans cette forme universelle interviendra le fait universel que nous nommons la gravitation.

Les exemples que je viens de donner nous permettront à présent de comprendre sans difficulté le but, la signification et la portée du principe énoncé par Einstein sous la dénomination de principe de l’équivalence :

Un champ de forces de gravitation est exactement équivalent à un champ de forces introduit par une transformation des coordonnées de référence, en sorte que nous ne pouvons, par aucune expérience imaginable, distinguer entre eux.

C’est donner de ce principe une forme humoristique que d’exprimer la sensation de chute où le sol parait monter, en disant que la personne qui tombe voit accourir à elle ses axes de référence avec un mouvement uniformément accéléré.

Nous avons montré les observateurs liés à un système comme attribuant la force centrifuge qui s’exerçait sur un point matériel aux propriétés de leur espace particulier, de leur continu. Passons de l’abstrait au concret. Soyons nous-mêmes ces observateurs liés au système particulier qui est notre continu et cherchons une expression de la loi qui nous parait universelle, c’est-à-dire la loi de la gravitation, en la considérant comme une propriété de ce continu. Ce continu, même considéré comme défini ainsi par réciprocité en fonction de la loi la plus générale que nous connaissions, ne saurait évidemment être, partout où nous concevons son existence, identique à lui-même (je veux dire, jouir de propriétés exactement toutes les mêmes en qualité, degré ou grandeur) ; par exemple, il doit prendre sa pleine signification nouvelle au voisinage des masses où la gravitation se fait particulièrement sentir ; par contre, loin de tout corps gravitant, il doit devenir sensiblement homaloïdal, c’est-à-dire que sa dynamique ne doit plus reconnaître le champ de gravitation et que les axes naturellement choisis y doivent être rectangulaires et en mouvement uniforme. Une des tâches que s’imposera Einstein sera justement de définir la variation du continu considéré. Il y parviendra par l’introduction de coefficients différentiels dans l’expression de la loi universelle : suivant l’ordre des infiniment petits par quoi s’exprimera l’influence de la gravitation, le continu se transformera. En ce sens, on peut dire qu’il y a, non pas un espace, mais une infinité d’espaces se transformant insensiblement les uns dans les autres

Étudions maintenant les opérations mathématiques qui ont permis à Einstein d’atteindre le but poursuivi. Ce sont ces opérations qui, avec la hardiesse des conceptions initiales, font le mieux pressentir le génie de ce savant. On peut définir ce génie : une logique imaginative c’est-à-dire créatrice poussée à l’extrême de la rigueur et de l’ingéniosité et insoucieuse de toutes les idées jusqu’ici acceptées, logique associée à une intuition mathématique qui rappelle celle d’Abel ou de Poincaré.

J’ai déjà rappelé au lecteur que Riemann a donné, indépendamment de toute théorie, l’expression caractéristique du continu le plus général, en résolvant le problème suivant : traduire en langage mathématique intrinsèque le principe d’identité philosophique, autrement dit le fait qu’une grandeur faisant l’objet de nos raisonnements mathématiques reste invariable pendant tout le cours de ces raisonnements. Si ds est l’élément linéaire considéré dans un continu à ndimensions x_1, x_2, \ldots x_n Riemann démontre que son expression sera de la forme

ds^2 = g_{11}dx^2_1 + g_{22}dx^2_2 + \cdots + 2 g_{12}dx_1dx_2 + \cdots

Cette expression est la même pour tous les continus superposables ; elle est donc bien indépendante des axes. Il en résulte que la loi générale intrinsèque que nous recherchons doit être constituée par un ensemble de relations auxquelles satisferont les coefficients g du continu correspondant.

Il s’agit par conséquent de trouver ces coefficients et, pour rendre claire la recherche, de donner d’abord au lecteur une représentation commode de ce continu. Il y a une infinité de représentations concevables. Il y en a des milliers d’imaginables. Nous choisirons celle qui semble bien être la plus réussie et qui est due à Minkowski. Mais avant d’exposer le résultat des travaux ingénieux de ce savant, je désire, afin de bien faire ressortir qu’il n’y intervient aucune hypothèse métaphysique, donner un exemple facile.

Soit un système de référence à deux dimensions constitué par deux axes ox, oy situés dans un plan. Le déplacement d’un point matériel dans cet espace à deux dimensions sera rapporté aux deux axes. Menons maintenant un troisième axe ot normal au plan et sur lequel nous compterons les temps. À chaque point de la courbe plane correspondra une heure de passage du point matériel sur la courbe, c’est-à-dire une valeur de t que nous porterons sur la normale au plan au point considéré. Nous aurons ainsi une trajectoire qui définit complètement le mouvement du point matériel (puisqu’elle en donne tous les éléments sensibles) par l’intervention d’un continu à trois dimensions {dont nous ne nous inquiétons pas de savoir s’il est réel ou fictif au sens qu’on attache habituellement à ces mots).

On peut projeter cette trajectoire caractéristique :

1° Sur le plan des xy on aura ainsi la courbe décrite par le point matériel aux yeux des observateurs à deux dimensions ;

2° Sur les plans des xt et des yt : on aura des courbes dont les tangentes donneront, par leur direction, les composantes à chaque instant  \frac{dx}{dt}, \frac{dy}{dt} de la vitesse du point matériel.

Voyons comment dans un tel continu s’exprime le passage d’un système de référence S à un autre S^\primeen mouvement uniforme par rapport au premier.

Les formules de transformation sont :

x = x^\prime + vt^\prime, y = y^\prime, t = t^\prime.

Il est évident que les équations du mouvement d’un point matériel ne seront pas modifiées par la transformation puisque les dérivées secondes restent invariables (les formules étant linéaires). Donc la courbe caractéristique dans le continu sera, après le passage du repos au mouvement, ce qu’elle était avant cette transformation.

Si, d’autre part, ces renseignements que nous demandons aux formules ont trait non pas au mouvement relatif des systèmes, mais à la transformation de leurs axes, nous voyons qu’elles définissent un système de coordonnées obliques x^\prime y^\prime t^\prime tel que ox^\primecoïncide avec ox, oy^\primeavec oy, ot^\primeayant tourné dans les plans xot et yot d’un angle A tel que

v = \tan A.

 

Donc on pourra, grâce à l’intervention d’un continu comprenant le temps, représenter le passage du repos au mouvement rectiligne et uniforme, sans changer les équations du mouvement ni la courbe caractéristique, et cela par une simple rotation de l’axe des temps.

Nous commençons à nous rendre compte des commodités que présente l’emploi d’un continu. Notre continu, au lieu de s’écrire x, y, t, s’écrira x, y, z, t, autrement dit il aura une dimension de plus que le précédent. Mais Minkowski a

trouvé mieux ; au lieu de x, y, z, t, il propose x, y, z, ict, i étant \sqrt{-1}et c la vitesse de la lumière. Le principe de constance de la vitesse de la lumière que nous avons énoncé plus haut sous la forme

 

x^2 + y^2 + z^2  c^2t^2 \equiv x^{\prime 2} + y^{\prime 2} + z^{\prime 2}  c^2t^{\prime 2}


s’écrit alors

 

x^2 + y^2 + z^2 + t^2 \equiv x^{\prime 2} + y^{\prime 2} + z^{\prime 2} + t^{\prime 2}


avec t = ictou, sous une apparence plus homogène encore,

 

x^2_1 + x^2_2 + x^2_3 + x^2_4 \equiv x^{\prime 2}_1 + x^{\prime 2}_2 + x^{\prime 2}_3 + x^{\prime 2}_4

 

Par une démarche parallèle à celle que nous avons faite précédemment (dans le cas du principe de la relativité restreinte), voyons ce que deviennent les formules de transformation de Lorentz avec l’intervention de cet axe ict.

En prenant ccomme unité, on a :

B = (i - v^2)^\frac{1}{2}

Si on pose v = i \tan A,

il vient B = cos - iA,

 

et     \begin{array}{l}
x = x^\prime cos A - t^\prime sin A \\
y = y^\prime \\
z = z^\prime \\
t = t^\prime cos A + x^\prime sin A.
\end{array}

La transformation nous apparaîtra donc, comme dans l’exemple simple déjà choisi, être une simple rotation des axes de coordonnées ; elle est définie ici par un angle imaginaire A dans le plan otx.

Nos idées étant maintenant éclaircies sur la signification du continu à L axes, reprenons la question de la détermination des g.

Pour la commodité des calculs, Einstein affecte l’un des membres de l’équation riemannienne du signe négatif. Cette équation s’écrit alors :

-ds^2 = dx^2 + dy^2 + dz^2 + i^2dt^2

ou ds^2 = -dx^2 - dy^2 - dz^2 + dt^2.

Faisons bien comprendre comment s’introduisent les coefficients g. Pour cela, faisons apparaître le mécanisme de l’opération.

Nous introduisons les nouvelles coordonnées x_1 x_2 x_3 x_4 définies par

\begin{array}{c}
x = f_1 (x_1, x_2, x_3, x_4) \\
y = f_2 (x_1, x_2, x_3, x_4) \\
z = f_3 (x_1, x_2, x_3, x_4) \\
t = f_4 (x_1, x_2, x_3, x_4) 
\end{array}

Alors nous aurons en différentiant :

dx = \frac{df_1}{dx_1} dx_1 + \frac{df_1}{dx_2} dx_2 + \frac{df_1}{dx_3} dx_3 + \frac{df_1}{dx_4} dx_4


et des expressions analogues pour dy, dzet dt. L’équation riemannienne s’écrira par suite :

 

ds^2 = g_{11}dx^2_1 + g_{22} dx_2^2 + g_{33} dx_3^2 + g_{44} dx_4^2 + 2 g_{12} dx_1 dx_2

+ 2 d_{13} dx_1 dx_3 + 2 g_{14} dx_1 dx_4 + 2 g_{23} dx_2 dx_3+ 2g_{24} dx_2 dx_4 + 2 g_{34} dx_3 dx_4,

les g sont, on le voit, des fonctions des coordonnées primitives et dépendent de la transformation.

C’est entre ces g que nous devons établir notre relation intrinsèque exprimant la loi de la gravitation universelle.

C’est ici que l’ingéniosité d’Einstein apparaît. Nous avons vu que le passage d’un système d’axes à un autre en mouvement par rapport au premier peut s’exprimer comme une rotation d’axe. Cherchons donc le ds^2 correspond à un continu tournant autour d’un axe. Autrement dit, écrivons les formules de transformation suivantes :

\begin{array}{l}
x = f_1(x_1, x_2, x_3, x_4) = x_1 \cos wx_4 - x_2 \sin wx_4, \\
y = f_2(x_1, x_2, x_3, x_4) = x_1 \sin wx_4 - x_2 \cos wx_4, \\
z = x_3, \\
t = x_4.
\end{array}

Nous en tirons par dérivation

\begin{array}{l}
dx = \cos wx_4 dx_1 - \sin wx_4 dx_2 \\
\qquad - w (x_1 \sin wx_4 + x_2 \cos wx_4) dx_4, \\ 
dy = \sin wx_4 dx_1 + \cos wx_4 dx_2 \\
\qquad + w (x_1 \cos wx_4 - x_2 \sin w x_4) dx_4 , \\
dz = dx_3, \\
d t= dx_4. 
\end{array}

D’où

ds^2 = -dx_1^2 - dx^2_1 - dx_3^2

+ 1 - w^2 (x_1^2 + x_2^2) dx_4^{-2} + 2 w x_2dx_1dx_4

-2 wx_1dx_1dx_4 \ldots

Nous tirons de cette expression les valeurs des g

\begin{array}{l}
g_{11} = -1, \\
\ldots \\
g_{44} = 1 - w^2 (x_1^2 + x_2^2) \\
\ldots
\end{array}

Les observateurs appartenant au système d’axes en rotation pourront, suivant leur tournure d’esprit, considérer soit que leur espace est doué des propriétés métriques particulières exprimées par les valeurs des g, soit qu’il s’y exerce des forces extérieures dont le champ est défini par ces mêmes valeurs des g.

En effet, la mécanique nous apprend que quand nous passons d’un système de référence au repos à un système en rotation, la forme de la trajectoire, dans le continu, d’un point matériel non soumis à des forces et dont l’équation intrinsèque est \int ds = \text{constante}passe d’une ligne droite à une courbe. La forme de cette courbe dépend uniquement de l’expression de ds dans le nouveau système d’axes, c’est-à-dire des g. On pourra donc bien considérer ces g comme exprimant le champ de la force fictive qui a imposé au point matériel la trajectoire métrique spéciale au système d’axes qu’ils définissent.

La valeur de g_{44}, dans le cas particulier que nous venons d’examiner, a attiré l’attention d’Einstein. Cette valeur se présente en effet sous l’apparence d’un potentiel, le potentiel de la force centrifuge, dont l’application est sollicitée par la rotation des axes. Or, le principe de l’équivalence nous autorise à assimiler ce champ à un champ de gravitation. Dans ce cas nous aurons un terme g_{44} analogue ; mais il y a tout lieu de croire pour des raisons d’homogénéité que les g autres que g_{44} doivent avoir aussi une forme semblable et constituer avec celui-ci les composantes d’un potentiel généralisé. Nous devons donc arriver à des équations, différentielles ou non, exprimant notre loi universelle d’une manière comparable à celle dont la loi de Newton s’exprimait par l’équation de Laplace,

\Delta^2\phi = 0

Nous voici en possession d’un premier renseignement ou plutôt nous voici orientés, mais vers un domaine bien vaste ; il faut restreindre le champ de nos essais. Deux simples observations nous y aideront considérablement.

En premier lieu, et raisonnant toujours par analogie, Einstein fait remarquer que, puisque les équations intrinsèques des géomètres sont vectorielles, les équations intrinsèques que nous cherchons doivent l’être aussi.

En second lieu, il note qu’en l’absence de toute masse attirante l’expression de ds dans la loi cherchée doit prendre la forme qu’a cette expression de ds dans l’espace ordinaire.

Le problème que nous nous sommes posé revient donc à trouver une grandeur :

1° vectorielle, exprimée en fonction des g.

2° analogue au potentiel de Laplace, ce qui fait prévoir des équations où entreront des différentielles du second ordre. (Son expression devra donc très probablement renfermer les dérivées secondes des g)

3° telle que, en l’absence de toute masse attirante, on retombe pour ds^2 sur l’expression correspondant à l’espace ordinaire (où la vitesse cde la lumière est prise pour unité)

ds^2 = -dx^2 - dy^2 - dz^2 + dt^2.

4° telle que les équations constituées à l’aide de ses composantes et qui constitueront notre loi universelle soient indépendantes des systèmes de coordonnées choisis ou, comme on dit, covariantes.

Quelle est la signification pratique de cette covariance ? Elle est évidemment que les relations dans un système quelconque entre les get les coordonnées doivent être exactement les mêmes que celles entre les get les coordonnées qui lui correspondent dans un autre système quelconque. Cette condition de covariance peut s’exprimer facilement par le calcul.

Si les équations requises s’écrivent

T_1 = 0, T_2 = 0, T_3 = 0, \text{etc.}


T_1, T_2 , T_3 \ldots sont les composantes de la grandeur vectorielle cherchée, la condition de covariance exprime que, si toutes ces composantes s’annulent dans un système de coordonnées, elles doivent également s’annuler dans tout autre système quelconque. Elles doivent donc obéir à une loi linéaire de transformation

 

\begin{array}{l}
T^\prime_1 = a_1 T_1 + a_2 T_2 + \ldots \\
T^\prime_2 = b_1 T_1 + b_2 T_2 + \ldots \\
\ldots
\end{array}


les coefficients sont fonction des coordonnées dépendant de la transformation. Du fait de cette dernière condition, la grandeur que nous cherchons appartient à la catégorie de ce qu’on appelle les tenseurs.

