Avant-propos
Une région mise sous séquestre
«L’avenir a un long passé.»
Talmud de Babylone
9 octobre 1997
La nouvelle a fait le tour du monde en 24 heures à peine et elle a alimenté la une des plus grands journaux de la planète pendant plusieurs semaines, voire même pendant plusieurs mois. Un an et demi plus tard, personne n’a oublié! En effet, les 19, 20 et 21 juillet 1996, les communautés établies le long de la rive sud du Saguenay, la vallée de la Belle Rivière (au Lac-Saint-Jean) et une partie de la Haute Côte-Nord du Saint-Laurent, de Charlevoix et de la Haute-Mauricie vivaient les heures les plus sombres et les plus dramatiques de leur histoire.
On connaissait bien le caractère instable du support géologique de la vallée du Saguenay et des tributaires du lac Saint-Jean mais, de mémoire d’homme et même avec le rappel des livres d’histoire, jamais la nature ne s’était rebellée avec une telle violence, une telle rage, une telle impétuosité et une telle force depuis les trois derniers siècles; en fait, depuis les conséquences naturelles du tremblement de terre de 1663, cataclysme tout aussi dévastateur qui avait laissé, dit-on, les traces d’un bouleversement titanesque dans le secteur des Terres-Rompues. En comparaison avec ce qu’il convient d’appeler maintenant le «Déluge du Saguenay», les désagréments environnementaux causés par le Grand Feu de 1870 et l’effroyable glissement de terrain survenu à Saint-Jean-Vianney dans la nuit du 4 mai 1971, n’étaient que des hors-d’oeuvre qui ont, cependant, l’étrange avantage de scander la mesure d’un développement illogique et de marquer le rythme de croissance des désastres «naturels» de plus en plus fréquents, des désastres sans cesse amplifiés par une technologie débridée, avilie et manipulée par des mains de plus en plus perfides.
Le bilan des pertes est absolument catastrophique! Au seul chapitre des biens matériels et au-delà des chiffres officiellement avancés par le gouvernement du Québec qui a tout intérêt à en minimiser l’impact le «Déluge» de juillet 1996 aura causé pour près de un milliard de dollars ($) de dommages. De la cinquantaine de municipalités affectées par les flots en furie et le débordement impétueux, ce sont évidemment celles situées dans le bassin versant des rivières Saint-Jean et des réservoirs «Kénogami» et «Ha! Ha!» qui ont écopé. En tout et pour tout, environ 15 000 personnes ont été évacuées, plus de 2 000 résidences endommagées, 426 maisons principales totalement détruites, 267 exploitations agricoles saccagées et des dizaines de commerces plus ou moins affectés. Sur le plan humain, on déplore malheureusement dix pertes de vie, dont deux à La Baie.
Parmi les infrastructures communautaires amochées, il suffit de mentionner les nombreux bris de réseaux d’aqueduc et d’égout, les 18 établissements scolaires abîmés (dont 10 seulement à La Baie), plusieurs ponts coupés ou emportés, des routes et de multiples chemins de pénétration éliminés, des lignes de chemin de fer sectionnées, des centrales hydroélectriques dévastées et une longue liste d’équipements récréo-touristiques neutralisés.
À La Baie et à Chicoutimi plus spécifiquement, les quartiers historiques de Saint-Alexis et du Bassin, des joyaux du patrimoine régional, sont en partie détruits par le tumulte; à Jonquière, deuxième ville en importance dans la région, le débordement de la rivière au Sable et du ruisseau Dechêne a créé pour plus de 40 millions $ de dégâts aux seuls biens et équipements municipaux; dans le petit village bucolique et pastoral de Ferland-Boilleau, l’affouillement d’une digue négligée par son propriétaire et la vidange subite du réservoir Ha! Ha!, ont broyé 15 kilomètres de la route régionale 381 et ont failli provoquer la désintégration de la communauté; à L’Anse-Saint-Jean (1300 habitants à peine), la plus ancienne localité de la région, le débordement de la rivière St-Jean provoqué par les barrages de castors, mon oeil! a complètement défiguré le plan d’urbanisme, détérioré la majorité du réseau routier local, endommagé ou détruit 102 maisons et provoqué pour 17 millions $ de dégâts.
