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Collection « La désintégration du Québec et des régions »
Chicoutimi, Ville de Saguenay, le 20 novembre 2004
“ Le monument Price,
un cadavre qui pue l'eau bénite empoisonnée !

—Réplique à la lettre ouverte de Gérard Bouchard, publiée dans Le Quotidien du 20 novembre 2004, sous le titre "Déménagement du monument Price, une opération mal inspirée et humiliante"—”.


Russel Bouchard,
historien, citoyen de Chicoutimi
Courriel:
rbouchard9@videotron.ca

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“ Le monument Price, un cadavre qui pue l'eau bénite empoisonnée ! —Réplique à la lettre ouverte de Gérard Bouchard, publiée dans Le Quotidien du 20 novembre 2004, sous le titre "Déménagement du monument Price, une opération mal inspirée et humiliante"—”. Chicoutimi, Ville de Saguenay, le 20 novembre 2004. [Avec l'autorisation de l'auteur de diffuser cet articles accordée le 30 novembre 2004] [Débat sur le déplacement de l'obélisque, monument érigé à Chicoutimi à la mémoire de de William Evan Price le 24 juin 1882]

Chicoutimi, le 20 novembre 2004
Cher collègue,

Après vous avoir donné la tribune du cercle de Presse de mercredi dernier pour exprimer votre désaccord sur le déménagement du monument Price, le journal Le Quotidien en remet ce matin sur l'enclume, en publiant cette fois-ci, in extenso, le contenu de votre mémoire adressé officiellement le 17 novembre au conseil de ville Saguenay avec une lettre d'accompagnement adressée à son maire. De tous les canaux médiatiques possibles, vous en appelez à la mobilisation générale et à la vertu pour contrer ce projet, que vous jugez “mal inspiré et humiliant”, et que vous dénoncez “au nom de ce que nos ancêtres ont souffert”.

Soit! La cause dont vous vous faites le chevalier servant depuis une semaine n'est pas dénuée d'intérêt. Dans le contexte de notre effondrement régional, des cris d'exaspérations qui se font de plus en plus sonores, et de la perte de notre mémoire collective, je lui reconnais le mérite —si l'affaire est bien menée— de susciter le débat sur les maîtres étrangers qui nous dominent en tout, d'évacuer une colère qui gronde de la rue, et de remettre l'histoire régionale à l'ordre du jour. Mais, pour que l'effort soit profitable à tous, encore faut-il que ce débat soit instruit de la bonne manière, sur la base de la stricte vérité historique. Puisque le vin est tiré, alors buvons-le! Mais tâchons de nous extirper d'abord du nouveau mythe dont vous vous faites l'auteur.

La construction du monument Price (1880-1882)

Pour remettre nos pendules à l'heure, rappelons que le projet d'élever un tel monument est né en juillet 1880, sous l'initiative de J.G. Scott, un proche de la Maison Price. Il s'agissait alors de rendre un hommage tout à fait particulier à William Evan Price (le “
meilleur des Price”, assurait-on déjà de son vivant, ce qui était du reste de la plus stricte vérité), mort à Québec le 12 juin 1880. En moins de deux, un comité fut alors levé: le notaire Ovide Bossé fut nommé président; le rentier Olivier Lachance accepta la vice-présidence qu'il jumelait avec celle de la Société Saint-Jean-Baptiste; l'inspecteur d'école Édouard Savard, le secrétariat ; et B.A. Scott, comme tout bon écossais qui se respecte, la trésorerie. Parmi les autres membres du comité, nommons Ernest Cimon, David Tessier, le Dr Lacombe, le capitaine Sturton, Eucher Lemieux, P.-H. Boily, T.-Z. Cloutier et Jean-Baptiste Petit, des bons Canadiens français du Saguenay. Tous étaient membres actifs de la SSJB locale, ce qui est loin d'être anodin dans le présent débat.

Grâce aux dons des Chicoutimiens —qui se firent généreux parce qu'ils aimaient sincèrement William Evan Price— l'argent fut vitement recueilli. On fit des appels d'offre et puis on entreprit les travaux d'érection du monument sur le “rocher Saint-Vallier”, une portion de terrain vendu par la famille Price (pour quelque 1,500 $, une fortune à l'époque). La pierre angulaire fut posée le 19 juillet 1881, soit quelques mois avant que ne débute la construction de l'hôpital de la Marine, sur un terrain vendu au gouvernement par l'Évêché. À la mi-septembre 1881, le monument était pratiquement construit, et, le 8 mars 1882, le marchand Jean-Baptiste Petit —notre meilleure référence sur cette histoire (voir
La vie quotidienne à Chicoutimi au temps des fondateurs, vol. 1)—, le dit terminé mais trouve l'hôpital “ placé trop près du monument ”, ce qui se vérifie magistralement bien aujourd'hui à partir du contentieux qui nous occupe.

L'inauguration du monument eut lieu, imaginez le contexte, le 24 juin 1882, jour de la fête de la Saint-Jean-Baptiste, celle des Canadiens français. C'était un samedi. Il pleuvait. Les chemins étaient affreux et la procession fut cancellée —ce qui permit de concentrer toute l'attention à l'inauguration du monument. Pour la circonstance, on avait décoré la cathédrale comme il était d'usage de le faire à l'époque pour honorer Dieu et ses hauts dignitaires qui n'étaient jamais loin l'Un derrière l'autre ! L'église était pleine à craquer, remplie qu'elle était des paroissiens et d'une multitude d'étrangers venus assister au dévoilement de l’œuvre. La messe ramena le beau temps. Après la célébration, une adresse fut lue par Ernest Cimon ; le curé de la cathédrale, M. Fafard, rendit la pareille dans sa réponse ; et, exceptionnellement, “il n'y a pas eu de discours de Saint-Jean-Baptiste” cette année-là. Arthur Buies, l'ardent patriote des Canadiens français, avait même fait le détour pour prononcer une causerie dans la sacristie.

Et puis ce fut la bénédiction du monument, accompagnée de discours dithyrambiques, du coupage de rubans et du dévoilement de l'obélisque qu'on avait couvert d'une draperie de haut en bas. Le tout fut accompagné d'une canonnade tirée de terre, et aussitôt répondue par les canons de quatre bâtiments qui mouillaient dans le port, à la Rivière-du-Moulin. La soirée restante fut animée de discours, les éloges funèbres fusèrent comme jamais, et la fanfare du séminaire joua des marches de circonstance. Les dames, pour qui avait été montée une tribune, se pavanaient dans leurs plus beaux atours, il y eut d'autres coups de canons annonçant les liesses populaires qui marquèrent cet instant historique de la vie chicoutimienne et régionale jusqu'aux petites heures du matin. Le bonheur du bon peuple se lisait sur son visage, partout où il était. Et s'il y eut quelques plissements de nez, eu égard à l'événement, ce qui n'est pas à répudier, nul ne prit la chance de brouiller l'eau de la fête...

Visa le noir, tua le blanc !

Voilà pour le cours des événements réels, vérifiables et tels que relatés par Jean-Baptiste Petit, redisons-le, l'un des membres du comité organisateur, tout ce qu'il y a de plus Canadien français dans sa fierté, dans son discours, dans ses engagements politiques, dans son comportement. Et encore n'est-il soulevé, ici, que l'impertinence de votre introduction au mémoire du 17 novembre. D'autres questions viendront forcément plus tard...

À la lueur de ces précisions tirées d'une source oculaire absolument incontestable, qui plus est la source historique la plus fiable et la plus volubile, il est donc conséquemment contraire à la vérité de prétendre ainsi qu'“À l'époque où le monument fut érigé (en grande partie à l'initiative de la famille elle-même et de ses associés), le nom de Price était pour la majorité des Saguenayens un symbole d'oppression sociale, d'injustice et de servitude”. Primo, comme il a été écrit, gravé, et dit pour la circonstance, le monument n'était pas dédié à la famille Price comme vous l'affirmez, mais bien à William Evan Price; secundo, pour ce qui est du “symbole d'oppression”, convenons que le fait d'avoir inséré cette inauguration dans le sein de la fête nationale des Canadiens français qui y ont participé avec un entrain redoublé, contredit du but en blanc cette suggestion déviante; et, tertio, ce n'est pas la famille Price qui en a eu l'initiative, puisque son frère, David Edward était agonisant, qu'il était en voyage à l'extérieur du pays pour se refaire des forces, et que la Maison Price avait même eu le culot de... nous vendre le terrain à un prix prohibitif pour honorer la mémoire de l'un de ses fils.

Entre le mythe et le symbole...
il y a la politique !

Cela dit, défendre une cause de cette nature, où l'instigateur s'applique à évoquer la fierté du peuple saguenéen et jeannois, qu'il en appelle à son histoire, qu'il remue ses souffrances, met le doigt dans ses plaies, tire sur ses chaînes; défendre une telle cause, dis-je bien, n'a rien de répréhensible en soi. Tout compte fait, et en dépit que l'histoire s'en trouve atrocement mutilée par ce trait de plume, je crois que l'affaire mérite d'être entendue. Dans un tel contexte, le débat que vous avez tenu à initier et à susciter —pour une raison ou pour une autre, et après avoir émasculé les faits historiques de manière à faire entrer le bloc carré dans le trou rond— le débat est du reste bienvenue. Ce qu'il en ressortira inévitablement nous permettra, pour un, d'évacuer les faussetés entretenues sur cette histoire par tout un chacun ; pour deux, il nous fournit l'occasion de laver notre linge sale en famille; et, pour trois, il nous autorise à questionner les raisons réelles qui motivent votre croisade. Permettez d'abord:

L'aliénation dont vous secouez les chaînes est celle que les Canadiens français ont hérité de la conquête anglaise de 1760. C'est du moins ce que suggère, du bout des lèvres, votre sortie, en évoquant le nom de Dubuc, et en précisant par la suite qu'il ne s'agit pas pour vous "d'opposer Francophones et Anglophones”. Le langage est double, la précision, contradictoire sinon superflue! D'une part, vous sortez de son tombeau le pire symbole qui soit chez nous pour réveiller un vieux démon qui pue, et vous sollicitez la vieille fibre canadienne-française qui sommeille en nous pour justifier votre action malgré tout ce que vous avez fait pour lobotomiser la mémoire des Canadiens français; alors que, d'autre part, flairant le danger de solliciter un tel ressort qui prend sa force dans le racisme et l'exacerbation populaire, soucieux de prendre vos distances avec tout dérapage potentiel, vous confondez les genres et remettez face à face l'antinomie des deux ethnies francophones et anglophones.

Questions: Où voulez-vous en venir au juste? Où les situez-vous, ces Canadiens français, dans cette affaire ? Existent-ils encore? Qu'entendez-vous faire, maintenant, pour restaurer le nom et la mémoire des Canadiens français dégénérés par ceux qui les ont fait disparaître dans une nation civique franco-québécoise, un concept auquel vous n'êtes pas étranger, qui les dépouille de leur mémoire, qui les oblige à couper tout lien avec leurs racines, qui leur interdit désormais toute destinée politique? Où serez-vous lorsque la rue montera aux barricades?

Vous en appelez au débat, soit! Il ne sera pas dit que j'aurai décliné devant cette responsabilité. Mais encore faut-il que ce débat soit fait sans compromis avec la vérité historique et nourri du souci de faire avancer notre collectivité sur cette base souveraine. Je dis encore, qu'en plus d'être assis sur des assertions qui flirtent avec la divagation, votre discours vertueux m'apparaît des plus imprudents si je tiens compte du prestige dont vous jouissez dans notre collectivité: il est imprudent eu égard de la symbolique que représente un tel cadavre exhumé de notre histoire; il est imprudent face à la vérité historique qui en prend déjà pour son rhume; et il est imprudent compte tenu du contexte économique et social dégradé que nous traversons présentement.

Faut-il vous rappeler, vous qui savez tant de l'histoire des révolutions, qu'il importe, dans ce genre de débat où il est facile de faire passer la passion au-dessus de la raison, à tous ceux et celles qui y prennent part, de faire en sorte que ce soit la seconde (la raison) qui l'emporte sur la première, et que le peuple, que vous appelez à votre rescousse en sollicitant justement ses passions, n'ait pas à en payer le prix un jour. Si cela devait arriver, je ne voudrais pas être celui qui portera la responsabilité d'un dérapage, quel qu'il soit. Car l'histoire est là pour en témoigner: dans de telles circonstances, le peuple, qui tire les marrons du feu en se brûlant les doigts, n'est jamais celui qui les mange, bien qu'il en fasse invariablement les frais...

Russel Bouchard
Historien

P.-S. En dépit des apparences, nous n'aurons jamais été si éloignés l'un de l'autre. Grand patriote, va !!!

cc. Carol Néron, Journal Le Quotidien;
Jean Tremblay, Maire de Saguenay ;
Et quelques autres...

Liens
  • François-Xavier Gosselin [protonotaire, district de Chicoutimi], Inauguration du monument érigé à Chicoutimi à la mémoire de William Evan Price, 24 juin 1882, 23 pages. Québec: Imprimerie de Léger Brousseau, 9 rue Buade, 1882. [Une édition numérique réalisée par Michel Fortin, adjoint] Une édition numérique réalisée par Michel Fortin, bénévole, adjoint à la mairie de Ville de Saguenay.

  • Gérard Bouchard [sociologue-historien, UQAC], “ (Communiqué de presse, 17 novembre 2004) Le projet de mise en valeur du monument Price à Chicoutimi: Un détournement de la mémoire régionale.” Chicoutimi, Ville de Saguenay, le 17 novembre 2004. [Avec l'autorisation de l'auteur accordée le 30 novembre 2004]

  • Russel Bouchard [citoyen libre et historien professionnel, Chicoutimi], “À Sylvain Gaudreault (Laterrière) ”. Chicoutimi, Ville de Saguenay, le 25 novembre 2004. [Avec l'autorisation de l'auteur de diffuser cet articles accordée le 30 novembre 2004] [Débat sur le déplacement de l'obélisque, monument érigé à Chicoutimi à la mémoire de de William Evan Price le 24 juin 1882]

  • Russel Bouchard [citoyen libre et historien professionnel, Chicoutimi], “ À Carol Néron (Le Quotidien, Chicoutimi) ”. Chicoutimi, Ville de Saguenay, le 22 novembre 2004. [Avec l'autorisation de l'auteur de diffuser cet articles accordée le 30 novembre 2004] [Débat sur le déplacement de l'obélisque, monument érigé à Chicoutimi à la mémoire de de William Evan Price le 24 juin 1882]

  • Russel Bouchard [citoyen libre et historien professionnel, Chicoutimi], “ À M. Jean Tremblay (Maire, Ville de Saguenay) ”. Chicoutimi, Ville de Saguenay, le 21 novembre 2004. [Avec l'autorisation de l'auteur de diffuser cet articles accordée le 30 novembre 2004] [Débat sur le déplacement de l'obélisque, monument érigé à Chicoutimi à la mémoire de de William Evan Price le 24 juin 1882]

  • Russel Bouchard [citoyen libre et historien professionnel, Chicoutimi], “ À Gérard Bouchard (UQAC, Chicoutimi) ”. Chicoutimi, Ville de Saguenay, le 14 novembre 2004. [Avec l'autorisation de l'auteur de diffuser cet articles accordée le 30 novembre 2004] [Débat sur le déplacement de l'obélisque, monument érigé à Chicoutimi à la mémoire de de William Evan Price le 24 juin 1882]


  • BOUCHARD Russel: inventaire de tous ses articles 1993 à 2004. Texte disponibles sur le site Vigile.net: http://www.vigile.net/auteurs/b/bouchardrussel.html.

Retour à l'auteur: Russel Bouchard, historien Dernière mise à jour de cette page le samedi 26 avril 2008 17:49
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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