Dès lors, le problème qui se pose est de trouver un tenseur spécial jouissant de certaines propriétés, c’est-à-dire astreint à des conditions qui le définissent et que nous venons d’énoncer.

L’examen de ces conditions montre que, pour le résoudre, il faut :

1° d’abord, écrire les équations les plus générales des tenseurs (conditions n° 1 et n° 4).

2° ensuite établir les formules des tenseurs qui jouent le rôle de dérivées (condition n° 2).

3° enfin, rechercher les relations nécessaires et suffisantes entre les \scriptstyle gqui doivent être satisfaites dans tous les systèmes de coordonnées quand il n’y a pas de champ de gravitation (condition n° 3).

Cet ordre réduira certainement au minimum le nombre d’opérations préliminaires. C’est celui que suit Einstein. Ayant ainsi déterminé les équations satisfaites en l’absence du champ de gravitation, Einstein fait alors remarquer que les équations générales entre les gdoivent être des équations covariantes automatiquement satisfaites quand les relations moins générales le sont.

Ayant établi celles-ci, il ne lui restera donc plus qu’à prendre parmi elles la plus simple pour obtenir la loi la plus générale possible, c’est-à-dire la loi unique, et par conséquent la loi universelle intrinsèque de gravitation.

Les éléments donnés étaient si peu nombreux qu’on doit admirer Einstein d’être (à l’aide des procédés du calcul absolu développé depuis Riemann par Christoflel et Levi Civita) arrivé à former les tenseurs appropriés et à déterminer parmi eux le seul qui put pratiquement convenir ; il n’existe en effet qu’une suite d’ équations correspondant au tenseur de second rang qui contienne seulement les dérivées premières et secondes des \scriptstyle get soit linéaire en les dérivées secondes.

Le tenseur ainsi déterminé et qui définit la loi intrinsèque la plus universelle est dénommé tenseur de Riemann-Christoffel. Nous reparlerons de cette loi générale. Il me suffira pour l’instant d’en donner l’énoncé en langage absolu,

G_{\mu\nu} = 0

 

Nous avons donc réussi à exprimer la gravitation en fonction des \scriptstyle get c’est-à-dire d’une manière intrinsèque, indépendante de tous axes de coordonnées, fixes ou mobiles, rectilignes ou courbes.

Mais d’après le principe de l’équivalence nous pouvons assimiler tout champ de forces à un champ de gravitation ; par conséquent toute loi scientifique sera exprimable en fonction des grandeurs caractéristiques de celui-ci et c’est-à-dire sous forme intrinsèque. Nous pouvons donc à présent énoncer le principe de la relativité universelle sous la forme suivante : Les lois naturelles quelles qu’elles soient sont absolument indépendantes des axes de coordonnées quels qu’ils soient.

VII. — Résumons ce chapitre et faisons ressortir la logique et le progrès de notre démarche par le simple rappel des principes énoncés.

1° Principe de la relativité des géomètres.

Les lois de la géométrie sont indépendantes du système d’axes auxquels on les rapporte, le mouvement éventuel de ces axes étant fictif et en dehors du temps.

2° Principe de la relativité des mécaniciens.

Les lois de la mécanique sont indépendantes du système d’axes auxquels on les rapporte, même en mouvement, à condition que ce mouvement soit uniforme.

3° Principe de la relativité restreinte des physiciens.

Toutes les lois scientifiques (y compris celles de la mécanique), à l’exclusion de celles de la gravitation, sont indépendantes du système d’axes auxquels on les rapporte, même en mouvement, à condition que ce mouvement soit uniforme.

4° Principe de la relativité universelle.

Toutes les lois scientifiques, y compris celles de la gravitation, sont indépendantes du système d’axes auxquels on les rapporte quel que soit le mouvement de ceux-ci.

VIII. — Que nous reste-t-il donc à faire maintenant ?

Il nous reste à exposer les conséquences tirées de ces principes qui nous fixeront sur leur valeur au point de vue de la logique, de la commodité et de la fécondité, c’est-à-dire des trois éléments les plus importants à considérer dans une théorie scientifique.

Nous ne ferons pas cette étude pour les deux premiers ; elle a été faite bien souvent. Mais nous allons la tenter pour les deux derniers. Ce sera l’objet des chapitres qui vont suivre.


CHAPITRE IV (retour)

LE PRINCIPE DE LA RELATIVITÉ RESTREINTE

J’ai tracé dans le chapitre II l’historique des théories de la relativité. Ainsi que cela a lieu en général, c’est, on l’a vu, la découverte de certains faits étonnants qui a conduit à l’élaboration de théories susceptibles de les englober. Pour satisfaire aux principes de la logique, il faudra donc faire découler de ces théories des faits qui, dans la réalité, ont précédé leur élaboration. Nous aurons ainsi à déduire du principe de la relativité restreinte l’expérience de Michelson et Morlay, par exemple, qui a été la promotrice de ce principe.

Les mêmes exigences de l’esprit refoulent au second plan la discussion de ces hypothèses de l’éther, qui préoccupèrent si grandement les savants : nous avons simplement à indiquer, comment et pourquoi l’affirmation de l’inexistence de l’éther qui résulte du principe de la relativité restreinte est, en l’état actuel de la science, la seule admissible. Ainsi considérés, les divers faits auxquels je faisais allusion plus haut prennent la figure de conséquences, et peuvent, avec bien d’autres également antérieurs au principe en question, se placer modestement à côté des vraies conséquences, c’est-à-dire des conséquences non seulement logiques, mais réellement postérieures. Celles-ci, quoique énoncées brièvement, paraîtront beaucoup plus intéressantes au lecteur que les premières, puisqu’elles invitent le savant à une infinité d’expériences et de recherches dans des directions nouvelles, tandis que les autres sont désormais stériles : elles ont rempli leur rôle, elles nous ont donné le principe de relativité et cela suffît.

Nous allons donc étudier successivement quelques conséquences immédiates et générales du principe de la relativité. Nous choisirons ensuite quelques exemples importants dans les divers domaines : géométrique, cinématique, dynamique, physique, qui entraînent les nouvelles notions de temps et d’espace scientifiques que ce principe substitue arbitrairement, par le fait même de l’introduction d’un nouveau groupe mathématique invariant, aux notions arbitraires correspondantes de Newton. Enfin, à titre d’application, de document et de thèse vérificative, nous exposerons la question de l’existence de l’éther.

Rappelons d’abord le groupe des formules de transformation de Lorentz qui, avec la condition de constance de la vitesse de la lumière, définit au point de vue mathématique le principe de la relativité restreinte.

\begin{array}{l}
x^\prime = \frac{1}{\beta}(x-vt), \\
y^\prime = y, \\
z^\prime = z, \\ 
t^\prime = \frac{1}{\beta}\left(t - \frac{vx}{c^2}\right), \\
\beta = \sqrt{1 - \frac{v^2}{c^2}}.
\end{array}

 

I. — Conséquences immédiates et générales.

Par les formules précédentes nous voyons tout de suite :

1° que les lois de Newton ne sont qu’une approximation de lois plus générales. En effet le groupe de transformation de Lorentz se réduit à celui de Newton quand on y pose \beta = 1, c’est-à-dire quand on considère une valeurs négligeable devant c.

La mécanique de Newton correspondrait donc aux vitesses très faibles vis-à-vis de la vitesse de la lumière. Comme celle-ci est de 300 000 kilomètres par seconde, on se rend compte que les lois newtoniennes sont amplement suffisantes pour les besoins de la pratique. Il se pourrait cependant que la mécanique einsteinienne nous mît à même d’utiliser des rayonnements à vitesse considérable très voisine de celle de la lumière et dont la mécanique classique ne pouvait, on voit pourquoi, nous donner une connaissance suffisante.

2° que nous avons fondé une relativité réciproque, c’est-à-dire que les deux systèmes de comparaison définis par les formules de transformation sont tels que le premier est par rapport au second ce que le second est par rapport au premier. La seule différence, d’ailleurs nécessaire, est le changement de signe de la vitesse. On voit en effet qu’en résolvant les formules de Lorentz par rapport à x, y, z, t, il vient :

\begin{array}{l}
x = \frac{1}{\beta}(x^\prime-vt^\prime), \\
y = y^\prime, \\
z = z^\prime, \\ 
t = \frac{1}{\beta}\left(t^\prime - \frac{vx^\prime}{c^{\prime 2}}\right).
\end{array}

Il saurait donc, dans la théorie de la relativité, exister d’axes privilégiés, c’est-à-dire non plus de système de référence absolu ni par conséquent de repos ni de mouvement absolus.

3° que l’espace est une chose entièrement relative ; cela résulte bien de la formule

x^\prime = \frac{1}{\beta}(x-vt).

On peut en effet la traduire de la façon suivante :

Faisons coïncider les axes des x. Les deux systèmes glissent sur ces axes relativement l’un à l’autre et d’un mouvement uniforme. Prenons un point matériel et rapportons-le au même instant aux deux systèmes de référence ; ce point est nommé M par l’observateur du premier système et M’ par celui du second.

Pour le premier, la distance OM est

OM = OO^\prime + O^\prime M

et il l’appelle x.

Mais M et M’ sont confondus puisqu’il n’y a qu’un point matériel ; par conséquent pour le premier observateur O^\prime M = O^\prime M^\prime = x^\prime.

D’autre part OO^\prime = vt.

Donc pour lui

x^\prime = O^\prime M^\prime = OM - OO^\prime = x - vt.

Mais pour le second il n’en est pas ainsi ; son expression de O^\prime M^\primen’est pas x - vt mais  \frac{1}{\beta} (x - vt)  c’est-à-dire un nombre plus grand puisque \beta est plus petit que l’unité.

L’espace est donc en fait, dans la théorie de la relativité, entièrement relatif à l’observateur.

4° Que le temps est également une chose entièrement relative ; cela résulte bien de la formule

t^\prime = \frac{1}{\beta}\left(t - \frac{vx}{c^2}\right)

Si un observateur du premier système tire son chronomètre et note l’heure toù le point matériel passe à l’origine, c’est-à-dire (pour lui) x = 0, il ne saurait en conclure que cette heure soit la même pour l’observateur du second système. En effet pour x = 0 celui-ci lit  t^\prime = \frac{t}{\beta}. La simultanéité n’existe donc pas ; il y a un temps propre à chaque système. Essayons d’en déterminer la signification physique.

Supposons deux systèmes d’axes confondus à l’instant zéro. À cet instant zéro deux signaux lumineux simultanés sont envoyés des 2 points confondus OO^\prime ; et simultanément le système S^\prime se met en mouvement parallèlement à lui-même en sorte que O^\prime x^\prime glisse sur Ox avec une vitesse constante v. Les deux signaux lumineux arrivent (à l’instant quelconque t et simultanément puisqu’ils sont partis simultanément et ont cheminé tous deux avec leur commune vitesse qui est celle de la lumière), à une parallèle aux axes des Z et Z^\prime. Leur passage est noté par les observateurs des deux systèmes qui coïncident sur cette parallèle à cet instant. Noteront-ils la même heure? Non. Car pour l’observateur M de S le chemin parcouru par le rayon est OO^\prime - O^\prime M.

Et pour l’observateur M^\prime(qui coïncide avec M comme position) le chemin parcouru par le rayon est O^\prime M^\primequi est égal à O^\prime M. Pour le premier, le temps est

t = \frac{x}{c} + \frac{vx}{c^2},


et pour le second

t^\prime = \frac{x}{c}.

C’est la différence \frac{vx}{c^2}, qui intervient dans l’exemple des lueurs de canons-signaux que j’ai donné au chapitre Ier. De l’équation

T = \frac{vx}{c^2}


on pourra, les autres grandeurs étant connues, tirer facilement tous les éléments de solution des problèmes dans le genre des suivants :

La planète se déplaçant à une vitesse constante v donnée, à quel intervalle de temps faut-il effectuer les signaux sur la terre pour qu’ils paraissent simultanés aux observateurs de la planète? Ou pour que, des deux signaux supposés exécutés successivement, le second sur la terre paraisse être le premier aux observateurs de la planète? etc.

Il n’existe donc pas, dans les théories de la relativité, de temps général ou absolu, mais des temps locaux propres aux observateurs de chaque système.

 

II. — Conséquences géométriques.

Considérons une longueur quelconque définie par les coordonnées dans les deux systèmes S et S’ de ses extrémités, x^\prime_1, x^\prime_2 et  x_1, x_2.

Supposons qu’elle appartienne à S’ en mouvement par rapport à S. La première des formules de transformation nous donnera

x^\prime_2 - x^\prime_2 = \frac{1}{\beta} (x_2 - x_1),

ou

l^\prime = \frac{1}{\beta} l,

et

l = \beta l.

Mais si au lieu de considérer S’ comme se mouvant par rapport à S nous considérons au contraire S comme se mouvant par rapport à S’ nous aurons

l = \frac{1}{\beta} l^\prime,

l^\prime = \beta l.

C’est-à-dire qu’une même longueur parait à un observateur se raccourcir quand elle se met en mouvement par rapport à lui ; autrement dit :

La longueur cinématique est plus petite que la longueur géométrique.

On tirera de là naturellement toutes les conséquences qu’amène, dans une surface ou un volume, la présence d’une longueur parallèle à la direction du mouvement, c’est-à-dire rendue variable, les autres dimensions demeurant inaltérées. Une sphère peut ainsi devenir un ellipsoïde, un carré se transformer en rectangle, etc.

III. — Conséquences cinématiques.

Composition des vitesses. — Soit dans les deux systèmes, à l’instant t, t^\prime un point matériel x, y, z,  x^\prime, y^\prime, z^\prime, animé d’une vitesse v^\primedans S^\prime, S^\prime ayant lui-même sa vitesse v rectiligne et uniforme par rapport à S. Appelons u la vitesse résultante dans S.

Nous aurons

\begin{array}{llll}
 & x^\prime = v^\prime_x t^\prime, & y^\prime = v^\prime_y t^\prime, & z^\prime = v^\prime_z t^\prime \\
\text{et} & x = u_x t, & y = u_y t, & z = u_z t.
\end{array}

D’où, par l’intervention des formules de transformation de Lorentz

\begin{array}{l}
x = \frac{v + v^\prime_{x^\prime}}{1 + \frac{v v^\prime_{x^\prime}}{c^2}} t,\\
 \\
y = \frac{\beta v^\prime_{y^\prime}}{ 1 + \frac{v v^\prime_{x^\prime}}{c^2}} t, \\
 \\
z = \frac{\beta v^\prime_{x^\prime}}{ 1 + \frac{vv^\prime_{x^\prime}}{c^2}} t.
\end{array}

 

On en tire facilement, par comparaison avec les équations précédentes, les composantes de la vitesse résultante u

\begin{array}{l}
u_x = \frac{v + v^\prime_x}{1 + \frac{v v^\prime_x}{c^2} }, \\
 \\
u_y = \frac{\beta v^\prime_y}{1 + \frac{v v^\prime_y}{c^2} }, \\
 \\
u_z = \frac{\beta v^\prime_z}{1 + \frac{v v^\prime_z}{c^2} }.
\end{array}

Ces formules montrent bien que les vitesses ne se composent plus suivant la règle du parallélogramme.

Prenons le cas particulier où v^\primeest parallèle à l’axe des x. D’après le théorème de Coriolis on doit avoir dans la cinématique classique

u = v + v^\prime

Dans la cinématique relativiste, nous aurons

u = \frac{v + v^\prime}{ 1 + \frac{v v^\prime}{c^2}}

Ainsi, par rapport au quai, la vitesse d’un voyageur qui se déplace dans son wagon-couloir dans la direction du train est inférieure à la somme de sa vitesse propre par rapport au train et de la vitesse du train par rapport au quai.

