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Collection « Méthodologie en sciences sociales »

TEXTES DE METHODOLOGIE EN SCIENCES SOCIALES
choisis et présentés par Bernard Dantier
Docteur de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales
Maître de conférences à Sciences-Po Paris.
Chargé de cours et de gestion de formations à l'Institut Supérieur de Pédagogie - Faculté d'Éducation de Paris.

Cette rubrique, évolutive, qui s’enrichira au cours du temps, propose au lecteur des textes de méthodologie
en sciences sociales, cela afin de l’aider dans une démarche de compréhension et de participation à ces sciences.

“Max Weber, Les idéaltypes des activités et relations sociales”.
Extrait de: Max Weber, Economie et société, Les catégories de la sociologie.
Paris, Plon / Agora, traduction Julien Freund, pp. 55-61.

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Max Weber, Les Les idéaltypes des activités et relations sociales”.

En complément du texte intitulé « Les idéaltypes de Max Weber, leurs constructions et usages en sociologie », voici en cet extrait des exemples d’idéaltypes relatifs aux diverses modalités des activités et des relations sociales. Nous nous souviendrons qu’il s’agit ici toujours de moyens permettant de «saisir» par comparaison dans le champ social les formes causales de ces activités et de ces relations, et qu’il ne s’agit surtout pas de descriptions empiriques et a posteriori de celles-ci. Nous avons donc affaire ici à des formes permettant d’approcher la réalité, de la mettre en ordre selon des structures compréhensives élaborées par le savant, ces structures étant éventuellement destinées à se modifier selon les divergences de cette réalité. Quant aux objets de ces types idéaux, l’activité et la relation sociales, ils sont primordiaux pour tout sociologue car ils sont à la base même du social.

Bernard Dantier, sociologue, 19 août 2004.
Extrait de: Max Weber, Economie et société, Les catégories de la sociologie. Paris, Plon / Agora, traduction Julien Freund, pp. 55-61.

Comme toute autre activité, l'activité sociale peut être déterminée: a) de façon rationnelle en finalité, par des expectations du comportement des objets du monde extérieur ou de celui d’autres hommes, en exploitant ces expectations comme «conditions» ou comme «moyens» pour parvenir rationnellement aux fins propres, mûrement réfléchies, qu'on veut atteindre; b) de façon rationnelle en valeur, par la croyance en la valeur intrinsèque inconditionnelle - d'ordre éthique, esthétique, religieux ou autre - d'un comportement déterminé qui vaut pour lui-même et indépendamment de son résultat; c) de façon affectuelle, et particulièrement émotionnelle, par des passions et des sentiments actuels; d) de façon traditionnelle, par coutume invétérée.

1.. Le. comportement strictement traditionnel - tout comme l'imitation par simple réaction (voir paragraphe précédent) – se situe absolument à la limite, et souvent au-delà, de ce qu'on peut appeler en général une activité orientée «significativement». Il n'est, en effet, très souvent qu'une manière morne de réagir à des excitations habituelles, qui s'obstine dans la direction d'une attitude acquise autrefois. La masse de toutes les activités quotidiennes familières se rapproche de ce type qui entre dans la systématique non seule-ment comme cas limite, mais aussi parce que (on le verra plus loin) l'attachement aux coutumes peut être maintenu consciemment en des proportions et en un sens variables: dans ce cas, ce type se rapproche déjà du type discuté sous 2.

2. Le comportement strictement affectuel se situe également à la limite et souvent au-delà de ce qui est orienté de manière significativement consciente; il peut n'être qu'une réaction sans frein à une excitation insolite. Nous avons affaire à une sublimation lorsque l'activité conditionnée par les affects apparaît comme un effort conscient pour soulager un sentiment; dans ce cas, elle se rapproche la plupart du temps (mais pas toujours) d'une «rationalisation en valeur», où d'une activité en finalité, ou des deux à la fois.

3. L'orientation affectuelle et l'orientation rationnelle en valeur de l'activité se différencient l'une de l'autre par le fait que la seconde élabore consciemment les points de direction ultimes de l'activité et s'oriente d'après ceux-ci d'une manière méthodiquement conséquente. Pour le reste elles ont en commun le fait que pour l'une et l'autre le sens de l'activité ne se situe pas dans le résultat, conçu comme étant au-delà d’elle-même, mais dans l'activité ayant comme telle une nature déterminée. Agit de manière affectuelle celui qui cherche à satisfaire le besoin d'une vengeance actuelle, d'une jouissance actuelle, d'un dévouement actuel, d’une félicité contemplative actuelle, ou encore celui qui cherche à se débarrasser d'une excitation actuelle (peu importe s'il le fait d'une manière indigne ou sublime).

