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Collection « Histoire du Saguenay—Lac-Saint-Jean »

Le Peuple métis de la Boréalie. Évocation des textes fondateurs. Opus 5. (2008)
En guise d'avant-propos


Une édition réalisée à partir du texte de Russel Aurore Bouchard, Le Peuple métis de la Boréalie. Évocation des textes fondateurs. Québec: Russel Bouchard et Les Éditions CORNAC, 2008, 110 pp. OPUS 5. [L’auteure nous a accordé le 22 avril 2016 l’autorisation de diffuser en accès libre à tous ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[7]

Le Peuple métis de la Boréalie. Évocation des textes fondateurs.
Opus 5.

En guise d'avant-propos

Rappel historique d'un éveil identitaire
et évocation des textes fondateurs
du Peuple Métis de la Boréalie


Éveil identitaire et rappel de la voix métisse

Le 14 juillet 2000, alors que les lumières de nos Parlements venaient de s'éteindre pour la relâche estivale, les citoyens du Saguenay–Lac-Saint-Jean et de la Côte-Nord, Métis et Canadiens français confondus dans le camp des « blancs » (sic), apprenaient, stupéfaits, que les gouvernements supérieurs et les petites nations ilnutsh étaient engagés dans le dernier droit de pourparlers devant aboutir, l'été suivant si tout se déroulait sans anicroche et comme prévu, à la conclusion d'un traité historique. Du jour au lendemain, sans que nul d'entre nous n'ait été informé de la chose par quelque voix que ce soit, nous apprenions donc que nous faisions partie des « tiers » de ce pays (c'est-à-dire tout ce qui n'est pas Ilnut) ; que nous étions assimilés en tout et pour tout aux derniers arrivants ; et que nous étions, sans autre forme de procès, soulagés de notre qualité d'autochtone puis spoliés de nos droits ancestraux sur ces territoires occupés, jadis par nos ancêtres, sous le nom de Domaine du Roi.

L'affaire aurait bien pu en rester là, n'eut été de la vigilance des dirigeants de la MRC Maria-Chapdelaine, qui déplorèrent du tac-au-tac « le dépeçage du territoire par des fonctionnaires cravatés de grandes agglomérations », et de la publication d'un réquisitoire déposé en catastrophe par un groupe de chercheurs qui dénoncèrent le caractère illégitime, raciste et exclusif de ce traité dès lors perçu comme « la pire agression contre la population et le territoire du Saguenay–Lac-Saint-Jean » [1].

[8]

L'identité et le territoire ! Qui est qui et qui n'est plus ? Propriétaire ou locataire dans le pays de nos pères et de nos mères ? Être ou ne pas être ? C'est ainsi que cette question existentielle à deux volets, porte d'entrée des plus grands malheurs des peuples, fut inscrite bien périlleusement au rôle de notre histoire pour éveiller des sentiments et des émotions que d'aucuns auraient préféré éteints à tout jamais. De fait, cet ordre du jour annonça, par la voix des Parlements du sud, une révolution tant dans la manière de s'identifier que d'occuper le territoire. Elle souleva tant et si bien les passions auprès des populations directement impliquées, qu'elle stimula les sentiments d'appartenance à des communautés autochtones authentiques et sollicita le réflexe de la survivance pour tous ceux et celles qui, par le double fait du métissage et de l'histoire, croyaient pourtant appartenir à l'âme de cette terre au même titre que le nouveau peuple Indien, Ilnut depuis peu, surgi d'une irrépressible rencontre.

De part et d'autre de cette odieuse barricade montée par des étrangers dans l'unique but de s'emparer de nos titres et droits ayant survécu aux lois de l'occupant britannique, des voix se firent entendre. Parfois, elles étaient accompagnées d'un roulement de tambours faisant craindre pour la paix séculaire dans laquelle les peuples fondateurs —Indiens, Métis et Canadiens français— et les derniers arrivants, avaient toujours vécu. Pour les chefs et les négociateurs Ilnutsh, devenus arrogants d'assurance par l'appui inconditionnel des parlementaires, cette réaction des Métis et des Canadiens français était simplement due à une mauvaise compréhension de leur part voire à une mauvaise connaissance de l'histoire du Nitassinan ; ce qui était une manière bien mal inspirée de clamer haut et fort qu'eux, les Indiens, habitent sur ce territoire depuis des millénaires, alors que tous les autres ne l'occupent que depuis 350 ans [2].

