RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

  Veuillez utiliser cette adresse (DOI) pour citer ce document:
http://dx.doi.org/doi:10.1522/030141637

Collection « Méthodologie en sciences sociales »

TEXTES DE METHODOLOGIE EN SCIENCES SOCIALES
choisis et présentés par Bernard Dantier
Docteur de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales
Maître de conférences à Sciences-Po Paris.
Chargé de cours et de gestion de formations à l'Institut Supérieur de Pédagogie - Faculté d'Éducation de Paris.

Cette rubrique, évolutive, qui s’enrichira au cours du temps, propose au lecteur des textes de méthodologie
en sciences sociales, cela afin de l’aider dans une démarche de compréhension et de participation à ces sciences.

La représentation et l'étude visuelles des informations.
Jacques Bertin: Sociologie sémiotique
”.
Extrait de: Jacques Bertin, Sémiologie graphique. Les diagrammes — Les réseaux — Les cartes.
Paris, Éditions de l'ÉHESS, 4e édition, 2005, pp.vii-xi, 5-14
[1re édition, Paris, Éditions Gonthier-Villar,1967].

Pour télécharger le texte de 32 pages, au format désiré, cliquer sur le fichier de votre choix ci-dessous:
  Fichier Word (.doc): 152 K.
  Fichier Acrobat (.pdf): 156 K.
  Fichier .rtf: 292 K.

Jacques Bertin,
La représentation et l'étude visuelles des informations”.

L’utilisation des « graphiques » semble à présent consubstantielle aux sciences sociales. Si les simples tableaux numériques et statistiques furent rapidement utilisés par l’histoire, la psychologie et la sociologie (à partir notamment des relevés et recensements effectués par les divers services bureaucratiques des États, relativement aux répartitions démographiques, aux possessions immobilières et mobilières, aux cas de délinquance et de criminalité, etc.) les « diagrammes », « réseaux » et surtout « cartes » se développèrent dans les dernières décennies du 19e tandis que leur mise à contribution apparaît croissante tout au cours du 20e. Pourtant, à ces modes de représentation dont l’emploi devient quasi machinal, peu de savants ont consacré une étude critique d’ensemble, avant principalement, à partir des années 1960, Jacques Bertin dont nous présentons ici un extrait des travaux méthodologiques et épistémologiques.

Un graphique a pour finalité de réduire à des groupes et des rapports à la fois simples et globaux la multitude complexe des données respectivement partielles d’un ensemble d’informations (une information, en dernière analyse, étant la relation entre deux ou plusieurs variables comme dans le fait qu’Émile Durkheim, variable « a », vécut (fut présent) dans la période entre 1858 à 1917, variable « b » ou qu’il est l’auteur, variable « c », des « Règles de la méthode sociologique », variable « d »). Par le graphique des variables sont placées les unes par rapport aux autres dans un système de rapports spatiaux, système utilisant des signes purement arbitraires (et non figuratifs comme dans la symbolique qui n’est nullement concernée ici par cette méthode). Ces signes sont « monosémiques », leur sens unique étant prédéfini par convention. Dans ce cadre un « réseau » figure les relations entre les éléments d’un même ensemble de variables (de X ou d’Y), une carte montre toujours dans un seul ensemble les relations originairement spatiales entre les éléments, tandis qu’un diagramme développe les relations entre les éléments de plusieurs ensembles (entre X et Y).

La représentation visuelle des informations offre d’abord une mémoire artificielle et d’autant plus performante, mémoire sur laquelle ensuite, en traduisant des données sous forme d’image dans la dimension de l’espace, on peut, par la vision globale toujours permutable (plusieurs directions et divers parcours possibles dans l’approche des éléments), voir apparaître des relations et des structures imperceptibles dans l’écriture et la lecture du langage verbal ou même mathématique. En effet, celui-ci, se déroulant dans l’axe du temps où les signes se déroulent successivement et unitairement, segmente trop les données en tendant à les enfermer sur elles-mêmes, favorisant ainsi davantage une approche analytique qu’une conception synthétique. L’œil saisit instantanément un groupement que l’oreille n’intègre que plus lentement, partie après partie. Cette liberté que nous pourrions qualifier de « survolante », octroyée par la représentation visuelle (nous pourrions dire peut-être avec plus de justesse « spatiale »), permet donc ensuite de modifier l’agencement des données informatives, celles-ci étant toujours perçues dans leur ensemble et cet ensemble de connaissances étant devenu « plastique » sous le mode visuel. L’esprit, en posant une série de questions selon les buts de connaissance qui le préoccupent, va déceler en réponse des rapports plus ou moins significatifs qu’il va sélectionner et agencer au mieux (rien en effet n’apparaissant sans questionnement et manipulation de la part du récepteur comme du producteur de la représentation graphique). Cette appréhension synchronique et cette « transformabilité » de l’ensemble des données offrent ainsi un champ d’expérimentation heuristique.

Mais le processus de construction ne présente rien d’automatique et d’assuré. Une représentation graphique, pour devenir efficiente et surtout pour ne pas constituer un obstacle parasite au traitement de l’information, réclame maintes précautions qui doivent être toujours recommencées et perfectionnées. Pour un diagramme par exemple, les opérations les plus importantes (réitérables selon un processus d’essai et d’erreur) résident d’abord dans le choix des éléments pertinents à placer en X et en Y. A cet égard, selon Jacques Bertin, l’appréhension perceptive et la compréhension intellectuelle deviennent optimales dans le diagramme avec le jeu de trois pôles en rapport (trois ensembles de variables): X, Y et Z. Rappelons que X et Y sont les deux axes (dimensions) perpendiculaires de l’espace plan, dimensions divisibles en degrés déterminables, et Z étant la dimension plus ou moins variable (de 0 à la totalité des degrés de X et/ou Y) de la donnée se trouvant au croisement de la distribution de X et d’Y. Pour Z le choix réside dans celui des meilleures formes (surfaces en carré, en cercle, etc.), des meilleurs fonds (couleurs, dégradés de luminosité, motifs comme rainures ou pointillés, etc.) et des meilleures positions. Il faut rechercher les formes, les fonds et les positions qui procurent le plus de facilité de reconnaissance dans les regroupements comme dans les différenciations. Avec le choix de l’échelle ou des échelles, il s’agit ici d’options cruciales dont l’enjeu aboutit à favoriser ou à entraver la recherche et la découverte de la perception (et donc de la compréhension) des rapports qui importent.