Agit d'une manière purement rationnelle en valeur celui qui agit sans tenir compte des conséquences prévisibles de ses actes, au service qu'il est de sa conviction portant sur ce qui lui apparaît comme commandé par le devoir, la dignité, la beauté, les directives religieuses, la piété ou la grandeur d'une «cause », quelle qu'en soit la nature. L'activité rationnelle en valeur consiste toujours (au sens de notre terminologie) en une activité conforme à des « impératifs» ou à des «exigences» dont l'agent croit qu'ils lui sont imposés. Ce n'est que dans la mesure où l'activité humaine s'oriente d'après ce genre d'exigences que nous parlerons d'une rationalité en valeur – ce qui n'arrive jamais que dans une proportion plus ou moins grande et le plus souvent assez réduite. Comme on le verra, elle a cependant suffisamment d'importance pour que nous la mettions en évidence comme type spécial, bien qu'au demeurant nous ne cherchions nullement à élaborer une classification complète des types d'activités.

4. Agit de façon rationnelle en finalité celui qui oriente son activité d'après les fins, moyens et conséquences subsidiaires et qui confronte en même temps rationnellement les moyens et la fin, la fin et les conséquences subsidiaires et enfin les diverses fins possibles entre elles. En tout cas, celui-là n'opère ni par expression des affects (et surtout pas émotionnellement) ni par tradition. La décision entre fins et conséquences concurrentes ou antagonistes. peut, de son côté, être orientée de façon rationnelle en valeur: dans ce cas l'activité n'est rationnelle en finalité qu'au plan des moyens. Il peut également arriver que l'agent, sans orienter de façon rationnelle en valeur d'après des «impératifs» ou des «exigences» les fins concurrentes et antagonistes, les accepte simplement comme des stimulants de besoins subjectifs donnés qu'il dispose en un ordre hiérarchique selon un critère consciemment réfléchi de l'urgence et y oriente ensuite son activité de telle façon qu'il puisse les satisfaire dans la mesure du possible en respectant cet ordre (tel est le principe du «marginalisme»). L'orientation rationnelle en valeur peut donc avoir avec l'orientation rationnelle en finalité des rapports très divers. Du point de vue de la rationalité en finalité cependant, la rationalité en valeur reste toujours affectée d'une irrationalité et cela d'autant plus que l'on donne une signification plus absolue à la valeur d'après laquelle on oriente l'activité. Cela vient de ce que la rationalité en valeur spécule en général d'autant moins sur les conséquences de l'activité qu'elle prend plus inconditionnellement en considération la seule valeur intrinsèque de l'acte (la pure conviction, la beauté, le bien absolu ou le devoir absolu). La rationalité absolue en finalité n’est elle aussi, pour l'essentiel, qu'un cas limite théorique.

5. Il arrive très rarement que l'activité, tout particulièrement l'activité sociale, s'oriente uniquement d'après l'une ou l'autre de ces sortes d'activité. De même, ces différentes sortes d'orientations ne constituent évidemment en aucune manière une classification complète des orientations possibles de l'activité, mais elles ne sont que de purs types, construits pour servir les fins de la recherche sociologique. desquelles l'activité réelle se rapproche plus ou moins. et - plus souvent encore - elle les combine. C'est leur fécondité qui, à notre avis, impose la nécessité de les construire. (…)

(…) Nous désignons par « relation» sociale le comportement de plusieurs individus en tant que, par son contenu significatif, celui des uns se règle sur celui des autres et s'oriente en conséquence. La relation sociale consiste donc essentiellement et exclusivement dans la chance que l'on agira socialement d'une manière (significativement) exprimable, sans qu'il soit nécessaire de préciser d'abord sur quoi cette chance se fonde.

1. Un minimum de relation dans l'action réciproque des uns sur les autres en constitue donc la caractéristique conceptuelle. Le contenu peut être extrêmement divers: lutte, hostilité, amour sexuel, amitié, piété, échange commercial, «exécution», «esquive» ou «rupture» d'un accord, «concurrence» économique, érotique ou autre, communauté féodale, nationale ou de classe (au cas où ces dernières engendrent une «activité sociale» dépassant le simple fait de vivre en commun (…). Le concept ne se prononce pas sur l'existence d'une «solidarité» entre les agents ou le contraire.

2. Il s'agit toujours du «contenu significatif» empirique visé par les participants, soit effectivement dans le cas particulier, soit en moyenne, soit dans un type «pur» construit, et jamais d'un sens normativement «juste» ou métaphysiquement «vrai ». Même quand il s'agit de prétendues «structures sociales» comme 1'«État», l'«Église», la «confrérie», le «mariage», etc., la relation sociale consiste exclusivement, et purement et simplement, dans la chance que, selon son contenu significatif, il a existé, il existe ou il existera une activité réciproque des uns sur les autres, exprimable d'une certaine manière. Il faut toujours s'en tenir à cela pour éviter une conception « substantialiste » de ces concepts. Du point de vue sociologique, un «État» cesse par exemple d'«exister» dès qu'a disparu la chance qu'il s'y déroule des espèces déterminées d'activités sociales, orientées significativement. Cette chance peut être très considérable comme elle peut être minime, presque négligeable. Ce n'est que dans le sens et la mesure où elle a existé ou existe effectivement (suivant l'estimation) qu'a existé ou qu'existe également la relation sociale en question. Il n'est vraiment pas possible de donner un autre sens précis à la proposition: tel «État» déterminé par exemple existe encore ou n'existe plus.

