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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte du professeur Michel Maldague, “Approche systémique du concept de forêt modèle. Mécanisme néguentropique approprié à la gestion durable des forêts.” Un article publié dans la revue Études canadiennes/Canadian Studies, Revue interdisciplinaire des études canadiennes en France, no 61, 2006, pp. 127-137. [L'auteur nous a autorisé le 10 janvier 2005 à diffuser toutes ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

Michel MALDAGUE

Président-fondateur de l’Académie Nationale des sciences du développement
Professeur émérite de l’Université Laval à la Faculté de Foresterie

Approche systémique du concept de forêt modèle. Mécanisme néguentropique approprié à la gestion durable des forêts.

Un article publié dans la revue Études canadiennes/Canadian Studies, Revue interdisciplinaire des études canadiennes en France, no 61, 2006, pp. 127-137.

Résumé
Introduction
Concept de Forêt Modèle (FM)
Partenariats diversifiés et dynamiques
Objectif d'aménagement forestier durable (approche intégrée)
Étendue. Notion de paysage. Diversité
Nature et portée des activités
Organisation : organe de gouvernance
Contribution de la science et de la technologie
La forêt modèle, un mécanisme néguentropique approprié à la gestion durable des forêts

Destruction des forêts du Globe

La Forêt Modèle : mécanisme de gestion raisonnée des forêts mondiales
Bibliographie

[127]


Résumé

Le Canada a lancé, en 1992, à la Conférence des Nations Unies sur le développement et l'environnement (Rio de Janeiro), le concept, nouveau, de forêt modèle. Ce concept repose sur six caractéristiques : partenariat ; engagement à gérer durablement les forêts ; étendue, associée à la notion de paysage ; nature et portée des activités ; structure de gouvernance ; coopération et échange d'expériences. Ces caractéristiques sont examinées. L'analyse de ce type de gestion montre que la forêt modèle obéit aux concepts et aux lois de l'analyse des systèmes et qu'elle est une forme de gestion qui peut être bénéfique à la reconstitution du couvert forestier mondial, particulièrement important à l'heure actuelle, notamment comme obstacle aux changements de climat, moyen d'améliorer l'équilibre écologique de la planète et outil de lutte contre la pauvreté dans les zones des grands bassins forestiers mondiaux.

At the United Nations Conference on Development and Environment, held in 1992, in Rio de Janeiro, Canada launched a very new concept, related to sustainable development, the concept of Model Forest. The six characteristics of which are : the partnership as main decisional structure ; the sustainable management of the forest ; the nature and scope of the activities considered ; the type of democratic governing body ; the cooperation and exchange of experiences. These characteristics have been analysed as far as the concepts and laws of the systemic approach are concerned. The conclusion is that the MF may be considered as a system. The concept of MF is very coherent with the holistic approach of the forest management. This concept has a very great potential as a way and tool to use the forest resources and forests lands in a way which can contribute to the global betterment of the biological equilibrium of our world as well as a way to fight poverty.


Introduction

On reconnaît, depuis 1960 et plus encore à l'heure actuelle, à la suite du XIIe Congrès forestier mondial, la nécessité d'une « approche intégrée » (PANDEY : 49-57) portant sur l'ensemble des ressources (y compris les services et les valeurs) et des fonctions des forêts. Cette approche inclut la protection de la biodiversité et vise la satisfaction des besoins des différents utilisateurs de la forêt.

Dans le langage courant on utilise le terme « intégré », voulant signifier par là que toutes les ressources et fonctions des forêts sont prises en compte. En toute rigueur, le terme qui devrait être utilisé pour traduire cette approche est celui de « systémique » qui exprime de façon concise, non seulement l'appréhension de tous les éléments [concept de totalité], mais aussi la prise en compte de leurs interactions [concept d'interaction] et le fait que, dans cette intégration, les éléments se configurent suivant un agencement judicieux qui traduit leur organisation [concept d'organisation] ; à cela s'ajoute encore l'observation que cette approche globale, intégrée et organisée devient [128] complexe [concept de complexité]. Dans la science de l'analyse des systèmes, on se réfère au terme de « systémique [1] » pour exprimer cet ensemble de caractères.

Les territoires forestiers, comme toutes les autres utilisations du territoire, doivent être intégrés dans un schéma directeur d'aménagement, sans quoi des secteurs connexes, comme l'agriculture, les transports, l'aménagement d'infrastructures ou les opérations d'équipements pourraient avoir des impacts négatifs sur les forêts. L'aménagement intégré du territoire doit harmoniser ses divers usages.