Appareillage hautement délicat, fragile autant que puissant, le graphique doit être utilisé avec comme mode d’emploi une sémiologie plus que critique.

Bernard Dantier, sociologue
8 décembre 2008.


Extrait de: Jacques Bertin, Sémiologie graphique. Les diagrammes
— Les réseaux — Les cartes
. Paris, Éditions de l'ÉHESS, 4e édition, 2005,
pp. vii-xi, 5-14. [1re édition, Paris: Éditions Gonthier-Villar, 1967.]

La Sémiologie Graphique a été écrite en 1965. Elle a été publiée en 1967 et révisée en 1973. C'est l'édition de 1973 qui est rééditée ici. Plus de 30 années ont donc passé. Ont-elles modifié profondément le travail de 1973 ? La publication, en 1977 de «La Graphique et le traitement graphique de l'Information» […] montre que l'essentiel n'a pas changé. Cependant, avec le recul du temps, l'analyse s'est simplifiée, les propositions se sont précisées et se sont appuyées sur des exemples plus spectaculaires. Mais surtout elles se sont ordonnées différemment à la lumière de l'évolution des mathématiques, de l'informatique et de la diversité des applications de la Sémiologie Graphique. Le résultat de cette simplification est présenté à la fin de cette réédition.

Première lecture de la Sémiologie Graphique

Dans les années 1965-1973, nous sommes encore à l'époque de la cartographie «complexe» (?), des atlas nationaux, régionaux et spécialisés, imprimés en de multiples couleurs. Dans de nombreuses disciplines c'est la carte qui constitue l'inventaire de base, la mémoire artificielle disponible. C'est aussi l'époque de «la géographie quantitative», de l'«histoire quantitative» et des premières applications de l'ordinateur. Pour faire nos premières cartes automatiques, il faut avoir recours à un IBM de quelques dizaines de mètres cubes. Mais cet ordinateur rend enfin possible l'usage de l'analyse mathématique multivariée qui trouve un début d'application dans divers domaines. C'est enfin l'époque où s'affrontent la «théorie de l'information» et la «théorie de la communication». Elles inspirent alors la plupart des recherches graphiques : comment faut-il dessiner, que faut-il imprimer pour «communiquer», c'est-à-dire pour dire aux autres ce que l'on sait, sans perte «d'information» ?

C'est dans ce contexte que la Sémiologie Graphique a été lue. Elle a été analysée comme une étude des bases de la cartographie. Les commentateurs ont particulièrement retenu l'identification des variables visuelles. Par contre, le processus de lecture d'un graphique et les différentes propriétés des variables visuelles, qui pourtant justifient de l'utilité ou de l'inutilité d'une construction, n'ont pas attiré l'attention. Pas plus d'ailleurs semble-t-il que les pages consacrées aux permutations, c'est-à-dire à l'emploi de la graphique comme outil de travail personnel et de découverte. Le monde statistique et graphique en était encore à l'image imprimée et immobile, à «l'image de communication».

Trente années d'évolution font apparaître une tout autre perspective. Ce qui est devenu fondamental, ce sont les propriétés des variables visuelles et les propriétés de classement et de permutations graphiques. Nous entrons dans l'ère de la «graphique opérationnelle».

Le traitement des données

En effet, grâce à l'ordinateur, le traitement des données se développe prodigieusement. On sait que «comprendre» c'est réduire la multitude des «données» qui nous assaillent au petit nombre «d'informations» que nous sommes susceptibles de prendre en compte autour d'un problème donné. Et la psychologie démontre que ce nombre tourne autour de trois et ne dépasse pratiquement jamais sept. Le traitement des données recherche les méthodes les moins discutables pour parvenir à cette réduction indispensable.

Nos maîtres, qui ne disposaient pas de l'ordinateur et ignoraient en général les permutations matricielles opéraient par réductions successives. La longueur du temps nécessaire définissait l'échelle des recherches possibles.

Avec l'ordinateur, toutes les comparaisons semblent maintenant accessibles et ne posent plus de problème de temps. L'ordinateur fournit la réduction recherchée. Et c'est fini ! Vive l'intelligence «artificielle». Nous n'avons plus à penser !

Heureusement si ! Nous avons encore à penser car les mathématiciens perspicaces découvrent que les puissants outils qu'ils viennent de créer poussent les chercheurs à ne plus réfléchir. Or il ne suffit pas d'avoir «passé ses données à l'ordinateur» pour avoir fait œuvre scientifique. Ils découvrent et écrivent que les étapes les plus importantes ne sont pas celles qui sont automatisables mais bien celles qui précèdent et celles qui suivent les traitements automatiques. Ceux-ci soulèvent en effet deux questions nouvelles : A - Quelles réduction faut-il retenir? En effet, dès que le tableau des données est important, on découvre des réponses différentes suivant le type de calcul employé. On se retrouve donc, tout comme nos «anciens», devant un problème de choix : choix de sous-ensembles pertinents, de pondérations, d'exclusions, mais aussi choix de calculs de distances et choix d'algorithmes. Quel ordinateur nous dira qu'il lui manque tel algorithme ? B - Les données mises dans la machine sont-elles pertinentes au problème posé ? En effet, les réponses fournies par l'ordinateur se construisent «dans le cadre fini» des données mises dans la machine. Mais cet ensemble fini, découpé dans l'infini des possibles, est-il le meilleur ? Les premières réductions établies par le calcul conduisent le plus souvent à critiquer les données et à en imaginer de nouvelles. Quel ordinateur nous dira qu’'il lui manque telles « données » ?

Ces deux questions impliquent que nous fassions appel à des éléments extérieurs, qui sont nos connaissances et notre intuition, afin d'imaginer des données et des rapports dont la machine n'est pas encore instruite. Ces deux questions nous renvoient à nous-mêmes, c'est-à-dire à l'intelligence «naturelle» (si tant est que l'intelligence puisse être définie clairement).

Tout le problème est maintenant d'apporter à cette intelligence naturelle le meilleur support possible, en d'autres termes la mémoire artificielle la plus performante en considération de nos moyens naturels de perception.

Cette mémoire artificielle doit transcrire un grand nombre de données. Elle doit montrer les regroupements d'objets et de caractères ainsi que les exceptions à ces groupements, exceptions susceptibles de conduire l'interprétation, de la nuancer et de provoquer de nouvelles recherches. Elle doit enfin pourvoir être modifiée facilement, en fonction des diverses observations qu'elle a rendu possibles.