Existence d’une vitesse limite.

Si nous examinons la formule que nous venons d’établir nous constatons que quelque valeur que nous donnions à \scriptstyle vet \scriptstyle v^\primenous ne pouvons avoir une résultante supérieure à \scriptstyle c. Même par \scriptstyle v = v^\prime = c par exemple nous trouvons \scriptstyle u = c.

Ainsi d’ailleurs qu’on peut le vérifier facilement, si un point se meut avec une certaine vitesse dans le système S’, ce dernier se déplaçant lui-même à la vitesse \scriptstyle cle long de l’axe des \scriptstyle x, le point nous paraîtra immobile sur l’axe des \scriptstyle x.

Il ne saurait donc y avoir de vitesse supérieure à la vitesse de la lumière.

IV. — Conséquences dynamiques.

Champ électromagnétique. — Les formules de transformation de Lorentz ne changent pas les équations du champ. Le lecteur ne s’en étonnera pas : il a vu au chapitre II que Lorentz les avait établies dans ce but.

Force et masse.

a) Électron au repos. — Soit un électron au repos à l’instant \scriptstyle t_0t_0^\primedans le système S’ ; une force électrique commençant d’agir, il prend une accélération. Ses équations sont :

m \frac{d^2 x^\prime}{dt^2} = eX^\prime, \qquad m \frac{d^2 y^\prime}{dt^2} = eY^\prime, \qquad m \frac{d^2 z^\prime}{dt^2} = eZ^\prime.

Passons au système S par rapport auquel la vitesse de S’ c’est-à-dire de l’électron est \scriptstyle v. Les formules de transformation nous donneront

\begin{array}{l}
\frac{m}{\beta^2} \frac{d^2x}{dt^2} = eX, \\
\frac{m}{\beta^2} \frac{d^2y}{dt^2} = e \left( Y - \frac{v}{c} N \right), \\
\frac{m}{\beta^2} \frac{d^2z}{dt^2}  = e \left( Z - \frac{v}{c} M \right).
\end{array}

Nous en déduisons pour la masse longitudinale la valeur \frac{m}{\beta} et pour la masse transversale la valeur \frac{m}{\beta^2} voit que ces valeurs sont identiques à celles que donne la théorie de l’électron déformable présentée par Lorentz ; à cette théorie s’opposait celle de Max Abraham qui arrive aux valeurs

masse longitudinale = \frac{2e^2}{3ac^2} \left[ 1 + \frac{6}{5} \beta^2 + \frac{9}{7} \beta^4 + \cdots \right],

masse transversale = \frac{2e^2}{3ac^2} \left[ 1 + \frac{6}{3 \cdot 5} \beta^2 + \frac{9}{5 \cdot 7} \beta^4 + \cdots \right].

Ainsi que nous l’avons indiqué dans le chapitre II, les expériences les plus récentes (celles de Bücherer) concluent en faveur des valeurs données par les théories de Lorentz, valeurs qui se confondent ici avec celles que donnent les théories d’Einstein.

b) Électron en mouvement. — Soit, dans le système au repos S, un électron animé d’une vitesse \scriptstyle v

v = \sqrt{ \left( \frac{dx}{dt} \right)^2 + \left( \frac{dy}{dt} \right)^2 + \left( \frac{dz}{dt} \right)^2 },

on aura

\frac{d}{dt} \left( \frac{m}{\beta} \frac{dx}{dt} \right) = F_x, 
\frac{d}{dt} \left( \frac{m}{\beta} \frac{dy}{dt} \right) = F_y, 
\frac{d}{dt} \left( \frac{m}{\beta} \frac{dz}{dt} \right) = F_z.

avec

\beta = \sqrt{1 - \frac{v^2}{c^2} },

et

\begin{array}{l}
F_x = e \left( X + \frac{N}{c} \frac{dy}{dt} - \frac{M}{c} \frac{dz}{dt} \right), \\
F_y = \cdots, \\
F_z = \cdots,
\end{array}


qui définissent la force agissant sur l’électron.

c) Généralisation. — Nous savons que les équations de l’électromagnétisme sont invariantes dans nos transformations ensteiniennes ; mais pour que les équations de la mécanique newtonienne soient également invariantes il faut admettre, par généralisation, que les formules que nous venons d’établir pour l’électron s’appliquent aussi au point matériel, c’est-à-dire que la mécanique de la matière est fondée sur l'électromagnétisme. Cette généralisation se fait d’ailleurs très naturellement et sans apporter de bouleversement dans la pratique ; on voit en effet que pour \scriptstyle \frac{v}{c} très petit on a \scriptstyle \beta = 1 ; donc, pour les vitesses petites vis-à-vis de celle de la lumière, les nouvelles équations du mouvement du point matériel se réduisent aux équations de la mécanique newtonienne.

Énergie.

a) En comparant les équations données aux divisions a et b du paragraphe précédent, nous voyons que la masse d’un corps qui passe du mouvement au repos s’accroît de

\mu = \frac{m_0}{\beta} - m_0 = m_0 \left( \frac{1}{\beta} - 1 \right) \qquad (1)

b) Si, sur la masse \scriptstyle m, agit la force \scriptstyle fpendant l’instant \scriptstyle dt, l’énergie w s’accroît de \scriptstyle dw = f \cdot v \cdot dt ; or \scriptstyle fdt = d(mv) = mvdv - vdm ; donc \scriptstyle dw = mvdv - v^2dm

ou     dw = m_0 \left( \frac{ vdv }{ \sqrt{ 1 - \frac{v^2}{c^2} } } + v^2d \frac{1}{ \sqrt{ 1 - \frac{v^2}{c^2} } } \right),

d’où, en intégrant,

w = m_0c^2 \left( \frac{1}{\beta} - 1 \right), \qquad (2)

ou enfin, en développant \scriptstyle \beta en série suivant les puissances de \scriptstyle \frac{v}{c},

 

w = \frac{1}{2} m_0v^2 \left(1 + \frac{3}{4} \frac{v^2}{c^2} + \cdots\right),


au lieu de l’expression newtonienne

w = \frac{1}{2} m_0v^2.

Ici également la différence n’est pas sensible dans la pratique ; mais on voit que quand les vitesses croissent l’énergie s’accroît aussi très rapidement ; en particulier il faudrait un travail infiniment grand pour atteindre la vitesse de la lumière.

c) Des deux équations (1) et (2) nous tirons

\mu = \frac{w}{c^2},

ce qui peut s’énoncer :

L’énergie cinétique \scriptstyle wpossède un coefficient d’inertie

\mu = \frac{w}{c^2}.

Quelques résultats thermodynamiques.

J’ai donné dans le chapitre II les résultats les plus importants que l’on peut tirer de la théorie. Je veux simplement préciser par des formules.

a) L’énergie et la masse apparaissant équivalentes, on voit par la formule (3) que toute masse \scriptstyle m_0 au repos, possède une provision d’énergie

W_0 = m_0c^2.

b) On sait que, quand le corps passe du repos au mouvement, sa masse devient

m = \frac{m_0}{\beta}.

Sa provision d’énergie devient alors

W = mc^2 = \frac{m_c^2}{\beta} = m_0c^2 + \frac{1}{2}m_0v^2 + \frac{3}{8}m_0 \frac{v^4}{c^2} + \cdots,

dont nous ne savons utiliser que l’infime partie \scriptstyle \frac{1}{2}m_0v^2.

 

V. — Application. — La question de l’existence de l’éther.

Ainsi que je l’ai dit au début de ce chapitre, je ne traite cette question, d’ailleurs rapidement, que comme exemple. J’estime en effet qu’il est temps de se placer au point de vue logique et qu’un exposé classique des principes de la relativité ne devra faire à l’étude des perturbations apportées par le mouvement dans les phénomènes électromagnétiques tels que l’aberration, l’effet Döppler, etc., qu’une place minime, celle des applications qui illustrent la théorie. Parmi ces questions j’ai choisi celle de l’éther (dont le chapitre II a montré l’intérêt historique) comme susceptible de rendre manifeste l’ingéniosité et l’élégance mathématiques du génie qui apporta, après tous les essais qu’on croyait possibles, la plus invraisemblable et inattendue des solutions.

Essayons de poser logiquement la question.

Si l’éther existe, trois hypothèses sont seulement à retenir :

L’éther est entièrement entraîné par les corps en mouvement (Hertz).

Nous l’avons vu, l’expérience de Fizeau détruit cette hypothèse.

L’éther est partiellement entraîné (Fizeau).

Cette hypothèse est déduite par Fizeau du fait que la vitesse \scriptstyle c^\primede la lumière mesurée dans l’eau en mouvement est différente de la vitesse de la lumière mesurée dans l’eau au repos \scriptstyle c. La formule est la suivante :

c^\prime = \frac{e}{c} \pm \frac{n^2-1}{n^2} v,

\scriptstyle n est l’indice de réfraction. L’hypothèse de Fizeau, sinon les résultats de son expérience, conduisent à des conséquences incompatibles avec ce que nous avons appris par la théorie des électrons.

L’éther est complètement immobile (Lorentz).

Cette hypothèse est entièrement compatible avec les résultats acquis par la théorie électronique ; Lorentz a montré en outre que la formule de Fizeau, indiscutable au point de vue expérimental, peut très bien s’interpréter dans son hypothèse.

Mais celle-ci a été détruite par une série d’expériences, dont la plus célèbre est celle de Michelson et Morlay, expériences qui démontrent l’impossibilité de manifester le mouvement absolu de la terre.

Les difficultés sont donc les suivantes :

a) Trouver une quatrième alternative ;

b) Rester en accord avec la formule de Fizeau ;

c) Rester en accord avec les lois de l’électromagnétisme ;

d) Rester en accord avec les résultats de l’expérience de Michelson et Morlay.

Toutes ces difficultés se résolvent avec infiniment d’aisance et, pour ainsi dire, d’elles-mêmes, par la théorie de la relativité. En effet :

a) La quatrième alternative est immédiatement trouvée. Une des conséquences générales du principe de la relativité étant, ainsi que nous l’avons vu, qu’il ne saurait y avoir de mouvement absolu, l’hypothèse d’Einstein relative à l’éther sera obligatoirement : L’éther n’existe pas.

b) La formule de Fizeau peut se déduire facilement de la formule relativiste de composition des vitesses établie précédemment :

u = \frac{v + v^\prime }{ 1 + \frac{vv^\prime}{c^2} }


et où nous supposons que v est la vitesse de l’eau, \scriptstyle v^\prime = \frac{c}{n} celle du rayon lumineux. On voit que l’on a pour la vitesse observée :

 

u = \frac{ v + \frac{c}{n} }{ 1 + \frac{v}{c^2} \frac{c}{n} } = \frac{c}{n} + \frac{n^2 - 1}{n^2} v,


ce qui est bien la formule de Fizeau.

c) L’accord avec les lois de l’électromagnétisme a déjà été signalé dans le paragraphe consacré aux conséquences dynamiques.

d) L’accord est évident entre l’hypothèse d’Einstein et l’expérience de Michelson et Morlay. Toutes deux aboutissent en effet à l’impossibilité de rendre manifeste le mouvement absolu de la terre.

Nous avons déjà parlé de l’expérience de Michelson et Morlay dans le chapitre II. Donnons-en une description et une discussion sommaires afin de bien montrer les ressources et le sens réel de la théorie relativiste.

L’appareil dont on se sert est un interféromètre, c’est-à-dire un appareil constitué pour pouvoir imposer à des rayons issus d’un rayon unique (donc indiscutablement identiques) un certain changement de marche qui produise des franges d’interférences.

Le rayon initial vient d’une source S, rencontre une lame O mi-argentée, c’est-à-dire mi-transparente, mi-réfléchissante, laquelle sous l’incidence de 45° donne deux rayons à angle droit. Ceux-ci se réfléchissent respectivement sur les deux miroirs M et N et sont finalement reçus pour y être observés dans la lunette L.

La lame T, de même épaisseur que la lame O, est simplement destinée à la compensation. Les miroirs M et N sont portés par des chariots de manière à faire varier les distances OM, ON. Si on prend OR = ON on voit que la différence de marche est \scriptstyle 2 RN + \frac{\lambda}{2}, la demi-longueur d’onde intervenant du fait que l’une des ré flexions est sur le verre ; l’autre se produit du verre sur l’air.

 

Interferometer diagram.svg


On voit que l’appareil peut être réglé de manière à présenter des chemins optiquement égaux pour les deux rayons, ce qu’on vérifiera à l’aspect des interférences observées dans la lunette. L’appareil en entier étant installé sur une dalle qui flotte dans un bassin rempli de mercure peut tourner lentement autour de l’axe imaginaire passant par 0. Si, en faisant tourner l’appareil, nous ne constatons aucun changement dans l’aspect des franges d’interférence observées, nous en conclurons que les chemins optiquement égaux dans une position sont demeurés égaux dans toutes les positions, et égaux aussi les temps employés pour les parcourir.

Reprenons la même expérience six mois plus tard quand la vitesse de translation de la terre s’est accrue de soixante kilomètres par seconde. Par rapport au premier observateur, si nous orientons la direction OM parallèlement à la vitesse de la terre, la source se déplaçant, la durée d’aller et de retour du rayon sera

t = \frac{OM}{c-v} + \frac{OM}{c+v} = OM \frac{2c}{c^2-v^2}.

Pendant le même temps le rayon ON n’est plus normal à cause du mouvement et trace un triangle isocèle, en sorte que sa durée de propagation s’écrit :

t = \frac{OO_1}{v} = \frac{2 ON}{c} = \frac{2 ON}{\sqrt{c^2-v^2}}.

De ces deux expressions de t nous déduisons :

\frac{OM}{ON} = \sqrt{ 1 - \frac{v^2}{c^2} }.

Si nous faisons tourner l’appareil de 90°, nous permutons les deux directions ON, OM

Interferometer diagram - 1.svg

et nous avons de manière analogue pour les durées de propagation :

t_1 = ON \frac{2c}{c^2-v^2},

 

t_2 = 2 OM \frac{2c}{\sqrt{c^2-v^2}}.

D’où

\frac{t_2}{t_1} = 1 - \frac{v^2}{c^2}.

Les durées de propagation doivent par conséquent différer de \scriptstyle \frac{(60)^2}{(300 000)^2} soit 40 milliardièmes, ce qu’on peut apprécier par le changement d’aspect des franges.

Or on ne constate aucun changement d’aspect dans les franges. La durée de propagation est donc restée rigoureusement identique.

Comme conclusion à cette étonnante expérience, Lorentz et FitzGerald ont fait remarquer simultanément que, d’après le calcul que nous venons de faire, tout se passe au point de vue mathématique, comme si les longueurs des deux branches ON, OM étaient inégales

et dans le rapport \sqrt{ 1 - \frac{v^2}{c^2} }. En effet on a \frac{ON}{OM} = \frac{t_1}{t_2}. Puisque t_1 = t_2  il faut donc que OM = ON. Et comme on sait que

OM = ON \sqrt{ 1 - \frac{v^2}{c^2} },


il faut donc que ONsoit contracté dans le rapport \sqrt{ 1 - \frac{v^2}{c^2} }. Qu'on se reporte au début du présent chapitre ; nous avons noté parmi les conséquences géométriques du principe de la relativité restreinte que la longueur cinématique est inférieure à la longueur géométrique et cela justement dans le rapport  \beta = \sqrt{ 1 - \frac{v^2}{c^2} }.

Cette contraction exprime pour Einstein un fait réel que les observateurs attachés au système en mouvement ne constatent point, mais qui est apparent aux observateurs extérieurs au système.