La gestion forestière durable implique la participation active des utilisateurs de la forêt, ce qui se traduit par la constitution de partenariat entre les gestionnaires de la forêt, les populations et les communautés (WEAVER : 38-44). La gestion durable doit mettre l'accent sur des méthodes de gestion forestière qui tiennent compte de l'interdépendance de l'environnement, de l'économie et de la société. Elle vise certes la production, mais tient compte également des aspects environnementaux et des autres utilisations des territoires forestiers. Sur le plan pratique, l'aménagement durable des forêts est fondé sur la gestion raisonnée des bassins versants forestiers, considérés comme des unités d'aménagement intégré du territoire.

Neil Byron (p. 17) soulève un point important en estimant que « le consumérisme vert, l'éco-étiquetage et l'accréditation/certification » peuvent entraîner une hausse de prix pour des produits prisés, du fait que leur production respecte l'environnement. Le respect de l'environnement peut ainsi avoir un coût.


Concept de Forêt Modèle (FM)

Le Canada a annoncé la création du Réseau international de forêts modèles (RIFM) à la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement (Rio de Janeiro, 1992). Aujourd'hui, le RIFM comprend 19 emplacements dans 11 pays (non compris ceux du Canada) ; il totalise une superficie de 8 Mha (80,000 km2). (Besseau et al., cité par NAYSMITH : 113). Quant aux 11 forêts modèles canadiennes, elles comptent 19,8 Mha (198 000 km2).

[129] Les différentes visions que l'on a actuellement de la foresterie se retrouvent dans le concept de forêt modèle qui s'apparente à l'un des thèmes du XIIe Congrès forestier mondial, l'harmonie entre les gens et les forêts. Compte tenu de ses caractéristiques et de sa philosophie, les potentialités qu'offre ce concept sont immenses, comme le souligne John K. Naysmith, car les forêts de la Terre s'étendent sur plus de trois milliards d'hectares (30,000,000 km2) et sont utiles à plus de six milliards d'habitants.

De par le monde, les forêts sont en voie de dégradation. Ce phénomène persistera aussi longtemps que l'on n'aura pas compris que le seul moyen d'arrêter l'épuisement des forêts, de récupérer et de régénérer les terrains forestiers dégradés et de s'assurer que toutes les valeurs forestières soient gérées d'une manière durable, consiste à responsabiliser les hommes et à les mobiliser afin qu'ils agissent dans le sens de la reconstitution des territoires forestiers. Le concept de forêt modèle (FM) est un mécanisme particulièrement approprié à cette fin.

Le Programme de forêts modèles du Canada (PFMC) a été conçu de façon telle que les personnes qui ont un intérêt direct dans la forêt soient en mesure de prendre part aux décisions qui portent sur son aménagement durable lequel implique, de toute évidence, le recours à la science et à la technologie (NAYSMITH : 109). Weaver (p. 43) note :

Dans les onze forêts modèles du pays, les entreprises forestières consacrent temps, compétences et ressources à la recherche de modèles de collaboration et de nouvelles idées pour la gestion des forêts.

Pour réaliser ce projet, les entreprises collaborent avec le gouvernement, les communautés, les autochtones, les chercheurs, les groupes voués à la défense de l'environnement...

Caractéristiques et principes fondamentaux des forêts modèles

Le concept de FM repose sur les six caractéristiques suivantes:

1. Le partenariat.
2. L'engagement à gérer durablement les forêts.
3. L'étendue, associée à la notion de paysage, au sens géographique du terme, et aux bassins versants forestiers.

4. La nature et la portée des activités, qui sont liées aux besoins et aux valeurs auxquels sont attachés les intervenants.
[130]

5. La structure de gouvernance qui comprend une vaste gamme d'intérêts et de valeurs.

6. La coopération, l'échange d'expériences et le renforcement des capacités.


Partenariats diversifiés et dynamiques

Contrairement à l'époque où les forêts étaient souvent l'objet de conflits d'intérêt, la FM est axée sur le partenariat. Le concept de FM est cohérent avec l'évolution socio-économique que les forêts ont connue ces dernières années et avec le principe fondamental du développement humain qui met l'accent sur les hommes et peut s'exprimer comme suit : « au coeur du concept se trouvent les gens [2] ». Le concept de FM est souple. Il permet à ceux qui s'intéressent activement aux forêts de participer aux décisions d'aménagement forestier en vue de poursuivre la gestion durable des forêts ; ce type d'aménagement implique le recours à la science et aux technologies de pointe (Naysmith : 110).