[9]

L'un d'eux, Rémy Kurtness, porte-parole officiel par sa fonction de négociateur en chef des Ilnutsh du futur pays de Nitassinan, déjà convaincu de tous ses pouvoirs en fonction des assurances obtenues par les négociateurs gouvernementaux, réussit à nous surprendre dans une déclaration incendiaire lancée comme un prix de consolation, à prendre ou à laisser ! Ainsi donc, vaticina-t-il dans de multiples entrevues accordées au cours de cet été-là aux grands médias du pays : « On ne va pas forcer les gens de Chicoutimi à rentrer en Europe avec leur maison sous le bras. Mais ils vont apprendre un jour que le nom de leur ville vient du nom innu « eshtiyimiu », qui veut dire : « là où l'eau est profonde » [3]. Cette sorte de prophétie, surprenante par le ton belliqueux avec lequel elle était annoncée, réduisait à néant à elle seule la présence historique des Métis de ce lieu commun et les extirpait de la mémoire collective dont ils sont pourtant partie prenante depuis plus de trois siècles et demi. Le craquement qu'il provoqua alors au sein des communautés concernées, ne pouvait être plus indiqué pour sonner le rappel de la voix métisse et servir d'en-tête à ce nouveau chapitre d'une histoire dont on s'appliquait, de plus belle et par chercheurs subventionnaires interposés, à détourner de son vrai sens.

Il avait fallu, aux Métis de l'Ouest, une invasion de leurs terres ancestrales suivie de la pendaison brutale de leur chef charismatique, en 1885, pour  raffermir leur  conscience commune et leur voix identitaire. Considérons que le dernier plan d'invasion territoriale contenu dans la menace de L'Approche commune, aura le même effet rassembleur pour les Métis de la Boréalie québécoise. Dans un réflexe d'autosurvivance, qui trouve toute son explication dans l'histoire dont ils ont été à la fois auteurs, acteurs et victimes, les Métis souderont leur esprit autour d'une fierté identitaire qui attendait patiemment son heure pour se manifester au grand jour.

[10]

Le jugement Powley et l'amorce des procédures
de reconnaissance du Peuple Métis de la Boréalie


Depuis 1842, en fait depuis que l'État colonisateur a entrepris de récupérer les terres des Métis et d'abolir leurs droits naturels par une série de lois iniques dans le seul but de s'enrichir grâce à un système qui les appauvrit  (dont la loi de 1851, qui dépouille toutes les femmes métisses et indiennes de leur titre « sauvage » sitôt qu'elles ont épousé un homme qui n'est pas réputé « sauvage pur sang » [4]), les Métis du Saguenay, du Lac-Saint-Jean et de la Côte-Nord, comme le furent en ce temps-là du reste les Métis de la Rivière-Rouge [5], ont été radicalement détroussés de leur statut autochtone puis conduits jusqu'au seuil de l'extinction. Cela étant, ce peuple de « voyageurs », jusqu'alors libre comme le vent, qui avait comme foyer tout un continent et comme livre d'histoire, ses coutumes, ses légendes et ses rêves mythiques ; ce peuple authentique, a vu son pays se rétrécir comme une peau de chagrin, loti selon des codes qui lui étaient totalement étrangers, fractionné par des barrières et parsemé d'interdits.

Comme il a été dit, les Canadiens français des territoires directement impliqués dans les négociations sur « L'Approche commune », Métis euro-amérindiens pour une bonne part d'entre eux, furent les premiers à monter aux barricades pour défendre ce qui leur restait de droits et demander réparation. Mais la pertinence de leur argumentaire qui faisait appel à leur présence historique séculaire sur ces mêmes territoires, à leur poids démographiques écrasant, à leur dignité et à l'injustice criante dont ils se disaient à juste titre victimes, leur fut [11] d'aucun secours face à l'article 35 de la Constitution canadienne qui, depuis 1982, reconnaît des droits ancestraux inaliénables aux communautés indiennes explicitement reconnues soit par un jugement de la Cour suprême, soit par un traité, soit par un Parlement.