 


CHAPITRE V (retour)

LE PRINCIPE DE LA RELATIVITÉ UNIVERSELLE

I. — La loi de la gravitation.

A. Nous avons vu qu’Einstein arrive à une loi générale intrinsèque qui s’exprime en langage absolu par le symbole

G_{\mu\nu} = 0,


symbole qui équivaut à dix équations différentielles entre les \scriptstyle g. C’est de ces équations générales de la gravitation que nous tirerons la loi particulière du champ de gravitation d’une particule. C’est également à l’aide de ces relations qu’Einstein arrive à écrire sous forme tensorielle les lois de l’électromagnétisme, de l’hydraulique, de la thermodynamique, etc. Nous ne le suivrons pas dans ses calculs qui sont très longs, très compliqués et accessibles seulement aux mathématiciens rompus au calcul différentiel absolu. Je me bornerai à indiquer comment Einstein passe des relations purement formelles, abstraites et en quelque sorte exclusivement logistiques auxquelles il parvient, à l’équation de la loi concrète.

Le lecteur me permettra toutefois d’appeler d’abord son attention sur un fait dont j’aurai à me servir par la suite.

Ce fait est l’utilisation par Einstein de la traduction riemannienne de la relativité géométrique que nous avons donnée au chapitre troisième.

Dire avec Riemann que les lignes possèdent une longueur indépendante de leur situation c’est écrire \scriptstyle \int{ds} = constante ou  \scriptstyle d \left( \int{ds} \right) = 0.

Pour qui analyse cette expression mathématique, elle apparaît comme signifiant qu’entre deux points infiniment rapprochés l’élément de ligne défini est le plus court possible ; et par suite le mouvement le plus simple qu’impliquera la mécanique qui acceptera ce principe de relativité géométrique ; celui-ci admettra donc, qu’en dehors de toute influence, le mouvement d’un point s’effectuera suivant la ligne la plus courte. Ainsi dans la mécanique newtonienne tout point matériel en mouvement non soumis à des influences perturbatrices dénommées forces, suit une ligne droite ; s’il est assujetti à rester sur une surface on le considère comme soumis à des forces fictives et il décrit, si on n’adjoint point à ces forces fictives des forces réelles, les géodésiques, c’est-à-dire les courbes de moindre longueur de cette surface.

Admettre le principe de l’équivalence, c’est-à-dire l’assimilation de la force de gravitation à la force centrifuge revient à considérer cette force de gravitation comme une force fictive, assujettissant le point matériel qui lui est soumis à décrire sa ligne sur une certaine surface fictive dont cette ligne sera la géodésique. Dans les systèmes à quatre axes dont le groupe de Lorentz est l’invariant, cette géodésique apparaîtra la ligne la plus simple comme la droite dans notre système habituel. Par l’intervention des caractéristiques mathématiques de la gravité, nous pourrons exprimer toutes les lois de la façon la plus générale possible dans ces systèmes de coordonnées spéciales et commodes que, pour conserver une habitude (regrettable à cause des images et des difficultés qu’elle suscite), nous continuerons à appeler un espace à quatre dimensions.

À mesure que le point matériel s’éloigne des masses gravitantes et que sa masse elle-même s’évanouit, les caractéristiques de la gravitation disparaissent des équations et l’espace que supposent celles-ci redevient sensiblement euclidien.

On peut ici saisir parfaitement le mécanisme d’application du principe de relativité. Si un point matériel se déplace depuis le voisinage des masses jusqu’en un lieu non soumis à la gravitation, pour que l’expression mathématique de son mouvement demeure le plus simple, il faut et il suffit que le système auquel on le rapporte, l' « espace », soit tel qu’il admette à chaque instant sa trajectoire instantanée comme géodésique. Cet « espace » sera donc essentiellement variable ; il y aura une infinité d’ « espaces ». En dernier lieu, le point matériel étant en dehors de tout champ de gravitation décrira une ligne droite, c’est-à-dire la géodésique, la ligne la plus simple d’un espace qui n’est autre que l’espace euclidien.

Au lieu de considérer les « espaces » comme se modifiant de manière à représenter le mouvement du point avec le maximum de commodité, on peut (c’est ce qu’on a fait jusqu’à Einstein) référer ses trajectoires à un « espace » unique, euclidien par exemple ; au lieu d’avoir à écrire dans une infinité d’espaces l’équation la plus simple, on aura à écrire dans un seul espace une infinité d’équations de la plus simple à la plus compliquée.

On le voit, la seconde méthode est moins générale et moins commode que la première à condition d’avoir trouvé pour celle-ci les équations intrinsèques, les expressions dont une modification pour ainsi dire automatique permît de passer d’une région où s’exercent des champs quelconques à une autre dénuée de toutes forces. Ce passage se fait par l’intervention plus ou moins importante des coefficients différentiels de divers ordres des \scriptstyle g.

B. Voyons maintenant sommairement comment s’obtient la loi relative au champ d’une particule.

De l’équation

\delta \int{ds} = 0,

ds^2 = \sum_1^4 g_{\mu\nu}dx_{\mu} dx_{\nu},


on tire par développement les quatre fonctions différentielles :

 

\frac{d^2x^{\sigma}}{ds^2} = \sum_{\mu\nu} \Gamma_{\mu\nu}^{\delta} \frac{dx_{\mu}}{ds} \frac{dx_{\nu}}{ds}, (\sigma = 1, 2, 3, 4)

avec

\Gamma_{\mu\nu}^{\delta} = - \frac{1}{2} \Sigma g^{\mu\nu} \left( \frac{\delta g_{\mu\alpha} }{\delta x_{\nu}} + \frac{\delta g_{\nu\alpha} }{\delta x_{\mu}} - \frac{\delta g_{\mu \nu}  }{\delta x_{\alpha} } \right).

Ce sont là les équations du mouvement d’une particule matérielle dans le champ de gravitation des g_{\mu\nu}.

(Noter que dans la symbolique employée par Einstein g^{\sigma \alpha} est le déterminant mineur de g_{\sigma \alpha}.)

Le potentiel de gravitation comprend alors dix équations différentielles définies par :

\sum_{\alpha} \frac{d \Gamma^{\alpha}_{\mu\nu} }{dx_{\alpha}} + \sum_{\alpha \beta} \Gamma^{\alpha}_{\mu \beta} \Gamma^{\beta}_{\nu \beta} = k \left( T_{\mu \nu} - \frac{1}{2} g_{\mu \nu} T \right),


T_{\mu\nu} et Tétant des expressions liées aux composantes d’un certain tenseur énergie qui a, dans la détermination du champ, la valeur de la densité de masse dans les équations newtoniennes ; \scriptstyle k étant la constante de gravitation.

Nous pouvons également donner la loi simple ingénieusement déduite des travaux d’Einstein par Schwarzschild, dans un cas particulièrement simple.

Ce savant cherche la solution des équations G_{\mu \nu} = 0 pour le champ d’une particule au repos à l’origine des coordonnées d’espace. Il choisit des coordonnées polaires r, \theta, \varphi, t, et écrit l’expression qui nous est maintenant bien connue

ds^2 = - dx^2 - dy^2 - dz^2 + dt^2.

Il arrive ainsi à

ds^2 = -e^{\lambda} dr^2 - e^{\mu} (r^2d\theta^2 + r^2 \sin^2 \theta d\varphi^2) + e^{\nu}dt^2,


et, par un changement de variables,

 

ds^2 = -e^{\lambda} dr^2 - r^2d\theta^2 + r^2 \sin^2 \theta d\varphi^2 + e^{\nu}dt^2,

Ce qui donne en identifiant aux coefficients correspondants de Riemann

g_{11} = -e^{\lambda}, g_{22} = -r^2, g_{33} = -r^2\sin^2\theta, g_{44} = e^{\nu},

d’où le déterminant

g = - e^{\lambda + \nu} r^4 \sin^2\theta.

Les G_{\mu\nu} = 0 sont dix équations entre les g, dont quatre relations identiques, ce qui réduit à six le nombre des équations indépendantes. En remplaçant dans ces équations les g par les valeurs que nous venons de trouver, nous obtiendrons pour ds^2 une relation indépendante de \lambda, \mu, \nu et qui sera la loi cherchée. Si on pose e^{\nu} = \gamma on obtient ainsi successivement et par des calculs extrêmement laborieux

e^{\lambda} = \gamma^{-1},

\gamma = 1 - \frac{2m}{r},

2m est une constante d’intégration ; m sera plus tard identifiée à la masse de la particule dans les unités de gravitation.

Nous pouvons maintenant écrire la loi sous une forme remarquablement simple

ds^2 = - \gamma^{-1} dr^2 - r^2 d \theta^2 - r^2 \sin^2 \theta d \varphi^2 + \gamma dt^2.

On remarquera que le coefficient de dr^2 est ce facteur qui avait frappé Einstein dont l’intuition se trouve ainsi confirmée.

On voit d’ailleurs que le premier terme peut s’écrire

-\frac{dr^2}{ 1 - \frac{2m}{r} }.


donc, quand rdiminue par exemple, le dénominateur diminue suivant une certaine loi (différente de celle du numérateur) autrement dit l’instrument de mesure se raccourcit. Ce raccourcissement, de maxima dans la direction radiale, devient nul dans la direction transversale. Si nous voulons, au lieu de l’ « espace » qui nous permet de nous exprimer si commodément, nous référer à l’ « espace » euclidien habituel, il faudra ajouter à notre équation la condition expresse que la longueur d’un même vecteur matériel varie d’une façon continue quand ce vecteur effectue un quart de tour. Mais dans l’ « espace » einsteinien il n’y a pas à faire de remarques de ce genre ; nous nous sommes déjà expliqués à ce sujet dans le chapitre précédent.

Quant à la différence entre la loi que nous venons de trouver et celle de Newton qu’elle remplace, il est facile de la mettre en évidence en écrivant, de cette dernière, l’expression correspondante, soit

ds^2 = - dr^2 - r^2 d \theta^2 - r^2 \sin^2 \theta d \varphi^2 + \gamma dt^2.

Elle porte uniquement sur le coefficient du rayon vectoriel.

La simplicité du résultat auquel est arrivé Schwarzschild fait espérer qu’on pourra parvenir quelque jour à ce résultat par des moyens plus simples que ceux qu’il a dû employer.

II. — Les lois physiques et le tenseur énergie.

Le lecteur a remarqué que je n’ai pas eu à faire intervenir le tenseur énergie dont j’ai parlé au début du paragraphe précédent. C’est que l’expression de la loi de Schwarzschild ne le comporte pas. Ce savant a pu partir de l’expression G_{\mu\nu} = 0 qui correspond à la loi de Laplace \Delta \varphi = 0 par un point attiré distinct des points attirants. Dans le cas d’une distribution continue de matière, c’est la loi de Poisson qui intervient \Delta \varphi = - 4 \pi \delta et le tenseur énergie provient de cette modification. G_{\mu\nu} au lieu de s’annuler est alors un tenseur exprimant la capacité et l’état de mouvement d’un milieu au point considéré. C’est en partant de l’expression de ce tenseur

G_{\mu\nu} = 8\pi \left(T_{\mu\nu} - \frac{1}{2} g_{\mu\nu} T \right),


qu’Einstein est parvenu à mettre sous la forme tensorielle intrinsèque la plus générale les lois physiques.

Nous avons déjà montré dans le chapitre quatrième que la masse et l’énergie sont assimilables. Le passage du système newtonien, fondé sur le principe de la conservation de la quantité de mouvement et de la masse, au système einsteinien, nécessite la généralisation de ce principe à la conservation de l’énergie. Ce principe de conservation de l’énergie exprimé dans les équations générales de l’hydrodynamique et de la théorie des gaz a pu être d’abord transformé en équations tensorielles et ensuite déduit de la loi de gravitation ; on retrouve par ce mode l’ensemble des quatre relations identiques dont nous avons parlé à propos des dix équations d’Einstein. Appliquant ce même principe, démontré général comme on vient de le voir, au cas des échanges entre systèmes matériels et électromagnétiques, Einstein met également sous forme tensorielle les lois de l’électromagnétisme. Nous apprenons ainsi l’intervention de la gravitation dans les phénomènes de cette nature.

Je ne m’étendrai pas davantage sur ce sujet ; le lecteur se rend compte du fait que la preuve de la parfaite logique de l’œuvre einsteinienne apparaît définitivement assurée.

Il me reste à parler des expériences qui ont conféré aux théories de la relativité leur caractère de fécondité et la séduisante apparence de la vérité.

III. — Expérimenta Crucis.

A. Équations du mouvement d’une particule dans un champ de gravitation.

Le lecteur qui a suivi attentivement les considérations qui ouvrent le présent chapitre écrira tout de suite ces équations sous la forme

\delta \left( \int ds \right) = 0.

En se référant aux calculs précédents on comprendra la manière de procéder qui demeure la même. En fin de compte on aboutit aux équations

\left( \frac{dr}{ds} \right)^2 + r^2 \left( \frac{d \varphi}{ds} \right)^2 = c^2 -1 + \frac{2m}{r} + 2m \frac{h^2}{r^3},

r^2 \frac{d\varphi}{ds} = h,


\scriptstyle h et \scriptstyle c sont des constantes d’intégration.

Comparons ces équations aux équations newtoniennes du mouvement elliptique

\left( \frac{dr}{dt} \right)^2 + r^2 \left( \frac{d\varphi}{dt} \right)^2 = -\frac{m}{a} + \frac{2m}{r},

 

avec

r^2 \frac{d\varphi}{dt} = h.

On voit que ds représentant le temps propre de la particule, les nouvelles équations ne se distinguent des anciennes que par l’addition d’un terme supplémentaire en \frac{1}{r^4}.

B. Le mouvement du périhélie de Mercure.

On n’a pu expliquer jusqu’à Einstein ce déplacement. Suivant une méthode facile et qui avait fait ses preuves, Le Verrier l’avait attribué à une certaine planète qui fut par contumace baptisée Vulcain ; mais Vulcain n’a jamais paru. L’ingéniosité des astronomes trouve là une excellente matière à exercices. Tisserand proposa l’addition d’un terme additionnel, d’autres envisagèrent le changement du coefficient de la formule de Newton. Aucune de ces modifications n’a donné de chiffres concordant avec la réalité. Il était donc particulièrement intéressant de voir si la nouvelle théorie pouvait, sans hypothèse complémentaire, fournir la solution du problème, autrement dit si le calcul correct, conduit d’après les nouvelles formules générales, et, pour les diverses planètes, delà même façon, donnait un chiffre correspondant aux observations.

Une application numérique montre qu’on peut sans erreur appréciable écrire l’équation du mouvement

\left( \frac{h}{r^2} \frac{dr}{d\varphi} \right)^2 \frac{h^2}{r^2} = c^2 -1 + \frac{2m}{r} + \frac{2mh^2}{r^2}


ou, en posant

u = \frac{1}{r},

 

\left( \frac{du}{d\varphi} \right)^2 + u^2 + \frac{c^2 - 1}{h^2} + \frac{2mu}{h^2} + 2mu^3.

Résolvant cette équation différentielle par rapport à u et négligeant h^2 u^3 qui est de l’ordre de 10^{-8} on retrouve la loi de Newton :

u = \frac{m}{h^2} [1 + e \cos(\varphi - \omega) ].

Portant cette valeur de u dans l’équation précédente et recom­mençant on obtient ainsi, par approximations successives, la valeur

u = \frac{m}{h^2} [1 + e \cos(\varphi - \omega - \delta\omega) ].

 

On voit donc que, tandis que la planète effectue une révolution, son périhélie avance d’une fraction de révolution égale à

 

\frac{\delta\omega}{\varphi} = \frac{3m^2}{h^2} = \frac{12 \pi^2 a^2}{c^2 T^2 (1-e^2) },

Test la période de la planète et c la vitesse de la lumière.