Le partenariat, élément clé du concept de FM, regroupe les principaux utilisateurs des ressources forestières, comme : l'industrie forestière ; les groupes communautaires, collectivités et groupes d'intérêt ; les peuples autochtones ; les divers paliers de gouvernement ; les organisations non gouvernementales à vocation écologique et les regroupements forestiers ; les établissements universitaires et scolaires ; les parcs nationaux ; les propriétaires fonciers, privés ; etc. L'ensemble des partenaires - le partenariat - de la forêt modèle constitue habituellement le principal organe de décision ; il définit ses orientations et prend ses décisions lors de son assemblée annuelle. Au sein de chaque FM, un noyau central de partenaires participe de façon active à la gestion et aux activités. La dynamique qui résulte des interactions entre les divers partenaires de la FM joue un rôle important dans le concept de FM. Il convient d'admettre que tous les avis sont pertinents et doivent être pris en compte dans le processus décisionnel.

Objectif d'aménagement forestier durable
(approche intégrée)

L'évolution de la foresterie a été témoin du passage de l'utilisation monovalente à l'utilisation polyvalente des ressources forestières, notamment à la suite du 5e Congrès forestier mondial (Seattle, 1960). Avec le temps, la portée de la foresterie s'est encore élargie avec la prise en compte de l'environnement et de ses aspects sociaux et culturels. Dans l'énoncé final du XIIe Congrès forestier mondial (2003), on peut lire :

[131]

Les forêts sont une source de vie, autant pour la planète que pour ses habitants. Tous les peuples dépendent de la forêt et doivent assumer une responsabilité en matière de biodiversité, de régulation climatique, d'air pur, de conservation du sol et des eaux, de sécurité alimentaire, de produits ligneux et non ligneux, de services énergétiques, de produits médicinaux et de valeurs culturelles.

Le concept de FM, avec son ouverture sociale et environnementale, s'inscrit dans cette évolution. Lancée lors de la CNUED, la FM est une approche de gestion durable. Les objectifs généraux et le programme de travail des FM reposent sur un mode de gestion forestière systémique (MANKOTO et MALDAGUE) [3], qui tient compte d'une planification à long terme, témoignant ainsi d'une approche durable. Dans une FM, on applique et on démontre le bien-fondé de pratiques et de techniques forestières, socialement acceptables et économiquement viables.

Étendue. Notion de paysage. Diversité

La FM est une forme d'utilisation du territoire. C'est un lieu géographique bien délimité, un vaste territoire, aménagé et mis en valeur pour répondre à une vaste gamme de besoins, mais où la forêt constitue l'une des principales valeurs. Quelle que soit son étendue, la FM prend en compte l'ensemble des ressources, utilisations, fonctions et valeurs de la forêt qui caractérise la région et représente un ou plusieurs écosystèmes. Dans le concept de FM, le territoire est appréhendé en tant que « paysage », notion qui intègre les caractéristiques physiographiques, écologiques et sociologiques du territoire (KALLARACKAL et al. : 61). Au sein de l'entité territoriale considérée, le paysage renferme aussi bien les zones forestières que les zones non forestières.

Chaque FM est unique en son genre en raison de ses particularités naturelles, culturelles, géographiques, institutionnelles, politiques et autres, mais aussi parce que chaque partenariat ajoute à cette spécificité son propre lot de points de vue et d'expériences. La créativité des partenaires et leurs interactions reflètent le dynamisme des intéressés et rejaillissent sur l'évolution de la FM.

[132]

Nature et portée des activités

Les activités entreprises dans la FM doivent prendre en compte les ressources forestières et les valeurs qui y sont associées afin de répondre adéquatement aux besoins communautaires, régionaux et nationaux. Les ressources considérées comprennent, outre les produits ligneux, les aliments, l'eau potable, les plantes médicinales, la faune et ses habitats, les traditions locales, les croyances, l'emploi et les occasions de loisirs, détente, récréation, etc. Dans le cadre des FM, on se préoccupe également d'évaluer les impacts des activités entreprises. Il en résulte un accroissement des connaissances ainsi que la possibilité de concevoir et de mettre à l'essai, voire de diffuser et de vulgariser, de nouvelles approches de gestion durable des forêts.