Pour sa part, le gouvernement du Québec évalue lire sous-évalue la somme des dommages à 700 millions $, et s’engage à affecter un peu plus de 400 millions $ à la reconstruction des régions sinistrées. Du montant versé à partir des deniers publics, environ 80% proviendront du fédéral, 10% du provincial et 10% des municipalités concernées. À cette ponction magistrale de l’argent des contribuables, s’ajoutent les quelque 31 millions $ recueillis par la Croix-Rouge canadienne. [1]
Les multinationales, l’Hydro-Québec, les compagnies d’assurances et les autres sociétés responsables (devant... Dieu seulement!), ni vues ni connues! Niet! Zéro dollars $! Pas un rond! Aucune participation financière! Totalement blanchies, par l’édifiante proclamation de l’«Acte of God» de Lucien Bouchard et, conséquemment, totalement exemptées de toutes responsabilités civiles ou morales. Absous sans jugement tout ce beau monde! Absous sans comparution, comme si de rien n’était, comme s’il n’y avait pas eu négligence criminelle! Une manière de faire et d’agir condamnable, faut bien le dire, qui n’a rien à envier aux gouvernements de républiques de bananes complices et aux sociétés d’extrême droite qui pillent la planète sans vergogne depuis plus d’un siècle. Une vraie honte, pour un gouvernement qui se qualifie outrageusement de «social démocrate» et qui s’est donné comme mandat ultime de libérer le Québec du grand Satan fédéral! Que dis-je, un acte de haute trahison commis contre le patrimoine planétaire et contre une population, bien que trop docile et trop généreuse, qui a eu l’imprudence de confier ses biens, sa vie et son âme à des profiteurs apatrides, à des exploiteurs étrangers venus de nulle part et d’ailleurs...
Côté environnemental enfin et même s’il répugne à M. Nicolet d’en approfondir le questionnement dans son indulgent «Rapport», le bilan de la destruction est absolument désastreux. Les conséquences perverses à court, à moyen et à long terme sur les écosystèmes affectés, sur la faune marine, la flore aquatique et la qualité de vie des humains ne sont pas encore connues et tout porte à croire que le ministère de l’Environnement et de la Faune du Québec ne cherchera pas à en connaître les tenants et aboutissants. Quoiqu’il en soit, nous savons d’ores et déjà que les rivières au Sable, Chicoutimi, à Mars, Ha! Ha! et Saint-Jean ont été râpées, érodées, lavées, creusées, changées de lit et portent désormais en leur sein les stigmates éprouvants d’une dévastation sans précédent dans l’histoire du Québec, voire même du Canada.
En dépit du climat de terreur qui plane sur la colonie de chercheurs institutionnalisés et sur les groupes environnementaux subventionnés par l’État et les multinationales, des propos éclairés réussissent à briser le consensus scientifique (sic) qui accrédite et avalise, malgré l’évidence du contraire, la teneur des discours officiels et l’étonnant dogme de l’«Acte of God», proclamé par le premier ministre du Québec aux lendemains du «Déluge». Dans les jours qui suivent cette esbroufe insensée, un professeur-chercheur du département de biologie de l’Université de Sherbrooke, M. Jean-Marie Bergeron, sort de l’ombre pour révéler à la face du monde que l’impact des produits chimiques contenus dans la soupe toxique vomie dans le fjord du Saguenay par ses principaux affluents, «sera considérable et sans précédent [et] va nécessiter plusieurs années d’évaluation». (Y.B. 6/08/96)
Curieusement, cette unique note discordante et ces propos dérangeants qui s’écartent prudemment de l’évangile environnementaliste néolibérale, ne seront pas évoqués lors des audiences du «Comité d’Experts» chargé de «faire toute la lumière» (sic) sur les événements de juillet 1996. Mais malgré les mémoires lénifiants qui ont permis de niveler le discours et de rédiger la synthèse aseptisée du fameux rapport de la «Commission scientifique et technique sur la gestion des barrages», la seule disparition du bassin de décantation des eaux usées de la papetière Cascade, à Jonquière, a de quoi inquiéter les plus apathiques d’entre nous; ce désastre environnemental monstrueux, nous permet d’imaginer la teneur des sédiments empoisonnés qui reposent aujourd’hui dans le fond du Saguenay et qui composent l’ordinaire du menu présenté, depuis lors, aux bélugas cancéreux qui s’y baignent... avant d’en mourir.