L’application de cette formule a donné le résultat que l’on connaît. Comment elle a été établie, le lecteur le sait maintenant et que la préoccupation du mouvement de Mercure n’a été pour rien dans le calcul. La force probante de cette concordance en est singulièrement accrue.

C. Déviation d’un rayon lumineux. — En l’absence d’un champ de gravitation et la vitesse de la lumière étant prise pour unité, nous pouvons écrire l’équation fondamentale sous la forme

\left( \frac{dx}{dt} \right)^2 + \left( \frac{dy}{dt} \right)^2 + \left( \frac{dz}{dt} \right)^2 = 1.

 

Mais

ds^2 = - dx^2 - dy^2 - dz^2 + dt^2,


donc ds^2 = 0.

Et, d’après le principe de l’équivalence, cette équation invariante doit aussi convenir dans le champ de gravitation.

Ici nous pouvons expliquer ces faits paradoxaux que nous avons déjà notés dans les deux premiers chapitres au sujet d’un observateur voyageant avec la vitesse de la lumière. Pour celui-ci ou plutôt pour les axes entraînés avec cette vitesse et auxquels il est rattaché, les déplacements élémentaires sont nuls, autrement dit  dx = dy = dz = 0. En sorte que ds = dt = 0. Il n’y aura donc pour cet observateur aucun déplacement dans le temps. On peut théoriquement régler le décalage de sa vitesse sur celle de la lumière de façon à régler également son vieillissement par rapport au temps terrestre.

Revenons à nos rayons lumineux.

Portons ds = 0 dans l’expression de la loi de gravitation. Le mouvement dans un plan sera donné par

\gamma^{-1} \left( \frac{dr}{dt} \right)^2 + \left( r \frac{d\varphi}{dt} \right)^2 = \gamma. \qquad (1)

Et si v est la vitesse de la lumière dans une direction faisant un angle V avec le vecteur radial

v^2 [\gamma^{-1} \cos^2V + \sin^2 V ] = \gamma,

d'où

v = \gamma[1 - (1 - \gamma) \sin^2 V]^{ - \frac{1}{2} }.

Faisons un changement de coordonnées r = r_1 + m et négligeons les carrés de  \frac{m}{r_1}.

Il vient

r = r^2_1 \left[ 1 + 2 \frac{m}{r} \right] = \gamma^{-1}r^2_1.

Et, en substituant dans (1)

\left( \frac{dr_1}{dt} \right)^2 + r_1 \left( \frac{d\varphi}{dt} \right)^2 = \gamma^2


en sorte que, pour ces coordonnées,

 

v = \gamma = 1 - \frac{2m}{r} = \text{sensiblement} \, 1 - \frac{2m}{r_1}


dans toutes les directions.

Quelle est la trajectoire de ce rayon lumineux dont nous connaissons maintenant la vitesse ? Elle est, d’après Huyghens, définie par l’équation

\mu p = \text{constante} \qquad (2)

\mu est l’indice de réfraction et p la longueur de la perpendiculaire menée du centre de l’onde sur la tangente.

Or l’indice de réfraction a pour valeur

\mu = \frac{1}{v} = 1 + \frac{2m}{r}

d’où, approximativement,

\mu^2 = 1 + \frac{4m}{r}. \qquad (3)

Ces deux équations (2) et (3) définissent le mouvement d’une particule avec une vitesse \mu sous l’attraction d’une masse \scriptstyle 2ml’orbite étant une hyperbole d’axe \scriptstyle 4m.

L’angle des asymptotes est  \frac{2}{ \sqrt{e^2 - 1} }, soit, approximativement \frac{4m}{R}. (\scriptstyle R distance du foyer au sommet.)

Ainsi un rayon lumineux allant de -\infty à +\infty et passant à une distance \scriptstyle R d’une particule de masse \scriptstyle m subit une déviation

\alpha = \frac{4m}{R}

Pour une étoile paraissant toucher le limbe du soleil \scriptstyle \alpha = 1''74.

Ainsi que je l’ai déjà indiqué, l’observation a confirmé ce résultat.

On peut être tenté de l’attribuer au fait que la masse électromagnétique est soumise à la gravitation, mais un calcul très simple prouve que cette hypothèse seule ne donnerait que la moitié de la déviation constatée.

D. Déplacement des lignes du spectre. — Considérons un atome vibrant en un champ de gravitation. C’est une horloge naturelle qui doit nous donner une mesure invariable de l’intervalle \scriptstyle ds ; c’est-à-dire que l’intervalle \scriptstyle dscorrespondant à une vibration de l’atome est toujours le même. Laissons l’atome momentanément au repos dans notre système de coordonnées (bien que sujet à l’accélération du champ). Alors on a

dx = dy = ds = 0

et, d’après ce que nous avons vu

ds^2 = g_{44} dt^2.

Si alors dt et dt^\prime sont les périodes de deux atomes semblables vibrant aux différentes parties d’un champ on aura

\sqrt{g_{44}} dt = \sqrt{g^\prime_{44}} dt^\prime.

Si t se rapporte à un atome vibrant dans la photosphère du soleil

g_{44} = 1 - \frac{2m}{R}.

Si t^\primese rapporte à un atome vibrant dans un laboratoire terrestre

g^\prime_{44} = \text{pratiquement} \, 1.

D’où  \frac{dt}{dt^\prime} = \, \text{environ} \, 1 + \frac{m}{R} = 1,000\,002\,12.

Donc les atomes solaires vibrent plus lentement et leurs franges spectrales doivent être déplacées vers le rouge.

Le lecteur voudra bien se reporter à ce que nous avons dit au deuxième chapitre des expériences tentées sur ce sujet.


CHAPITRE VI (retour)

VALEUR DES THÉORIES DE LA RELATIVITÉ

Le lecteur qui a suivi attentivement les développements précédents peut à présent conclure. L’auteur n’a plus rien à lui faire connaître et l’invite seulement à réfléchir ; tous les éléments d’appréciation lui ont été fournis.

Je vais néanmoins essayer de donner moi-même ces conclusions auxquelles il me semble raisonnable que l’on s’arrête. Il va sans dire que je ne parle plus ici qu’en mon propre nom et que par conséquent mes interprétations et mes opinions n’invoquent d’autre autorité que celle qui s’attache à toute méditation.

Un premier élément de jugement nous est fourni par la genèse dont j’ai tenté de fixer les traits au deuxième chapitre. L’étude des variations des physiciens, de leurs recherches tour à tour convergentes et dispersées, de leurs hésitations et de leurs essais d’explications, des innombrables hypothèses élaborées successivement, nous donnent une idée de l’incontestable valeur de la seule théorie explicative demeurée debout et un gage de sa solidité. Si nulle autre hypothèse n’a réussi, ce n’est pas par la faute de l’apathie des savants, car nul problème ne fut plus passionnément discuté ; ce n’est pas par l’absence des physiciens les plus qualifiés : les plus grands noms ont été prononcés au cours de notre étude historique. Enfin ce n’est pas en raison d’impossibilités expérimentales, puisque, au contraire, c’est toujours le fait d’expériences nouvelles qui a fait rebondir la discussion.

L’étude historique nous montre également la corrélation la plus intime entre toutes les sciences qu’on peut penser intéressées par la nouvelle théorie. Les savants qui ont examiné le problème n’étaient pas spécialisés dans une branche particulière ; mais au contraire ils n’ignoraient rien des ressources de l’analyse ni des faits de la physique, de l’électrodynamique et de la thermodynamique et même de l’astronomie ; ils avaient pour la plupart apporté des contributions importantes à ces sciences. Par conséquent, on ne se trouve pas devant une hypothèse partielle d’un savant spécialisé, hypothèse qui risque de trouver une contradiction immédiate dans les conclusions d’une science distincte de la sienne et totalement ignorée de lui. Ce point a une très grande importance : on sait en effet que l’énorme déchet observé dans le nombre des brevets d’invention utilisables provient justement du fait que les inventeurs sont en général ou des spécialistes qui ne connaissent qu’une chose et la connaissent à fond (ce qui risque de les faire raisonner à faux pour tout ce qui n’est point cette chose, car ils donnent une valeur générale aux modalités particulières de principes) ou, au contraire, de théoriciens qui ont des notions de toutes choses et point de connaissances approfondies.

Enfin, si on se réfère à l’exposé logique en même temps qu’à l’exposé historique, il semble qu’on en doive déduire, qu’en l’état actuel des connaissances, la théorie en question est bien la seule alternative qui puisse convenir.

Les théories de la relativité ont donc pour elles la très forte présomption que constitue leur succès à cette sorte de concours ouvert depuis Newton. C’est, pour le profane qui ne peut entrer dans la discussion, un élément important de conviction.

Mais ce qui fait la valeur essentielle de ces théories peut apparaître également aux yeux de tous. Les hypothèses valent, on le sait, par leur convenance au connu et leur fécondité.

Les théories de la relativité permettent de rendre compte de toutes les lois scientifiques connues puisqu’elles ont donné une expression intrinsèque des plus générales de ces lois, de celles dont toutes les autres sont déduites. Il est vrai qu’elles annihilent certaines hypothèses, mais celles-ci n’avaient plus ni utilité ni valeur. Peut-on, par exemple, considérer comme autre chose qu’une fiction indécente la supposition d’un éther auquel tant de phénomènes différents conduisaient à donner des qualités toutes contradictoires? Rien ne nécessitait plus cette existence ; les découvertes récentes ont en effet conduit à concevoir l’énergie rayonnante, la lumière visible par exemple, comme se propageant d’une manière indépendante à travers l’espace vide absolu, sans doute dans des atomes lumineux ; toutes les expériences tentées en vue de rendre manifeste l’existence de l’éther ont échoué. Dès lors la science, pouvant se construire sans l’hypothèse de l’éther, l’abandonne.

À ce grand mérite de faire disparaître des suppositions inutiles, les théories de la relativité ont joint celui de constituer un groupement, de rassembler les hétérogènes, autrement dit de déterminer les confluents de rivières jusqu’à ce jour apparemment étrangères et le fleuve unique qui les réunit. Cette tendance à l’unité qui peut bien sembler une idole philosophique est, au point de vue scientifique, d’un inestimable prix. Le fait d’avoir réussi à établir les dix équations de la loi universelle de gravitation doit, par la coordination et la hiérarchie des recherches qu’elle détermine impérieusement, donner les meilleurs fruits.

On voit, et ceci est encore bien fait pour nous impressionner favorablement, que la fécondité de ces théories est en raison directe justement de leur convenance au connu. Il n’y a pas eu besoin d’une quantité de suppositions accessoires complémentaires plus ou moins saugrenues, mais seulement d’une conception très vaste, œuvre à la fois critique et créatrice, qui n’est pas un système du monde, mais aboutit fatalement à nous en donner un, car elle remplace les fondements de l’ancien.

Cette vertu est particulièrement sensible dans les expériences cruciales dont nous avons donné le détail. Le lecteur a vu qu’il n’intervenait dans ces découvertes aucune hypothèse particulière et spéciale ; rien d’autre que la théorie générale et même, pourrait-on dire, rien d’autre qu’une certaine tournure logique, une certaine attitude d’esprit.

Il est toujours trop tôt pour juger la valeur scientifique des hypothèses au point de vue de la vérité philosophique, tant que ces hypothèses sont fécondes. Avec Poincaré on peut dire qu’une hypothèse est vraie dans un certain sens tant qu’elle est féconde et commode.

C’est bien ainsi que je considère les théories de la relativité. Elles nous ont tout expliqué; elles nous ont appris beaucoup ; elles nous apprendront plus encore; la hardiesse de leurs conceptions ouvre des horizons que le rêve lui-même n’avait pas visités ; elles sont propres à émerveiller également le mathématicien, le philosophe, le physicien, l’astronome. Elles donnent par leurs conséquences dans tous les domaines un aspect inattendu de l’univers. Quant à ces conceptions du temps et de l’espace qui sont considérées par tant de personnes comme des pierres d’achoppement, je ne m’explique guère qu’elles puissent arrêter le savant. Les relativistes prennent littéralement, intégralement, comme l’expression du réel l’interprétation physique de leurs équations non seulement en ce qui concerne les phénomènes, mais aussi en ce qui concerne les cadres où ces phénomènes sont logés par notre esprit : l’espace et le temps. Certains savants ne peuvent s’y résoudre. Je ne vois là qu’une vaine discussion. Ainsi que je l’ai montré à propos de l’espace-temps de Minkowski, nous pouvons regarder ces conceptions comme des représentations commodes; c’est la partie la plus hypothétique de l’hypothèse, la plus vague, celle qu’on donne simplement pour la mettre d’accord avec le reste et qui ne peut se mettre en équation ni, pour l’instant, donner de promesses de fécondité. De même que la considération des imaginaires aboutit à des résultats utilisables dans la pratique, de même que l’on interprète couramment les solutions négatives des équations, de même l’usage de géométries à n dimensions (généralement moins commodes que la géométrie euclidienne) nous donne dans le cas particulier de la relativité des représentations beaucoup plus utiles et plus faciles que celles de la géométrie euclidienne. C’est ce qui explique que si Lorentz et Einstein se sont servis de la géométrie euclidienne, Minkowski se soit servi de la géométrie de Laguerre, et que Sommerfeld ait préféré la géométrie de Lobatschefvsky et d’autres, celle de Lewis. La seule conclusion que nous puissions tirer d’une telle diversité d’interprétations géométriques c’est que, ce que nous nommons l’espace est tel que nous n’avons pas encore trouvé de géométrie assez adéquate à lui pour nous le représenter commodément en entier, quels que soient l’étendue du domaine que nous y occupons et l’effet de la gravitation qui s’y exerce.

Quant à la relativité du temps, considérée d’un certain point de vue, elle paraît moins surprenante : elle revient à dire que l’état de mouvement influe sur les processus des phénomènes ; plus la vitesse est grande, plus les processus se ralentissent au point de s’annuler pour la vitesse égale à celle de la lumière qui est la vitesse maxima. Rappelons que cette dernière affirmation est la déduction normalement tirée par voie mathématique des expériences que l’on sait. Si nous faisons remarquer qu’il s’agit ici du temps scientifique, le lecteur éprouvera-t-il vraiment de très grandes difficultés à admettre, ainsi considérées, les notions einsteiniennes d’espace et de temps?

Ces conceptions ont, ainsi que je l’ai dit dans le deuxième chapitre, été accueillies de façon très différentes par les savants.

MM. Brillouin et Lecornu se sont montrés en France les plus sceptiques à l’égard des nouvelles théories. M. Lecornu fait grief à Minkowski d’avoir attribué une réalité à un espace tétradimensionnel où l’axe des temps est affecté d’un coefficient imaginaire. Je ne pense pas que M. Lecornu prenne lui-même son argument au sérieux. Le nominalisme fait de grands ravages parmi les savants ; j’ai indiqué dans le chapitre précédent de combien d’erreurs et de confusions était coupable le mot espace mal employé. On pourrait en dire autant du mot imaginaire. Écrire \scriptstyle a^2 + b^2 = 0c’est écrire \scriptstyle a \pm ib = 0 ; que signifie la présence de l’imaginaire dans cette équation? Tout simplement qu’il y a deux solutions \scriptstyle a = 0, \, b = 0. Que signifie la présence de l’imaginaire dans les équations de Minkowski? Tout simplement que l’axe temps et les trois axes espace doivent avoir des interprétations distinctes dans le continu à quatre dimensions.

Ceci d’ailleurs ne saurait être, même dans l’esprit de M. Lecornu, qu’une discussion futile. Ce savant, dont on connaît les importants travaux en mécanique, s’attaque surtout à la transcription du principe einsteinien en mécanique. Il fait observer que rien ne nous permet de définir un mouvement de translation ou de rotation si nous n’avons pas de repère et par conséquent que nous énonçons une définition déguisée en disant que les lois des phénomènes naturels sont indépendantes du mouvement du système de comparaison employé, pourvu que ce mouvement se réduise à une translation rectiligne et uniforme.