La mémoire artificielle graphique

II apparaît alors que la mémoire artificielle qui remplit toutes ces conditions est la construction graphique manipulable X, Y, Z, c'est-à-dire la «matrice ordonnable».

On ne parle plus maintenant de concurrence entre la graphique et l'analyse des données. Tout au contraire on reconnaît la complémentarité des deux langages, particulièrement au moment de l'interprétation. Ainsi, la question A, à laquelle la mathématique cherche à répondre par le « calcul des contributions », trouve dans la graphique une réponse remarquablement efficace.

Ce constat de puissance et d'universalité de la construction X Y Z conduit tout naturellement à la «théorie matricielle de la graphique». Elle définit la graphique comme la transcription de tout problème susceptible d'être construit sous forme de tableau à double entrée. Cette définition exclut le graphisme, dont l'objet est seulement de définir un ensemble.

Cette théorie s'applique directement à la cartographie. Elle en définit la spécificité : un XY constant, base universelle de comparaisons. Elle en définit aussi les limites, comme nous verrons plus loin. Mais ces limites prouvent, s'il le fallait, que toute la logique humaine semble fondée sur les propriétés de la perception visuelle qui seule nous offre, dans la construction X Y Z, la perception naturelle et instantanée des rapports entre trois variables. Au-delà il n'y a que la mémoire humaine.

L'explosion informatique rend plus évidente encore la pertinence des questions A et B. La puissance des dix mètres cubes d'ordinateur nécessaires en 1966 tient maintenant dans un sac à main. Le mini-ordinateur donne accès, grâce au téléphone, à des milliards de données. Lesquelles faut-il prendre ? Il permet d'utiliser des milliers d'algorithmes. Lesquels faut-il choisir ? Il permet d'afficher les différents résultats des traitements. Lesquels retenir et comment les interpréter ?

Les mathématiques et l'informatique nous offrent des moyens de plus en plus puissants pour traiter les données. Mais en même temps elles multiplient le nombre des choix arbitraires sans changer en rien nos moyens naturels de perception. Il s'agit donc d'utiliser de la meilleure manière ces moyens naturels pour justifier les choix nécessaires.

Nouvelle lecture de la Sémiologie Graphique

Tout graphique, toute carte étant la transcription d'un tableau de données, ce constat conduit à une nouvelle lecture : la théorie matricielle de la graphique, et à proposer les priorités suivantes :

1 - La manière de voir un graphique ou une carte.

On ne lit pas un graphique. On lui pose trois questions :

• Quelles sont les composantes X et Y du tableau de données ?
• Quels sont les groupes en X, en Y, que les données Z construisent ?
• Quelles sont les exceptions à ces groupements ?

Un graphique ne doit pas seulement montrer les feuilles de l'arbre. Il doit aussi montrer les branches et l'arbre tout entier. L'œil peut alors aller du détail à l'ensemble et découvrir à la fois la structure générale et ses exceptions.

Les questions sans réponse visuelle mesurent l'inutilité des mauvaises constructions. Il faut donc avant tout apprendre à poser ces trois questions. Faut-il rappeler que beaucoup d'utilisateurs les ignorent encore. En conséquence, ce serait une erreur de faire appel à leur avis avant qu'ils ne connaissent les véritables propriétés de la graphique.

2 - La construction X Y Z de l'image.

Elle seule permet de répondre aux questions précédentes. Dans toute autre construction on ne voit que la feuille, à la rigueur la branche. Mais l'arbre est invisible. X et Y sont les dimensions orthogonales du tableau. Z est la variation d'énergie lumineuse en chaque point significatif du tableau. Cette variation n'est obtenue que par la taille ou la valeur. Celles-ci fournissent, avec X et Y, les «variables de l'image». Les autres variables visuelles : grain, couleur, orientation et forme ne font que varier la qualité de l'énergie et non la quantité. Ce sont les «variables de séparation» d'images superposées.

3 - Le reclassement des lignes, des colonnes de la matrice X Y Z ainsi que la transformation du Z (écrêtage, impossible avant l'écran cathodique).

Ce sont les formes visuelles du traitement des données. Elles permettent de découvrir les groupes en X et les groupes en Y que les données Z construisent, c'est-à-dire de réduire la multitude des données de départ à un nombre accessible d'informations. Cette manipulation peut succéder à divers traitements automatiques. Elle fournit les bases de la discussion et de la décision. La mini-informatique met ce processus d'interprétation à la portée de tous […].

4 - L'application de la théorie matricielle à la cartographie.

Elle dirige la lecture de la carte (et donc sa construction) en définissant les deux questions pertinentes à toute topographie:

À tel endroit, qu'y a-t-il ? C'est la question en X (objets) dans le tableau des données. Tel phénomène, où est-il ? C'est la question en Y (caractères) dans le tableau des données. Elle sépare ainsi deux types de cartes : les cartes à 1 caractère, qui répondent aux deux questions ; les cartes à plusieurs caractères, qui pour la plupart ne peuvent répondre qu'à la première question. En remplaçant le «comment» de Lasswell par le «pourquoi», cette analyse dirige la réflexion qui doit précéder toute construction cartographique.

Applications

Au-delà des traitements graphiques, au-delà des traitements algorithmiques dont elle est le complément naturel, la Sémiologie graphique trouve des applications dans de nouveaux domaines.

Dans les arts plastiques par exemple elle apporte une analyse rigoureuse des moyens visuels que l'artiste utilise. Elle en définit la combinatoire et fournit des bases plus honnêtes à la critique artistique.

Plus importante encore est son application dans la pédagogie. Les travaux de R. GIMENO […] menés dans de nombreuses classes élémentaires montrent que le graphique introduit dans toutes les disciplines les bases de la logique et les processus essentiels de la réflexion et de la décision. Elle suscite une motivation exceptionnelle, elle favorise les bonnes questions, aide à construire la rédaction interprétative et... révèle l'intelligence des soi-disant « mauvais élèves ». La leçon par la graphique est sans doute l'une des meilleures réponses au problème aigu et universel du renouveau pédagogique et à la question « l'ordinateur à l'école, pour quoi faire ? ».

