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Collection « Sciences du développement »
Communautés, gouvernement intime et sujets de l’environnement au Kumaon, Inde.”
Introduction

Une édition électronique sera réalisée à partir du texte d'Arun AGRAWAL [School of Natural Resources and Environment, University of Michigan], “Communautés, gouvernement intime et sujets de l’environnement au Kumaon, Inde.” Un article publié dans la revue Anthropologie et sociétés, vol. 29, no 1, 2005, pp. 21-47. Québec: Département d’anthropologie, Université Laval, 2005, 258 pp. Article inédit en anglais, traduit par Catherine Broué.

Introduction

What does it matter if all these trees are cut ? There is always more forest… We need the wood. We need to feed our animals, get firewood to cook. It is more important to survive than to protect forests.
 
Hukam Singh, 1985, village de Kotuli, Kumaon, Inde.
 
We protect our forests better than government can. We have to. Government employees don’t really have any interest in forests. It is a job for them. For us, it is life… Just think of all the things we get from forests – fodder, wood, furniture, food, manure, soil, water, clean air. If we don’t safeguard the forest, who else will ? Some of the people in the village are ignorant and so they don’t look after the forest. But sooner or later, they will all realize that this is very important work. It is important even for the country, not just for our village.
 
Hukam Singh, 1993, village de Kotuli, Kumaon, Inde.

 

Lors de mes cinq séjours au Kumaon, dans l’État indien d’Uttar Pradesh, entre 1985 et 1993, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec des villageois sur leur façon de percevoir la forêt, sur le rôle que les produits forestiers jouent dans la vie économique des villages et sur l’ampleur des mesures nécessaires pour protéger les ressources. J’ai été intrigué par la profondeur des changements, tant à l’échelle locale que sur le plan individuel, que ces conversations dénotaient. Durant mes premières visites, j’ai d’abord cherché à déterminer comment les institutions modèlent les motivations et les actions humaines. La modification des attitudes, des croyances et du sentiment identitaire m’intéressait peu. Ma formation en sciences politiques et mon intérêt marqué pour le néo-institutionnalisme ne me portaient guère à me préoccuper de questions touchant les mentalités.

 

Pour autant, des affirmations comme celles d’Hukam Singh, placées en exergue du présent article, ne manquaient pas de m’intriguer. D’un côté, elles évoquaient un peu trop la rhétorique habituelle sur les nécessités de la subsistance ou la conservation environnementale pour sembler originales. Mais les écarter sous le simple prétexte qu’elles répétaient ce que beaucoup d’autres disaient déjà ou parce qu’elles ne s’inséraient dans aucun courant disciplinaire ou théorique aurait été faire preuve d’une incompréhension totale des relations complexes – et cependant peu étudiées – qui lient les changements de gouvernement aux modifications concomitantes que subissent pratiques et croyances relatives à l’environnement [1].

 

Le présent article étudie les relations profondes et durables qui lient gouvernement et subjectivités et montre comment les stratégies régulatrices qui sont associées à la prise de décision collective et en découlent contribuent également à transformer ceux et celles qui prennent part au gouvernement. À partir de données extraites de documents d’archives et d’enquêtes de terrain effectuées en 1989-90 et 1993, il analyse dans quelle mesure différents degrés de participation à des institutions de réglementation relative à l’environnement conduisent à de nouvelles façons de comprendre le monde. Du même souffle, il contribue à éclairer l’un des aspects les plus négligés de l’étude des changements environnementaux, soit la façon dont les individus envisagent leur relation avec l’environnement et l’évolution de ces conceptions dans le temps [2].

 

J’ai recours à l’expression « sujets de l’environnement » pour désigner les personnes pour lesquelles l’environnement constitue une catégorie conceptuelle de la pensée et auquel elles associent consciemment certaines de leurs actions. Les observations recueillies sur la forêt me servent ici à illustrer un propos plus vaste sur les ressources environnementales. En posant l’existence de tels sujets, je ne suggère pas d’emblée une vision puriste de l’environnement qui serait nécessairement distincte et parfaitement indépendante des intérêts matériels et des contingences de la subsistance quotidienne. La subjectivité environnementale d’une personne peut s’accompagner de la reconnaissance du fait que protéger des arbres ou des forêts publiques ou gérées collectivement est susceptible de profiter matériellement à cette personne. Dans de tels cas, l’intérêt personnel en vient à être compris et saisi en termes d’environnement. Par ailleurs, l’utilisation que je fais du mot « sujet » se démarque de la signification juridique que lui confère l’oeuvre de Mamdani (1996). Il prend plutôt appui sur deux autres acceptions de ce terme : celle d’agent et celle de personne assujettie. Cette ambiguïté est hautement productive dans le cadre d’une réflexion sur la façon dont le pouvoir façonne, tant positivement que négativement, les processus de formation du sujet.

 

Comprendre les mécanismes qui régissent la formation de sujets de l’environnement s’impose pour des raisons à la fois pratiques et théoriques. D’abord, l’importance que chaque individu accorde à l’environnement détermine le degré de facilité avec lequel cet individu sera susceptible d’accepter de contribuer à la protection de son milieu, et cela peut même avoir pour effet de réduire les coûts inhérents à l’application de nouvelles réglementations. Il ne faut pas pour autant négliger les aspects théoriques de cette question complexe. Quels mécanismes sont à l’oeuvre dans la formation de différents types de sujets et comment aborder la relation entre actions et subjectivités ? Je postule que la formation du sujet est étroitement liée aux processus de gouvernement. En particulier, les formes de gouvernement que favorise la conservation communautaire jouent un rôle primordial dans la recombinaison de nouvelles formes de subjectivités. J’appelle « gouvernement intime » de telles formes de gouvernement et je décris leur fonctionnement d’abord implicitement dans le corps de cet article et plus explicitement en conclusion.

 

Parallèlement, un gouvernement intime suppose également la diffusion de la règle et une participation plus active du sujet à l’application de cette règle. Ainsi, la décentralisation des politiques environnementales, dont procèdent les événements qui se sont produits au Kumaon et que je décris plus loin, joue un rôle clé dans cette diffusion. L’intégration des acteurs locaux au processus de gouvernement est au coeur de la conservation communautaire. Ces processus jumeaux de décentralisation et de conservation participative constituent les points saillants de la politique internationale en matière d’environnement de la fin du XXe siècle et du début du XXIe siècle (McDaniel 2003 ; Steifel et Wolfe 1994). Soixante-dix ans de conseils forestiers au Kumaon mettent en lumière la façon dont ces processus de prise en charge de la gouvernementalisation des localités et de création de communautés régulatrices peuvent réussir dans d’autres contextes, à moyen ou long terme. En analysant l’évolution de ces conseils dans le temps, mon analyse montre comment il serait possible et pourquoi il serait nécessaire de politiser à la fois les communautés et l’imaginaire dans le but de trouver de nouvelles manières de penser les politiques environnementales.


[1] Pour la distinction entre gouvernance et gouvernement telle qu’elle est faite ici, voir Rose (1999 : chapitre 1).

[2] Pour quelques travaux importants qui pratiquent ce type d’analyse, voir Agarwal (1992) et Sivaramakrishnan (1999). Relativement peu d’écologistes politiques ou d’écoféministes se préoccupent du type de sujet exploré ici ; voir Escobar (1999) et Warren (1997), à titre d’exemples.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 28 avril 2007 7:09
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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