Le programme d'une FM n'est pas un amalgame d'initiatives individuelles, mais bien un ensemble intégré - un système - d'initiatives et d'appuis qui se renforcent mutuellement [4].

Organisation : organe de gouvernance

Une FM est gérée de façon systémique, ce qui implique la prise en compte de toutes les ressources forestières jugées importantes par le partenariat. Le processus de gestion est à la fois participatif et transparent. La gouvernance d'une FM est assurée par un partenariat volontaire dont les membres représentent toutes les tendances environnementales, sociales, culturelles, économiques et politiques qui interviennent et agissent dans le territoire considéré. Le partenariat met en place un comité (conseil d'administration ou tout autre structure) dans lequel participent les collectivités, propriétaires et gestionnaires impliqués. La structure de gouvernance cherche à encourager la participation véritable des partenaires.

Contribution de la science
et de la technologie

Les apports de la science et de la technologie doivent contribuer à faire des forêts modèles : « des laboratoires vivants à grande échelle où ceux qui ont un intérêt dans les forêts peuvent participer à la prise de décision qui porte sur la gestion de la forêt » (NAYSMITH : 110- 111). Les FM doivent s'efforcer de prendre en compte les résultats de la recherche et de les appliquer aux pratiques de terrain. Les planificateurs et les gestionnaires peuvent mettre à profit des modèles de simulation. Comme le concept de FM se fonde sur l'approche [133] systémique, l'application des résultats de la recherche s'étend également aux aspects biologiques et aux sciences sociales.

La communication et la diffusion d'informations sont essentielles au bon développement des forêts modèles, tant à l'échelle locale qu'au sein de la communauté des forêts modèles. Les FM échangent, à l'échelle locale, régionale, nationale et mondiale, les expériences, les résultats et les leçons tirés des activités qu'elles poursuivent en matière de gestion durable des forêts. La concertation internationale, au sein d'un réseau - le Réseau international des forêts modèles (RIFM) - ne peut qu'être bénéfique du fait de la stimulation qu'elle entraîne. L'échange de résultats, acquis dans des conditions mésologiques différentes, est à cet égard de grande importance.


La forêt modèle, un mécanisme néguentropique
approprié à la gestion durable des forêts


Toute forêt est un mécanisme néguentropique. Les forêts tropicales humides - en particulier la pluviisylve hyperhumide -, par suite de leur dynamisme biologique, sont le plus grand transformateur d'énergie radiante de la Planète. Durant des millénaires, ces forêts ont maintenu leur équilibre, grâce à une infinité de processus homéostatiques qui assuraient leur stabilité dynamique. Leur longue évolution a permis leur enrichissement et leur diversification ; cette évolution a pu se poursuivre grâce à de constantes sources, automatiques, de variété ; l'ensemble du milieu n'a pas cessé de se complexifier, aboutissant à un système en état de stabilité dynamique. Mais un tel système néguentropique, cohérent avec les lois de la biocénotique fondamentale, de la théorie générale des systèmes et de la thermodynamique, est un équilibre fragile qui implique pour son maintien - sa durabilité - le respect de quelques conditions que l'homme ignorait totalement lorsqu'il a commencé, l'exploitation de ces forêts, si tant est qu'il en ait connaissance à l'heure actuelle.

Destruction des forêts du Globe


On peut extrapoler le cas des forêts tropicales à l'ensemble des forêts de la Planète et examiner ce qui se passe quand l'homme intervient inconsidérément dans les territoires forestiers. En faisant quelques recoupements, je suis arrivé à trois chiffres qui méritent d'être médités.

1. John K. Naysmith donne, en 2003, le chiffre de plus de 3 milliards d'ha (3 Gha ; 30,000,000 km2), Comme étendue des forêts de la Terre. Il ajoute que ces [134] forêts sont utiles à 6 milliards d'habitants. Depuis que l'on commence à s'inquiéter des changements climatiques, cet auteur a raison de dire que les forêts sont utiles à la totalité des êtres humains.

2. De son côté, P. Duvigneaud donnait, en 1963, pour la même étendue, le chiffre de 4 milliards d'ha (40,700,000 km2 ; 4 Gha).

