Prof. Dr Monzambe Mapunzu, Secrétaire perpétuel de l'ANSD “La problématique de la biométhanisation en République démocratique du Congo”


 

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Collection « Sciences du développement »
Exploitation forestière, développement durable et stratégies de pouvoir
dans une forêt tropicale camerounaise
” (2005)
Introduction

Une édition électronique sera réalisée à partir du texte d'Antoine LASSAGNE [Département d’anthropologie, Université Laval], “Exploitation forestière, développement durable et stratégies de pouvoir dans une forêt tropicale camerounaise”. Un article publié dans la revue Anthropologie et sociétés, vol. 29, no 1, 2005, pp. 49-79. Québec: Département d’anthropologie, Université Laval, 2005, 258 pp.

Introduction

Intronisé par le Sommet de la terre de Rio (1992), le thème de la participation des « populations locales et autochtones » à la gestion des ressources naturelles est aujourd’hui une option incontournable des politiques de « bonne gouvernance » et des programmes de « développement durable » imposés par les organismes occidentaux d’aide au développement et par les grandes institutions internationales aux pays « forestiers » du Tiers monde. 

Mais, si dans les discours institutionnels et politiques dominants comme dans les énoncés des programmes de coopération internationale, les formules consensuelles du « développement durable » et de la « participation locale » se sont imposées de toute leur évidente bienveillance, leur mise en oeuvre dans la pratique ne sert guère la cause de ceux qui sont censés en être les bénéficiaires. 

Certes, sur le terrain, les « marqueurs » du développement durable sont omniprésents, à tel point qu’il est aujourd’hui difficile de trouver une forêt de par le monde qui ne soit affublée d’un projet de conservation, une communauté forestière qui ne soit concernée de près ou de loin par un projet de développement durable avec une étiquette participative. Mais partout aussi, cette réalité en côtoie une autre dans une dynamique qui semble a priori paradoxale : alors même que les espaces forestiers sont de plus en plus recensés, inventoriés, normalisés, cartographiés, surveillés, aménagés, ils sont aussi exploités de façon de plus en plus anarchique. Alors même que l’on prône partout la participation, les populations locales disposent de moins en moins de contrôle sur l’accès à leurs ressources naturelles. 

La perception et la crédibilité des projets de conservation-développement-durable à coloration participative souffrent bien souvent de leur confrontation avec l’exploitation forestière. Intrusion des exploitants forestiers dans les aires protégées, coupes sauvages dans les forêts communautaires, ouverture de pistes d’exploitation dans les terroirs villageois : non seulement les projets ne garantissent pas toujours la protection contre les débordements de l’industrie forestière dans leur aire d’intervention, mais leur présence peut aussi avoir comme effets pervers d’intensifier les coupes là ou ils ne sont pas présents. Cette proximité physique des mécanismes de conservation avec les mécanismes d’exploitation – leur déploiement dans les mêmes espaces ou dans des espaces mitoyens, leur négociation avec les mêmes populations – engendre une méfiance croissante à l’égard des discours comme des pratiques du développement durable. 

Dans les communautés Badjoués de la périphérie de la forêt du Dja, force est de constater que les projets de développement durable sont eux aussi contestés, parfois autant, voire plus que ne l’est l’exploitation forestière elle-même [1]. 

Dans le sud-est du Cameroun, la présence simultanée dans les mêmes espaces forestiers d’exploitants européens et de projets de gestion forestière durable initiés par des organismes de coopération eux aussi européens, de même que les liens qu’ils entretiennent avec les mêmes populations, tout cela ne peut manquer de poser deux ordres de questions : celui des relations postcoloniales entre l’ancienne colonie et l’ancien colonisateur, d’une part, et, d’autre part, celui des relations entre ces deux dynamiques a priori contradictoires que sont l’exploitation et la gestion-conservation des massifs forestiers. 

Dans cette région, comme dans toute l’Afrique centrale forestière, l’exploitation des produits de la forêt (caoutchouc, bois) a toujours été au coeur des formes les plus violentes de la relation coloniale, s’appuyant d’abord sur l’esclavage, puis sur le travail forcé. Cependant, l’analyse classique privilégiant les relations de domination centre-périphérie, les relations de type néocolonial entre les « métro­poles » et leurs anciennes colonies n’apparaît plus suffisamment pertinente pour saisir dans son ensemble le paradoxe exploitation-conservation tel qu’il se manifeste aujourd’hui. 