3. Cela ne veut aucunement dire que les individus qui participent à une activité dans laquelle les uns se règlent sur les autres attribuent, dans le cas particulier, un contenu significatif identique à la relation sociale ni que l'un des partenaires adopte intérieurement une attitude qui corresponde significativement à celle de l'autre, que par conséquent il existe une «réciprocité» en ce sens. L'«amitié», 1'«amour», la «piété», le «respect du contrat», le «sens de la communauté nationale» que l'on éprouve d'un côté peuvent se heurter à des attitudes absolument différentes de l'autre. Dans ce cas, les participants donnent un sens différent à leur activité: la relation sociale est dans cette mesure objectivement «unilatérale» des deux côtés. La relation des uns aux autres le reste aussi, tant que l'agent présuppose (de façon peut-être totalement ou partiellement erronée) chez son partenaire une attitude déterminée à son égard et oriente en conséquence sa propre activité, ce qui peut avoir, et même a le plus souvent, des conséquences pour le déroulement de l'activité et l'aspect de la relation. Elle n'est objectivement «réciproque» que dans la mesure évidemment où les contenus significatifs «correspondent» l'un à l'autre - suivant les expectations moyennes de chacun des participants, - c'est-à-dire si par exemple l'attitude des enfants à l'égard de celle du père correspond, au moins approximativement, à ce que le père attend (dans un cas particulier, en moyenne ou typiquement). Une relation sociale qui reposerait intégralement et sans réserves sur une attitude significativement congruente de part et d'autre ne serait jamais en réalité qu'un cas limite. L'absence de réciprocité ne saurait, selon notre terminologie, exclure l'existence d'une «relation sociale» que si elle entraîne comme conséquence la disparition d'une relation réciproque dans l'activité de part et d'autre. Ici comme ailleurs, l'existence de toutes sortes de transitions est en réalité la règle.

4. Une relation sociale peut avoir un caractère éphémère ou bien être durable, ce qui veut dire qu'elle peut être réglée de telle sorte qu'il existe la chance d'une répétition continuelle d'un comportement significativement correspondant (c’est-à-dire valable pour cela et auquel on peut donc en conséquence s'attendre). Seul le fait que cette chance existe - par conséquent la plus ou moins grande probabilité qu'une activité significativement correspondante se développe, sans rien de plus - est l'indication de la «persistance» d'une relation sociale - ce qu'il faut toujours avoir présent à l'esprit si l'on veut éviter de fausses représentations. Le fait qu'une «amitié», ou un «État», existe ou a existé signifie donc exclusivement et uniquement que nous (les observateurs) jugeons qu'il existe ou qu'il a existé une chance suivant laquelle, sur la base d'une attitude de nature déterminée de certaines personnes déterminées, on agit d'une certaine manière encore définissable en un sens visé en moyenne - et cela ne veut rien dire d'autre. L'alternative inéluctable dans une recherche d'ordre juridique: une proposition juridique d'un sens déterminé vaut-elle ou ne vaut-elle pas (au sens juridique)? un rapport juridique existe-t-il ou n'existe-t-il pas? est sans valeur pour la recherche sociologique.

5. Le contenu significatif d'une relation sociale peut varier. Par exemple, une relation politique fondée sur la solidarité peut se transformer en un conflit d'intérêts. C'est alors une question de commodité terminologique et de degré de continuité dans le changement qui permet de dire si une «nouvelle» relation est instituée ou si l'ancienne persiste tout en ayant reçu un nouveau «contenu significatif». Aussi le contenu significatif peut-il être en partie perdurable, en partie variable.

6. Le contenu significatif qui constitue perdurablement une relation sociale peut se formuler en «maximes» que les participants s'attendent à voir observées en moyenne ou d'une manière approximativement significative par le ou les partenaires et en fonction desquelles ils orientent eux-mêmes (en moyenne ou approximativement) leur propre activité. Cela se présente d'autant plus souvent que l'activité en question est orientée, d'après son caractère général, de façon plus rationnelle - en finalité ou en valeur. Dans le cas d'une relation érotique, et en général d'une relation affectuelle (par exemple une relation de « piété») la possibilité d'une formulation rationnelle du contenu significatif visé est évidemment beaucoup moindre que dans celui d'une relation contractuelle d'ordre commercial.

7. Le contenu significatif d'une relation sociale peut reposer sur une entente par un engagement mutuel. Cela signifie que ceux qui participent à cette relation se font (entre eux ou d'une autre manière) des promesses valant pour leur comportement futur. Chaque participant compte alors normalement - pour autant qu'il considère les choses rationnellement - sur le fait que (avec une certitude variable) l'autre orientera son activité dans le sens que lui-même (agent) donne à l'entente. Il oriente son action en partie d'une façon rationnelle en finalité (suivant le cas, d'une manière plus ou moins significativement «loyale») d'après cette expectation, en partie d'une façon rationnelle en valeur d'après le «devoir» de «respecter» l'entente intervenue conformément au sens qu'il vise lui-même.

Fin de l'extrait.

Retour à Max Weber. Dernière mise à jour de cette page le mercredi 16 mars 2011 15:48
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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