3. On observe ainsi, en 40 ans, la perte de : 4 Gha - 3 Gha = 1 Gha ou 10 M km2.

La perte de 1 milliard d'hectares (1 Gha ; 10 M km2), en 40 ans, montre la capacité destructrice des hommes, l'ignorance qui a présidé à ces actions et la grande place occupée dans cette désastreuse évolution par Homo economicus.


La Forêt Modèle : mécanisme de gestion
raisonnée des forêts mondiales


Le concept de FM apporte quelque chose de nouveau à la gestion des forêts du XXIe siècle, à savoir les trois points suivants :

1. L'intérêt fondamental des partenaires pour la forêt, considérée comme un ensemble intégré - un système - de fonctions, de ressources et de valeurs ; c'est la prise en compte de toutes les composantes de la forêt (concept de totalité, en systémique) et de leurs interactions (concept d'interaction, en systémique).

2. La gestion participative, grâce à un partenariat qui fonctionne de façon démocratique, dans le cadre d'une structure souple et adaptable ; ce type de gestion est cohérent avec la loi du besoin de variété des systèmes.

3. La détermination de lier les progrès des forêts modèles aux apports de la recherche et de la technologie ; la mise au point de plans de gestion intégrés est une illustration de la loi de conservation des systèmes.

On peut appliquer au concept de FM chacun des concepts et chacune des lois de la systémique et aboutir à la conclusion que le concept de FM peut être considéré comme un système, se démarquant ainsi fondamentalement des approches sectorielles qui ont dominé la foresterie dans le passé et ce, au détriment de la ressource. Se référer à la science signifie aussi que dans une FM, on ne pourra plus invoquer l'ignorance, pour justifier les erreurs commises. Ceci implique ipso facto que tous les partenaires doivent avoir acquis ou doivent acquérir une culture forestière adéquate (par recyclage, études, séminaires, etc.) et ce, tout spécialement dans le cas de la gestion des [135] forêts intertropicales dont la fertilité est essentiellement extrinsèque, c'est-à-dire tributaire des cycles biologiques des éléments biogènes, grâce à des mécanismes automatiques.

Pour que la FM puisse jouer un tel rôle, ses partenaires doivent avoir conscience de leur responsabilité, accroître leurs connaissances et promouvoir le dynamisme interne du système. Si la FM est en mesure de se conformer à ces conditions, elle constituera un véritable instrument de gestion cohérente et durable des terres forestières, et je partage alors l'avis de Naysmith qui y voit un « immense potentiel ». Il faut donc en revenir à la foresterie scientifique, ouverte à toutes les dimensions qui caractérisent la forêt du XXIe siècle, conformément à l'Énoncé final du XIIe Congrès forestier mondial (2003).

Il n'y a aucun doute possible sur l'intérêt qu'il y a à disposer, à l'échelle mondiale, d'un système d'aménagement et de gestion durable des forêts, en mesure de redresser la situation précaire du couvert forestier planétaire. Il ne faut pas perdre de vue que les forêts apportent, à un double titre, une contribution exceptionnelle à la capacité de la biosphère à supporter la vie :

- d'une part, par leur capacité de produire et de régénérer des ressources de basse entropie grâce à la photosynthèse (assimilation chlorophyllienne ; séquestration du carbone) ;

- d'autre part, par leur capacité d'assimiler les déchets de l'activité humaine, en particulier le CO2, gaz à effet de serre, en grande partie responsable du réchauffement climatique.

Dans le concept de FM, on confie à un groupe d'hommes, fondamentalement intéressés à la forêt, la responsabilité de conduire l'évolution des systèmes forestiers dans le sens de la durabilité, à la fois pour assurer le bien-être des hommes et la persistance des écosystèmes forestiers. Le rôle biosphérique des forêts ne semble jamais avoir été aussi grand qu'à l'heure actuelle, car, alors que la civilisation rejette inconsidérément du gaz carbonique, en grande partie en puisant dans les stocks de combustibles fossiles, les forêts, elles - qui participent des flux -, ont la capacité de séquestrer le carbone. Et puis, la forêt est également une source de biens de première nécessité et de remèdes pour les populations des pays en développement. Elle permet encore, et ceci s'applique essentiellement aux pays industriels, d'alterner les rythmes de vie et de remédier à nombre de maux qui relèvent de la pathologie urbaine.

