Rebecca HARDIN, PRÉSENTATION. À travers la forêt, vers une nouvelle anthropologie environnementale. Forêts tropicales.


 

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Collection « Sciences du développement »
PRÉSENTATION. À travers la forêt, vers une nouvelle anthropologie environnementale” (2005)
Introduction

Une édition électronique sera réalisée à partir du texte de Rebecca HARDIN [Department of anthropology, McGILL University, and Department of anthropology, and School of Natural Resources and Environment, University of Michigan], “PRÉSENTATION. À travers la forêt, vers une nouvelle anthropologie environnementale.” Un article publié dans la revue Anthropologie et sociétés, vol. 29, no 1, 2005, pp. 7-20. Québec: Département d’anthropologie, Université Laval, 2005, 258 pp.

Introduction

Depuis longtemps, et dans la plupart des sociétés, la forêt est le contexte écologique le moins gouvernable, le plus terrifiant, le plus magique. D’ailleurs, les peintures, tapisseries, trophées, récits, chants, céramiques et contes de multiples cultures montrent la forêt comme un domaine puissant et capable de renverser tout ordre social, même si elle apparaît parfois conquise, consommée, et convertie – moins vivante que simple décor des drames de pouvoir. Zone de conflit et de mystère pendant le Moyen âge (Fournier 1990), aire de richesses et de résistance à l’époque des explorations et exploitations coloniales (Harms 1981 ; Taussig 1987), abri des milices et des rebelles des guerillas pendant la période postcoloniale (Sassine 1976), la forêt – plus particulièrement la forêt tropicale – est aujourd’hui un terrain contesté. Dans l’imaginaire global actuel, elle évoque à la fois un espace d’opportunité économique et une zone de dangers potentiels – viraux ou géopolitiques (Zerner 2003). La forêt tropicale constitue ainsi de nos jours un champ social sans équivalent pour la confrontation entre différentes versions de l’horizon économique, politique et environnemental de la planète.

 

Mais elle est aussi un écosystème complexe, qui s’étend sur plusieurs continents. L’anthropologie a mis en évidence la diversité de ses écologies micro-régionales et de ses sociétés humaines avec leurs façons d’exploiter la forêt à travers le temps. Nous pouvons identifier certaines tendances et questions communes à ces travaux scientifiques. La plupart du temps, les premiers ouvrages ethnologiques sur une région donnée ont présenté des peuples de la forêt dans un splendide isolement, en s’attardant surtout à décrire leur intégration avec leur environnement naturel ; en fait, ces ouvrages furent souvent complétés et enrichis par des travaux ultérieurs consacrés à la description des interactions complexes entre différentes populations forestières [1]. Ces tendances s’inscrivent dans des débats anthropologiques sur la façon dont les hommes ont évolué en forêt, et elles explorent les causes et conséquences de la marginalisation des peuples de forêt dans le cadre des actuels systèmes économiques globaux [2].

 

Ces débats intellectuels et théoriques se sont parfois traduits dans les luttes entre différents acteurs pour l’emprise territoriale sur les forêts. Par exemple, l’histoire des Huaroni en Amazonie illustre la capacité des peuples indigènes à devenir des célébrités internationales (Kane 1995), sans pour autant pouvoir acquérir les droits fonciers et le statut social qui leur permettraient de mieux garantir leur accès aux ressources de la forêt. Pour qu’ils y parviennent, il faudrait transformer certaines conceptions de la « forêt vierge », qui ont constitué la base des missions – les missions civilisatrices et capitalistes dans les forêts coloniales et les missions modernistes et nationalistes dans les forêts postcoloniales. Plusieurs travaux récents s’attaquent d’ailleurs aux images puissantes d’une forêt « féminisée » qui est considérée comme dangereuse et difficile à gouverner, mais à la fois vide et prête à se faire pénétrer et valoriser par ceux qui ne la connaissent qu’à peine (Sawyer et Agrawal 1997 ; Slater 2003).

 

Les nouvelles politiques de gestion des forêts tropicales émanent des interactions entre ces différents savoirs culturels et scientifiques. Plus concrètement, elles sont formulées dans les espaces culturels et institutionnels des organismes bi- et multilatéraux, où les impératifs des experts et administrateurs de l’époque coloniale se heurtent aujourd’hui aux dynamiques activistes et capitalistes. Ainsi façonnées en tant que « politiques environnementales », elles sont ensuite transplantées et appliquées dans des régions aussi distinctes que le Bassin du Congo en Afrique, les montagnes de l’Inde et le Népal. Ces nouvelles politiques reflètent ainsi les particularités des structures étatiques variées, des climats et des contextes sociaux très distincts.