(…)

La graphique classique c'est l'image FIXE que nous rencontrons dans les publications. C'est le moyen de communiquer les résultats de la science, généralement avec rigueur. Mais trop souvent des constructions inutiles écrasent ces résultats et n'exposent que les données élémentaires de départ. Il faut savoir que le lecteur en est conscient. Il n'a pas de temps à perdre. Il ignore donc ces dessins et va chercher dans le texte la réduction synthétique qu'il attend. L'auteur inaverti, le dessinateur «par habitude» ou le metteur en pages analphabète ont une lourde responsabilité dans certains rejets de cet incomparable langage. Il faut savoir que la graphique n'est pas un art. C'est un langage scientifique rigoureux dont les lois naturelles ne peuvent être transgressées, mais dont la nature visuelle n'exclut pas quelques subtiles nuances «artistiques».

La graphique moderne c'est l'image TRANSFORMABLE et reclassable. C'est l'outil de travail rigoureux qui permet au décideur de découvrir ce qu'il doit dire, ce qu'il doit faire. L'ordinateur y trouve son expression la plus complète et la plus puissante […]. Mais c'est en même temps l'image la plus simple et par conséquent la plus communicable.

C'est cette image que la Sémiologie Graphique propose de construire.

(…)

SÉMIOLOGIE DU SYSTÈME GRAPHIQUE

THÉORIE GÉNÉRALE RÉSUMÉE – DÉFINITIONS

La représentation graphique fait partie des systèmes de signes que l'homme a construits pour retenir, comprendre et communiquer les observations qui lui sont nécessaires. "Langage" destiné à l'œil, elle bénéficie des propriétés d'ubiquité de la perception visuelle. Système monosémique, elle constitue la partie rationnelle du monde des images. Pour l'analyser avec précision, il convient d'en écarter les écritures musicales, verbales et mathématiques — liées à la linéarité temporelle, la symbolique essentiellement polysémique, et l'image animée — dominée par les lois du temps cinématographique. Dans ses limites strictes, "la graphique" recouvre l'univers des réseaux, celui des diagrammes, et l'univers des cartes, qui s'échelonne de la reconstitution atomique à la transcription des galaxies, en traversant le monde des plans et de la cartographie.

La graphique tient ses lettres de noblesse de sa double fonction de mémoire artificielle et d'instrument de recherche. Outil rationnel et efficace lorsque les propriétés de la perception visuelle sont pleinement employées, elle fournit l'un des deux "langages" du traitement de l'information. L'écran cathodique lui ouvre un avenir illimité.

DÉFINITION DE LA GRAPHIQUE

Image rationnelle, la graphique se distingue à la fois de l'image figurative et de la mathématique. Pour la définir avec rigueur par rapport aux autres systèmes de signes, l'approche sémiologique fait appel au croisement de deux évidences: a. l'œil et l'oreille séparent deux systèmes de perception; b. les significations que l'homme attribue aux signes peuvent être monosémiques, polysémiques ou pansémiques (1).

Signification
attribuée
aux
signes

Système de

Perception

pansémique

MUSIQUE

IMAGE NON-FIGURATIVE

polysémique

VERBE

IMAGE

FIGURATIVE

monosémique

MATHEMATIQUE

GRAPHIQUE

Place de la Graphique dans les systèmes de signes fondamentaux

Système monosémique.

Un système est monosémique quand la connaissance de la signification de chaque signe précède l'observation de l'assemblage des signes. Une équation ne se conçoit qu'une fois précisée Punique signification de chaque terme. Un graphique ne se conçoit qu'une fois précisée, par la légende, l'unique signification de chaque signe. A l'inverse, un système est polysémique quand la signification succède à l'observation et se déduit de l'assemblage des signes. La signification est alors personnalisée et devient discutable.

En effet, une image figurative, et par exemple une photographie quelconque, ou une photographie aérienne, est toujours assortie d'un certain coefficient d'ambiguïté : qui est ce personnage ? qu'est-ce que représente cette tache noire, cette forme ? A ces questions, chacun peut répondre à sa manière car l'interprétation est liée au répertoire d'analogies et de hiérarchies de chaque "récepteur". Et l'on sait que ce répertoire varie d'un individu à l'autre, au gré de la personnalité, de l'entourage, de l'époque et de la culture. Devant l'image polysémique, le processus de perception se traduit par la question : «Tel élément, tel assemblage d'éléments, que signifie-t-il ?», et la perception consiste à coder l'image. Le travail de lecture se situe entre le signe et sa signification. Le tableau non-figuratif, c'est-à-dire l'image qui ne signifie plus rien de précis, pour chercher à signifier le "tout", définit la "pansémie", forme extrême de la polysémie.

Par contre, dans la graphique, et par exemple dans un diagramme ou une carte, chaque élément est défini à l'avance. Le processus de perception est alors très différent et se traduit par la question: «Étant donné que tel signe signifie telle chose, quelles sont les relations qui s'établissent entre tous les signes, entre toutes les choses représentées ?». La perception consiste à définir les relations qui s'établissent dans l'image ou entre images, ou entre image et nature. Le travail de lecture se situe entre les significations.

Cette distinction est fondamentale car elle donne tout son sens à "la graphique" par rapport aux autres formes de visualisation. Qu'est-ce, en réalité, qu'employer un système monosémique ? C'est consacrer à la réflexion un moment pendant lequel on cherche à réduire au maximum la confusion, pendant lequel, dans un certain domaine et durant un certain temps, tous les participants s'accordent sur certaines significations, exprimées par certains signes, et conviennent de n'en plus discuter. Cette convention permet alors de discuter de l'assemblage des signes et d'enchaîner les propositions dans une succession d'évidences, succession qui peut alors devenir "indiscutable", c'est-à-dire "logique" [1]. C'est l'objet de la mathématique, dans les systèmes liés à la linéarité du temps. C'est l'objet de la graphique dans les systèmes liés à la tridimensionnalité de la perception spatiale. Sur ce point, graphique et mathématique sont semblables et construisent le moment rationnel.

Système visuel.

Mais graphique et mathématique se différencient en fonction de la structure perceptive qui les caractérise. Il faudrait au moins 20000 instants successifs de perception pour comparer deux tableaux de chiffres de 100 lignes sur 100 colonnes. Que les chiffres soient transcrits graphiquement et la comparaison est aisée, et peut même être instantanée. En effet (2), la perception sonore ne dispose que de deux variables sensibles : la variation des sons et le temps. Tous les systèmes destinés à l'oreille sont linéaires et temporels (Rappelons que les transcriptions scripturales de la musique, du verbe et des mathématiques ne sont que des formules de mémorisation de systèmes fondamentalement sonores, et que ces formules n'échappent pas au caractère linéaire et temporel de ces systèmes).