On peut faire remarquer à M. Lecornu que son observation s’applique également au principe de relativité newtonien qu’il admet.

D’ailleurs les énoncés des deux principes s’identifiant par l’échange de deux mots (naturels et mécaniques) on doit pouvoir confronter ces principes ; dans le cas spécial des expériences instituées pour mettre en évidence le mouvement absolu de la terre, il est bien difficile, si l’on veut faire de la science positive, c’est-à-dire conclure par une interprétation physique ou mécanique, de ne pas donner raison à l’énoncé d’Einstein.

Quant à la constance de la vitesse de la lumière, M. Lecornu observe qu’il faudrait, pour y conclure, pouvoir tenir compte de la vitesse mal connue du soleil et également du fait que le mouvement de la terre est une rotation et non une translation. A cela on peut répondre qu’il serait bien surprenant que ces mouvements divers établissent dans tous les cas une compensation exacte aux variations de la vitesse de la lumière de manière que l’expérience fit toujours apparaître celle-ci comme constante.

M. Lecornu entend d’ailleurs le principe de relativité dans un sens très large; pour lui, dire que la terre et la sphère céleste sont en mouvement relatif, signifie, dans l’esprit d’un relativiste, que la sphère céleste tourne autour de la terre — aussi bien que la réciproque ; il en déduit que les théories relativistes sont absurdes car cette assertion revient à affecter une étoile éloignée telle que Sirius d’une vitesse 22 500 fois plus grande que celle de la lumière. C’est triompher à bon compte.

J’ai parlé au deuxième chapitre des travaux de Guillaume et de Varcollier; j’ai dit combien ils me paraissent intéressants et tout ce que les partisans des idées classiques peuvent y voir d’utile et de fécond. Je dois dire aussi ce que les relativistes en peuvent penser.

La théorie de la relativité, dira Einstein ou fera-t-il dire par ses disciples, ne peut ni veut donner aucun nouveau système du monde, mais seulement une condition restrictive à laquelle les lois de la nature doivent se soumettre comme par exemple les axiomes de la thermodynamique. Cela suffit évidemment à changer l’actuelle figure du monde, mais ce résultat n’était pas cherché ; il résulte simplement de la généralité de cette théorie analytique qu’elle est plus constructive qu’une théorie constructive par essence telle que celle de Lorentz. Cela vient de ce que le relativiste se considère comme obligé d’admettre une interprétation physique claire des coordonnées de l’espace et du temps. C’est justement ce point de vue que ne partagent pas les travaux de Guillaume et de Varcollier.

L’ouvrage de Guillaume défend une thèse qui, du point de vue einsteinien, n’a aucune chance d’aboutir au réel ; elle revient à dire : parmi toutes les directions X de l’espace, il n’existe qu’une seule direction ou coordonnée x absolue (il s’agit en l’espèce d’un temps absolu préposé aux transformations de Lorentz) ; entreprise sans espoir appuyée sur quelques ambiguïtés involontaires mathématiques. Varcollier ne remarque pas (abstraction faite de ce qu’il oublie d’interpréter physiquement l’espace et le temps) que la vitesse de la lumière, conformément à l’expérience, joue un rôle spécial.

Les deux thèses sont des erreurs pour le relativiste et les mathématiques en constituent le trompeur vêtement.

Je me garderai de conclure ; il y a lieu d’approfondir d’abord. C’est de travaux de ce genre qu’on peut attendre, par la discussion qu’ils sont capables de provoquer, les plus intéressants résultats.

Je ne citerai que pour mémoire M. Langevin. Cet éminent physicien s’est fait en France le champion et le propagateur des théories de la relativité. Je n’ai donc pas à développer pour mes lecteurs ses idées qui sont exactement celles d’Einstein et de Weyl. Je dois avouer que je ne puis guère me résoudre à accepter certaines d’entre elles telles que l’induction hardie qui étend le principe de la relativité aux lois de la physiologie ou celles qui violent le principe de causalité en admettant que la relativité du temps peut intervertir l’ordre de deux phénomènes dont l’un est la conséquence de l’autre.

Je crois avoir montré au lecteur les attitudes adoptées par les savants français à l’égard des théories nouvelles : attitude de négation (Lecornu), attitude de modification (Guillaume), attitude d’acceptation (Langevin). Nous garderons quant à nous l’attitude mixte d’acceptation et d’interprétation que nous croyons justifiée et le plus en accord avec les exigences de notre esprit. Cette attitude, qui est d’ailleurs dans la tradition d’Henri Poincaré, ne diminue en rien l’admiration que nous inspire l’édifice des théories einsteiniennes.

Nous n’avons considéré jusqu’ici que l’aspect scientifique de ces théories ; leur véritable signification ne nous apparaîtra que si nous les étudions du point de vue philosophique.

Qu’est-ce à dire?

C’est-à-dire que pour déterminer leur importance réelle, nous devons d’abord examiner si, dans l’établissement de leurs prémisses, il ne s’est pas glissé certaines erreurs de raisonnement ou de jugement ; autrement dit les étudier du point de vue de la logique critique.

Ensuite nous devons nous rendre compte de ce qu’elles apportent de nouveau dans les fondements de la science, autrement dit les étudier du point de vue épistémologique.

Nous chercherons alors la portée philosophique de ces théories et nous essaierons de voir si elles apportent quelque fait nouveau dans le domaine métaphysique.

 

Le critique est d’abord amené à se demander si, dans l’explication des expériences de Michelson et Morlay fournie par les théories de la relativité, la part de l’interprétation n’est pas bien grande. Il peut sembler au premier abord qu’il y ait un nombre d’hypothèses considérables et que celle qui a été choisie ne possède en définitive qu’une rigueur toute provisoire. Cette observation a beaucoup de poids du fait des travaux de Guillaume et de Varcollier que j’ai déjà signalés à plusieurs reprises. J’ai indiqué la réponse des relativistes. Ceux-ci font d’ailleurs remarquer que leurs théories sont rendues en quelque sorte inéluctables dès qu’on admet l’hypothèse des ondulations d’où elles se déduisent, si l’on rejette les vieux préjugés d’espace et de temps pour s’évader du dilemme. Il est toutefois assez troublant de constater qu’on s’accorde avec la théorie des ondulations par l’intervention d’une vitesse de propagation instantanée indépendante de la source, alors que d’autre part l’hypothèse de l’émission expliquerait dans la vieille mécanique newtonienne l’expérience de Michelson, à condition de supposer constante la vitesse des particules par rapport à la source. M. Perrin a fait remarquer à ce propos que, dans les nouvelles théories, la lumière est inerte et pesante ; n’est-ce pas un retour à l’hypothèse de l’émission? Si cela était, il y aurait lieu de craindre un paralogisme dans l’établissement des théories puisque le dilemme d’où elles surgissent n’est dilemme que par l’acceptation tacite de l’hypothèse ondulatoire. Il ne semble pas qu’il y ait cette crainte à ressentir ; la théorie de l’émission devrait, pour convenir, être considérablement transformée afin de tenir compte des phénomènes d’interférences, par exemple, qu’elle ignore. Walter Ritz l’a vainement tenté. On peut donc bien dire que l’interprétation des expériences ne semble aucunement incorrecte. Elle se fonde sur l’hypothèse ondulatoire, soit. Mais sur quelle autre se fonder? Le problème peut, si l’on veut, se transformer : il s’agirait de trouver une hypothèse nouvelle remplaçant l’hypothèse ondulatoire et qui satisfit toutes les lois optiques. C’est alors de cette hypothèse que devrait tenir compte la théorie explicative des expériences de Michelson et Morlay. En principe, rien ne démontre l’impossibilité d’une telle recherche ; au contraire, tout le sollicite ; l’inexistence de l’éther, la pesanteur de la lumière, d’autres faits réclament une expression nouvelle, car, si l’ondulation leur prête encore un vêtement mathématique, elle apparaît par contre nettement ne pas représenter la vérité.

L’interprétation des expériences de Michelson et Morlay a manifesté, par la convenance du groupe de Lorentz aux équations de Maxwell, l’accord des procédés électromagnétiques et des procédés optiques pour la mesure du temps et de l’espace. Là où cette interprétation devient délicate, c’est quand l’extension du principe de relativité aux sciences biologiques nous impose comme réelle la concordance du vieillissement physiologique avec la lenteur d’écoulement du temps relatif. Car nous n’avons ici aucune expérience qui nous puisse guider.

La critique fera remarquer à ce propos que les conséquences immédiates des théories de la relativité choquent le sens commun. Cette observation paraît plus juste encore en ce qui concerne l’ordre de succession des phénomènes. Nous montrerons à ce sujet que l’interversion n’est pas réalisable dans les conditions de notre monde. En effet soient deux événements se passant aux points les plus éloignés l’un de l’autre sur la terre, c’est-à-dire à des antipodes équatoriales. Leur distance minima sur la terre est 20 000 kilomètres. Pour que l’interversion fût possible, il faudrait que le temps écoulé entre les deux phénomènes fût inférieur à celui que mettrait la lumière pour parcourir ces 20 000 kilomètres, soit un quinzième de seconde. Il est douteux que de telles interversions de cause à effet puissent jamais être constatées et, non pas seulement à cause des difficultés expérimentales, mais surtout, je dirai uniquement, d’après les lois de notre esprit. Les relativistes répondent que notre esprit est formé par les données de la vie courante et ne peut étendre au delà ses raisonnements ; le philosophe de Kœnigsberg nous a déjà suggéré quelque chose de semblable. Les relativistes pourraient également nous inviter à réfléchir sur les causes finales ; là, le temps apparaît bien comme un cadre imposé par la conscience et l’antériorité réelle de la cause est admise sans difficulté par l’esprit.

Notre langage nous cause d’ailleurs une grande difficulté de représentation. En effet, il paraît sous-entendre dans les expressions des phénomènes un ordre vrai de succession, c’est-à-dire un système de référence absolu ; et nous savons qu’il n’existe pas de système tel. Cette objection critique n’est que nominaliste et résulte simplement d’une exposition défectueuse des faits.

J’ai montré à maintes reprises les changements que les théories nouvelles apportent dans les sciences par l’intervention de la relativité de l’espace et du temps. J’ai donné l’expression mathématique de ces changements. Il est intéressant de remonter à l’origine même de la mécanique pour nous rendre compte de la légitimité de notre nouvelle attitude.

Je vais le faire aussi brièvement que possible ; à ceux que la question intéressera, j’indique les noms de quelques auteurs qui ont excellemment étudié et présenté le problème des origines de la mécanique et dont les ouvrages devraient être connus de tous les mathématiciens. Je veux dire Euler, Kant, Riemann, Mach, G. Neumann, Streintz, Duhem et Freundlich.

La plupart des objections qui ont été faites aux théories de la relativité viennent du désir de subordonner la mécanique à une discipline purement mathématique, semblable à celle de la géométrie, sans tenir compte du fait que les bases de la mécanique newtonienne sont loin de nous donner la certitude.

Les trois lois fondamentales du mouvement sont, on le sait, la loi d’inertie, la loi de proportionnalité de l’accélération à la force, la loi d’égalité de l’action et de la réaction. Aucune de ces lois ne fut reconnue par les anciens, ce qui nous donne une idée de leur degré d’évidence. Le principe de l’inertie énoncé par Newton : Un corps quelconque conserve son état de repos ou de mouvement rectiligne uniforme tant que l’action d’une force ne l’oblige pas à modifier son état, peut tout au plus être considéré comme une convention commode. Il sous-entend une définition de la force tout intuitive et assez obscure. Il prive la matière de toute activité propre à produire du mouvement et lui restitue ensuite cette activité en faisant de chaque point matériel un centre de force !

Sous sa forme galiléenne, le même principe n’est pas moins troublant : un corps abandonné à lui-même se meut en ligne droite avec une vitesse constante ou reste au repos. Mais qu’est le repos? Qu’est la ligne droite? Que sont les axes fixes dont l’existence est ainsi hardiment admise? On voit toutes les hypothèses que comporte un simple énoncé de principe. Il ne semble pas douteux à l’examen que ces principes ne soient autre chose qu’une généralisation de faits expérimentaux, généralisation dont la commodité réside dans le fait qu’elle permet de donner à la science mécanique une figure mathématique et de la faire profiter de tous les progrès de l’analyse. Elle opère dès lors sur des abstractions et les erreurs, d’ailleurs négligeables dans le domaine de la pratique, peuvent être imputées à la disparité des conditions respectives de la théorie et de la pratique. Lorsque les résultats calculés s’éloignent trop des résultats constatés, l’intervention de nouveaux éléments de calcul ingénieusement choisis apporte les corrections nécessaires aux cas observés et donne par induction des formules qu’on prendra comme vraies pour les nouvelles recherches. C’est ainsi par exemple que les écarts trop grands entre le calcul et l’observation dans le fonctionnement des mécanismes ont obligé le savant à introduire la notion des forces spéciales de frottement.

Il faut donc très bien se rendre compte que la mécanique ne repose pas sur des bases d’une certitude indiscutable, d’une évidence absolue. On a essayé d’exprimer la réalité constatée, avec l’instrument mathématique le plus simple et le plus commode. Or le réel, par définition, demeure le réel. Il est indépendant des conventions ; et les mathématiques sont purement des conventions, des jeux de l’esprit ; il est donc probable qu’on ne pourra jamais faire coller exactement l’un à l’autre. Rien ne nous démontre que la réalité est simple ni continue ; seul le désir de notre esprit nous fait croire à cette simplicité et à cette continuité ; et un tel désir est intéressé. Nous créons des formes, des lois, des courbes ; quelles que soient la souplesse de notre imagination et la variété de nos ressources intellectuelles, rien ne nous assure que nous avons exactement défini la forme qui colle au réel.

Par exemple, si j’énonce le principe de la proportionnalité de l’accélération à la force, parmi tant de manières de l’envisager je puis choisir celle-ci : La force est égale au produit de la masse par l’accélération.

Je puis me donner une représentation rigoureuse de la masse en partant du volume (c’est-à-dire de la longueur) d’un corps homogène. Je puis réaliser une expérience avec la même masse et des forces rigoureusement proportionnelles à l’aide de poids comparés à la balance (et encore ici y aurait-il beaucoup à dire sur la valeur de la théorie de la balance). Je constaterai que le mouvement du corps change quand les forces changent ; je note les résultats ; j’essaie une formule pour les représenter : elle ne donne rien ; j’essaie la proportionnalité à la dérivée première de l’espace par rapport au temps : ce n’est pas tout à fait cela. J’essaie la dérivée seconde : cela semble coller à peu près. Cela me suffît : je tiendrai le principe pour exact. Je dirai : la force est le produit de la masse par l’accélération. Si la dérivée seconde n’avait rien donné j’aurais essayé la dérivée troisième et ainsi de suite. Mais pourquoi la variation réelle serait-elle exactement conforme à la variation de cette dérivée qui est une pure créature de notre esprit? Il n’y a aucune raison valable. Nous les constatons très voisines et, par raison de commodité, nous les décrétons égales et voilà tout.

Ainsi, nous le voyons, il n’y a pas lieu de craindre de porter sur la mécanique classique une main sacrilège. Elle est habile mais point infaillible. Elle ne nous donne même pas les satisfactions que notre esprit serait en droit d’exiger d’elle. Ces exigences de l’esprit peuvent se définir ainsi :

Exigence de continuité. — Deux corps distincts ne peuvent agir l’un sur l’autre que par un intermédiaire. Toutes nos lois doivent donc s’exprimer sous forme différentielle entre des points infiniment rapprochés.