Mais au-delà des agressions multiples et de toute considération d’ordre physique, matérielle, humaine et psychologique, le «Déluge du Saguenay» aura permis, à tout le moins, de sonder et d’éprouver les bavures de police je parle ici de la répression policière exercée par la SQ et les nombreuses carences de notre système de protection civile qui a, n’hésitons pas à le souligner avec force, lamentablement échoué en dérapant au-delà du seuil tolérable et en éprouvant durement le cadre constitutionnel canadien. Plus que jamais, cette expérience traumatisante requiert une réflexion sociale profonde et une critique sévère pour bien comprendre les tenants et aboutissants de l’incroyable répression policière qui a été déployée, à tort ou à raison, à la faveur du chaos et de la complicité de lois québécoises manifestement trop complaisantes.
S’il y a un élément positif qu’il faut tirer du «Rapport Nicolet» et du «Rapport présenté au ministre de la Sécurité publique», le 9 décembre 1996, c’est de se faire confirmer, noir sur blanc, que le gouvernement du Québec, les municipalités concernées et l’«Organisation de sécurité civile au Québec» (chargée de gérer la crise à partir des paramètres prescrits par la loi provinciale), n’étaient absolument pas préparés à affronter et à gérer un tel sinistre. La mauvaise formation du personnel responsable, une gestion de l’information dramatiquement inadéquate, des moyens de communications mal adaptées, un équipement disfonctionnel, une décentralisation mal rodée et l’absence de coordination à l’intérieur du réseau organisationnel expliquent, en partie seulement il faut le préciser, la faiblesse de l’intervention de l’OSCQ et les nombreuses bavures qui ont ponctué son action au SaguenayLac-Saint-Jean, dans les jours et les semaines qui ont suivi le «Déluge».
Il n’est pas inutile de rappeler au lecteur que pour faire face à une situation difficile, l’État québécois dispose, depuis le 21 décembre 1979, de la «Loi sur la protection des personnes et des biens en cas de sinistre»; loi qui a été modifiée depuis et adaptée en 1988 pour permettre l’instauration progressive de l’OSCQ. Ainsi, en situation d’urgence, cette loi attribue au ministre de la Sécurité publique des pouvoirs étendus afin de lui permettre de gérer la crise le plus adéquatement possible. Habituellement, et ce fut le cas au Saguenay, le ministre délègue une portion de ses pouvoirs à des tiers et abandonne l’organisation de la sécurité civile aux municipalités touchées. Dans certains cas (plus particulièrement dans les petites municipalités), le maire hérite de pouvoirs inimaginables, des pouvoirs quasi totalitaires qui lui donnent toute autorité pour désigner des zones, réquisitionner des biens et services, aménager des lieux protégés et en «contrôler» l’accès... voire même écarter des citoyens «indésirables» (sic), tout ça pour une période qui ne peut et ne doit excéder trente jours. Cependant, il convient de souligner avec un gros crayon rouge que la loi québécoise est en principe, il faut le croire totalement assujettie à la «Charte canadienne des droits et libertés» et à la «Charte québécoise des droits et libertés de la personne». [2]
Malheureusement, dans l’affaire du «Déluge du Saguenay», les exemples de dérapages foisonnent; la plupart étant imputables à une police provinciale fougueuse, corporatiste, voire même fasciste, et à un gouvernement néolibéral nationaliste manifestement pressé de dédouaner la responsabilité civile et morale des multinationales impliquées et visiblement soucieux de s’affirmer sur le plan international. Effectivement, les détenteurs de ces pouvoirs publics ultimes, qui avaient pourtant une belle occasion de démontrer leur dignité et leur sens de la mesure dans des circonstances aussi difficiles, n’ont pas hésité le moins du monde à se fixer devant les caméras et à tasser l’armée canadienne à Chicoutimi notamment pour la confiner à des rôles plus spartiates, plus humbles et moins ostensibles... mais combien de fois plus utiles! Sans retenue aucune, et à la vitesse de l’éclair, la SQ s’est donc déployée avec force, vigueur, et a tenu à éprouver son autorité, ses pouvoirs, son contrôle des masses, son matériel «militaire» et ses méthodes d’actions répressives sur l’ensemble du territoire dont elle a la garde. Éblouie par les millions d’images fournies quotidiennement par une presse sensationnaliste plus soucieuse de liquidité ($) que de vérité, la planète n’a absolument rien vu ni rien senti des accrocs importants que subissait un segment de la population de l’une des plus grandes démocraties du globe!...