Par contre, la perception visuelle dispose de trois variables sensibles : la variation des taches et les deux dimensions du plan, et ceci hors du temps. Les systèmes destinés à l'œil sont d'abord spatiaux et atemporels. D'où leur propriété essentielle : dans un instant de perception, les systèmes linéaires ne nous communiquent qu'un seul son ou signe, tandis que les systèmes spatiaux, dont la graphique, nous communiquent dans le même instant les relations entre trois variables.

Utiliser au mieux cette puissance considérable de la vision, dans le cadre d'un raisonnement logique, tel est l'objet de la graphique, niveau monosémique de la perception spatiale.

2

Système de

perception

variables
sensibles

1 variation de sons

1 variation de temps

1 variation de taches
2 dimensions
du plan

total

2 variables

3 variables

perception
instantanée

1 son

Totalité
des relations
entre 3 variables


Évolution de la graphique.

La puissance de la graphique est reconnue depuis longtemps. Les plus anciennes représentations graphiques découvertes sont des cartes géographiques gravées sur argile, et qui datent vraisemblablement du 3ème millénaire avant J.-C. Les images graphiques ont d'abord été conçues, et se conçoivent utilement encore, comme des reproductions de la nature visible, qui ne bénéficient que d'un degré de liberté, celui de l'échelle. Dans une reconstitution moléculaire, dans une figure géométrique, un schéma de montage, un dessin industriel, dans une coupe de terrain ou une carte, les deux dimensions du plan dessiné s'identifient, compte tenu de l'échelle, à l'espace visible.

Il a fallu attendre le xiv siècle pour entrevoir à Oxford, et le XVIIIème siècle pour découvrir, avec Charles de Fourcroy (…), que les deux dimensions de la feuille de papier pouvaient utilement représenter autre chose que l'espace visible. C'était, en réalité, passer de la simple représentation à un «système de signes» complet, indépendant, et possédant ses lois propres, c'est-à-dire sa SÉMIOLOGIE.

Et, avec la fin du XXème siècle, ce système de signes franchit une nouvelle et fondamentale étape, sous la pression de l'information moderne et grâce à la pensée informatique. La grande différence que l'on perçoit maintenant entre la représentation graphique d'hier, mal dissociée de l'image figurative, et la graphique de demain, c'est la disparition de la fixité congénitale de l'image.

Devenue manipulable par superpositions, juxtapositions, transformations, permutations, autorisant groupements et classements, l'image graphique est passée de l'image morte, de 1' "illustration", à l'image vivante, à l'instrument de recherches accessible à tous. La graphique n'est plus seulement la représentation de la simplification finale, c'est aussi, c'est surtout, le point de départ exhaustif et l'instrument qui permet de découvrir et de défendre cette simplification. La graphique est devenue par sa maniabilité, un instrument de traitement de l'information. Son étude commence donc par l'analyse de l'information à transcrire.

I. L'ANALYSE DE L'INFORMATION

Toute pensée ne s'exprime jamais que dans un système de signes. La mimique est une codification naturelle, le langage verbal est un code de signes sonores, et il faut l'apprendre pour communiquer avec autrui, l'écriture d'un langage est un autre code, la représentation graphique un autre encore. La mise en mémoire sous forme de disque, de bande ou dans les calculatrices nécessite de nouvelles codifications appropriées... La représentation graphique est la transcription, dans le système graphique de signes, d'une "information connue par l'intermédiaire d'un système de signes quelconques.

La représentation graphique est une partie de la sémiologie, science qui traite de tous les systèmes de signes.

Information et représentation

Toute transcription conduit à séparer le contenu, c'est-à-dire les éléments de la pensée qui peuvent rester constants, quel que soit le système de signes dans lequel ils sont traduits et le contenant, c'est-à-dire le répertoire des moyens disponibles d'un système donné et les lois qui en régissent l'emploi, éléments constants quelle que soit la pensée à transcrire. Qu'il s'agisse d'étudier les moyens, propriétés et limites du système graphique ou de rédiger un dessin, il faut d'abord séparer strictement le contenu (l'INFORMATION, qui peut être téléphonée) du contenant (les MOYENS du système graphique).

D'une manière générale nous ne discuterons jamais ici le contenu des exemples proposés. Il peut être jugé bon ou mauvais, " exact " ou non. Quoiqu'il soit, ce qui nous importe c'est la qualité, l'efficacité de sa transcription graphique. D'ailleurs, seule une bonne transcription graphique permet de juger pleinement de la qualité du contenu d'une information.

Sachant que chaque système de signe a ses moyens, son style, son esthétique, que peut-on isoler de constant dans une pensée, à travers ses diverses traductions ? Une pensée est une relation entre divers concepts que l'on a reconnus et isolés pendant l'instant nécessaire, parmi la multitude des concepts imaginables. Soit l'exemple suivant :

"Le 8 juillet 1964, l'action X à la bourse de Paris est cotée 128 F; le 9 juillet, elle est cotée 135 F. " Quelle que soit la tournure de la phrase, le contenu sera toujours constitué par la correspondance pertinente entre certains points :

1°) du concept "quantité de Francs", ou VARIATION du nombre de Francs.
2°) du concept " temps ", ou VARIATION de date.
3°) et un point X du concept " différentes actions cotées à la bourse de Paris ", point par définition INVARIANT.

Dans la représentation graphique on appellera INFORMATION le contenu traductible d'une pensée. Il est constitué essentiellement par une ou plusieurs CORRESPONDANCES ORIGINALES entre un ensemble fini de concepts de variation et un invariant.

L'information à transcrire peut être fournie dans un quelconque système de signes, et l'on conviendra que celui-ci est connu du transcripteur c'est-à-dire du rédacteur graphique. Soulignons une fois pour toutes que le terme "information" n'aura jamais ici le sens très limité et précis qu'il reçoit dans la "Théorie de l'Information", mais sera synonyme de "renseignements à transcrire".

A.  Invariant et composantes

Dans une information à transcrire on appellera INVARIANT la définition commune à toutes les correspondances originales. On appellera COMPO­SANTES les concepts de variation mis en œuvre.

et l'exemple précédent sera dit à deux composantes : variation du nombre de francs, variation de temps. Quel que soit le système de signes employé il faudra toujours au moins deux composantes pour le traduire. Dans le système graphique, il mobilise normalement deux composantes visuelles : les deux dimensions du plan.