Exigence de causalité. — Toutes nos lois ne doivent combiner que des éléments soumis à l’observation.

L’action à distance, les formules en termes finis, la hardiesse inconsciente d’inductions qui autorise en fait le passage du relativisme expérimental au mouvement absolu, en un mot la mécanique classique en entier démontrent le mépris de ces exigences intellectuelles et logiques. Et si nous prenons pour exemple la définition de l’égalité des intervalles de temps dans la mécanique classique, nous constatons qu’elle revient à admettre comme un axiome ce que l’expérience de Michelson et Morlay nous conduira à rejeter. Que le lecteur réfléchisse sur ce point important. Les classiques ont rejeté les conclusions relativistes de l’expérience précitée parce qu’elles comportaient une notion du temps contraire aux conclusions de leur science vérifiées par les faits. Ils ont oublié que cette notion était à la base même de leur science dans la définition même des intervalles de temps et que, contrairement à l’exigence de causalité, ils avaient inconsciemment conclu sur des éléments non soumis à l’observation. Que leurs résultats fussent vérifiés dans les limites de l’expérience et le domaine de la pratique, cela n’avait dès lors rien d’étonnant ; mais cela ne prouvait rien non plus. Pour fonder une mécanique rigoureuse, il eût fallu évidemment effectuer plus tôt l’expérience et établir sur elle la notion scientifique du temps.

La mécanique einsteinienne a, au contraire de la mécanique classique, le mérite incomparable de satisfaire aux exigences dont je viens de parler. Les conceptions de masse inerte et de masse lourde n’ont plus, ainsi que le fait remarquer Freundlich, leur signification absolue. La masse des corps dépend exclusivement de la présence et de la situation relative des autres corps dans l’univers. Sa valeur n’est définie que rapportée au système auquel est également rapporté son mouvement. L’équivalence de la masse inerte et de la masse lourde fait bien saisir la valeur relative des mouvements. On conçoit désormais très bien comment un champ centrifuge peut, pour un corps en rotation, prendre la signification d’un champ de gravitation qui serait suscité par la rotation, autour de ce corps supposé immobile, de toutes les masses de l’univers.

Ainsi nous ne relions par des liens de causalité que des faits soumis à nos observations, puisque nos affirmations ne visent que les mouvements relatifs. Et d’autre part, nous rejetons toute action à distance puisque nous donnons aux lois fondamentales de la mécanique une forme différentielle où n’intervient qu’un élément de ligne et aucune distance finie.

La conception einsteinienne de l’espace-temps s’accorde en outre à nos préoccupations épistémologiques par un détour inattendu. J’ai indiqué plus haut l’idée riemannienne qui me paraît l’expression la plus rigoureuse possible des exigences de notre esprit relativement à la définition des éléments. On sait qu’elle fait intervenir des coefficients \scriptstyle gqu’il s’agit de déterminer. Einstein fondant, non plus une géométrie, mais une mécanique, doit chercher pour ces coefficients une expression qui ait une signification dans le monde physique. Cette expression doit avoir un caractère d’universalité puisqu’on en déduira une loi la plus générale possible. Elle doit donc mettre en jeu une influence s’exerçant à la fois sur tous les corps (c’est-à-dire apparaissant liée à la matière) et indépendante des propriétés particulières de ces corps. La gravitation est, dans l’état actuel de nos connaissances, la seule influence possédant ces caractères.

Le fait d’être arrivé à l’expression de la loi universelle cherchée, cette réussite étonnante, permet de croire que les relations de mesure ont bien leur véritable raison et leur signification dans les conditions de la gravitation. Celles-ci changent pendant le mouvement relatif des corps et il n’est donc pas possible de parler d’une géométrie euclidienne ou non, invariable et préétablie.

D’ailleurs, et ainsi que le dit très justement Freundlich, la nouvelle théorie de la gravitation ne se construit pas, comme la mécanique newtonienne, sur une loi élémentaire de la force de la gravitation, mais sur une loi élémentaire du mouvement d’un corps dans le champ de la gravitation. C’est ce qui explique que le groupe lorentzien convienne là-même où ne convient pas le groupe galiléen ; par exemple, dans le cas du mouvement des électrons. En effet ce mouvement est totalement libéré de l’attraction des masses et constitue une épreuve gênante et d’ailleurs catégorique pour une mécanique fondée sur l’interprétation de phénomènes célestes où, au contraire, seule l’attraction des masses intervient. Nous pouvons donc dire que ces expressions qui seraient à désigner dans la nouvelle théorie comme celles de la force de la gravitation ne jouent qu’un rôle subordonné dans la construction de la théorie (comme en général la conception de la force dans la mécanique, qui ne se peut considérer que comme conception accessoire, si on regarde la description pleine de lacunes des événements du mouvement comme l’objet de la mécanique).

La théorie d’Einstein ne cherche pas non plus à expliquer l’essence de la gravitation ni à donner la représentation mécanique de l’action de deux masses ; cela constitua l’objet des différentes théories fondées sur l’éther par l’emploi de grandeurs hypothétiques. Elle nous donne le moyen d’atteindre, par les procédés particuliers du calcul différentiel absolu, aux domaines où la mécanique de Newton s’est révélée d’une insuffisante approximation.

Je ne m’attarderai pas sur la signification philosophique des théories einsteiniennes. Tout au long de cet ouvrage, et dès le premier chapitre, j’ai été conduit à montrer sous tous leurs aspects les notions qu’elles nous offrent de l’espace et du temps. J’ai cru devoir faire remarquer qu’il s’agit d’un espace et d’un temps scientifiques en indiquant toutefois la remarque d’Einstein : le temps qui intervient dans l’expérience fondamentale de Michelson et Morlay est bien le temps vulgaire, le temps non scientifique ; et cette expérience d’où tout se déduit nécessite pour s’expliquer l’hypothèse de la relativité. Einstein n’a pas tort et il n’a pas raison. Je laisse aux métaphysiciens subtils le soin de tirer de cet argument des interprétations qui enrichiront tout le monde ; quant à mes conclusions, je les ai données à toute occasion et je n’y reviens pas.

Je désire seulement en terminant signaler à mes lecteurs deux points intéressants. Le premier est l’aspect nouveau de l’intuitionnisme considéré du point de vue de la relativité. On n’ignore pas que M. Bergson conçoit toute mathématique comme portant sur un ensemble de relations simultanées qu’il nomme l’espace ; et il y rattache la logique classique. Nous savions déjà que les mathématiques pures, par l’intervention de la notion d’ordre, ne sont plus uniquement spatiales et que la logique moderne doit envisager des rapports irréversibles, de filiation par exemple, où apparaît le temps. Mais les théories de la relativité, poussant plus loin qu’il le fut jamais le parallélisme entre l’espace et le temps, fait apparaître comme plus inexacte encore l’opposition bergsonienne entre la durée psychologique et l’espace mathématique. M. Bergson conclura-t-il à une nouvelle spatialisation du temps, à une confusion entre le temps et la durée, le temps scientifique et le temps réel, les coïncidences et l’écoulement? Sans doute ; ce philosophe sera donc amené à nous donner son interprétation personnelle de la remarque d’Einstein donnée plus haut. Nul doute qu’elle ne soit pleine d’originalité et d’intérêt.

Le second point que je voulais indiquer est la distinction entre la relativité philosophique et la relativité scientifique. L’une implique un doute purement subjectif ; l’autre exprime une relation entre des faits objectifs. Il n’y a qu’une parenté de mots. Je n’insiste pas sur cette chose si simple : le lecteur m’en voudrait ; mais il vaut mieux qu’il y ait réfléchi.


CONCLUSION (retour↑)

Il ne faut point s’abuser ; sommes-nous si près de cette pointe subtile qu’est, selon Pascal, la vérité ? La question est tout autre. Mais pour ceux-là mêmes qui par un agnosticisme inexorable ont renoncé à s’en croire jamais les acquéreurs possibles et les dépositaires, quel spectacle plus passionnant que celui des savants à la recherche de la vérité. Plus passionnant et d’un tel prix? S’il fallait exprimer les sentiments qui les agitent ; et leurs espérances ; et leur impuissance ; et tant de remords délicieux!

Parmi tant de faits qui retiennent l’attention de l’honnête homme, peu sont susceptibles de l’intriguer autant que les progrès de la physique mathématique. Des humbles calculs sur les longueurs d’ondes, des minutieuses théories sur les électrons, des arguties d’interprétation qui donnent aux expériences sur l’imperceptible les significations les plus inattendues suivies des vérifications les plus inespérées, une mue subite fait jaillir des conceptions immenses. En raisonnant sur l’atome, il arrive que le physicien bâtisse un système de monde. Ces passages instables, ces constructions provisoires que sont les travaux d’une science en formation, ces attentes anxieuses et ces effets démasqués si brusquement saisis, donnent de l’intelligence en action la vision la plus approchée d’une faculté intime qui s’efforce de la pénétrer puisqu’elle est dynamique comme celle-ci.

La clairvoyance diffuse partagée entre tant de savants divers subitement accordés par des énoncés de symboles a tôt fait de ramener dans cette instabilité vivante un ordre muet. Sur cet ordre primitif se rassembleront les nouveaux matériaux dont le choix fera l’objet des futures démarches. Mais la curiosité de l’esprit se satisfait davantage aux efforts des intelligences voisines qu’à l’aspect d’un système achevé.

Je ne crois pas qu’il y ait dans la genèse des sciences plus passionnante aventure que celle des théories de la relativité ; et dans celle-ci, plus émouvante histoire que celle de la démarche intellectuelle d’Einstein.

Tant de contraintes conspirant autour d’une vie nomade pour que le démon intérieur s’exaltât un jour, tant de hasards apparents aboutissant à la construction la plus ordonnée, tant de démarches intellectuelles suivies de silences méditatifs et de repentirs, une connexité si exacte entre les découvertes les moins parentes et ces événements dans un monde relatif joignant les disparates par la plus rigueur, ravissent l’esprit qui cherche dans l’étude des théories de ce savant un aliment nouveau.

Ailleurs, jamais ne s’offrit avec une telle permanence l’harmonie, si parfaite qu’elle est en chaque point le maximum discontinu, la pointe unique, la seule en qualité, tout ce qui l’avoisine différant autant de son essence que, de la crête, l’atmosphère du ravin. L’homme sait que sa jouissance esthétique en présence d’un monument aussi achevé s’accroît d’en mesurer la chance ; car toute chose mortelle est une réussite. Jamais œuvre si formidable n’exista ; jamais système du monde n’offrit une telle ampleur ; le miracle de cette existence sans rupture se mesure à notre orgueil de n’y être point étrangers. Une volonté sans tremblement a immédiatement fixé l’éclair d’une lucidité qui pressait tous les faits, toutes les expériences dans les deux mondes signalées, pour en donner la synthèse et en alimenter son induction.

La puissance du génie d’Einstein apparaîtra sur les traits mêmes de cette nouvelle figure du monde qu’il a sculptée dans le marbre le plus nu. Guidé par l’expérience, certes ! le savant allemand le fut, mais ses théories sont les plus dépouillées de syllogisme et de métaphysique. Un instinct irrésistible de l’unité, une culture mathématique sans égale, une aptitude incomparable à tout saisir et à tout juger firent de ses échanges intérieurs l’événement le plus important que la science eût enregistré depuis les découvertes de Newton.

Les théories d’Einstein apportent, ainsi qu’on s’en rend compte, un bouleversement extraordinaire dans toutes nos connaissances les plus positives, dans toutes nos hypothèses, aux fondements mêmes de notre entendement. Elles constituent bien une nouvelle figure du monde.

Elles balaient toutes les vieilles entités métaphysiques auxquelles on se référait : le corps alpha de Newmann, l’espace absolu de Newton, l’éther immobile des modernes sont rejetés comme inexistants et, qui pis est, inutiles. Les bases mêmes de la mécanique sont abolies et remplacées ; le principe de la conservation de l’énergie et de la quantité de mouvement renouvelle la chimie et la connaissance de la matière ; les nouvelles lois de la gravitation déterminent l’effondrement des sciences cosmiques dont tout l’effort doit être de rebâtir sur ces nouvelles lois.

Quant à l’esprit humain, il demeure perplexe ; d’une part, son goût de simplification, la constatation incontestable de l’universelle relativité, la clarté de la doctrine, la tendance mystique à l’unité, le merveilleux des découvertes einsteiniennes, sollicitent son adhésion d’autre part, la soif de l’absolu, l’instinct de pérennité, le besoin d’images intellectuelles, la confusion entre le nécessaire et le donné, le sens de la causalité immédiate, l’entraînent vers des théories moins hardies telles que celles de Lorentz.

Il nous manque, au point où nous en sommes, les lumières d’un Poincaré.


APPENDICE I (retour)

EXPOSÉ SUCCINCT DES THÉORIES DE WEYL

M. Weyl, disciple d’Einstein, tenant les théories de ce dernier pour certaines les prend comme point de départ assuré. Ses théories propres ne sont qu’une généralisation d’autant plus admirable et inattendue qu’il ne semblait pas possible d’aboutir à un résultat plus cohérent, plus homogène et, en dernière analyse, réellement plus simple que celui qu’avait obtenu Einstein.

Nous avons vu au chapitre III que les théories d’Einstein sont fondées sur le principe d’indépendance réciproque du réel et des axes auxquels on le rapporte. Weyl s’est borné à faire remarquer que le réel doit en outre être parfaitement indépendant des unités de longueur et de temps ; la forme des lois ne doit donc pas varier davantage dans un changement de système de mesures que dans un changement de système de coordonnées.

Dans ces conditions, la forme de Riemann (cf. page 134) ne définit plus exactement un espace complet car elle n’indique pas le mode d’influence de la fonction d’étalonnage sur les mesures physiques effectuées dans un tel espace. Weyl appelle espace tensoriel tout espace entièrement défini par la forme de Riemann.

Une longueur lpourra, si l’on veut faire intervenir son étalonnage, s’écrire par exemple -\varphi l. La différentielle s’écrira, avec ces notations :

\delta l = - l \delta \varphi.

Weyl appelle \delta \varphi le coefficient de dilatation. Il montre que ce coefficient est une forme linéaire des accroissements \delta x_i

\delta \varphi = \varphi_i \delta x_i.

Seul l’espace possédant en chacun de ses points un vecteur \varphi_i, déterminé peut servir rationnellement à des mesures de phénomènes ; seul il a, d’après Weyl, le droit d’être appelé espace métrique complet.

Dans le cas particulier où la différentielle précédente est une différentielle exacte, la dilatation est nulle ; l’espace considéré est riemannien ; une ligne quelconque peut, sans changement de longueur, être transportée dans l’espace.

De même l’espace riemannien pouvait devenir euclidien dans le cas où sa courbure vectorielle s’annulait.

Par analogie, nous définirons courbure métrique la fonction qui s’annule quand l’espace métrique généralisé de Weyl devient riemannien. Weyl montre que cette condition s’écrit :

F_{ik} \equiv \frac{\delta \varphi_i}{\delta x_k} - \frac{\delta x_k}{\delta x_i} = 0.

Or l’identité précédente est exactement celle qui lie en géométrie vectorielle le champ électromagnétique à la courbure métrique sous ce même symbole F.

On voit tout de suite les conséquences de cette théorie. L’univers est un espace métrique généralisé. Il possède une courbure métrique et une courbure tensorielle ; les composantes de la première sont celles mêmes du champ électromagnétique ; celles de la seconde sont celles mêmes du champ de gravitation.

Weyl conclut à l’homogénéité de l’univers et des représentations que nous nous en faisons ; il n’y a pas de dualité géométrique et physique ; les deux champs que nous faisons intervenir par nos calculs sont l’un et l’autre de nature physique et accessibles à notre expérience ; les calculs de l’un et de l’autre sont réductibles aux mêmes méthodes géométriques.