[136] Les systèmes complexes - l'homme, un village, une région, un projet de développement, etc. - ne peuvent être traités valablement de façon analytique, sectorielle, fragmentaire, disciplinaire ou parcellaire. Ne voir que certains aspects d'un tout, complexe et diversifié, ne peut conduire qu'à l'erreur. L'approche systémique introduit une révolution dans les stratégies de développement habituelles. Les concepts de développement et d'aménagement intégrés se fondent sur une approche méthodologique qui dérive de l'analyse des systèmes. Beaucoup de pertes de temps et d'erreurs auraient pu être évitées - au cours des différentes décennies de développement - si l'on avait substitué au mode de pensée traditionnel - sectoriel - une approche permettant de traiter les situations réelles dans toute leur complexité.

Après avoir passé le concept de forêt modèle au crible des concepts et des lois de l'analyse systémique, (MALDAGUE 2006), on est en mesure de conclure que le concept présente de grandes potentialités, et justifié d'appuyer l'opinion de Naysmith qui atteste de « l'immense potentiel des forêts modèles même au niveau international ». Le concept de FM correspond en tout point à un système ; il se conforme aux lois de la théorie des systèmes, et ses caractéristiques sont cohérentes avec les concepts de la systémique.

L'objectivité m'amène cependant à souligner un point délicat qui n'est pas lié au concept lui-même, mais qui se rapporte aux hommes, responsables des FM, à savoir : comment entretenir, à long terme, la dynamique du système dont dépend l'évolution des forêts modèles ? En effet, dans un système en équilibre, une forêt par exemple, le maintien du système est en grande partie automatique. Au contraire, dans une FM, le maintien du système est entièrement dépendant de la détermination des parties constituantes - les divers partenaires - à apporter leur soutien au partenariat et à continuer à le faire. Il n'y a plus ici d'automatismes qui jouent ; tout dépend de la volonté des partenaires de maintenir leur participation à la FM, conformément à l'engagement conclu au départ, et à s'y comporter de façon active et dynamique. Pour qu'il y ait maintien du système, il faut donc que les diverses parties estiment trouver des avantages à poursuivre leur adhésion et à apporter des innovations au système. À cet égard, le rôle du RIFM est majeur ; il lui revient la tâche essentielle de veiller sans relâche à accroître les capacités des partenariats, à multiplier les échanges entre les FM et à les brancher sur les sources de néguentropie que sont les apports de la recherche scientifique et forestière et les progrès technologiques.

[137]


Bibliographie

KALLARACKAL, J. et al., « La gestion participative basée sur les concepts de l'écologie des paysages », XIIe Cong. for. mond., Québec, 2003, Commun. 180,

MALDAGUE, Michel (2006), « Approche systémique du concept de Forêt modèle », Bull. Acad. Nat. des Sc. du développ. de la Républ. Démocr. du Congo, vol. 7, oct. 2006, pp. 43-87.

MANKOTO, Samy et MALDAGUE, Michel, « Stratégie systémique appliquée à la gestion de la biodiversité. Cas de la réserve de biosphère de Luki (RDC) », XlIe Cong. for. mond. Mémoire spécial, MS-13, Domaine B, pp. 111- 119.

NAYSMITH, John K., « Le Programme des forêts modèles du Canada : profiter du succès », XIIe Cong. for. mond., Mémoire volontaire 399, pp. 109-116.

PANDEY, Gopa, « Gestion des forêts : Évolution des paradigmes », Mémoire spécial, MS 21. XIIe Cong. for. mond., Domaine C.

WFAVER, John V., « Les partenariats dans nos forêts : l'approche canadienne de la durabilité », Mém. gén., XIIe Cong. for. mond., Domaine C.



[1] On trouve, en anglais, pour traduire le terme systémique, le terme holistic ou mieux l'expression systemic approach.

[2] Guide d'établissement d'une forêt modèle, Secrétariat du Réseau international de forêts modèles, Ottawa, 2003, p. 2.

[3] Le mode de gestion d'une forêt modèle est systémique et non écosystémique, car il déborde très largement la notion d'écosystème pour intégrer l'environnement (incluant la population). Dans le contexte de la FM, l'approche écosystémique serait réductionniste, et le territoire ne serait plus une FM mais une réserve écologique.

[4] Phénomènes de potentialisation et de synergie qui caractérisent le concept de totalité, en analyse systémique.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 13 octobre 2010 11:04
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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