La rédaction des TITRES et LÉGENDES est la première application de ces notions.

Pour faciliter l'exposé on appellera VARIABLES VISUELLES (ou "variables" tout court) les composantes du système graphique de signes, et les deux variables que nous fournit le plan seront appelées DIMENSIONS DU PLAN. Une information sera donc formée de correspondances originales entre diverses composantes et sa représentation graphique, de correspondances entre diverses variables.

La perception visuelle n'admet qu'un nombre réduit de variables. En conséquence :

B.   Nombre de composantes

La détermination du NOMBRE DE COMPOSANTES est le premier point de l'analyse d'une information.

Composantes et variables sont, par définition, divisibles. On appellera ÉLÉMENTS ou CATÉGORIES (ou "classes", ou "paliers") les différentes parties identifiables d'une composante ou d'une variable et l'on parlera par exemple des catégories "départements" d'une composante géographique ou des catégoris " bovins", "ovins", "caprins", de la composante "différents animaux domestiques", des paliers de gris de la variable "valeur", des classes annuelles de la composante "temps", des éléments de la composante "différentes personnes".

La complexité d'une figure est liée au nombre des catégories dans chaque composante.

C.  Longueur des composantes

On appellera LONGUEUR d'une composante ou d'une variable le nombre des éléments ou catégories qu'elle permet d'identifier. C'est le deuxième point de l'analyse d'une information.

Ainsi la composante "sexe" est de longueur 2, la composante géographique "départements français" est de longueur 90. Dans une composante quantitative on ne confondra pas la "longueur" ou nombre de paliers utiles, et l'ËTENDUE de la série, qui est le rapport entre le plus grand et le plus petit nombre de la série statistique.

D.  Niveau d'organisation des composantes

La graphique proprement dite ne représente que les relations qui s'établissent entre les composantes, entre les éléments.

Ces relations définissent trois NIVEAUX D'ORGANISATION et toute I composante, toute variable visuelle s'installe à l'un de ces niveaux :

LE NIVEAU QUALITATIF (ou combinatoire) qui groupe tous les concepts de simple différenciation (métiers, produits, religions, couleurs...). Il comporte toujours deux attitudes perceptives : Ceci est semblable à cela, et je peux les confondre en un seul groupe (association). Ceci est différent de cela et appartient à un autre groupe (sélection).

LE NIVEAU DE L'ORDRE qui groupe tous les concepts susceptibles d'ordonner les éléments d'une manière universellement admise (ordre du temps ; ordre des appréciations sensibles: froid-tiède-chaud, noir-gris-blanc,  petit-moyen-grand ;  ordre  des  appréciations  morales:  bon-médiocre-mauvais...). Ce niveau comprend tous les concepts qui permettent de dire : ceci est plus que cela et moins que cet autre.

LE NIVEAU QUANTITATIF (ou métrique) qui est atteint lorsque l'on dispose d'une unité comptable (ceci est le quart, le triple, 4 fois cela).

Ces niveaux sont emboîtés et l'on remarque que ce qui est quantitatif est également ordonné et qualitatif. Ce qui est ordonné est également qualitatif. Ce qui est qualitatif est simplement ordonnable. LES NIVEAUX D'ORGANISATION forment le champ des significations universelles, des analogies fondamentales auxquelles peut prétendre la transcription graphique. C'est le troisième point de l'analyse d'une information.

Toute autre signification est en réalité extérieure à la représentation graphique. Elle ne forme que le lien entre le système graphique et le monde des concepts extérieurs et doit s'appuyer soit sur une explication codée dans un autre système (légendes), soit sur une ANALOGIE FIGURATIVE de forme ou de couleur (symboles), basée sur les habitudes acquises ou des conventions apprises, et qui ne peut jamais prétendre à l'universalité. Chaque variable visuelle a ses propriétés particulières de niveau et de longueur. Il importe que chaque composante soit transcrite par une variable ayant au moins le niveau et la longueur correspondants. La graphique se limite en fait à la représentation de ces niveaux d'organisation. Mais ce sont les relations de similitude et d'ordre, appuyées sur la métrique, qui' constituent la base de toute réflexion.

II. LES MOYENS DU SYSTEME GRAPHIQUE

A.  Délimitation du système

De quelles variables le système graphique de signes dispose-t-il? L'œil est l'intermédiaire d'un grand nombre de perceptions. Toutes ne concernent pas le système que nous étudions et l'intervention du mouvement réel par exemple, pourtant perceptible par la vision, nous ferait passer du système graphique (intemporel) au cinéma, dont les lois sont très différentes. On ne considérera donc que ce qui est représentable sur une feuille plane de papier blanc d'un format moyen, sous un éclairage normal, par tous les moyens graphiques disponibles.

Dans ces limites, on considérera que le système graphique dispose de huit variables : une tache visible exprimant une correspondance originale peut varier en position par rapport aux DEUX DIMENSIONS DU PLAN. Elle peut varier en TAILLE, VALEUR, GRAIN, COULEUR, ORIENTATION. FORME. Dans le plan, cette tache peut représenter un POINT (position sans surface), une LIGNE (position linéaire sans surface) ou une ZONE (surface).

B.   Le plan

On appellera IMPLANTATION l'utilisation des trois significations qu'une tache visible peut recevoir par rapport aux dimensions du plan.

Un département français peut être représenté par un point dans un diagramme, il est en implantation ponctuelle ; représenté par une ligne, il est en implantation linéaire. Représenté par une zone dans une carte, il est en implantation zonale. Les implantations sont les trois moments du continu sensible appliqué au plan. Ce sont les trois figures élémentaires de la géométrie.

LE NIVEAU D'ORGANISATION DU PLAN est maximum. Ses deux dimensions fournissent les seules variables qui ont toutes les propriétés perceptives.

On appellera IMPOSITION l'utilisation des deux dimensions du plan.

Cette utilisation dépend de la nature des correspondances originales exprimées dans le plan et sépare les représentations graphiques en quatre groupes. En effet les correspondances dans le plan peuvent s'établir :

- entre tous les éléments d'une composante et tous les éléments d'une autre composante. La construction est un DIAGRAMME.  Exemple : variation de la cote de l'action X à la bourse de Paris. A toute date (composante temps) peut correspondre a priori tout prix (composante quantité de francs) et il n'y a pas lieu de prévoir une correspondance entre deux dates, entre deux prix.