Ainsi, dans les heures et les jours qui ont suivi l’alerte et le déclenchement des mesures d’urgence, et alors qu’on disait connaître parfaitement bien les limites des secteurs touchés par les inondations, le ministre de la Sécurité public a donné ordre à ses «troupes» policières de prendre le contrôle de toutes les voies d’accès terrestres menant aux régions sinistrées et de mettre le SaguenayLac-Saint-Jean sous séquestre. Pour des motifs plus ou moins valables, les routes 155 (La TuqueChambord), 169 (HébertvilleRéserve des Laurentides), 170 (St-SiméonLa Baie et JonquièreLarouche), 172 (St-AmbroiseSt-Nazaire), 175 (ChicoutimiQuébec) et 381 (La BaieSt-Urbain) ont été bloquées par les «forces» de l’ordre qui ont interdit tout accès à la région. Pendant une semaine, alors que tout danger était pourtant écarté depuis plusieurs jours, seuls les véhicules d’urgence et d’approvisionnement avaient droit de passage. Même les centaines de ressortissants Saguenéens et Jeannois furent refoulés, manu militari et sous de faux prétextes, au-delà des postes de contrôle. De ce dérapage inquiétant, de la pertinence d’un tel déploiement de forces, aucune mention dans les centaines de pages du «Rapport Nicolet» et du «Rapport présenté au ministère de la Sécurité publique». Pourquoi ?
Et l’exemple des barrages routiers, est loin d’être un phénomène isolé. Hélas! Le cas d’espèce le plus juteux, est sans conteste celui de la municipalité de Ferland-Boilleau qui avec l’aide inconditionnelle de la SQ a réussi à maintenir l’état d’urgence total jusqu’au terme des trente jours prévus par la loi québécoise. De sorte que sans justification aucune, et en dérogation aux deux chartes qui sont sensées protéger nos droits fondamentaux, la population locale a été massivement maintenue en dehors de l’enceinte municipale jusqu’au 10 août; et lorsque les familles furent autorisées à réinvestir leurs foyers, il était trop tard pour nombre d’entre elles qui ne purent sauver leurs maisons envahies par la moisissure et la vermine. Idem pour le secteur du Bassin de Chicoutimi! Et il y a pire! Même si tout danger était définitivement écarté depuis le 21 juillet au soir, le village a été fermé aux étrangers jusqu’à la date limite du 18 août. Encore une fois, pourquoi ? Comment justifier le fait que pendant tout ce temps, la Stone-Consolidated avait toute liberté d’aller et venir sur tout le territoire de la localité, détruisait, en toute quiétude, des pièces à conviction essentielles et des preuves incriminantes le long de la digue du réservoir Ha! Ha!, montrait les dents aux personnes non-autorisées qui osaient brouiller son eau, creusait la rive du lac, démantibulait, réparait et agrandissait ses ouvrages de retenue dans l’illégalité la plus totale, mais toujours sous l’oeil bienveillant et servile du maire et de son conseil.
Dans les points stratégiques où elle s’est déployée, la Sûreté du Québec a donc été d’une redoutable efficacité et la force utilisée par tous les intervenants dépasse largement, à maints égards, la tristement célèbre «Loi sur les mesures de guerre» déployée à l’automne 1970, à la faveur de la Crise d’Octobre. Cette outrancière manière de faire et d’agir, en laisse aujourd’hui plus d’un très songeur; elle exige que la société se questionne et se positionne sur la pertinence d’un tel déploiement de forces répressives en temps de paix. Plus que jamais, il importe de défoncer le mur du silence édifié par le gouvernement du Québec qui a cavalièrement refusé d’instituer une vraie commission d’enquête publique, sous prétexte que tout était du ressort de Dieu («An Act of God» a dit le premier ministre, rappelons-nous)! Qu’y a-t-il de si laid, dans l’affaire du «Déluge du Saguenay», qui ne puisse être étalé au grand jour ?
Il faut savoir, le temps est arrivé! Il faut oser déranger les bonnes consciences et exiger, dans les plus brefs délais, des réponses intelligentes! Décidément, un voile aussi opaque maintenu sur un événement aussi dantesque et aussi mal compris, n’augure rien de bon pour le prochain chapitre de cette histoire qu’on se prépare à écrire à l’est de l’Outaouais. Tant de cachotteries, sous prétexte de protéger l’intérêt supérieur du Québec et des Québécois! Tant de contrevérités, de demi-vérités et d’antiphrases proférées obséquieusement par nos chefs et nos guides... au nom de la Vérité fleurdelisée! Par cette commission littéraire, je veux qu’on enregistre ma dissidence, pleine et entière, et qu’on notifie mon refus de souscrire à ce détournement de vérité. Personnellement, je n’accepte pas de porter le poids du mensonge collectif officialisé et sacralisé par le «Rapport Nicolet», je n’adhère pas à cette mollesse commune qui nous emprisonne depuis tant d’années et je rejette vigoureusement l’esclavage intérieur qu’on m’impose. Monsieur le premier ministre du Québec, que cela vous plaise ou non, je n’accepte pas votre crédo totalitaire et mensonger! Dites-vous bien que je n’endosserai jamais un tel déshonneur... et je veux qu’on me réponde!! Tout de suite!!!