Le jugement Powley, prononcé le 19 septembre 2003 par le plus haut tribunal du pays, viendra donner un souffle nouveau à cet acrimonieux débat qui divise les autochtones entre eux (Indiens contre Métis), en permettant, cette fois-ci, aux Métis de la Boréalie québécoise, de sortir de leur sommeil et de revendiquer leurs droits ancestraux sur la foi du même article 35. Le lent processus d'ethnogenèse de ce peuple nouveau issu d'une formidable rencontre initiée, en mars 1652, par la subrogation d'une souveraineté indienne au profit d'une souveraineté euro-canadienne, prenait ainsi fin 351 ans plus tard par ce prononcé de jugement souverain.

Mais pour pouvoir accéder à une reconnaissance officielle de l'État et pour pouvoir ainsi dresser la liste de leurs droits ancestraux en fonction d'un spectre culturel distinctif exigé, dès lors, par la Cour suprême, les Métis ne sont pas au bout de leur peine. De fait, une fois le processus de reconnaissance amorcé, les devoirs auxquels ils sont impérativement soumis par le biais d'une lutte judiciaire où ils sont désavantagés financièrement, prennent rapidement l'allure d'une course à obstacles kafkaïenne, qui éloigne le fil d'arrivée sitôt une épreuve conclue avec succès.

Ainsi en est-il de la preuve historique de leur présence continue sur le territoire qui ne peut être établie sans avoir fait la démonstration de la présence d'une communauté historique stable et politiquement organisée sur le modèle britannique –une contradiction en soi puisque ces sociétés claniques, depuis leurs débuts, ont évolué d'une manière très originale sur un immense territoire. Démarche contradictoire, également, quand il s'agit d'évoquer à la fois un processus [12] d'ethnogenèse, qui est par définition un mouvement en expansion en soi, et sa finalité. Quand il s'agit d'évoquer, pour autres preuves, la solidarité et l'éparpillement de ces gens qui sont des traits culturels reconnus et éminemment contradictoires ; la solitude et la fraternité ; leurs longs déplacements sur le territoire canadien qui, souvent, s'étiraient sur plus d'une année ; et le caractère culturel distinctif dont on exige encore une fois qu'il soit à la fois différent et homogène.

Dans un jugement d'une portée inestimable pour les communautés métisses historiques directement concernées (Powley, 2003), les juges de la Cour suprême du Canada ont ainsi donc établi, une fois pour toutes, que les Métis euro-amérindiens du Canada, en vertu de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, jouissent de droits inaliénables au même titre que les Indiens et les Inuits. Pour pouvoir aider les communautés autochtones désireuses de faire respecter leurs droits existants, les juges disent avoir ainsi retenu, comme base de départ du jugement Powley, l'occupation du territoire et les droits ancestraux notés sept ans auparavant dans le jugement Van der Peet (« les coutumes, pratiques et traditions qui existaient avant les contacts avec les Européens » [6]). Mais, comme ces critères établis dans Van der Peet concernent spécifiquement des Indiens, les juges ont tenu à préciser derechef que « l'antériorité au contact avec les Européens » ne peut cependant pas être évoquée pour les Métis puisqu'il faut tenir compte du fait que ces communautés « ont vu le jour après le contact avec les Européens et que leurs droits ancestraux ont un fondement postérieur à ce contact. [7] »

Les textes fondateurs
du Peuple Métis de la Boréalie


On ne peut le dire autrement ! ce jugement à la Salomon se faisait attendre depuis le rapatriement de la Constitution canadienne, en 1982, et plus particulièrement par les communautés historiques condamnées à mort par des projets de traité [13] où elles sont enterrées vivantes, sans que leur présence ne soit reconnue (comme c'est présentement le cas pour les Métis de la Boréalie québécoise, dont l'épitaphe est déjà gravée dans le projet de traité  de l'Approche commune). Tombant sous le sens de l'histoire et de la logique qui le réclamaient (une histoire et une logique voulant qu'on ne peut pas venir au monde avant son père et sa mère !), le jugement Powley, depuis son prononcé, est considéré, par les Métis euro-amérindiens du Canada, comme le dernier et le plus important texte fondateur de leur histoire, celui qui consacre leur ethnogenèse et embrasse tous les autres.