- entre tous les éléments d'une même composante. La construction est un RÉSEAU. Exemple : Relations de conversations entre des individus disposés autour d'une table. Tout individu (de la composante "différents individus") est susceptible de correspondre avec tout autre individu (de la même composante).

- entre tous les éléments d'une même composante géographique inscrits dans le plan suivant la distribution géographique observée. Le réseau trace une CARTE GÉOGRAPHIQUE.

- entre un seul élément et le lecteur (signal routier, codes divers de forme, codes de couleur industrielle...). La correspondance est extérieure à la représentation graphique. C'est un problème de SYMBOLIQUE qui fait appel aux analogies figuratives.

Dans les diagrammes et les réseaux, la libre disposition des dimensions du plan conduit à distinguer les semis, les impositions rectilignes, circulaires, orthogonales, polaires ou les élévations et à définir des TYPES DE CONSTRUCTION que l'on peut caractériser par des SCHÉMAS de CONSTRUCTION.

C.  Les variables rétiniennes

On appellera ÉLÉVATION ou VARIATION de 3e DIMENSION l'utilisation des six variables autres que celles du plan ou variables RÉTINIENNES (variable de 3e dimension). Une variation de qualité entre deux villes pourra être représentée sur une carte par une variation de taille, de valeur, de grain, de couleur, d'orientation, de forme, ou par une combinaison de plusieurs de ces variations.

C'est aux variables rétiniennes que la représentation graphique fait appel dès la 3e composante d'une information. Mais aucune de ces variables ne possède, comme le plan, toutes les propriétés perceptives. Il faut donc connaître leur NIVEAU D'ORGANISATION et pour chaque variable ses PROPRIÉTÉS DE LONGUEUR et d'emploi.

III. LES RÈGLES DU SYSTÈME GRAPHIQUE

A.  Le problème graphique

La grande diversité des constructions graphiques, à l'intérieur d'un groupe et éventuellement d'un groupe à l'autre tient à l'apparente liberté que l'on a de traduire toute composante donnée par l'une des huit variables visuelles ou par une combinaison de plusieurs de celles-ci.   

Libre de son choix, le rédacteur graphique peut par exemple traduire une composante géographique par une seule dimension du plan et il construit fi un diagramme, ou par les deux dimensions du plan et il construit une carte, f II est libre d'utiliser la variation de couleur ou celle de valeur. Construire 100 FIGURES différentes à partir d'une même information ne demande que de la patience. Mais certains choix s'imposent par leur plus grande efficacité.

B.   La théorie de l'image

L'EFFICACITÉ est définie par la proposition suivante :

Si, pour obtenir une réponse correcte et complète à une question donnée et toutes choses égales, une construction requiert un temps de perception plus court qu'une autre construction, on dira qu'elle est plus efficace pour cette question.

C'est la notion du "coût mental" de la perception, mise en évidence par Zipf, appliquée à la perception visuelle. Dans la plupart des cas la différence de temps de perception entre une construction efficace et une inefficace est extrêmement nette, et peut dépasser l'heure. Les RÈGLES DE CONSTRUCTION permettent de choisir les variables qui construisent la représentation la plus efficace.

L'efficacité est liée à la facilité que rencontre le lecteur à chacune des étapes de la lecture d'un dessin. L'ensemble des remarques qui mènent aux règles de construction forme la THÉORIE DE L'IMAGE. Elle est développée en cinq points :

1 LES ÉTAPES DU PROCESSUS DE LECTURE.

Lire un dessin, c'est procéder plus ou moins rapidement à trois opérations successives :

L'IDENTIFICATION EXTERNE : de quelles composantes s'agit-il? Il faut concrétiser dans la pensée les concepts proposés à l'attention.

L'IDENTIFICATION INTERNE : par quelles variables les composantes sont-elles exprimées ? Par exemple, les quantités par la dimension verticale du plan, le temps par la dimension horizontale, ou bien les quantités par la longueur du rayon, le temps par le déroulement de la circonférence.

Ces opérations forment le lien entre le système graphique et les autres systèmes. Il est fourni par le verbe, l'écriture, titres et légendes ou par des analogies figuratives de forme ou de couleurs. Ces deux étapes sont indispensables et précèdent toujours la préhension de l'information proprement dite :

LA PERCEPTION DES CORRESPONDANCES ORIGINALES : "À telle date, quel est le prix de l'action X ?" Cette perception résulte toujours d'une QUESTION, consciente ou non. Quelles sont les questions que l'on peut poser devant une information ?

2 LES QUESTIONS POSSIBLES - LES NIVEAUX DE LECTURE.

Dans l'exemple précédent deux types de questions sont possibles :

- A telle date, quel est le cours de l'action X 

- Tel cours, à quelle date a-t-il été atteint ?

Il apparaît donc qu'il y a autant de TYPES DE QUESTIONS que de composantes dans une information. Mais dans chaque type il y a de nombreuses questions possibles.

a. Les questions introduites par un seul élément d'une composante, exemple "A telle date" et aboutissant à une seule correspondance. C'est le NIVEAU ÉLÉMENTAIRE DE LECTURE. Ces questions tendent à sortir du système graphique.

b. Les questions introduites par un groupe d'éléments de la composante, exemple : "dans les trois premiers jours, quelle a été l'évolution du prix ?" réponse : "montée du prix". Ces questions sont très nombreuses puisque l'on peut former des groupes très divers. Ce sont les NIVEAUX MOYENS DE LECTURE. Ces questions tendent à réduire la longueur des composantes.

c. La question introduite par l'ensemble de la composante "Durant toute la période, quelle a été l'évolution du prix ?" réponse "évolution générale en hausse". C'est le NIVEAU SUPÉRIEUR ou lecture d'ensemble. Cette question tend à réduire toute l'information à une unique relation d'ordre entre les composantes. On peut dire :

- Il y a autant de TYPES DE QUESTIONS que de composantes dans une information ;

- Dans chaque type, il y a TROIS NIVEAUX DE LECTURE: le niveau élémentaire, les niveaux moyens et le niveau d’ensemble ;

- Toute question peut être définie par son type et par son niveau.

Ces niveaux de lecture sont assimilables aux niveaux d'intégration de la pensée. Cette analyse permet de connaître par avance la totalité des questions que peut susciter une information donnée; elle permet par conséquent d'en étudier la probabilité et, s'il y a lieu, de pouvoir en tenir compte dans la construction.