Des travaux récents se sont attachés à analyser de façon souvent très détaillée les schémas de corruption et la criminalité politique et institutionnelle qui imprègnent l’aide publique au développement (Bayart, Ellis et Hibou 1997 ; Verschave 2003 ; Verschave et Hauser 2004 ; Olivier 2004). D’autres analysent la circulation de la violence dans le déploiement du capitalisme en Afrique (Agier, Copans et Morice 1987 ; Cooper 1994 ; Coquery-Vidrovitch 2002). D’autres enfin abordent la condition même de la relation néo-coloniale contemporaine par rapport au remodelage de l’organisation précoloniale de ces sociétés (Bayart 1989, 1996). Mais dans la plupart des cas, l’analyse des formes de pouvoir durant l’épisode colonial n’est abordée que dans la dimension coercitive qui lie colonisateurs et colonisés. Il nous importe dans cet article de partir plutôt de la genèse de formes de pouvoir beaucoup plus complexes et beaucoup plus diffuses que le seul pouvoir répressif autoritaire et d’essayer de mettre en lumière des liens entre ces formes de pouvoirs installées sous le colonat et celles qui opèrent aujourd’hui dans le sud-est du Cameroun. 

Les travaux le moindrement critiques qui portent sur l’instauration de projets de développement durable ou sur l’exploitation forestière ont tendance à examiner ces deux domaines d’intervention de façon très dichotomique en les considérant comme des dynamiques contradictoires. Nous préférons poser qu’il s’agit de deux modes d’opération a priori concurrentiels qui font partie du même régime de rationalité, qui se déploient dans un même « appareil » de relations post-coloniales à l’intérieur duquel on peut chercher à montrer des liens. 

L’analyse de l’ensemble complexe de relations de pouvoir entre les différents acteurs du développement durable et de l’exploitation forestière dépasse évidemment les limites de cet article. Il s’agit plutôt pour nous de proposer ici des outils d’analyse à même de nous aider à comprendre comment s’impose un régime de rationalité qui est capable d’autoriser simultanément l’exploitation et la préservation des ressources dans un même espace forestier. Pour saisir le paradoxe de ces deux mécanismes a priori contradictoires, il faut comprendre que l’un ne peut exister qu’à la condition d’être systématiquement pensé dans les termes de l’autre. Autrement dit, la préservation de la forêt et son usage par les populations locales ne peuvent être envisagés, conçus, acceptés que s’ils sont posés dans les termes de gestion rationnelle propres aux formes modernes d’exploitation des massifs forestiers que l’on promeut dans le développement durable. 

Dans une première partie, nous analyserons le pouvoir mis en place sous le colonat comme une forme de gouvernementalité s’appuyant sur un mode de gestion combinée de la nature et du social et constituant le socle historique sur lequel se sont déployés les réseaux de pouvoirs et les stratégies contemporaines des acteurs de l’exploitation forestière. Nous essaierons ensuite de montrer comment, à un moment donné, les intérêts apparemment divergents de l’exploitation forestière et du discours scientifique prônant la gestion durable des forêts vont se croiser ; ils donneront naissance, par le biais d’une nouvelle loi forestière, à un « dispositif de développement durable » qui s’appuiera sur toute une gamme de normes et de « technologies » pour définir des modes d’utilisation de l’espace. Enfin, nous expliquerons comment exploitants forestiers et acteurs du développement durable, en prenant comme cible les populations Badjouées dans leurs stratégies de pouvoir, participent les uns comme les autres à la production d’une forme de subjectivation de ces populations.


[1] Le présent article se base sur des données collectées au cours de deux séjours sur le terrain effectués en 1999 puis en 2001. Le premier en tant qu’étudiant-stagiaire dans le projet « Mise en place de forêts communautaires dans la périphérie de la Réserve de Biosphère du Dja » conduit par la Faculté des sciences agronomiques de l’université de Gembloux (Belgique), et le second en tant que travailleur autonome en consultation sur l’exploitation forestière illégale dans cette région pour une ONG internationale.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 28 avril 2007 8:06
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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