L. F.

 


APPENDICE II (retour)

TEMPS RELATIF ET TEMPS UNIVERSEL
PAR ED. GUILLAUME

Dans son bel exposé des grandes découvertes d’Einstein, M. Lucien Fabre a parlé des recherches que nous avons entreprises en vue d’exprimer les résultats obtenus selon les méthodes de la physique classique. M. Fabre nous offrant aimablement l’hospitalité, nous nous faisons un plaisir de mettre brièvement, sous les yeux du lecteur, la différence entre le point de vue d’Einstein et le nôtre.

Examinons d’abord la question du « temps relatif ». Dans la vie courante, on entend souvent dire, par exemple, qu’en six mois un individu a vieilli de dix ans. En d’autres termes, pour cet individu, six mois = dix ans. Façon de parler, remarquera-t-on. C’est vrai. Mais pourquoi n’en ferait-on pas usage, au cas où elle correspondrait à un fait réel ? Bien mieux, pourquoi n’essaierait-on pas de la mettre en formule et de l’appliquer aux phénomènes physiques? M. Langevin nous en donne un exemple ingénieux. Considérons deux échantillons de radium parfaitement identiques. Comme on sait, ils perdront tous deux leur activité de la même manière au cours du temps et garderont constamment des activités égales s’ils restent dans le même laboratoire. Ils constituent donc des horloges d’une régularité absolue. Mais envoyons promener l’un de ces échantillons avec une énorme vitesse et ramenons-le ensuite au laboratoire (cf. p. 124). Nous pouvons affirmer, dit M. Langevin, qu’ayant voyagé et ayant de ce fait subi des accélérations, il aura moins évolué que l’autre échantillon et par conséquent qu’il se trouvera plus actif que celui-ci ; il aura moins vieilli, s’étant agité davantage. Il n’y a à cela rien d’impossible, rien d’absurde, c’est vrai ; mais à une condition. C’est de donner un sens absolu aux accélérations, d’admettre que l’échantillon qui reste au laboratoire est au repos absolu, tandis que l’autre bouge « vraiment ». Aussi bien, M. Langevin suppose-t-il l’existence de l’éther.

Que pouvons-nous dire maintenant, si nous faisons appel à la notion de « temps universel » ? Nous remarquerons simplement que les échantillons se quittant nécessairement au même instant et se retrouvant au même instant, il faut nécessairement qu’il s’écoule la même durée pour l’un et pour l’autre entre l’instant où ils se quittent et celui où ils se retrouvent. En d’autres termes, nous pouvons introduire une durée unique embrassant, pour ainsi dire, les deux phénomènes à la fois. Si maintenant l’expérience révélait que l’échantillon agité présente une activité plus grande, nous en conclurions simplement que celle-ci est une fonction de l’accélération.

Cela dit, abordons le problème du point de vue mathématique. Lorsqu’on examine la transformation de Lorentz, base de la théorie restreinte, on constate que le temps y est représenté analytiquement, par deux lettres t et t’, la première donnant le temps propre du système S et l’autre, le temps propre du système S’ (voir p. 173, 4°). Comme on peut avoir en présence autant de systèmes que l’on veut, on voit, en fin de compte, que le temps est représenté par une infinité de lettres : t, t’, t’’... Or, dans la mécanique et la physique classiques, le temps étant universel, il est toujours symbolisé par une lettre unique. On voit donc, que du point de vue mathématique, si l’on veut revenir au mode classique, il faudra commencer par chasser toutes les lettres t, t’, t’’... et les remplacer par une lettre unique pour désigner le temps. C’est là un problème que les mathématiciens appellent un changement de variables. Lorsqu’on l’effectue, un résultat réjouissant nous attend : on voit la fameuse « contraction » de Lorentz (p. 176) disparaître comme par enchantement. On arrive donc à cette conclusion, que la « contraction » n’est pas une réalité, mais la conséquence de la façon dont on représente le temps dans la théorie. En définitive, deux systèmes S et S’ se meuvent comme des touts rigides ordinaires indéformés (voir les formules, p. 141). Par quoi s’en distinguent-ils? Pour le voir, il faut considérer trois systèmes S, S’, S’’, c’est-à-dire former la règle d’addition des vitesses. Le calcul, très simple, montre qu’on tombe immédiatement sur la célèbre règle d’addition des vitesses d’Einstein (p. 177), avec cette différence qu’on peut tracer une figure à un instant unique et pour les trois systèmes à la fois, comme on le fait en mécanique. On constate alors que chaque système n’apparaît pas là où il est réellement : le mouvement produit une sorte d’aberration qui le décale dans une position apparente.

Mais, ce n’est pas tout. Reprenons le signal lumineux considéré à la page 145. Supposons qu’il produise, pour l’observateur situé sur S, une onde sphérique réelle. Comment cette même onde apparaît-elle à l’observateur entraîné avec S’? Il est extrêmement curieux qu’Einstein représente cette forme apparente par l’équation d’une sphère rapportée à S’. Voyons comment cela est possible. L’onde sphérique a pour rayon ct ; il croît proportionnellement au temps, et, pour chaque valeur de t, nous obtenons tous les points de l’onde qui forment la sphère. Si, maintenant, relativement à S’, nous représentons cette onde par l’équation d’une sphère de rayon ct’, comme il n’existe jamais de valeur de t’ égale à t et compatible avec la transformation de Lorentz, nous obtenons une surface apparente dont les points n’existeraient pas simultanément. Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire? L’introduction du temps universel va permettre de résoudre l’énigme avec élégance. Le calcul montre, en effet, que cette surface apparente n’est pas autre chose qu’un ellipsoïde dont un foyer est à l’origine de S’, et coïncide ainsi avec le point de départ du signal lumineux. Mais alors, la vitesse apparente de la lumière n’a plus la valeur invariable c qu’elle possède pour l’observateur situé sur S. Vue de S’, cette vitesse varie selon l’azimut et, pour une direction donnée, elle est proportionnelle au rayon vecteur que l’on peut mener du foyer à l’ellipsoïde dans la direction envisagée. C’est donc en réalité cet ellipsoïde qu’Einstein représente par l’équation d’une sphère de rayon variable ct’, et les temps t’ ne sont pas autre chose que ceux qu’emploierait la lumière pour parcourir les rayons vecteurs avec la vitesse invariable c. On peut donc dire que l’ellipsoïde est une sphère dont les points ne sont pas simultanés.

Est-il possible de trancher expérimentalement la question entre le temps universel et le temps relatif? La réponse est affirmative. Si l’on admet le temps universel, le déplacement des lignes du spectre par les champs de gravitation est impossible (cf. pp. 120 et 208). La raison en est simple. Dans ce cas, en effet, les accroissements ds, dx, dy, dz, dt, dt s’effectuent simultanément ; ils ont donc lieu dans le même intervalle de temps. De sorte que l’on ne peut plus assimiler dt et dt à des périodes ; ce sont des mesures différentes de la même durée tout comme les nombres 60 et 3 600 sont des mesures différentes de l’heure.

Parmi les nombreux expérimentateurs qui scrutent le spectre solaire pour y chercher le déplacement d’Einstein, nous signalerons le Pr Julius d’Utrecht, qui, faisant porter son étude sur 446 raies, a déclaré catégoriquement que l’observation ne confirmait pas la prévision d’Einstein.

C’est donc le temps universel qui s’imposerait.

Une remarque importante pour terminer. Dans la théorie de la relativité, le temps universel ne se laisse pas représenter par une quatrième dimension qui s’ajouterait à l’espace. Comme l’a montré M. Willigens, dans son important mémoire, le temps universel se représente, géométriquement, comme un rapport d’homothétie. Une fois de plus, ne confondons pas une simple figuration géométrique avec la réalité qu’elle représente.


APPENDICE III (retour↑)

J’avais demandé à M. Brillouin, l’éminent professeur au Collège de France que ses « propos sceptiques sur la théorie de la relativité » parus dans la revue « Scientia », avant la guerre, ont fait jusqu’ici considérer par les savants français comme le représentant des idées anti-relativistes, de bien vouloir exposer ses idées à nos lecteurs.

L’éminent savant m’a répondu par la lettre que l’on trouvera ci-dessous :

Rien n’est plus facile que de répondre à votre demande, mais autrement que vous ne supposez.

Je ne connais aucune raison scientifique d’être anti-relativiste; je ne le suis donc pas. — Et à vrai dire, je ne crois pas avoir jamais été anti-relativiste ; je me suis contenté d’être sceptique, — douter n’est pas nier — en 1911-1912. Déjà au moment où a paru l’article sceptique de Scientia, il dépassait un peu ma pensée. Mais, alors que d’autres voies me paraissaient pouvoir conduire à la coordination des mêmes faits, il me semblait utile de conserver une attitude d’esprit critique, et non d’enthousiasme quasi mystique. A en juger d’après la manière dont j’ai été compris, l’expression a dépassé de beaucoup, dans mon article, mon scepticisme réel ; vous pourrez vous en assurer en vous reportant à une analyse détaillée du livre de Laüe, que j’ai publiée à la même époque dans le Bulletin des sciences mathématiques.

En deux mots, j’ai toujours régardé les équations de la théorie de la relativité restreinte d’Einstein comme représentant exactement les faits que nous connaissons, et je pense que les faits nouveaux qu’on découvrira entreront dans le même moule pendant de nombreuses années. Je pense qu’il n’y a pas une seule contradiction logique dans ce système d’équations. De même je pense que la théorie généralisée (gravitation-inertie), est une admirable construction, dont les équations représentent exactement les relations numériques entre les grandeurs mesurables.

On peut souvent imaginer, pour conduire aux mêmes équations plusieurs langages et représentations symboliques. Il n’est donc pas assuré que le langage d’Einstein doive rester perpétuellement le meilleur ; mais il est actuellement le seul cohérent, il faut l’enseigner, et il n’en faut pas enseigner d’autre ; le comprendre le mieux possible ; le commenter le moins possible, et apprendre à s’en servir.

Sans la guerre, qui nous a donné de bien autres soucis, je n’aurais pas attendu si longtemps pour remettre au point l’interprétation que la plupart des lecteurs ont adoptée — par ma faute évidemment — d’un article où le scepticisme seul était mis en évidence, sans contrepoids.

M. Brillouin,

Au Collège de France,

Le 8 avril 1921.


APPENDICE IV (retour)

NOTE SUR UNE DOUBLE MÉCANIQUE DE LA LUMIÈRE LIÉE AU TEMPS ET À L’ESPACE NEWTONIENS
PAR G. SAGNAC

Dans ma conférence de Pâques à la Société Française de Physique, j’ai insisté sur le rôle de l’énergie totale de radiation comme agent de liaison mécanique, en contact avec la matière par les deux invariants \lambda et C de l’espace (longueur d’onde \lambda des interférences et expérience de A. A. Michelson et Morlay) et du temps (vitesse C de l’énergie totale d’un signal par rapport à la source qui émet, isotrope et indépendante, comme \lambda, du vent d’éther). D’autre part l’énergie totale est définie nécessairement par les lois de superposition des ondulations :

Loi I. Dans l’espace, de référence S_u, de la source de vitesse de translation u, loi purement géométrique qui définit \mu longueur d’onde comme fonction de u et de l’angle \alpha de u avec \mu.

Loi II. Dans le temps. Là est la relation entièrement neuve des battements qui a des analogies mathématiques avec les lois de dispersion et établit la loi de liaison des ondes de longueur \muet de vitesse V dans S_u avec la vitesse C de l’énergie dans le même champ et pour le même faisceau de radiation.

C’est cette seconde liaison mécanique qui permet de terminer le problème du champ ondulatoire de l’éther tel que peut l’utiliser un ingénieur de T. S. F. par exemple ; avec ses récepteurs d’ondes, il peut parvenir à reconnaître dans un signal amorti l’action remarquable de la différence de vitesse des ondes et de l’énergie (\scriptstyle C - V = v^\prime) qui se déduit de la réunion des deux lois I et II du champ \scriptstyle S_u.

f = \frac{\lambda}{\mu} = 1 + \frac{u}{c} \cos \alpha


(méridienne de l’ellipsoïde d’onde, de foyer lié au centre de radiation).

g = \frac{N}{N_0} = 1 - \frac{u^2}{2c^2},


avec N fréquence dans \scriptstyle S_u ; \scriptstyle N_0 fréquence dans \scriptstyle S_0 \mu, longueur d’onde dans \scriptstyle S_u, devient \lambda et où V devient isotrope et égale à C.

On trouve, au second ordre près,  v^\prime = v, v désignant la vitesse radiale de la source, c’est-à-dire \scriptstyle u \cos a.

Or une méthode simple consiste à explorer le champ d’une antenne amortie, pour y trouver deux zones de silence symétriques par rapport à la région de l’antenne.

Sagnac - Note sur une double mécanique.svg

Le récepteur redresseur d’ondes refuse de recevoir le signal à la demi-distance \scriptstyle \left( \frac{\Lambda}{2} \right) de ce que je propose d’appeler la longueur d’accès :

\Lambda = \lambda \frac{C}{V}

En effet, le recul des ondes propagées à la distance \left( \frac{\Lambda}{2} \right)d’un côté de l’antenne produit un changement de signe des ondes et notamment de la demi-onde de tête qui est prépondérante sur les récepteurs redresseurs d’ondes pour les signaux très amortis ; dans la direction opposée, le résultat est une zone Z\text{’} de silence symétrique de la première Z par suite d’une avance de \frac{\lambda}{2} remplaçant le recul de \frac{\lambda}{2}.

J’ai trouvé une belle série d’observations qui semblent avoir été, à l’insu des observateurs, la réalisation de cette méthode.

Ces expériences faites en 1902 par la marine royale anglaise donnent la zone de silence vers 80 kilomètres et celle du rétablissement du signal reçu, vers 150 kilomètres. On déduirait de ces longues séries assez concordantes obtenues en mer avec 3 ou 4 navires en ligne, naviguant en changeant de distances, une valeur de vde l’ordre de quelques centaines de kilomètres à la seconde. Ce serait la vitesse du système solaire dans l’éther de Fresnel, étendu par la pure mécanique des petits mouvements à une théorie générale des champs en translation tels que les champs terrestres de T.S.F.

Définition de l’éther mécanique des ondes et centres vibratifs.

Aucune hypothèse sur l’éther n’est formulée en dehors de la condition mécanique que les lois de liaison par la superposition des petits mouvements reproduisent les 2 invariants de l’énergie totale λ et C dans l’espace et le temps newtoniens supposés les seuls réellement invariables dans Su :

\text{Lois de liaison} \left\{
\begin{array}{cr}
f(u, \alpha) = \frac{\lambda}{\mu} = 1 + F\left( \frac{u}{c} \right) \cos(\alpha) & (I) \\
 & \\
C = c \frac{dg(u^2)}{df} + \frac{dv}{df} & (II)
\end{array}
\right.

d’où le calcul déduit

f=\frac{\lambda}{\mu}=1+\frac{v}{c}

 

g=\frac{N}{N_0}=1-\frac{u^2}{2c^2}

Voilà les points essentiels.

Une fatigue que tous les amis de la science souhaitent passagère n’a pas permis à M. Sagnac de donner une forme définitive à la seconde partie de la note relative à la description de l’expérience qui porte son nom, partie qu’annoncent les notes liminaires et dont la mise sous presse a été différée jusqu’au dernier moment. Il préfère ne pas la publier dans ces conditions. Nous nous inclinons et renvoyons le lecteur, pour l’essentiel, à la page du présent ouvrage qui donne de cette expérience la description sommaire.

L. F.