 

Les prescriptions pour utiliser ces forêts si diverses présentent cependant des points communs : décentralisation de la gestion ; responsabilisation des communautés rurales, éducation sur les notions de rareté et de fragilité des ressources ; et nouvelles interfaces entre communautés rurales, agences étatiques et acteurs privés ou corporations multinationales (Chapin 2004 ; Ribot et Larson 2005). Comment effectuer des analyses ethnographiques, historiques et théoriques sur ces transformations ? Comment comprendre les conséquences d’une telle transformation, aux échelles locales et régionales, pour les individus, les communautés et les écosystèmes ?

 

L’anthropologie permet tout cela ; elle devient un champ de description, d’interprétation et d’analyse par excellence, car elle s’adapte aux travaux théoriques et descriptifs comme à ceux qui s’engagent dans l’élaboration des politiques et des programmes. Ses méthodes et approches suscitent une nouvelle génération de recherches en sciences sociales sur les nouveaux enjeux environnementaux, recherches qui ont l’avantage de baigner dans un climat particulier où la pratique de la science en tant que pouvoir est souvent bien analysée. Cette distance critique est d’autant plus nécessaire que l’environnement est désormais récupéré en vue d’une « sécurité et durabilité » à l’échelle globale (World Watch Institute 2005) [3].

 

Les forêts sont particulièrement importantes dans les définitions territorialisées des zones « à risque », où l’aide militaire devient de plus en plus synonyme d’aide économique (McNeely 2003) et où la protection des limites des aires protégées interfère avec la défense des frontières nationales. Ces tendances se situent à l’extrémité d’un éventail de transformations des rapports politiques en forêt – gamme de possibilités plus et moins basées sur la force, mais toutes saturées de rapports entre pouvoirs, savoirs et identités (Foucault 1997).

 

Ce numéro est centré sur les forêts tropicales et offre des portraits détaillés des nouveaux modes de gouvernance dans des contextes très variés : Cuba, Indonésie, Inde, Brésil et Cameroun. Les contributeurs partagent une approche qui combine la théorie sociale récente avec une capacité à décrire des détails intimes de la transformation des institutions pour la gestion de ces forêts. Certains sont plus intéressés par la transformation des institutions au sein des communautés (Doyon) ; d’autres par les institutions transnationales et leurs interactions et conséquences à l’échelle de l’État-nation (Chartier ; Levang, Buyse, Sitorus et Dounias). Plusieurs utilisent et nuancent les contributions de Foucault sur les dynamiques et les formes de pouvoir qui relient les pratiques individuelles aux politiques institutionnelles – c’est-à-dire sur la constitution du sujet individuel, qui ensuite donne lieu à de nouvelles formes de communauté et de contrôle exercé sur les ressources naturelles (Lassagne ; Agrawal). Ils cherchent tous à révéler et à analyser certaines conséquences et possibilités d’une véritable révolution en ce qui constitue les rapports d’utilisation et de gestion des forêts. Qu’il s’agisse des rapports entre individus et nature, ou entre individus et communautés, ou encore entre communautés, en tant qu’acteurs transnationaux, et d’autres acteurs et institutions en pleine évolution, les êtres humains négocient leur rapport à une nature précieuse, dynamique et qui se raréfie. Commençons donc par une histoire, bien trop brève, de la façon dont de telles négociations ont été décrites et analysées par les anthropologues au fil des années.


[1] Pour illustrer cette tendance, prenons le cas des travaux sur la forêt équatoriale en Afrique. Les premiers travaux compréhensifs (Turnbull 1962 ; Bahuchet 1985 ; Wilkie et Curran 1991) se distinguent bien des suivants (Turnbull 1983 ; Bahuchet 1994 ; Wilkie and Curran 1993 ; Grinker 1994). Il faudrait noter que les débats suscités par le travail de Napoleon Chagnon en Amazonie se conforment à ces tendances, tout en soulevant la question du rôle des anthropologues eux-mêmes dans ces « interactions complexes ».

[2] Toujours en Afrique équatoriale, certains ont avancé que l’incursion des peuples des savanes (Bailey et al. 1989 ; Vansina 1990) expliquait cette marginalisation. Basés principalement sur des données archéologiques et historiques, ces arguments ont suscité des réponses fondées sur des travaux de terrain en écologie et en ethnologie, et affirmant l’autonomie des peuples de forêt vis-à-vis des colonisateurs « agriculteurs » (Bahuchet et al. 1992). Pour de telles questions en Malaisie, voir Endicott et Bellwood (1991) ; pour une revue critique assez complète de tels débats en Amazonie, comprenant l’influence des incursions coloniales, voir Rival (2002).

[3] Dans un rapport informel datant du mois de février 2004, Andy Marshall, directeur d’un bureau d’études militaires, Net Assessment, décrit les conséquences potentielles des changements climatiques sur les stratégies de déploiement des forces armées américaines. Il suggère ainsi que les fonctions écologiques conditionnent les technologies et pratiques militaro-politiques (Marshall 2004).


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 28 avril 2007 8:00
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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