Le contexte historique qui a présidé à la naissance et qui a marqué les grandes étapes de l'ethnogenèse du Peuple Métis de la Boréalie ayant déjà fait l'objet de quatre publications depuis le printemps 2005 [8], il s'agit maintenant de noter et de faire ressortir les textes fondateurs qui l'initient, en 1652, et qui en ponctuent le parcours jusqu'au prononcé du jugement Powley, en septembre 2003. Dans le contexte et dans le cadre de la lutte menée pour la reconnaissance de leurs droits ancestraux, cet exercice est non seulement stimulant sur le plan intellectuel et éclairant d'un simple point de vue historique, il est aussi et surtout déterminant sur le plan juridique.

Pour ceux et celles qui ne sont pas familiers avec cette sorte de langage technique, prenons le temps de préciser que les textes fondateurs évoquent des temps forts de l'histoire. Comme ce fut le cas pour La Bible, Le Coran et L'Odyssée pour ne nommer que les plus anciens, ces écrits et les images qu'ils font naître sont à la racine du monde qu'ils évoquent, qu'ils commémorent, qu'ils organisent et qu'ils perpétuent.

Dans l'esprit du temps qui les ont dictés, les textes fondateurs délimitent des espaces qu'il faut préserver ; ils traduisent le [14] fondement des lois et de la morale humaines qui expliquent une façon de penser et de négocier ses rapports avec ses semblables. Dans le principe, ils marquent des frontières qui évoquent des points d'ancrage identitaires et qui justifient, d'une certaine manière, les agissements des sociétés qui en dépendent dans cette suite. Dans l'histoire, ils témoignent d'une épopée humaine riche de tous ses symboles, de ses mythes, de ses expériences et de ses rêves. Et dans le cadre pratique de la lutte que mène justement le Peuple Métis de la Boréalie pour l'obtention de ses droits collectifs qui passe par une reconnaissance officielle des Parlements ou d'une cour de justice, ces textes fondateurs, auxquels cette portion d'humanité se rattache aujourd'hui, témoignent d'une authentique destinée dont la voie et les contraintes sont tracées par des traités, des arrêts, des lois, des constitutions et des jugements de cour qui en découlent.



[1] Dominique Rivard, « Traité des Premières Nations avec Québec – Des MRC pensent à réclamer des compensations aux Innus », in Le Quotidien, 14 juillet 2000. Daniel Côté, « Territoire cédé aux Montagnais – Des citoyens exigent un référendum », in Le Quotidien, 15 juillet 2000. Richard Banford, « Québec s'en prend à l'intégrité territoriale », in Progrès-Dimanche, 16 juillet 2007.

[2] Louis Tremblay, « Le chef Moar ne s'offusque pas des réactions négatives », in Le Quotidien, 17 juillet 2000.

[3] Mario Cloutier, « Mamuitum est critiquée au Lac-Saint-Jean et sur la Côte-Nord », in Le Devoir, 20 juillet 2000.

[4] « Acte pour mieux protéger les terres et les propriétés des Sauyvages dans le Bas-Canada », 1851, 14-15, c. 59, art. 2.

[5] « Nos terres du territoire du Nord-Ouest, dont le gouvernement, il y a quinze ans, nous avait solennellement garanti la possession, nous ont été arrachées depuis, et données à des voleurs de terrain qui n'avaient jamais vu le pays ; et ceci après que nous eûmes opéré le déboisement, arraché les troncs d'arbres, enlevé les roches, labouré et ensemencé le sol, et construit de solides demeures pour nous et nos enfants. » Cf., « Appel à la justice aux citoyens des États-Unis d'Amérique », Lettre de Riel à « L'Irish World » (N.Y.), publiée le 21 novembre 1885. Cf., Adolphe Ouimet et B.A.T. De Montigny,  Riel / La vérité sur la question métisse, Descler Éditeur, réédition d'un ouvrage paru en 1889, pp. 264-267.

[6] R. c. Van der Peet, [1996], 2 R.C.S. 507.

[7] R. c. Powley, [2003], 2 R.C.S. 207.

[8] Russel Bouchard, La communauté métisse de Chicoutimi : fondements historiques et culturels, Chick8timitch, 2e trimestre 2005. Le Peuple Métis de la Boréalie : Un épiphénomène de civilisation,  Chick8timitch, 2e trimestre 2006. La longue marche du Peuple oublié / Ethnogenèse et spectre culturel du Peuple Métis de la Boréalie,  Chick8timitch, 4e trimestre 2006. Quand l'Ours Métis sort de sa Ouache / Conférence,  Chick8timitch, 2e trimestre 2007.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 19 mai 2016 5:15
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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