Je veux qu’on me dise d’abord si la démocratie a été bafouée, piétinée, foulée au pied par les différents intervenants qui ont eu à jouer un rôle quelconque au cours de la crise ? Était-on obligé d’aller si loin au niveau de la répression ? La Sûreté du Québec a-t-elle outrepassé ses pouvoirs ? De qui prenait-elle ses ordres et qui tirait les ficelles ? Pourquoi des blindés vous avez bien lu chars d’assaut à La Baie en une telle circonstance, alors que les forces armées canadiennes cantonnées à Bagotville imposaient déjà leur présence avec des moyens infiniment plus adéquats ? Des citoyens ont-ils été lésés dans leurs droits constitutionnels ? Des propriétaires ont-ils été dépossédés de leurs biens abusivement et sans raison légitime ? Pourquoi la reconstruction du Bassin tarde-t-elle ? A-t-on permis aux rares voix dissidentes de s’exprimer convenablement et de faire valoir leurs points de vue ? La presse parlée et écrite, gardienne des valeurs démocratiques et chien de garde des libertés fondamentales, a-t-elle fait preuve de célérité pour questionner tout ce beau monde, rabrouer les fautifs, susciter la réflexion ? Pourquoi un tel obscurantisme ? La menace d’un autre sinistre est-elle écartée à tout jamais ? Si non, est-on préparé à faire face au pire ? Comment se sont réellement comportés les ouvrages de retenue de l’Alcan ? Quelle est la part de responsabilités des hommes ? Et, question des plus anathèmes en cette contrée dominée, depuis peu, par les élans fascisants d’un nationalisme néolibéral qui n’a rien de bien rassurant pour le maintien des libertés fondamentales, qu’arriverait-il si les citoyens du Québec n’étaient plus protégés par le bouclier constitutionnel canadien ?? Qu’arriverait-il ???
* * *
Au risque de me répéter, je dis, j’affirme et je soutiens avec une vigueur soutenue, qu’au sein des populations éprouvées par le «Déluge du Saguenay» et touchées par les mesures d’urgence conséquentes et récurrentes, les libertés individuelles ont été bafouées, des injustices inacceptables ont été commises, des plaies béantes n’ont pas été soignées, des doutes importants subsistent et des réponses limpides doivent être fournies dans les plus brefs délais! Pour avoir été mis en demeure de me rétracter publiquement par la puissante presse de Conrad Black, et pour avoir été le principal élément du contre-pouvoir qui a osé crier haut et fort contre les manigances des puissants de ce monde, je suis en droit de croire que toute cette répression n’aurait pu devenir aussi excessive et n’aurait pu se maintenir sur une si longue période, sans le support tacite et la subordination inconditionnelle d’une presse régionale totalement assujettie à l’establishment polito-financier et industriel qui dirige les destinées de la région. Le «Journal intime d’un insoumis» qui a vécu ce drame infernal et qui est porté à l’attention du lecteur, est là pour en témoigner...
Russel Bouchard
9 octobre 1997
[1] Données confirmées par Louison Lepage, directeur-adjoint à la ville de Chicoutimi. Il importe de préciser cependant que cette échelle peut varier d’une ville à l’autre d’un informateur à l’autre (sic!) et selon l’importance et la nature des dégâts. Ainsi, dans les jours qui ont suivi le sinistre, on se souviendra que les deux paliers de gouvernement s’étaient engagés publiquement à investir 450 millions $ pour la reconstruction: de cette somme, 95% devait être du ressort du gouvernement fédéral et 5% du gouvernement provincial. La participation des municipalités n’avait pas été évoquée à ce moment et la population ignorait encore que les multinationales et leurs compagnies d’assurances allaient avoir le culot de présenter des factures pour des dégâts et des pertes découlant de leur propre négligence...
[2] Ici, l’auteur tient à remercier plus particulièrement Maître Michel Lebel, professeur au département des sciences juridiques de l’université du Québec à Montréal. M. Lebel vient de publier (dans Cité Libre, septembre-octobre 1997) un article consacré à «La Loi sur les mesures de guerre».