RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Histoire du Saguenay—Lac-Saint-Jean »

La longue marche du Peuple oublié...
Ethnogenèse et spectre culturel du Peuple Métis de la Boréalie
. Opus 3. (2006)
Avant-propos


Une édition réalisée à partir du texte de Russel Aurore Bouchard, La longue marche du Peuple oublié... Ethnogenèse et spectre culturel du Peuple Métis de la Boréalie. Chik8timith, Saguenay: Russel Bouchard, 2006, 214 pp. OPUS 3. [L’auteure nous a accordé le 24 février 2016 l’autorisation de diffuser en accès libre à tous ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[13]

La longue marche du Peuple oublié...
Ethnogenèse et spectre culturel du Peuple Métis de la Boréalie
. Opus 3.

Avant-propos


« La diversité des cultures humaines ne doit pas nous inviter à une observation morcelante ou morcelée. Elle est moins fonction de l’isolement des groupes que des relations qui les unissent. »

Claude Lévi-Strauss, Race et histoire, 1952.

De tous les groupes fondateurs, qui partagent l’interland canadien et qui participent à l’identité nationale, aucun n’est plus mal connu sur le plan de l’histoire, plus mal représenté sur le plan politique, plus mal aimé et plus méprisé par les décideurs, que les Métis. Qu’ils soient francophones ou anglophones, de l’Ouest, de l’Est ou du Nord, la lutte qu’ils livrent avec une vigueur redoublée pour obtenir une simple reconnaissance officielle comme groupe fondateur de ce pays, dépasse l’entendement. À certains égards, le défi qui leur est imposé aujourd’hui est tel qu’il leur faut sortir les morts de terre, ressusciter le nom des ancêtres, planter des forêts d’arbres généalogiques, témoigner en l’espèce pour simplement justifier leur droit à la mémoire. Écrasés qu’ils sont entre deux esprits, celui des conquis et celui des conquérants, tout porte à croire que l’histoire n’a pas été en mesure de faire la différence entre les intérêts politiques et financiers qui se disputent le patrimoine national et de reconnaître que les Métis, souverains dans leur cœur, ont toujours vécu en marge de cette sorte de conflits qui minent l’esprit même de la Liberté après avoir souillé celui de la Terre-Mère.

L’histoire du Canada n’est pas à un paradoxe près ! Et celle du Québec, dans laquelle nous réclamons notre place, n’en est pas soulagée pour autant. Même que les deux sont [14] le fruit d’un paradoxe concurrentiel dans lequel s’entrechoquent deux conceptions du nationalisme, deux façons de voir et présenter l’histoire, deux manières de figurer leur propre participation dans le choc des cultures d’où elles émergent l’une et l’autre. Mais si le Québec et le Canada savent se complaire dans leurs paradoxes qui sont à la base de leurs succès respectifs, ils ont su néanmoins trouver un consensus aussi suspect que parfait dans leur manière de neutraliser les pouvoirs autochtones en les réduisant en l’état de communautés folkloriques et en attisant, avec un rare cynisme, les divisions qui les singularisent depuis toujours. En fait foi, le projet de traité que les gouvernements provincial et fédéral ont entrepris de signer conjointement avec les Ilnutsh, sans tenir compte des objections régionalistes, sans s’embarrasser des règles constitutionnelles et jurisprudentielles, et au mépris des droits inaliénables des Métis de la Boréalie qui les réclament pourtant de bon droit, à cor et à cri.

Ici, n’en déplaise à ceux qui plaident le bien-fondé de ce programme nihiliste au nom de la vertu, le cynisme d’État le dispute au machiavélisme politique le plus dévastateur. Comment concevoir, en effet, une telle contradiction dans l’esprit des peuples dits fondateurs de ce pays, si ce n’est pour combler des ambitions personnelles et assouvir des plans étrangers au bien commun qui, comme le terme l’exige, doit être le bien de tous, sans exception ? Comment concevoir un tel refus de la réalité socio-historique, quand on sait si bien que, ni le Québec, ni le Canada, ni les Indiens du reste ne seraient là pour revendiquer quoique ce soit aujourd’hui n’eut été du Peuple Métis, une des pierres d’assises de la civilisation de l’Amérique du Nord ?

Dans une entrevue accordée au journal dominical Progrès Dimanche (21 août 2005, A12), un Ilnut de Mashteuiatsh, Aurélien Gill, sénateur canadien de son état, a semé l’émoi auprès des Métis de la Boréalie en disant douter de leur existence, en refusant de les reconnaître et en questionnant [15] leur propre manière de se définir. En s’exprimant ainsi, officiellement, avec tout le poids de ses responsabilités et de sa charge publique, le sénateur Gill s’est fait à lui seul le témoin d’une culture de l’arrogance et du mépris par laquelle s’expriment l’État québécois, l’État canadien et la communauté indienne par le biais de ses chefs.

« Qui est Métis et qui ne l’est pas ? »

La seule manière de répondre à cet honorable fonctionnaire de l’État canadien, est de le retourner à ses propres origines, à son propre cheminement existentiel, à ses mythes, à sa spiritualité et à ses propres paradoxes. De quel univers ethno-culturel se réclame-t-il lui-même ? De celui de son père, Paul-Émile Gill, ou de celui de sa mère Blanche Boivin ? Qui est qui ? La réponse est pourtant fort simple ; elle tient de l’âme identitaire de chacun et du bassin culturel dans lequel il a fait ses apprentissages, et il faut s’empresser de dire que l’un n’empêche pas l’autre. On peut à la fois aimer son père et sa mère tout en se réclamant, a priori, de l’une des deux identités. Car les autochtones de ce pays intime, n’en déplaise à ceux et à celles qui entendent mettre des barrières raciales entre membres d’une même collectivité régionale si ce n’est d’une même famille, sont à la fois liés jusqu’au jugement dernier sur les plans généalogique, historique, culturel et affectif.

Pour justifier la reconnaissance officielle d’une communauté métisse et pour déterminer la nature de ses droits collectifs ancestraux, la Cour suprême du Canada, par ses différents jugements, lui demande de répondre adéquatement à trois exigences : primo, elle doit établir ses assises historiques ; secundo, elle doit prouver qu’elle n’a jamais cessé d’exister et qu’elle existe toujours en vertu de ce lien historique ; tertio, elle doit faire la preuve de sa culture distinctive, c’est-à-dire démontrer son originalité par rapport à sa double composante ethno-culturelle, euro-canadienne et indienne. La question du lien historique et celle de sa [16] continuité sur un territoire donné ayant été résolues par les deux ouvrages précédents [1], je tâcherai donc, dans les prochaines pages de répondre adéquatement au devoir que nous impose la Cour suprême du Canada au chapitre de la culture. Ce dernier mandat n’a rien d’un exercice de routine. Il soulève un double défi qui exige, d’une part, de répondre à un questionnaire présenté comme… objectif par le plus haut tribunal du pays, et, d’autre part, de ne pas faire de compromis au détriment de la réalité historique.

Si le défi qui nous est imposé est de taille, par contre il n’est pas insurmontable. Il nous suffit, croyons-nous, de référer à notre propre existence, en tant que membre de cette communauté spécifique, et de faire un voyage d’introspection au sein de l’univers qui a contribué à faire ce que je suis, à faire ce que Nous sommes, des Métis conscients de leur spécificité, fiers de leur appartenance et respectueux de la mémoire de leurs ancêtres tant européens et canadiens qu’indiens. Si nous sommes encore là pour en témoigner aujourd’hui, c’est forcément parce que nous avons réussi, à quelque part dans cette histoire, à nous compléter mutuellement et à nous entendre. La question n’est donc pas de savoir pourquoi il en est ainsi, mais plutôt de quelle manière avons-nous évolué ensemble ?

Russel Bouchard

25 août 2006



[1] La communauté métisse de Chicoutimi, fondements historiques et culturels, Chicoutimi, 2005. Le Peuple Métis de la Boréalie : un épiphénomène de civilisation, Chicoutimi, 2006. [En préparation dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 19 mai 2016 5:34
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref