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Collection « Histoire du Saguenay—Lac-Saint-Jean »

Une édition réalisée à partir du texte de la conférence de Russel Aurore Bouchard, “Incroyables et merveilleuses.” Conférence sur l’art périphérique au Saguenay, donnée le 14 août 2009, dans le cadre du Symposium International d’art contemporain de Baie Saint-Paul. [Titre de la conférence: À PROPOS D’EXCENTRIQUES: CLAUDE SIMARD, JEAN-JULES SOUCY, DENYS TREMBLAY, ARTHUR VILLENEUVE.] [Autorisation formelle accordée par l’auteur le 9 août 2015 de diffuser le texte de cette conférence, en accès libre, dans Les Classiques des sciences sociales.]

Russel Aurore Bouchard

citoyenne libre et historienne professionnelle,
Chicoutimi, Ville de Saguenay (1948 - )

Incroyables et merveilleuses.”

À PROPOS D’EXCENTRIQUES
(CLAUDE SIMARD, JEAN-JULES SOUCY,
DENYS TREMBLAY, ARTHUR VILLENEUVE
).

Conférence sur l’art périphérique au Saguenay, donnée le 14 août 2009, dans le cadre du Symposium International d’art contemporain de Baie Saint-Paul.

Les frontières de l’Art : jusqu’où peut-on aller ?
Le défi de l’art : libérer l’esprit de son temps
L’art est une révolution en soi  ; il définit le rythme et marque le temps de l’histoire


Les frontières de l’Art :
jusqu’où peut-on aller ?


« L’art est la libre expression d’un cœur et d’une intelligence, et il est d’autant plus grand qu’il est plus personnel… J’accepte l’artiste tel qu’il me vient et je l’admire lorsqu’il arrive à traduire en un langage nouveau, personnel, les émotions qui sont en moi.  […] Moi, je pose en principe que l’œuvre ne vit que par l’originalité. Il faut que je retrouve un homme dans chaque œuvre, ou l’œuvre me laisse froid. Je sacrifie carrément l’humanité à l’artiste. Ma définition d’une œuvre d’art serait, si je la formulais : Une œuvre d’art est un coin de la création vu à travers un tempérament. Que m’importe le reste. Je suis artiste, et je vous donne ma chair et mon sang, mon cœur et ma pensée. »

Zola, Le Salut Public, 26 juillet 1865.


Dans le cadre du Symposium international d’art contemporain, qui coïncide avec le vingt-cinquième anniversaire du Cirque du Soleil et la venue de son concepteur et mécène, Guy Laliberté, on me demande d’aborder la thématique de l’incroyable et du merveilleux, et de donner mon appréciation sur la production de certaines figures fortes du monde artistique du Saguenay. Les artistes à l’honneur qu’on me demande d’honorer ainsi, sont effectivement –et uniquement !– des « hommes » au demeurant très à la mode, des « hommes » excentriques qui, dit-on, ont osé défier les conventions. Dans cette commande, on me demande de m’arrêter sur l’oeuvre du baieriverain Jean-Jules Soucy, l’esprit derrière l’œuvre monumentale et communautaire de la « Pyramide des Ha ! Ha ! », à Saguenay. Et on évoque l’œuvre du millionnaire larouchien Claude Simard qui, après un séjour fructueux à New York, a entrepris de faire de son village natal une galerie d’art démocratique en y plaçant des œuvres et des monuments architecturaux récupérés dans les quatre coins du monde. À ces deux noms, qui ont eu grande presse au Saguenay, on me suggère, enfin, de donner mon impression sur l’œuvre d’Arthur Villeneuve, le peinte naïf de Chicoutimi, et sur celle de Denys Tremblay, le fossoyeur officiel de Sa Majesté l’Art métropolitain, qui plus est un admirateur inconditionnel de l’œuvre de Villeneuve.   

La commande étant faite, il me faut préciser d’entrée de jeu que je suis de ceux et celles qui pensent que l’œuvre d’un autre est un univers en soi et que seul(e) son auteur(e) peut expliquer sa représentation. Pour m’exprimer le plus justement possible à cet égard, en ce qui me concerne et sans prendre le risque de déborder dans le superflu je dirai simplement que la CRÉATION est l’art de se rebeller contre l’esprit du temps dans lequel nous pataugeons, et qu’il n’y a pas de limites à l’expression de l’émotion qui permet à celui-ci ou à celle-là d’y arriver. Dans cette perspective, où l’infini rend tous les artistes égaux entre eux, l’excellence ne se retrouve donc pas tant dans le génie que dans la capacité de chacun d’affronter ses peurs, ses doutes et ses contraintes personnelles, dans sa manière de négocier avec les conventions humaines auxquelles il est soumis, et dans la capacité d’émouvoir.

À ces égards, il y a donc les artistes qui m’interpellent, qui me font vibrer, qui stimulent mon esprit et qui savent m’émouvoir. Il y a ceux qui n’attirent tout simplement pas mon regard et qui m’indiffèrent totalement. Et il y a ceux qui heurtent mon intelligence par leur médiocrité et leur mauvaise foi.

S’il ne m’est pas possible de définir les limites de l’art et ses univers proposés sinon comme réels du moins comme des possibles en devenir, ma propre expérience, en tant que créateur littéraire, me porte également à croire que la perception très éthylique de l’art dépend de l’univers historique et spirituel dans lequel chaque expérience humaine s’insère. Entendant par là que ce qui est perçu dans un hémisphère comme porteur d’un sens, ne l’est pas nécessairement dans un autre. À ce titre, je rappellerai simplement que, si les Bouddhas géants de Bâmiyân, à 230 km au nord-ouest de Kaboul, représentaient un symbole religieux et culturel idolâtre à lapider à coups de canons pour les intégristes talibans qui se sont commis de la sorte en mars 2001 ; nous comprendrons alors que les occidentaux y ont vu pour leur part la destruction délibérée d’un objet d’art qu’ils disent appartenir au patrimoine mondial, un principe qu’ils défendent, eux aussi, à coups de canons ! Pour les Talibans, les 1500 ans qui nous séparent de la construction de ces géants de pierre n’altèrent en rien l’importance qu’ils leur donnent aujourd’hui sur le plan de la symbolique culturelle. Alors que pour nous, qui sommes de culture judéo-chrétienne, ce sont des œuvres d’art inestimables qui nous relient à ce temps et qui nous rappellent cet esprit, une perception également excentrique qui en altère le sens et l’importance que leur ont donnés leurs créateurs.

 Quand j’évoque cette différence dans les échelles de valeurs à connotations  culturelles et religieuses qui se manifestent dans l’esprit des artistes, je pense, à titre d’exemple, à Voltaire, un écrivain que je connais assez bien puisque je l’étudie depuis plus de vingt ans. Je pense, notamment, à l’influence énorme qu’a eu, sur sa création artistique, le funeste tremblement de terre de Lisbonne (1755) qui a fait périr plus de 50 000 vies humaines (notre pendant à nous du Déluge du 20 juillet 1996). Ce désastre, qui n’avait aucune résonnance à Kaboul ou au Caire, en eut cependant dans le cœur de Voltaire qui réfléchissait depuis longtemps sur la nature du mal, sur l’organisation irrationnelle du monde et de l’univers, sur les inégalités naturelles et sociales et sur les contradictions théologiques défendues par les philosophes optimistes.

Le grand désarroi dans lequel fut alors plongé le Patriarche de Ferney, déboucha derechef sur la rédaction de son œuvre maîtresse, « Candide ou l’optimisme », une vibrante satire dénonçant la guerre, l’esclavage, les travers malsains de la condition humaine et les malheurs créés à l’humanité par les religions et une nature fondamentalement injuste. Ce roman à la trame intemporelle, dépeint « la vision condensée d’un univers total ». Il fut publié en 1759, justement l’année de la bataille des Plaines d’Abraham. Du jamais vu alors ! Le message qu’en donne Voltaire défie et le temps et les rois, dont Louis XV qui ne le porte déjà pas dans son cœur. Avec des mots d’une rare intensité, son auteur pourfend l’optimisme des philosophes qui est « une négation truquée du malheur des hommes » (dixit André Magnan). Il pourrait tout aussi bien avoir été écrit pendant la Guerre du Golfe, où le sang des innocents continue de couler au nom de la Liberté, de la Paix et de Dieu. Et c’est ici, dans cette formidable capacité de m’émouvoir, que l’excentricité d’un artiste et la puissance de son expression prennent leurs lettres de noblesse...

Rien n’était si beau, si leste, si brillant, si bien ordonné que les deux armées. Les trompettes, les fifres, les hautbois, les tambours, les canons, formaient une harmonie telle qu’il n’y en eut jamais en enfer. Les canons renversèrent d’abord à peu près six mille hommes de chaque côté ; ensuite la mousqueterie ôta du meilleur des mondes environ neuf à dix mille coquins qui en infectaient la surface. La baïonnette fut aussi la raison suffisante de la mort de quelques milliers d’hommes. Le tout pouvait bien se monter à une trentaine de mille âmes. Candide, qui tremblait comme un philosophe, se cacha du mieux qu’il put pendant cette boucherie héroïque. 
Enfin, tandis que les deux rois faisaient chanter des Te Deum chacun dans son camp, il prit le parti d’aller raisonner ailleurs des effets et des causes. Il passa par-dessus des tas de morts et de mourants, et gagna d’abord un village voisin il était en cendres : c’était un village abare que les Bulgares avaient brûlé, selon les lois du droit public. Ici des vieillards criblés de coups regardaient mourir leurs femmes égorgées, qui tenaient leurs enfants à leurs mamelles sanglantes ; là des filles éventrées après avoir assouvi les besoins naturels de quelques héros rendaient les derniers soupirs ; d’autres, à demi brûlées, criaient qu’on achevât de leur donner la mort. Des cervelles étaient répandues sur la terre à côté de bras et de jambes coupés. » Voltaire, Candide, 1759.

(L’illustration est de l’artiste Hugh Bulley, et a été tirée du livre Candide ou l’optimisme, préfacé par André Magnan et publié par le Centre international d’étude du XVIIIe siècle, Ferney-Voltaire, en 2006.)



Ceux qui font de l’argent comme de l’eau se font rarement imposer à la source ». « L’art n’est pas un bon endroit pour se cacher ». Dixit Jean-Jules Soucy, qui avait pourtant su nous éblouir avec ses sculptures fantasmagoriques et qui avait su nous émerveiller lors du Symposium international de Sculpture environnementale de Chicoutimi, à l’été 1980. Cet artiste excentrique était alors sorti des sentiers battus pour dénoncer l’art sclérosé qui se laisse avaler par le souci de l’esthétisme et de la séduction.

Denys Tremblay, le maître d’œuvre de ce symposium exceptionnel qui réunissait dix artistes (dont Armand Vaillancourt et Hervey Fisher, auteur du livre « Un Roi américain », consacré à l’œuvre de Tremblay et publié en 2009), estimait alors que les dix sculpteurs du Symposium de Chicoutimi avaient permis aux « notions spirituelles de l’emporter sur les notions naturalistes » et qu’ils avaient « proposé un cheminement ».  Dans cet énoncé amphigourique, Tremblay entendait que « ces sculptures environnementales [n’étaient] pas des sculptures écologiques, qui auraient marqué une soumission de l’homme à la toute puissance de la nature, mais des lieux sacrés de la réflexion humaine. »

Seize ans plus tard, l’œuvre sculpturale que Soucy a poursuivi avec un génie incontestable, mérite d’être questionnée avec des yeux plus nuancés. Inspirée par le Déluge du 20 juillet 1996, la Pyramide des Ha ! Ha ! devait idéalement devenir un témoin de notre temps et de nos abandons collectifs. À l’origine, le concept de cette réalisation artistique contenait trois volets : un volet pédagogique à partir de la pyramide elle-même ; un volet unissant la rivière et la pyramide par un pont ; et la place elle-même, signifiée par les panneaux routiers « cédez le passage ». Cet ensemble triangulaire, devait souligner les conséquences désastreuses des abus d’un système pourri et devait dénoncer la dérive sociétale qui a mené à cet effroyable drame. Il devait figurer notre passé, notre présent et notre futur, voire le Père, le Fils et le Saint-Esprit, ce qui était absolument génial !

Dénaturé par les promoteurs, pour des raisons qui ne sont pas acceptables quand on se réclame de l’art... périphérique et anti-métropolitain, ce projet très inspirant est finalement devenu un médiocre monument de panneaux de tôle dénaturalisés qui conforte l’emprise des décideurs sur notre avenir collectif au lieu de le contester. En se pliant aux contraintes des promoteurs et sponsors de son projet, Soucy a hélas tombé dans le piège qu’il avait évité en 1980 et son œuvre a été récupérée par l’esprit de la cité. Comble de l’ironie, pour un artiste qui avait justement fait de l’ironie la plate-forme de son art, sa pyramide à trois faces a été aspirée par le courant métropolitain qui l’a déglutinée ; elle est devenue une Art-naque » culturelle, une pierre tombale de notre mémoire sélective qui n’en finit plus de s’éteindre dans notre médiocrité...

Commentaire et photo de la pyramide : Russel Bouchard


Le défi de l’art :
libérer l’esprit de son temps


« L’artiste se considère comme le créateur d’un monde spirituel qui lui est propre : il porte sur ses épaules la responsabilité de créer ce monde, de le peupler et d’en assumer l’entière responsabilité. Mais il est écrasé sous ce fardeau, car un génie mortel n’est pas en mesure de supporter une telle charge. »
Soljenitsyne, Le Cri, 1970.

Qui dit pouvoir dit également devoir ! Pouvoir d’exprimer les ombres qui se révèlent à nous, devoir d’être soi et d’être vrai, devoir de dire et de ne pas souscrire à la dérive de notre temps ! Nous nous rappelons tous cette pensée magnifique citée par Félix Leclerc lors du récital qu’il a donné au Grand théâtre de l’Île d’Orléans, en 1977. Elle servait de mise en situation pour la lancée de son formidable cri du cœur, « L’Encan » (« En se retirant dans sa tour d’ivoire, l’artiste risque d’abandonner le monde aux mains des mercenaires, des nullités sinon de tous »). Ces mots lourds de sens qui n’étaient pas de lui, participaient admirablement bien aux émotions et aux ressentiments populaires de son époque. L’Union soviétique était sur son dernier droit ! Le PQ venait tout juste de prendre le pouvoir pour la première fois à Québec et le projet du pays se dessinait enfin pour tous ceux qui en rêvaient depuis 1760. Pour bien exprimer ses sentiments, Félix avait puisé cette phrase dans le répertoire de l’historien russe Alexandre Soljenitsyne qui l’avait  adroitement tissée dans son fameux discours publié à la suite de l’attribution du prix Nobel, en 1970 (« LE CRI »). Un prix qu’il ne pouvait alors toucher de ses mains puisque l’État soviétique lui avait interdit de quitter le pays.

Qui ne dit mot consent, dit l’adage. Dans cette mouvance, l’artiste a donc le choix entre s’écraser ou résister. Puisqu’il a le pouvoir d’influencer les idées de son temps, il lui incombe conséquemment de changer ce monde pourri dans lequel il patauge afin de le sauver de lui-même. Mais pour y arriver, il doit éveiller les consciences en montrant ce monde tel qu’il est et en l’exprimant selon son talent.  S’il ne s’investit pas dans cet effort de se libérer de l’énergie qui soumet ce monde dans lequel il évolue, l’artiste perd le statut d’artiste pour se dissoudre dans le miasme planétaire. Il gagne sa croûte et ne fait que tenir le temps qui lui est loué par la vie. Il est un naufrager qui dérive sur une mer qui l’engloutit avec tous les autres naufragés de son temps. Il n’y a que son propre sort, que sa propre mort qui l’intéresse. Il a beau clamer son excentricité, il abandonne le monde à ceux qui le maîtrisent, l’exploitent et l’assassinent. Il n’écrit plus l’histoire par son art, il se soumet à ceux qui la manipulent pour leurs propres fins.

Lorsqu’il figure le monde dans lequel il évolue, l’artiste, comme l’historien qui apprend les limites de son art, est un observateur d’une réalité passée. Il explore le monde avec des yeux d’enfant, prélève des données et acquiert des habilités propres à son art. Il n’a donc aucune influence sur le sujet qu’il reproduit. Il est un écran qui donne sur un monde imperturbable, insensible, immuable.

Lorsqu’il s’engage à éveiller les consciences à partir de la somme de ses observations et de ses apprentissages, l’artiste, comme l’historien, devient un témoin de son temps. Il offre une représentation qu’il se fait de la réalité qui soumet l’ensemble. Il agit l’histoire ; il en devient un acteur, un figurant. C’est donc plus particulièrement le passé et le présent qui agissent sur lui.

Et lorsqu’il s’active à influencer le cours des événements qui l’interpellent, le heurtent et le questionnent, l’artiste, comme l’historien, ajoute à ses fonctions d’observateur, de témoin oculaire et d’acteur, celle d’être l’auteur-artisan d’une pensée qui lui est propre et qui émerge du tout. Il assume donc son unicité. Il est une fenêtre sur un monde en mouvement qu’il accompagne, une bouteille jetée dans la mer du temps. Il est un phare qui imprime une énergie nouvelle à la longue courbe du temps de l’humanité, un observatoire exceptionnel donnant, par derrière, sur un monde imperturbable, et par devant, sur un autre déjà engagé dans sa continuité. Son œuvre est intemporelle et lui survivra.

Pour un, on aura évidemment compris que ceux qui appartiennent au premier mouvement font florès dans tous les milieux académiques, qu’ils sont parfois fort populaires, et que leur production, qui démode très vite, suit un courant sur lequel ils n’ont absolument aucune emprise. Pour deux, on aura compris également que les artistes qui appartiennent au deuxième mouvement, se font beaucoup plus rares, qu’ils ne font évidemment pas l’unanimité parce qu’ils tentent —infructueusement— de se libérer du courant, mais qu’ils laisseront eux aussi peu de traces de leur passage. Et, pour trois, on aura compris enfin que ceux qui réussissent à s’engager dans le troisième mouvement en se faisant fort de ne jamais tricher sur la vérité ni la compromettre, sont les exceptions qui confirment la règle, et leur œuvre survit généralement à leur trépas. Ces derniers ont réussi, à leur manière, à se libérer du courant, à être de leur école sans pour autant devoir faire école. Ils sont alors une menace à la stabilité, une menace au pouvoir conformiste et à ceux qui en profitent, une force visionnaire qui interpelle le changement.

*   *   *

Une enquête menée par le Insight China magazine et publiée dans le China Daily du 4 août dernier, nous a révélé récemment que les Chinois font, en général et dans l’ordre décroissant, plus confiance aux paysans, aux religieux et aux prostituées qu’aux fonctionnaires qui tiennent la quatrième place. Toujours selon le pouvoir Chinois, qui n’est pas sans intérêt caché dans cette enquête bien spéciale, les prostituées chinoises, dont l’activité est pourtant officiellement interdite en Chine depuis l’avènement des communistes au pouvoir, comptent donc parmi les groupes les plus dignes de confiance et devancent non seulement les fonctionnaires, mais également les groupes formés des promoteurs immobiliers, des secrétaires, des représentants et, en bout de piste, des artistes et des réalisateurs.

Quand on sait à qui profite le résultat d’une telle enquête menée par l’un des pouvoirs totalitaires les plus puissants de la planète (!), on ne peut que rendre grâce aux quelques artistes et réalisateurs formant cette petite armée de résistants, d’en tenir la dernière place. Tous les autres ne font que semblant d’ausculter l’horizon. Ils font du commerce. Ils sont soumis aux forces du présent...

____________________________

Le vrai mérite de l’art est d’abord de dire les choses comme elles doivent être dites. Un peu comme les Indiens des temps héroïques, qui croyaient que toute chose a une âme, Arthur Villeneuve a fait ressortir l’âme du Saguenay. À travers les méandres d’une œuvre inépuisable, et mieux que quiconque, il a eu le génie de faire ressortir, par les poils de son pinceau trempé dans l’encrier de l’innocence la plus pure, les peurs, les tabous et les mensonges qui emprisonnent notre esprit.

Chroniqueur hors pair de l’histoire du Saguenay, son œuvre est intemporelle et s’inscrit dans le patrimoine de l’humanité. Artiste d’une intensité rare, il plonge dans sa mémoire, écrit notre histoire comme aucun autre historien n’a su le faire avant lui. Il chevauche les époques sans s’indisposer de la chronologie des événements qu’il dépeint, prophétise même sur notre avenir collectif. Il enfile ses fringues de Métis, embarque dans son canot d’écorce, tourbillonne dans les ressacs de notre histoire et continue la remontée de la rivière de sa vie qui est aussi la nôtre. Sans jamais se lasser, il parcourt le chemin de la mémoire. En dépeignant les chimères qui l’habitent dans les travers de l’histoire du Saguenay cléricalement dépeinte par Mgr Victor Tremblay, il nous montre tels que nous sommes. C’est-à-dire des gens naïfs, des voyageurs épris de liberté mais soumis à la peur, une peur enseignée et entretenue. Il témoigne d’un monde incapable de se libérer du marais historique dans lequel les Saguenéens d’hier et d’aujourd’hui pataugent.  Par le mythe et la légende, il refait l’histoire des choses et des hommes à sa manière, exprime son ressenti. Pour lui, la nature est un organisme vivant.

Comme tous les artistes dignes de ce nom, son œuvre prend évidemment tout son sens après son départ. Il est de ceux qui ne meurent pas, il en est conscient et il ne se prive pas de le clamer. La récupération institutionnelle de son œuvre –mesquinement qualifiée de « naïve » par les muséologues et les vecteurs de l’art métropolitain– témoigne du reste du combat titanesque qu’il a dû affronter et de la profondeur du précipice culturel dans lequel il a été précipité après son départ, survenu à Montréal le 21 mai 1990. Lorsque, à coup de grandes subventions, le gouvernement accepta de parrainer le déménagement de la maison du peintre, le 11 novembre 1994, l’œuvre d’Arthur Villeneuve était terminée. La symbolique de la fameuse maison, avalée par le monstre culturel de la Pulperie de Chicoutimi, témoigne de la fin de son combat et de la récupération de son œuvre.

Photos et commentaire :
Russel Bouchard.


Quand Claude Simard a lancé son projet de Larouche, il a lancé à la volée ce que nul d’entre nous ne peut nier : « Le monde est pourri ! » Il a justifié son projet en disant souhaiter « sortir des modèles conventionnels et rendre l’art accessible à tous ». Son projet était de faire le trait d’union entre le Saguenay et le Lac-Saint-Jean. Par son action, il entend donc démocratiser l’art, ce qui est un projet très noble en soi, mais un projet qui n’a rien pour défoncer les conventions. « Notre population s’ouvre l’esprit pour se questionner et imaginer », avouait-il encore dans le Progrès-Dimanche du 12 juin 2005. « Nous faisons en sorte que l’art s’allie au capital. » Et c’est ici que je débarque !

Je connais des poètes qui crèvent dans leurs doutes, qui disent des choses formidables et qui ne seront jamais connus. Ces poètes n’ont aucun lien avec le « grand capital » qui fait justement que « le monde est pourri ». Et pourtant, ces artistes font tout ce qu’ils doivent faire : prendre fait et acte de la dérive de notre monde, exprimer avec des mots justes et droits leur désaccord, et faire en sorte de ne pas participer à cette dérive.

Dans cette perspective d’éveiller et non pas de profiter, je ne vois pas Simard comme un artiste, mais comme un promoteur financier et un récupérateur d’art. Certes, l’homme a de l’audace en matière promotionnelle mais, en ce qui me concerne, c’est là tout son art. Si vous m’aviez demandé de parler d’un poète méconnu qui ouvre à la compréhension de notre monde et interpelle la conscience, là j’aurais pu vous inspirer en vous lisant une strophe ou deux du fabuleux poème « Bête de somme » de l’artiste méconnu Guy Génois. Mais de ce Simard, je n’ai vraiment rien à vous révéler sur ce qu’il dit vouloir révéler…

Photo et commentaire :
Russel Bouchard.



L’art est une révolution en soi ;
il définit le rythme
et marque le temps de l’histoire


« Si les écrivains sont les ingénieurs des âmes, n’oubliez pas que la plus haute fonction d’un ingénieur, c’est d’inventer ; l’art n’est pas une soumission, c’est une conquête. »
Malraux, 23 août 1934.

La création artistique, dans son essence même, est une rébellion contre la rectitude et le conformisme qui sont le champ de batailles des réactionnaires et des esprits fermés. On ne peut échapper au monde dans lequel on vit ; on ne peut que le changer, et tant qu’à le changer, changeons-le pour le mieux (« ne faisons pas un pays plus nul que celui qu’on veut fuir », dixit Denys Tremblay !). Pour moi, tous les artistes ont le défi sinon le devoir d’être atypiques, excentriques, d’être en… « périphérie » de la normalité. Qu’il soit poète, écrivain, peintre, sculpteur, historien, qu’il soit homme ou femme dans sa tête, l’artiste est, par définition, un être d’exception. Il expose une vision des ombres éthyliques qu’il voit de l’autre côté de son miroir. Cela est un incontournable pour lui ; son œuvre doit contribuer à donner un sens universel à l’œuvre de la Création.

Chateaubriand n’a nul égal pour décrire le chaos révolutionnaire et faire l’apologie de la déraison, lorsque la sottise humaine s’empare de l’histoire et la pénètre par ceux qui l’écrivent. « Pris collectivement, narre-t-il dans ses Mémoires d’outre-tombe avec un style inimitable, le peuple est un poète, auteur et acteur ardent de la pièce qu’il joue ou qu’on lui fait jouer. Ses excès ne sont pas tant l’instinct d’une cruauté native que le délire d’une foule enivrée de spectacles, surtout quand ils sont tragiques ; chose si vraie que, dans les horreurs populaires, il y a toujours quelque chose de superflu donnée au tableau et à l’émotion. »

« La Révolution [française] m’a fait comprendre cette possibilité d’existence. Les moments de crise produisent un redoublement de vie chez les hommes. Dans une société qui se dissout et se recompose, la lutte des deux génies, le choc du passé et de l’avenir, le mélange des mœurs anciennes et des mœurs nouvelles, forment une combinaison transitoire qui ne laisse pas un moment d’ennui. Les passions et les caractères en liberté se montrent avec une énergie qu’ils n’ont point dans la cité bien réglée. L’infraction des lois, l’affranchissement des devoirs, des usages et des bienséances, les périls même ajoutent à l’intérêt de ce désordre. Le genre humain en vacances se promène dans la rue, débarrassé de ses pédagogues, rentré pour un moment dans l’état de nature, et ne recommençant à sentir la nécessité du frein social que lorsqu’il porte le joug de nouveaux tyrans enfantés par la licence. » Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe.

Permettez à l’Histoire d’en porter le témoignage, la révolution n’est qu’un bruit, qu’un craquement qui témoigne d’une fracture entre deux temps de l’Histoire. En fait, ce qui est la révolution, c’est ce qui l’a préparée, c’est la voix, le geste, l’écrit de ceux qui l’ont annoncée. À cet égard, je pourrais vous citer à titre d’exemple, les auteurs du Siècle des Lumières qui ont annoncé et préparé le 4 juillet 1789, ce craquement qui annonce l’événement majeur de la modernité. Je pourrais vous parler aussi de Soljenitsyne qui, dans « Une journée d’Ivan Denissovitch »  invite les esprits à se préparer à la déstalinisation et à la révolution de 1989. Plus près de nous, je pourrais, encore, vous citer le groupe du « Refus Global » (dont Borduas, Riopelle, Ferron), qui a annoncé l’avènement de la Révolution tranquille au Québec.

Dans cette mouvance où l’issue est déjà toute tracée d’avance à une impasse de l’Histoire, les artistes ne sont pas des messies, mais des explorateurs des temps qui viennent vite, des éclaireurs, des prophètes. Ces esprit de leur temps, explorent, imaginent, rêvent le monde à venir, comme l’a fait Denys Tremblay, le roi de l’Anse. Ils nous proposent une manière de concevoir un univers idéal, comme l’a fait le sculpteur Roussil.


Au Saguenay–Lac-Saint-Jean, aucune œuvre artistique, aucun artiste n’a suscité autant la controverse que Denys Tremblay, qui est devenu, le temps d’une belle folie, le roi du royaume de L’Anse-Saint-Jean, celui sorti du déluge de l’été 1996 après une gestation de onze mois. Partant de cette réalisation fabuleuse qui s’est échelonnée sur un parcours de 17 ans, Tremblay a ému ceux et celles qui rêvent encore du pays imaginaire comme ils le conçoivent, et il a fait délirer ceux et celles qui ont peur de tout et de rien, qui tentent de tout relativiser et qui n’y ont vu qu’une image de marketing pour faire parler.

Dans sa démarche artistique qui heurte de plein fouet l’idée que nous nous faisons du pays en devenir, Tremblay coupe au plus court et fait de son rêve une réalité politique incontestable qui témoigne de l’inépuisable pouvoir de l’art quand l’artiste s’abandonne à ses rêves qui se mêlent dans ses idéaux. En procédant de la sorte, Tremblay s’est senti directement interpelé par le Deuxième voyage de découverte de Jacques Cartier qui, en 1535, venait de découvrir que cet empire logé sur le toit de l’Amérique du Nord, était partagé entre deux provinces et un royaume : les provinces de Stadaconé (Québec) et de Hochelaga (Montréal), et le Royaume de Saguenay qui s’étendait jusqu’au lac Supérieur, un Eldorado fabuleux que l’histoire laurentianisée (osons dire... métropolonisée !) a décidé de rapetisser à sa plus simple expression, dans les limites du fjord et de la rivière, pour en détruire l’imaginaire.

Pour apprécier à sa plus juste mesure la densité et le génie de l’œuvre de Tremblay, il faut visiter l’exposition que lui a consacrée le Musée de la Pulperie, à Chicoutimi, à l’été 2009 (Alias de l’Illustre inconnu au Roi de l’Anse). Qu’on soit pour ou contre, qu’on aime ou pas, son parcours riche de symboles ne lasse d’étonner ! Après avoir enterré à Paris, dans une cérémonie officielle riche de sens et de spectacle, l’Art international qui assassine toute créativité (entendons « l’Art métropolitain ») ; après cet enterrement de première classe dis-je bien, l’Illustre Inconnu est revenu sur ses pas, à Chicoutimi, pour couronner le ridicule de ce qu’il appelle « l’institutionnalisation du côté périphérique de l’art », un geste d’une rare témérité qui lui a permis de mettre fin à l’épopée de son personnage au terme d’une odyssée homérique de 14 ans. Et puis, ce fut la renaissance de l’artiste dans les méandres d’un parcours en droite ligne qui se découvre en quatre temps quatre mouvements : Primo, dans la figuration de la naissance tant attendue du royaume démocratique et catholique de L’Anse-Saint-Jean accordé par le référendum du 19 janvier 1997 (majorité de 73,9%) ; Secundo, dans l’esprit de la religion de ses père et mère revisité dans le projet de la fresque monumentale de Saint-Jean-du-Millénaire ; Tertio, dans le couronnement de l’artiste-roi-mégalomane-excentrique, le 24 juin 1997 ; et, quarto, dans la dé-capitulation tranquille de la monarchie aux termes d’un règne des plus controversés, le 14 janvier 2000 qui devient, de facto, le premier grand événement du troisième millénaire naissant...

Commentaire :
Russel Bouchard

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Objet : […] J’aimerais vous inviter à prononcer une communication dans le cadre de cet événement qui aura pour thématique INCROYABLES ET MERVEILLEUSES. Pendant tout le mois d’août l’aréna municipal se transforme en atelier ouvert, où douze artistes créent en public une œuvre inédite en lien avec le programme thématique. Une série d’événements parallèles (films, conférences, performances) enrichit le programme. Cette année, le Symposium a décidé de souligner le 25ième anniversaire du Cirque du Soleil (qui est originaire de Baie Saint-Paul) en faisant allusion par sa thématique au caractère déluré, excessif et marginal de l’univers circassien. J’ai annexé en document attaché le texte de présentation de la thématique pour vous donner une meilleure idée de l’orientation artistique de cette édition mais succinctement je pourrais vous dire que l’esprit d’Incroyables et Merveilleuses se résume par son attrait pour l’excentrique, le satirique, l’insolent et le fantaisiste.

Si je fais appel à vous, c’est avec l’espoir que vous puissiez faire une communication dans le cadre de ce Symposium qui porterait sur certaines figures fortes du monde artistique du Saguenay. Je pense spécifiquement à : Arthur Villeneuve, Denys Tremblay, Jean-Jules Soucy et Claude Simard ; des créateurs aux visions excentriques et mégalomanes. En tant qu’intellectuelle et historienne vivant au Saguenay, je suis convaincu que vous êtes privilégiée pour témoigner de l’apport de ces créateurs, de leur spécificité et peut être de postuler sur l’influence qu’exercerait le territoire sur les idées de grandeur.

Je suis aussi convaincu qu’une réflexion sur l’apport de ces créateurs et sur leur vision affranchie des lieux commun pourrait susciter un débat intéressant et participer à faire de ce Symposium une édition exceptionnelle.

Martin Dufrasne
23 mars 2009

Les règles de l’Art

Fonction de l’art

Fonction spirituelle: (l’art sert de lien avec l’inconnu, l’universel)
Fonction esthétique et pratique: (l’art sert le présent et l’individu qui l’emploi)
Fonction politique: (l’art devient un projet)

Pouvoir de l’art

Pouvoir de nous élever spirituellement
Pouvoir de nous ennoblir socialement
Pouvoir d’influencer

La nature de l’art

Exprimer l’âme humaine et préfigurer le changement

Le défi de l’art

Libérer l’esprit, l’extirper du centre, d’être excentrique

Russel Bouchard

14 août 2009


Retour à l'auteur: Russel Bouchard, historien Dernière mise à jour de cette page le dimanche 20 septembre 2015 19:35
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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