3 DÉFINITION DE L’IMAGE.

La perception des correspondances originales définies par une question comporte : a. une identification d'entrée : "A telle date ?"; b. une correspondance : un point; c. une identification de sortie : la réponse "tant de francs".

Cette perception implique que l'œil puisse isoler la date d'entrée de toutes les autres dates et PENDANT UN INSTANT DE PERCEPTION, ne plus voir que la, ou les correspondances définies par cette identification d'entrée, mais les voir toutes. Pendant cet instant, l'œil doit faire abstraction de toutes les autres correspondances. C'est la SÉLECTION visuelle. On constate que dans certaines constructions graphiques, l'œil est capable d'englober toutes les correspondances définies par une identification d'entrée dans un seul "coup d'œil", dans un seul instant de perception. Les correspondances se voient en une seule forme visuelle. Nous appellerons IMAGE la forme visuelle significative perceptible dans l'instant minimum de vision.

Dans cette acception, IMAGE correspond à "forme" dans la "théorie de la forme", à "pattern" et à  Gestalt". Elle trouve un synonyme dans "silhouette". Les autres constructions ne permettent pas d'englober toutes les correspondances dans un seul instant de perception et l'ensemble des correspondances définies par certaines questions n'apparaît que dans la mémoire du lecteur, qui seule peut opérer la somme des images qu'il a fallu sélectionner successivement. Il est donc évident que :

Les constructions les plus efficaces sont celles dans lesquelles toute question, quel qu'en soit le type ou le niveau, obtient une réponse dans l'exercice d'un seul instant de perception, une réponse perceptible en UNE SEULE IMAGE.

L'image, unité de perception visuelle, ne doit pas être confondue avec la FIGURE qui est l'unité apparente et illusoire définie par la feuille de papier, par un encadrement linéaire ou par un cadre géographique.

4 LA CONSTRUCTION DE L'IMAGE : l'image admet trois variables. L'image se crée sur trois variables homogènes et ordonnées : les deux dimensions du plan et une variable de 3e dimension.

LES RÈGLES DE CONSTRUCTION conduisent donc le rédacteur à utiliser les deux dimensions du plan d'une manière homogène, rectiligne et orthogonale et à utiliser en 3e dimension une variable ordonnée : la taille, la valeur ou le grain.

Et il en résulte que :

Toute information à trois composantes ou moins peut être construite en une image.

Il faut et il suffit que soient respectées les règles de construction. Dans ce cas, quel que soit le type ou le niveau de la question, la réponse sera vue en une image, ne nécessitera qu'un instant de perception. Nous dirons que la représentation graphique est UNE IMAGE.

Dans toute construction ne respectant pas ces règles, certains types, certains niveaux de questions nécessiteront la perception successive de plusieurs images, c'est-à-dire un coût mental élevé. La mémorisation de la réponse sera très difficile et souvent impossible. Nous appellerons ces constructions des FIGURATIONS. Elles seront moins efficaces que les constructions en une image.

5 LES LIMITES : l'image n'admet pas plus de trois variables significatives! Par conséquent toute information a plus de trois composantes ne peut être construite en une image, ce qui veut dire que pour certaines questions, l’identification nécessitera plusieurs instants de perception, plusieurs images et :

Dans une information à plus de trois composantes, il est nécessaire de CHOISIR DES QUESTIONS PRÉFÉRENTIELLES, introduites par un seul instant de perception, et de réserver aux questions moins utiles ou moins probables les identifications d'entrée nécessitant plusieurs instants de perception.

La mémorisation visuelle est évidemment inversement proportionnelle au nombre d'images nécessaire à la perception d'une information ; c'est elle qui, en définitive, dirige le choix des questions préférentielles et conduit à distinguer les trois fonctions de la représentation graphique :

C.  Les trois fonctions de la représentation graphique

1. ENREGISTRER L'INFORMATION, créer une mémoire artificielle qui évite l'effort de mémorisation. La construction sera exhaustive mais peut être non mémorisable dans son ensemble.

2. COMMUNIQUER L'INFORMATION, créer une image mémorisable qui inscrira l'information dans la mémoire. La construction sera mémorisable mais peut être non exhaustive. L'image sera simple.

3. TRAITER L'INFORMATION, fournir les dessins qui permettent de procéder à LA SIMPLIFICATION et de la justifier. La construction sera mémorisable (pour les comparaisons) et exhaustive (pour les choix). Une information à trois composantes et moins, construite en une image, répond aux trois fonctions de la représentation graphique. Mais une information à plus de trois composantes sera construite différemment selon la fonction visée, c'est-à-dire selon la nature des questions utiles.

D.  Les règles de construction

Des RÈGLES DE CONSTRUCTION exprimées par des SCHÉMAS DE BASE définissent suivant les principaux cas la construction la plus efficace.

E.   Les règles de lisibilité (ou règles de séparation)

Les règles de construction dirigent le choix des variables visuelles. Une fois choisies, les variables peuvent cependant être plus ou moins bien utilisées. L'efficacité dépend aussi des écarts sensibles que l'on saura tirer de chaque variable ou de leurs combinaisons éventuelles, et qui en augmenteront ou en réduiront la capacité de séparation. Ainsi par exemple l'écart sensible est plus grand entre le bleu et le rouge qu'entre le bleu et le vert, entre le noir et le blanc qu'entre le noir et le gris...

On appellera RÈGLES DE LISIBILITÉ les observations qui permettent de mettre en œuvre les plus grands écarts sensibles de la vision. Elles sont liées aux facultés de la perception humaine, et sont propres à chaque variable ainsi qu'à chaque combinaison de variable, et s'expriment par leur LONGUEUR. Mais celle-ci varie suivant le niveau de signification que l'on veut exprimer. La perception sélective appelle les plus grands écarts.


[1] La monosémie est la condition de la logique. Mais elle permet aussi d’en mesurer les limites. Fn effet la monosémie ne peut exister qu'à l'intérieur d'un domaine fini d'objets et de relations. Le raisonnement logique ne peut donc être qu'un moment delà réflexion, puisqu'il y a une infinité de domaines finis, si grands soient-ils. La logique apparaît donc comme une succession de moments rationalisés, noyés dans le continuum infini de l'irrationnel.

Fin de l'extrait.



Revenir à l'auteur: Jacques Brazeau, sociologue, Univeristé de Montréal Dernière mise à jour de cette page le mercredi 16 mars 2011 13:52
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref