Revue mensuelle religieuse et politique (Paris), Documents sur la lutte de l Église catholique contre le vaudou en Haïti au 19e siècle


 

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Une édition électronique réalisée à partir des textes de la Revue mensuelle religieuse et politique (Paris), Documents sur la lutte de l’Église catholique contre le vaudou en Haïti au 19e siècle. Paris: Revue mensuelle religieuse et politique, no 6, 1894, et nos 27 (mars), 33 (sept.), 35 (nov.), 1896.

1. "Les satanistes anthropophages". Revue mensuelle religieuse, politique, scientifique, faisant suite à la publication “Le Diable au XIXe siècle”, no 6, 1894. Paris : Delhomme et Briguet, Éditeurs.

2. "Un prêtre d'Haïti empoisonné par les sorciers. Sa guérison le 5 septembre dernier". Revue mensuelle religieuse, politique, scientifique, no 27 et no 31, 1896. Paris : Delhomme et Briguet, Éditeurs.

3. "Le Vaudoux et le Bocor à Haïti". Revue mensuelle religieuse, politique, scientifique, no 33, 1896. Paris : Delhomme et Briguet, Éditeurs.

4. "Conférence populaire sur le vaudoux". Par A. Firmin. Revue mensuelle religieuse, politique, scientifique, no 35, 1896. Paris : Delhomme et Briguet, Éditeurs.

1.

"Les satanistes anthropophages".

Revue mensuelle religieuse, politique, scientifique, faisant suite à la publication “Le Diable au XIXe siècle”, no 6, 1894. Paris : Delhomme et Briguet, Éditeurs.

Un de nos amis vient de nous communiquer une lettre reçue récemment de Gonaïves (Haïti), qui confirme pleinement et accentue même ce que M. le docteur Bataille a écrit, dans le 16° fascicule du Diable au XIX° Siècle, pages 312 à 314, au sujet de la secte sataniste des Vaudoux, qui est en quelque sorte la franc-maçonnerie noire. D'autre part, ces nouveaux renseignements montent d'être ajoutés à ceux donnés par la lettre reproduite plus haut, sur les sacrifices humains dans la franc-maçonnerie satanique.

« Nous avons ici — comment, dirais-je ? — une franc-maçonnerie double ; en d'autres termes, il est certain que la franc-maçonnerie des loges, qui ne se cachent pas trop, donne la main à la franc-maçonnerie sataniste des nègres, ceux-ci pratiquant le rite de l'Obi. Vous devez avoir entendu parler, mon cher ami, des monstruosités commises par les Vaudoux, sectateurs d'Obi. Des écrivains ont prétendu que cette secte.n'existe plus ou presque plus. Quelle erreur ! tout au contraire, elle compte d'innombrables adhérents dans le parti ultra-noir, et ce monde-là fraternise avec nos loges haïtiennes.

« Sous le président, Salomon, qui protégeait ouvertement ces deux maçonneries-soeurs, les Papalois, qui sont, les Vénérables dans le rite d'Obi, étaient reçus avec honneur au Grand Orient d'Haïti. Seulement, ils tiennent leurs, assemblées habituelles dans les « mornes », au fond des bois ; mais on dit que les francs-maçons de l'espèce avouée ne dédaignent pas de se livrer parfois à des fêtes intimes, en empruntant la liturgie satanique de leurs frères Vaudoux. On chante alors des cantiques au diable, avec accompagnement d'assotos, sorte de tambours qui ont été consacrés à Lucif-Obi ; car Obi n'est autre que Satan, représenté sous la forme d'un serpent des plus hideux.

« Nos francs-maçons ont leurs soeurs, choisies parmi les négresses, et, dans ces réunions, on les fait mettre dans un état de nudité complète, et on les enivre ; la négresse ne refuse jamais un verre de tafia. De leur côté, les chefs des loges vont au « houmfort », qui est. le temple secret des Vaudoux; ils sont les bienvenus chez ces nègres sectaires, capelatas, ouinbindingues, cochons-sans-poils, houngans, aradas, ghions, etc. .

« On ne saura jamais les crimes qui ont dû être commis sous la présidence du F.". Salomon. Par contre, le président Légitime.ni le président.Hippolyte (celui-ci, un fort honnête homme) ne les ont pas favorisés. Il y a quelques jours, on a pu empêcher à temps un de leurs actes de cannibalisme. Près de Saint-Marc, dans un hameau, les francs-maçons noirs avaient séquestré une jeune négresse nommée. Zétrène, l'avaient complètement rasée, mise en cage au houm-fort, sous la. garde de trois Papalois qui l'engraissaient, en la. bourrant de patates. Cette malheureuse allait être égorgée, en holocauste à Lucif-Obi, puis mangée par les ff. de la loge sataniste. Les gendarmes, heureusement, avaient été prévenus; ils arrivèrent en force et trouvèrent la bande des Vaudoux, qui commençaient déjà les apprêts du crime rituel. Malgré la fuite précipitée de la plupart des sectaires, on a pu opérer quelques arrestations et rendre l'infortunée soeur Zétrène à la liberté. En voilà une qui, bien certainement, ne remettra plus les pieds dans une loge, et encore moins dans un houmfort, malgré toutes les offres de tafia !

« Qu'adviendra-t-il de cette affaire? Il est difficile de le prédire. Un journal de Port-au-Prince en a parlé ; mais toute la. franc-maçonnerie haïtienne est en mouvement, pour faire étouffer ce scandale, et les frères trois-points ici sont encore très influents. On m'a cité un membre du tribunal des Cayes, qui, le 21 janvier, dans une petite fête entre anciens partisans du président Salomon, a porté un toast au fameux Adrien Lemmi, dont il avait reçu une lettre. Le bruit court que ce Lemmi serait devenu leur chef à tous; l'agent, du gouvernement italien à Jacmel est soupçonné d'être franc-maçon, et aussi le gérant du consulat général d'Angleterre à Port-au-Prince.

Sur l'affaire de la soeur Zétrène, qui a failli être mangée à la gloire du grand architecte Lucifer, je vous ai dit tout ce que. j'en sais. Communiquez ma lettre au docteur Bataille, je vous prie, ou à son secrétaire, et dites aux rédacteurs de la Revue mensuelle que tous les catholiques d'Haïti applaudissent à leur oeuvre; ils frappent au bon endroit. Nous avons eu ici un F. trois-points Bois, qui a été grand-maître des loges avouées, mais qui était aussi affilié à la maçonnerie sataniste des Vaudoux ; c'était, le secret de Polichinelle dans le pays. Je vous signale ce personnage, quoiqu'il soit défunt, à cause dé la similitude de nom avec le louche détracteur du vaillant docteur Bataille ;  mais il est certain qu'il n'y a. aucune parenté entre ces deux Bois-là. Le nôtre: était un vrai Bois d'ébène. 

« Envoyez-nous beaucoup de numéros de la. Revue mensuelle, pour la propagande anti-maçonnique..Nous savons qu'elle est annoncée par un fascicule du Diable au XIX°' Siècle, et nous approuvons la création de cette nouvelle feuille de combat. Nous avons hâte de la lire; car la maçonnerie pourrit tout ici. Aux Cayes, à Jacmel, à Port-au-Prince, à Gonaïves, à Port-de-Paix, au Cap-Haïtien, partout, nous sommes infestés de francs-maçons, tous plus ou moins lucifériens»

Cette lettre nous paraît avoir une certaine importance, et nous regrettons que son auteur n'ait pas autorisé le destinataire à laisser publier son nom. Nous eussions aimé aussi, en même temps qu'on nous a communiqué la lettre, recevoir le  numéro du journal de Port-au-Prince qui a parlé de cette affaire de la demoiselle Zétrène. Nous profitons de cette circonstance pour recommander aux amis qui ont la bonté de nous informer de faits de nature à intéresser nos lecteurs, de ne jamais manquer, quand c'est le cas. de nous envoyer les journaux pouvant être cités à l'appui de leur dire.

On en voit la nécessité par le cas dont il s'agit ici. En effet, il est question d'un fait précis, nettement articulé. Or, nos adversaires peuvent prétendre que l'histoire de la soeur Zétrène, affiliée à la maçonnerie noire des Vaudoux est un simple racontar ou même un conte bleu ; avec un journal haïtien à la main, nous pourrions défier les contradictions.


2.

" Un prêtre d'Haïti empoisonné
par les sorciers. Sa guérison
le 5 septembre dernier
. "

Revue mensuelle religieuse, politique, scientifique, no 27, 1896. Paris : Delhomme et Briguet, Éditeurs.


Une poule empoisonnée.
— La vengeance d'un sorcier.

Le 5 septembre l’abbé Dumas, jeune prêtre d'Haïti, venait à Lourdes demander sa guérison. Paralysé des bras, des jambes, de tous les membres, il ne pouvait ni marcher, ni s'habiller seul : il était complètement infirme. Sa soeur l'accompagnait, il fallait le porter ou le traîner dans une petite voiture. Sa parole était faible, lente, embarrassée, sa mémoire perdue, son intelligence très affaiblie. Il se nourrissait à peine, il était dans un étal, de marasme tel qu'il excitait la compassion de tous ceux qui le voyaient. Il souffrait d'un mal étrange, que les médecins ne pouvaient définir. Ce n'était ni les maladies des pays chauds ni les fatigues du ministère qui avaient abattu ce jeune prêtre, non : c'était un mal inconnu, mystérieux ! On disait, autour de lui, qu'il avait été victime des malices des sorciers.

Voici comment l'abbé Dumas racontait, son histoire :

Après avoir été vicaire pendant quelques années dans l'île d'Haïti, il venait d'être chargé d’une paroisse qu'il administrait seul. La population était loin d‘être catholique dans son ensemble ; autour dé lui régnaient les superstitions les plus grossières, et de nombreux sorciers exerçaient au grand jour leurs pratiques.

Les catholiques étaient très exposés: il était obligé d'être lui-même constamment en éveil  pour se défendre contre les pièges qui. lui étaient tendus.

« Je commençais à peine, nous dit-il, à me faire aux usages et. aux moeurs du pays, lorsqu'un jour je vis entrer chez moi un homme que je ne connaissais pas. Sa démarche embarrassée, son regard qui évitait de rencontrer le mien, son attitude étrange, tout me surprit en lui. «Mon Père, me dit-il, on vous portera demain un enfant à baptiser, et je viens vous prévenir que je dois être son parrain.»

« Avant de vous répondre, lui dis-je, je me demande pourquoi vous gardez votre chapeau sur la tête en.me parlant ? » Il hésita, un moment, puis, de très mauvaise grâce, il finit par se découvrir. J'aperçus aussitôt ses cheveux tressés à la mode des sorciers.

« Vous savez bien que- je ne puis vous admettre à aucune cérémonie.

--- Je veux être le parrain de cet enfant, reprit-il et je viendrai quand même à l'église.

— Si vous venez, je ne ferai pas le baptême; vous m'obligerez à vous infliger une  humiliation publique. »

Le lendemain il vint, en effet, avec la famille; aussitôt je déclarai que je ne pouvais l'admettre pour parrain et que je ne ferais pas le baptême. Il se retira plein de rage en me disant : « Père Dumas, vous me  le paierez, je me vengerai. »

« À quelques jours de là, ma servante le rencontra sur le marché. Il vendait une poule. Il avait déjà refusé de la vendre à plusieurs personnes. Il accepte les premières offres que lui fait ma domestique et la lui cède avec empressement.

« Le lendemain, c'était le 1er octobre 1894, on me servît cette poule, j'en mangeai sans rien remarquer de particulier. Le soir, je faisais l'ouverture du mois du Rosaire ; je venais de monter en chaire, lorsque tout à coup je ressens un malaise inexprimable, ma parole s'embarrasse, mes yeux se voilent ; mes jambes s’affaissent sous moi ; on m'emporte dans mon presbytère, je suis pris de « vomissements, de frissons, de sueurs. J'éprouve tous les symptômes d'un empoisonnement. Un petit domestique qui me servait et qui avait mangé de la poule est aussi très malade; enfin ma chienne qui avait ramassé les débris du repas est empoisonnée; elle nourrissait à ce moment des petits chiens qui moururent tous. Ma cuisinière n'eut rien, mais elle n'avait pas mangé de la poule, et son attitude dans ces circonstances m'a toujours paru des plus suspectes. »

Pour bien comprendre l’action de ces sorciers, nous devons rappeler en quelques mots l'histoire d'Haïti, des différents peuples qui forment sa population ; exposer les origines de cette civilisation singulière, qui, par un côté, touche aux derniers raffinements, tandis que par l'autre elle se perd, dans la barbarie la plus sauvage.

Haïti, ses moeurs-, sa population. — Les sorciers.—.
Chaque année des missionnaires meurent,
victimes de ces fanatiques.

Saint-Domingue est divisée en deux républiques : Saint-Domingue ancienne possession espagnole, Haïti autrefois colonie française. Plus d'un siècle d'occupation, de 1677 à 1804 ont fait d'Haïti une seconde France. Nous trouvons là nos moeurs, noire langue, des écoles françaises et surtout un clergé qui. se recrute exclusivement dans notre clergé. Ni les guerres de la Révolution, ni le mélange de tous les peuples n'ont pu détruire l'empreinte profonde que nous avons laissée dans ce pays. Nos missionnaires avaient apporté sur cette terre notre religion, nos croyances ; ils avaient créé entre la colonie et la métropole des liens que rien n'a pu rompre.

Mais au prix de quels sacrifices avaient-ils évangélisé ces peuples ?

Ils avaient trouvé dans ce pays des nègres d'Afrique apportés autrefois par la traite, des descendants des premiers habitants qui étaient là avec leurs caciques à l'époque de la conquête, enfin un mélange d'Espagnols, d'Anglais, d'Américains, de Français, plus ou moins fondus entre eux par une vie et des intérêts communs.

Les grands planteurs, ces princes du Nouveau-Monde, avaient introduit avec toutes les habitudes de luxe, les vices des sociétés européennes. Les noirs qui formaient la plus grande partie de la population avaient apporté d'Afrique les superstitions les plus grossières.

Ce mélange de tous les peuples et des civilisations les plus opposées, sous un climat de feu, quel terrain de choix pour l’éclosion de tous les mauvais germes ! C'était, suivant les idées du jour, un bouillon de culture admirablement préparé. Nos prêtres, témoins de toutes les dépravations, avaient à subir les contacts les plus perfides et des persécutions de tous genres.

Dans ce pays, tous les mauvais génies de l'enfer exercent ouvertement leurs maléfices ; ils ont leurs sectateurs et leurs ministres. Les sorciers que l’on désigne sous le nom de Papalins et qui sont de la secte des Vaudoux, portent un costume, nattent leurs cheveux d'une certaine façon, cherchent à se faire des adeptes, à entraîner dans leurs sectes les femmes, les jeunes filles et répandent partout autour d'eux la luxure et tous les vices. Ils connaissent l'art des poisons ; plusieurs prêtres et même un évêque sont morts empoisonnés par eux. Dans une année, six prêtres, envoyés de France, périrent ainsi, victimes de ces misérables. Parmi ces sorciers, on trouve aussi des francs-maçons, animés d'une haine égale contre les ministres de l'Évangile,

Comment ces fanatiques préparent-ils leurs poisons ?

L'abbé Dumas nous l’indiquait dans des termes qui correspondent exactement au récit que le docteur Bataille en fait dans son ouvrage.

« Ils mélangent, dit-il, clans leurs abominables laboratoires, dignes de Locuste, le virus des maladies contagieuses,le venin des reptiles et le suc des plantes malfaisantes. Ils se servent des matières décomposées des cadavres humains ; ils savent comment tels animaux, nourris de plantes empoisonnées, prennent une chair malsaine et peuvent, lorsqu'ils servent d'aliments à leurs victimes, leur causer la mort sans laisser aucune trace, C'est ainsi, sans doute, qu'avait été préparée la poule de l'abbé Dumas.  Ils connaissent les microbes et leurs toxines et préparent de vraies cultures de bacilles, qui peuvent donner des maladies mortelles.

Dans les milieux pétris d'ignorance, en certaines contrées arriérées, comme Haïti, il se fait une propagande diabolique, dont le but est de pousser aux plus odieux sacrilèges ; on trouve à la fois des empoisonneurs et toute une bande de sorciers qui cherchent à détourner les jeunes filles et à corrompre les populations ?

La maladie. — Le retour en France.
— Le pèlerinage à Lourdes.
— Polynévrite ou paralysie de tous les nerfs.

L'abbé Dumas avait été victime d'un de ces sorciers ; il devait succomber, comme plusieurs de ses confrères, sous l'action du poison le plus violent. Dès les premiers jours, avons-nous dit, il avait été pris de vomissements, de frissons, de fièvre ; mais bientôt les accidents de paralysie s'étaient déclarés, gagnant rapidement les jambes d'abord, les bras ensuite ; il ne pouvait, faire aucun mouvement dans son lit, l'amaigrissement suivait, une marche très rapide et ses membre s'atrophiaient et dépérissaient à vue d’oeil. Ses pieds étaient déviés comme dans le pied bot, sa sensibilité très affaiblie, tous les mouvements réflexes supprimés.

L'intelligence était profondément atteinte. Il avait de la confusion mentale, une perte de la mémoire très prononcée, portant surtout sur les faits récents. Lorsqu'on lui posait, une question, il oubliait cette question avant de pouvoir y répondre, comme il oubliait les premiers mots d'une phrase qu'il venait de commencer. La moindre opération de la pensée nécessitait un effort et un temps relativement considérable pour mettre son esprit en activité. À côté de cette obtusion de l'intelligence, il avait une dépression mélancolique, une tristesse qui se peignaient; sur ses traits, tristesse parfaitement légitime dans cet état d'infirmité qui paraissait sans remède.

L'aspect de ce pauvre abbé était misérable, la vie végétative subsistait seule en lui ; ses yeux étaient fixes, hagards, ses traits tirés, amaigris, sa parole embarrassée, son esprit voilé ; tout révélait une caducité qui n'était pas en rapport avec son âge. Au mois de février, cinq mois après le début de l'accident, on essaya de l'asseoir sur son lit, mais il était toujours incapable de se soutenir sur ses jambes. Enfin, au mois de mai, voyant qu'il était absolument perdu pour le ministère, il fut décidé qu'on le ferait partir pour la France et que le vicaire général du-Cap Haïtien l'accompagnerait pendant le voyage. Les médecins qui l'avaient soigné lui ont délivré le certificat suivant :

« Nous soussignés, Dellundi Ulpiano, docteur de l'a faculté de médecine de Barcelone, et Hamon Achille, docteur de la faculté de médecine de Paris, médecins au Cap Haïtien.

« Certifions avoir donné nos soins à M. l'abbé Léon Dumas, prêtre du diocèse du Cap Haïtien, depuis le 6 octobre 1894 jusqu'au 10 avril 1895, (époque où le malade partit pour la France) pour une polynévrite à début fébrile devenue chronique et caractérisée principalement par les symptômes suivants, prédominants aux membres inférieurs :

« Douleurs de caractère varié, au milieu des masses musculaires et sur le trajet des nerfs, spontanées et provoquées par la pression, même légère, ou par la flexion des segments du membre ;

« Paralysie flaccide presque complète et atrophie musculaire (pied bot paralytique double). Peau luisante, violacée, surtout quand les jambes restent pendantes ;

« Perte de la mémoire, trouble dans la conception des idées.
« Fait en honneur et conscience et délivré au Cap Haïtien, le seize octobre mil huit cent quatre-vingt-quinze. »
Dr DELLUNDI, Dr HAMON.

En France, le docteur Chavanis, de SaintEtienne, a vainement employé tous les traitements usités en pareil cas : électricité, frictions, etc.

Lorsque l'abbé Dumas vint à Lourdes, le 5 septembre dernier, il était dans les tristes conditions que nous venons de décrire. Il ne marchait pas, et son intelligence était toujours très affaiblie. Le 5 septembre, il se rendit à la Grotte, dans sa petite voiture, et de là aux piscines.

Au premier bain, il se sentit un peu mieux et il put faire quelques pas. A deux heures de  l'après-midi, il prenait son second bain, et aussitôt il se redressait, marchait facilement, il se rendait une seconde fois à la Grotte et venait aussitôt après au bureau des constatations.

C'est là qu'il nous fit le récit que nous venons de résumer. Sa guérison se complétait sous nos yeux ; ses pieds, depuis si longtemps condamnés à l'immobilité, étaient sensibles au moindre contact. Il s'appuyait sur sa canne, sa démarche était hésitante.

Suivant l'expression de M. Pouvillon, il avait encore ces gestes désappris des « foudroyés de la grâce. Il marchait, il se hâtait avec des attitudes gauches ; sa figure, mélange d'ombre et de lumière, était radieuse sous les stigmates de la maladie encore visibles, comme les bandelettes funéraires autour de Lazare ressuscité. »

 Son intelligence, sa. mémoire revenaient par éclaircies graduelles, intermittentes. On aurait dit un nuage qui se déchirait lentement devant lui. Nous assistions à ce réveil ; c'était un moment palpitant d'émotion. Les yeux du prêtre étaient humides et reflétaient une joie sans mélange. Sa pensée, se dégageant des dernières entraves qui la tenaient enchaînée, le transportait sans doute sur cette terre où il avait failli mourir martyr, où le rappelaient déjà toutes les ardeurs de son coeur d'apôtre.

Le lendemain, l'abbé Dumas disait la messe pour la première fois depuis le 1er octobre 1894, c'est-à-dire depuis onze mois. Il restait debout sans fatigue et faisait des courses assez longues. Quelques jours après son départ de Lourdes, il fut pris d'une dysenterie qui l'affaiblit beaucoup et retarda sa convalescence. Il nous écrivait cependant le 23 novembre :

« Ma guérison est complète, je dois aller voir mon médecin qui m'a donné rendez-vous dans son cabinet pour mesurer nies forces. Je célèbre la sainte messe tous les jours, sans fatigue, aucune. Le docteur de Saint-Etienne a été très surpris de me voir marcher. Il m'a dit que j'étais bien guéri. » Le 29 décembre, il nous écrivait encore : « Je me sens absolument bien. J'espère retourner à Haïti, sans pouvoir encore fixer l'époque de mon départ. Je n'ai pas cessé de dire la messe chaque jour. »

Enfin M. Ribault, protonotaire apostolique, vicaire général du Cap Haïtien, nous écrivait, le 9 novembre dernier:

« Monsieur le docteur,
Ayant vu M. l’abbé Dumas, de Saint-Etienne, étendu pendant six mois sur un lit à l’Evêché du Cap Haïtien, et l'ayant amené en France dans l'impossibilité de se servir de ses jambes, je l'ai revu à Saint-Etienne avant son pèlerinage à Lourdes, et toujours dans le même état. J'ai eu la consolation de le revoir à son retour, délivré de cette maladie et marchant bien. Plus que personne, je suis à même d'apprécier la grâce merveilleuse qu'il a reçue à Lourdes. J'en ai fait part à Monseigneur l'Evêque du Cap Haïtien qui m'envoie un certificat signé des deux médecins qui l’ont soigné pendant six mois. Je vous adresse ce certificat, pensant qu'il pourra vous être utile.

Ces deux médecins étaient portés, à croire comme moi que la maladie était due à un empoisonnement, causé par un membre de l'infâme et diabolique secte des Vaudoux, ce qui m'avait fait espérer que la Sainte Vierge guérirait ce pauvre prêtre,
« E. RIBAULT,
 protonotaire apostolique, vicaire du Cap Haïtien, »

(Le certificat médical envoyé par Mgr l'Évêque d'Haïti est celui que nous avons reproduit plus haut.)

Une conversion. —
Comment on peut interpréter celle guérison.

Pendant que l'abbé Dumas nous faisait le récit de ses longues souffrances, un homme écoutait en proie à la plus vive émotion. Il s'attachait aux pas de ce jeune prêtre, ne se lassait pas de le voir, de l'interroger. Favorisé lui aussi de grâces exceptionnelles, il avait traversé des moments de doute ou de défaillance. Venait-il à Lourdes comme l'abbé Pierre Froment, de Zola, chercher la solution de ses incertitudes? Quoi qu'il en soit, à la vue de. ce prêtre qui renaissait devant lui, en entendant le récit de ses épreuves, ses larmes coulaient en abondance. Plus heureux que l'abbé de convention et de roman, il allait s'agenouiller aux pieds d'un prêtre et faisait l'aveu complet de ses égarements. Il renaissait à la vie surnaturelle et proclamait bien haut les miséricordes infinies de Dieu dont il avait été le témoin et l'objet.

Que sont les guérisons de nos infirmités physiques à côté de ces guérisons des âmes, mystérieux, effets de la grâce, clans lesquelles ni la main de l'homme, ni les forces de la nature ne peuvent intervenir ?

Les guérisons que nous constatons en si grand nombre à Lourdes doivent correspondre sans doute à un nombre plus considérable encore de conversions, et souvent nous saisissons les relations directes qui unissent ces grandes transformations physiques et morales. Il y a plus qu'une coïncidence dans ces rapprochements, il y a les traces bien visibles d'une action providentielle.

Lorsque l'abbé Dumas vint à Lourdes au mois de septembre, il était malade depuis un an ; sous l'action d'un poison dont on ne connaissait pas la nature, il avait été paralysé de tous ses membres, et, cette paralysie atteignant le cerveau, avait étendu comme un voile sur toutes ses facultés.

Cependant il pouvait guérir par les seules forces de la nature, mais d'une façon lente et certainement incomplète. Une amélioration pouvait se faire, graduelle, insensible, sans jamais effacer pourtant les derniers vestiges du mal. Le choc avait été trop profond pour que toutes les fonctions pussent reprendre leur jeu dans leur intégrité première.

L'abbé ressentit dans la piscine une amélioration subite, instantanée. Depuis un an il ne  disait pas la messe, il ne pouvait, faire un pas. Immédiatement il a pu marcher et, le lendemain matin, il disait sa messe. C'est un premier résultat qui reste bien acquis. Il a été trop instantané pour qu'il puisse recevoir une explication physiologique. Un paralytique, dans ces conditions, ne saute pas de son lit pour aller se promener. Les autres troubles se sont dissipés plus lentement.

Ce pauvre abbé semblait sortir comme d'un long sommeil ; ses facultés se réveillaient peu à peu et ses forces revenaient par degrés. Sa convalescence, entravée pendant quelques jours par une maladie accidentelle a repris son cours et ne s'est pas démentie depuis cette époque. Il y a certainement un point dans cette guérison qui n'appartient pas à l’évolution naturelle des paralysies par empoisonnement, c'est sa disparition brusque. Tout le reste peut s'expliquer ou s'observer couramment. Cependant,, comme il y a une relation; directe entre tous ces phénomènes, nous pouvons dire que la modification profonde ressentie à Lourdes a été le point de départ, la cause réelle de l'amélioration qui s'est continuée par degrés.

Voilà comment on peut interpréter cette guérison. Elle ne s'impose pas avec cette évidence que nous rencontrons quelquefois dans les grands faits de Lourdes. Elle doit être étudiée par des hommes spéciaux. Il s'agit d'une maladie très rare que nous n'observons guère. Elle demande à être nuancée dans ses détails et réclame un calcul de probabilités qui nous conduit à la certitude.

L'abbé Dumas demandait sa guérison depuis un an dans toutes ses prières. Il avait à peine trente ans, il aurait pu pendant longtemps encore continuer son apostolat. Il voyait à regret sa carrière brisée. Jusqu'à ce jour, ses prières n'avaient pas été exaucées. Il fallait attendre l'heure et le lieu marqués par la Providence. C'était à Lourdes qu'il devait guérir. Sa guérison se produisait sous les yeux de mille témoins, et il voyait se relever devant lui un de ses frères que le souffle du doute, avait effleuré, que le contact du monde avait détourné de sa voie.

Revue mensuelle religieuse, politique, scientifique

1896 n° 31

RECTIFICATION

Nous nous faisons un devoir de communiquer à nos lecteurs la rectification suivante qui nous est adressée, par M. le Vicaire général de l’évêché du Cap Haïtien, au sujet du récit de la guérison de l'abbé Dumas, publié dans le n° 27 de la Revue Mensuelle, p. 166. Cette rectification est le résultat d'une enquête faite par les ordres de Mgr l'Evêque du Cap-Haïtien. 


Évêché du Cap-Haïtien 9 juin 1896.

Monsieur le rédacteur,

D'après les renseignements recueillis par le curé actuel de la paroisse du Terrier-Rouge, le récit fait par l’abbé Dumas au Dr Boissarie est de pure fantaisie, en ce sens qu'il est le résultat du travail de son imagination pendant une longue maladie, qui lui avait fait perdre la mémoire. Les paroles suivantes de l'éminent docteur de la Grotte expliquent parfaitement comment ce pauvre prêtre a pu forger de très bonne foi une pareille histoire :

« L'intelligence (de l'abbé Dumas), était profondément atteinte. Il avait de. la confusion mentale, une perte de la mémoire très prononcée, surtout sur les faits récents. » J'ai eu occasion de constater que, nonobstant la guérison manifeste de son étrange paralysie, les troubles cérébraux ont persisté chez lui dans une certaine mesure, en sorte qu'il peut et doit être encore convaincu aujourd'hui de la parfaite exactitude de son récit Ceci soit dit, pour dégager son entière bonne foi dont je ne doute nullement.

Il se peut fort bien que sa maladie soit due à un empoisonnement, par un magicien ou bocor, ces sortes de crimes n'étant pas rares en ce pays, et je l'avais cru volontiers tout d'abord ainsi que le médecin, mais j'ai maintenant la certitude que les faits qu'il a racontés sont, une invention de son imagination, et je crois qu'il importe, pour l'honneur de la vérité, de vous demander une rectification dans votre estimable Revue.

Voici donc le résultat, de l'enquête faite par le curé de la paroisse du Terrier-Rouge:

1° Un homme ayant les cheveux très longs et les allures d'un bocor ou magicien s'étant présenté pour être le parrain d'un enfant, l'abbé Dumas se mit à plaisanter avec lui disant qu'il ne pouvait accepter un bocor pour parrain. Cet homme répondit qu'il n'était pas bocor et qu'il gardait ses cheveux longs pour cause de maladie. À la fin, l’abbé Dumas l'accepta pour parrain et fit le baptême. Cet homme n'a fait aucune menace, d'après les témoins du baptême, et n'avait pas à en faire, puisqu’il fut agréé comme parrain.

2° D'après tous tes témoignages recueillis, l'abbé Dumas était déjà malade avec des vomissements avant ce baptême et avant d'avoir mangé de la fameuse poule.

3° La poule en question n'a pas été achetée du prétendu bocor ni de personne. C'était un cadeau fait au prêtre par une personne fréquentant les sacrements et morte depuis.

4° Le petit domestique du prêtre a mangé de la poule, mais il n'a pas été malade.

5° Le sacristain qui en a aussi mangé n'en a éprouvé aucun mauvais effet.

6° Quant à la chienne, elle est encore bien vivante au presbytère et elle n'avait pas à ce moment de petits chiens.

Vous voyez, Monsieur le Rédacteur, que le récit du bon abbé Dumas a été inventé de toutes pièces : son imagination a travaillé, pendant sa maladie, sur le bocor qu'il avait cru reconnaître, sur la poule qu'il avait mangée et les histoires d'empoisonnement qu'il avait entendu raconter. Sa guérison merveilleuse à Lourdes n'en reste pas moins certaine, quelque soit la cause de sa maladie.

Il est inexact aussi qu'un évêque soit mort empoisonné ainsi que six prêtres dans la même année. En fait d'empoisonnement de prêtres, je n'en connais qu'un certain et deux probables depuis 32 ans que.je suis dans la mission.

Veuillez agréer, Monsieur le Rédacteur l'assurance de ma respectueuse considération.

E. RIBAULT, Protonotaire apostolique,
Vicaire Général.


3.

" Le Vaudoux et le Bocor
à Haïti
".

Revue mensuelle religieuse, politique, scientifique, no 33, 1896. Paris : Delhomme et Briguet, Éditeurs.

Voici encore quelques faits signalés par la Croix du Cap Haïtien au sujet du fétichisme exploité par les Bocors.

Il y a quelque six mois, le brigand Dérose, condamné à mort, était exécuté dans les environs de Dessalines, sur le théâtre même de ses forfaits. Aujourd'hui, c'est le haineux Bombazine, bocor émérite, qui paraît sur la scène. Il a été dénoncé par une enfant de douze ans. Cette enfant, passant devant la porte du citoyen en question (près du Gros Morne de Saint Marc) se vit tout à coup arrêtée par deux femmes et un homme qui la traînèrent dans l'antre du bocor, malgré ses cris. Le bocor l'interrogea sur sa famille, et ayant appris le nom de son père, il se hâta de la mettre en liberté.

Le fait est bientôt parvenu au chef du parquet, qui a.fait interroger l'enfant. Sur les renseignements précis de celle-ci, M. le commissaire du Gouvernement a chargé immédiatement son Substitut, le Commandant de la Place avec un détachement de soldats, et le Juge de Paix de se rendre à la Caverne du dit bocor. Le Grand Bombazine est saisi ; des perquisitions ont fait découvrir, dans une chambrette de sa cour, une petite fosse où l'on a trouvé enfermé dans une caisse à savon un enfant qu'un homme et une femme habitant la cour ont dit être leur. La justice a saisi, dans une chambre affectée aux cérémonies macabres de ces misérables, leurs éléments et ustensiles de culte, elle a fait mettre sous cordes le vampire Bombazine et huit coreligionnaires, dont cinq femmes et trois hommes. Dans l'après-midi, on a conduit cette meute de Papas-bocors au son aigu du clairon, au milieu d'une foule nombreuse, qui se serait ruée sur ces bandits sans l'intervention de la garde. Ils sont en prison, et le citoyen Bombazine est au cachot, attendant que la justice se fasse par les voies légales.

Une roche qu'on adore

Il y a au pied dit Morne Grammont, sur la rive gauche de la Quinte, un bloc de pierre qui semble avoir été détaché de la montagne par un éboulement. Cette pierre est une divinité pour les habitants de l'endroit, qui, à des époques déterminées ont en son honneur des sacrifices d'animaux qui servent ensuite à de monstrueux festins.

Ces cérémonies se terminent toujours par une danse de vaudoux. Cette pierre, selon leur croyance, s'appelle Pierre du Papa Legba. Pauvre peuple, quand donc pourra-t-on vous civiliser?

Le Bocor en ville

On se tromperait grandement, et l'on ferait preuve d'une connaissance bien imparfaite de nos moeurs, si l'on s'imaginait que le Bocor travaille toujours seul: bien souvent, il est l’associé du Médecin. Le Médecin ne sait pas, bien entendu, qu'il a un aide. Je voudrais faire ressortir combien peu de loyauté montrent les pères de famille en appelant le magicien auprès de leurs malades en même temps que le médecin, et à l'insu de celui-ci, et en même temps à quel malheur ils s'exposent.

Pour le bocor, est-il la peine de qualifier sa conduite? Dans le cas que j'examine, il est plus odieux, plus criminel, mais il l'est toujours à tel point que je ne vois pas l’utilité de rechercher chez lui le plus ni le moins. Du reste, ce n'est pas pour les Bocors que j'écris, c'est pour la société, que je voudrais mettre plus en garde contre ses pires ennemis.


I.  Le chef de famille qui appelle ou laisse entrer auprès de ses parents malades le magicien après qu'il les a confiés à un médecin, ou qui appelle le médecin à les soigner alors qu'il continue à leur appliquer les remèdes du magicien, est digne de tout blâme. Son procédé manque de l'honnêteté la plus élémentaire. En effet, il est clair qu'il n'avertit pas le Docteur qu'il lui adjoint le Bocor; celui-ci sait très bien qu'il vient un docteur, mais le docteur croit traiter seul, il croit que son traitement est appliqué consciencieusement. Or, très souvent, le malade ne prend rien des remèdes qu'il a prescrits. Le mal, qui devait céder aux premiers efforts, s'aggrave de jour en jour. Cependant, c'est un genre de maladie où le diagnostic peut à peine tromper; le remède prescrit est bien celui que prescrit l'art... et le mal augmente... Force est au Docteur de croire à une maladie similaire, de recourir à d'autres remèdes, qui n'agissent pas davantage, parce que le patient ne les voit même pas !

Pendant ce temps, le Bocor lave le malade, le frotte de ses feuilles, fait sur lui ses « vocations », jusqu'à ce qu'il expire, au grand désespoir du médecin. Cependant, qui accusera-t-on ? Le médecin ? Il ne sait rien, c'est lui qui a tué le malade; le public en est informé; c'est inutile d'appeler les médecins : ils n'entendent rien aux maladies de notre pays; ce sont des blancs étrangers ; ou s'ils sont haïtiens, ils ont étudié les maladies des autres pays, dans des livres étrangers... Le Docteur envoie sa note. C'est un voleur ! On marchande... on ne le payera pas.

Je me sens secoué d'indignation en écrivant ces choses. Ai-je forcé les couleurs ? Je le souhaite, pour l'honneur de mon pays. Mais, hélas! la peinture que je viens de faire n'est guère qu'une copie. Où est le mot pour qualifier les gens qui traitent de cette manière, ou d'une manière approchante un honnête médecin qu'ils ont appelé eux-mêmes, et avec le dessein bien arrêté d'agir vis-à-vis de lui comme ils l’ont fait ? Une seule chose n'était pas dans le programme, c'est la mort. C'est précisément ce qui eût été évité, si le traitement du médecin avait été suivi.

II.  J'avoue que ce n'est pas toujours comme je viens de dire, alors même que Bocor et médecin sont appelés auprès du même malade : on n'exclut pas toujours entièrement les potions du Docteur. Hélas ! c'est encore pis. Dans ce cas, il peut arriver, et il arrive nécessairement quelquefois que l'on empoisonne les malades, en leur faisant prendre des substances dont le mélange constitue un  poison. Voilà le malheur effroyable auquel un chef de famille expose ses parents, en pactisant avec nos vieilles superstitions ! Pour ne pas contrarier une vieille sorcière, esclave du fétichisme, on ferme les yeux, on laisse approcher son malade par des gens inconnus (ou trop fameux), on supporte (sans y croire évidemment) qu'ils fassent leurs simagrées, qu'ils fassent avaler leurs tisanes : quand on se noie, on s'accroche à toutes les branches...

Le Docteur arrive : il trouve un moribond, quand quelques heures plus tôt il a laissé un malade en bon état: c'est un empoisonnement!, Dieu veuille que le Médecin n'en soit pas chargé ! Le coupable, ici, c'est le chef de famille. Puisque le Bocor rôde autour de nos corps presque à l'égal du diable autour de nos âmes, faisons bonne garde. Arrière les sorcières et les commères des sorciers, parentes ou étrangères. Défendons nos malades; ne les confions qu'à des gardes sûres; veillons à ce que le traitement du docteur soit suivi, et seul suivi. C'est une question d'honneur et de conscience.

Et puis, travaillons à faire tomber le métier des Bocors : on le voit, notre honneur, notre sécurité, notre intérêt, tout nous le commande.

Le gouvernement Haïtien ne pouvait se désintéresser d'une question qui soulevait d'aussi justes réclamations. Aussi, le 29 mai dernier, le ministre de l'intérieur adressait aux commandants des arrondissements de la République la circulaire suivante :

Port-au-Prince, le 29 mai 1896,
an 93° de l'Indépendance.
Général,

La danse de vaudoux, que nos divers Gouvernements, depuis le Concordat, se sont évertués à abolir, secondés dans cette l’oeuvre de moralisation par l’action bienfaisante du clergé, a reparu avec une recrudescence inaccoutumée au milieu de nos centres ruraux, et même au sein de nos villes.

Cette réapparition est due. croyons-nous, aux derniers événements politiques dont l'effet a été, en tournant les esprits vers d'autres préoccupations, d'amener un certain relâchement dans l'exécution des mesures de répressions ordonnées à l'endroit de cette pratique réprouvée.

Le Gouvernement voulant réagir contre cette mauvaise tendance, qui porte atteinte à la morale publique et aux saines doctrines de la Religion, je vous invite, Général, à passer à vos subordonnés, tant dans les villes que dans les campagnes, les instructions les plus formelles, afin que les délinquants soient livrés à la justice et punis conformément à la loi.

Accusez-moi réception de la présente circulaire, et recevez, en même temps, Général, l'assurance de ma considération distinguée,
BUTEAU.

La Croix du Cap Haïtien faisait suivre le texte de cette circulaire des réflexions suivantes, qui laissent espérer que le gouvernement Haïtien est disposé à la faire respecter, et à abolir autant que possible les dernières traces de cet infâme diabolisme.

Nous n'avons pu que donner, dans notre dernier numéro le texte de la circulaire de M. le Ministre, de l'Intérieur aux Commandants des arrondissements de la République, prescrivant une application sévère des lois contre le vaudoux. Avec quelle anxiété était attendu cet acte de l'autorité supérieure! Comme l'on a souffert dans son amour-propre d'Haïtien ! Car, comme la circulaire ministérielle le dit bien, le vaudoux a reparu avec une recrudescence inaccoutumée au milieu de nos centres ruraux, el même au sein de nos villes.

Aussi quel soulagement on a éprouvé en lisant au Moniteur officiel la circulaire de M. Buteau ! Je m'exprime mal : ce n'est pas un Ministre qu'il faut voir, c'est le Gouvernement tout entier, et je ne doute pas que le Président n'ait eu une part principale dans la mesure arrêtée. Qui ne sait l'horreur que le général T. S. Sam a toujours professée pour le fétichisme ?

Les quelques lignes de M. Buteau disent tout ce qu'il fallait dire, et elles le disent bien. On est reconnaissant au Ministre d'avoir affirmé les efforts de tous les Gouvernements, depuis le Concordat, pour abolir la danse du vaudoux: chacun exprime, en lisant, l'exception, et fait les restrictions voulues : mais on aime à voir un Gouvernement traiter ses prédécesseurs avec ménagement.

L'action bienfaisante du clergé est nettement reconnue : ce mot suffit ; nos prêtres ne sont pas exigeants ; ils sont vengés de certaines accusations dictées par la malveillance et la mauvaise foi ; c'est assez. La vérité est que le clergé a lutté seul bien souvent et bien longtemps, mais on le sait.

Le Gouvernement professe son souci de la morale publique et des saines doctrines de la Religion. Très bien ! Faire sonner les principes et le respect de la loi religieuse, c'est de la bonne politique. Les lecteurs de La Croix applaudiront à ce beau langage : ils n'en attendaient pas tant. À l'appui de ces déclarations, il faut des actes : le Ministre les demande; il invite les Commandants d'arrondissements à passer à leurs subordonnés, tant dans les villes que dans les campagnes, les instructions la plus formelles, afin que les délinquants soient livrés à la justice, et punis conformément à la loi.

Voilà ce que La Croix réclamait, avec tout le pays honnête et patriote.

Le Gouvernement sera-t-il obéi ?

On n'en saurait douter ; l'autorité supérieure saura se faire obéir. Du reste, des chefs militaires, qui ne se soumettraient pas aux ordres si formels que l'on vient de lire, montreraient à la face du pays, qu'ils ne sont pas à leur place.

Essaiera-t-on (on l’a déjà fait) de persuader au Gouvernement qu'il est nécessaire de procéder avec modération, qu'il ne faut pas heurter de front les tendances de la grande masse du peuple, que nos populations sont attachées de coeur à leurs vieilles idoles et à leurs danses de vaudoux !...

Ceux qui tiendraient un pareil langage offenseraient gravement la vérité ; j'affirme que c'est le contraire qui est vrai. Je le prouve. J'ai causé tout dernièrement avec deux commandants de communes rurales, qui ont toujours fait respecter les lois contre le fétichisme.. Comme je leur demandais, si le pays est bien attaché au vaudoux : non, m'ont-ils répondu l'un et l'autre, ceux qui tiennent aux orgies du vaudoux, ce sont les Bocors, qui en vivent et y trouvent quelque prestige, et une foule de viveurs, qui en profitent pour boire et manger sans travailler ; les Bocors mêmes ne croient pas à leurs farces.

Rien donc de plus facile que de supprimer les danses et toutes les pratiques du vaudoux. La preuve?. Elle est dans les faits, éclatante.

Au Cap, on dansait, au chef-lieu de l'arrondissement, on dansait ; mais à Milot, une petite commune de l'arrondissement du Cap, on ne dansait pas.

À la Grande-Rivière, on dansait, pas autant qu'au Cap, mais beaucoup ; tandis qu'au Dondon, petite commune de l'arrondissement de la Grande-Rivière, on ne dansait pas.

À Saint-Michel de l’Atalaye, où réside le commandant de l'arrondissement de la Marmelade, on dansait ; et à la Marmelade, où il n'y a qu'un simple commandant de commune, on ne dansait pas.

La conclusion est facile à tirer.

*
*  *

De toutes parts, on nous annonce que les commandants d'arrondissement ont transmis à leurs subalternes les ordres du Ministre de l'Intérieur, quelques-uns, comme celui de la Grande-Rivière, en les soulignant des menaces les plus sévères. A la bonne heure !

On écrit de Plaisance le 15 juin.

« Hier, bénédiction de l'arsenal.  36 bocors prisonniers ont assisté au broiement de leurs tambours, drapeaux, etc., etc. Le Général d'arrondissement a fait un discours ; puis, au commandement de mettre le feu, le curé a fait carillonner. »

Honneur aux autorités de Plaisance !


4.

" Conférence populaire
sur le vaudoux
".

par A. Firmin

Revue mensuelle religieuse, politique, scientifique, no 35, 1896. Paris : Delhomme et Briguet, Éditeurs.

Nous ne saurions mieux clore la série de documents que nous avons publiés sur le Vaudoux et les superstitions diaboliques encore en vigueur à Haïti, que par la savante et éloquente Conférence que Mgr l'Evêque du Cap-Haïtien vient de prononcer à ce sujet.

Mesdames, Messieurs,

L'exorde de mon discours n'est plus à faire : vous l'avez lu dans les journaux. Je viens vous parler du vaudoux. J'entre de plain-pied dans mon sujet.

Ceux d'entre vous qui ont quarante ans ne connaissaient guère, à l'âge de vingt ans, le vaudoux que de nom; ce mot éveillait en eux l'idée de quelque, chose de sauvage, de criminel, de monstrueux : mais en quoi consistait ce mystère d'iniquité, ils l'ignoraient complètement. C'est bien changé. Aujourd'hui les enfants, en allant aux commissions, fredonnent des chansons du vaudoux ! Et qui n'a été témoin des hideuses exhibitions de ce grossier fétichisme ?

Les coeurs patriotes gémissent de ce recul de la moralité et de la civilisation. Cependant, jusqu'à ces derniers temps, on gardait un craintif silence. Enfin des voix s'élèvent, vibrantes d'indignation, demandant grâce pour l'honneur de la nation. Il importe que ces voix se multiplient et que toutes les poitrines haïtiennes répètent leur protestation. Mais ce n'est pas assez de parler, il faut agir. Le but de cette conférence est de provoquer à l'action contre le fléau qui accable Haïti.

Est-ce bien à moi, qui n'ai pas une goutte de sang haïtien dans les veines, à traiter ce sujet ? Ce n'est pas ici une question purement religieuse; c'est plutôt une question sociale, et des plus délicates : ai-je donc qualité pour en parler ? — À défaut de sang haïtien, j'ai un coeur qui bat d'un ardent amour pour Haïti; personne n'aime ce pays plus que moi. J'ai dépensé vingt-cinq ans de ma vie pour son salut, et le reste de mes jours lui appartient. Si l'on découvrait mon coeur, on verrait que, parmi les blessures dont il saigne, une des plus profondes est faite par la douleur qu'il éprouve de voir l'ignoble paganisme d'Afrique envahir ce cher peuple et tenter d'en reprendre possession. Tel est mon titre pour parler, tel est le titre en vertu duquel je réclame toute votre bienveillante attention. Dans tout le cours de cette conférence, je m'identifierai avec vous, et c'est en mon nom comme au vôtre que je vais parler.

Le sujet que j'aborde est vaste; je veux procéder avec ordre et vous exposer d'abord non pas la nature du mal, je ne la connais pas assez, mais ses principales manifestations ; j'étudierai ensuite avec vous quelle est la gravité du fléau, quelles conséquences il entraîne, par quels remèdes notre société, peut en être délivrée, et enfin je vous montrerai, l'histoire à la main, combien sont grandes et solides nos raisons d'espérer.

Le peuple haïtien est très superstitieux, (comme, du reste, tous les peuples qui sont naturellement religieux et ont le malheur de  n'être pas bien instruits de la. religion. Chez nous, on désigne généralement sous le nom de superstitions tontes les croyances erronées et toutes les pratiques auxquelles on se livre sous l'empire de ces croyances. C'est là, un euphémisme que j'ai le devoir, d'écarter dans cette, conférence. Les observances du vaudoux sont autre chose que de la « superstition », c'est de l'idolâtrie. L'étude que j'ai entreprise est une étude pratique plutôt que savante ; c'est donc d'une façon tout à fait pratique que je veux établir devant vos yeux quelles sont, parmi nous, les observances superstitieuses proprement dites, et quelles sont les observances idolâtriques.

Au nombre des premières, je range tout ce qu'il y a d'excentrique, d'absurde, quelquefois de rebutant dans certains prétendus honneurs rendus aux saints, aux images, aux reliques. J'en dis autant de l'usage des stupides écrits que l'on appelle oraisons; de ces sachets (mandiocs, gardes), que tant de pauvres gens portent au cou comme de puissants talismans; de la confiance dans les fers à cheval et des bouteilles d'eau de mer à l'entrée des maisons ; de l'emploi des mille variétés de maléfices (j'entends de.ceux qui sont innocents en soi comme des croix formées de deux chandelles et piquées d'épingles, quelques grains de maïs brûlé, des poules aux plumes retroussées, qu'on appelle poules rangées, etc., etc.).

Je mettrai également dans cet ordre la malheureuse habitude de jeter dans les carrefours, en. allant à la première communion, quelques grains de maïs brûlé, et celle, plus malheureuse encore, d'aller, avant de se convertir, faire une visite, pour remercier, dans les houmforls ou baguis, pourvu, qu'il n'y ait pas de sacrifice offert ; car, quoique ces deux derniers usages impliquent en soi, le culte de génies malfaisants dont on veut conjurer le courroux, cependant ils ne me paraissent pas dépasser, dans ceux qui les suivent, les limites de la simple superstition. Enfin, la consultation des chapiteurs, ou interprètes de l'Imitation de Jésus-Christ et autres prétendus devins de cette espèce.

Certes, on ne saurait trop flétrir ces vaines et honteuses observances, indignes de gens civilisés, coupables chez des chrétiens. Cette confiance insensée dans des pratiques ou des objets qui n'ont aucune vertu par eux-mêmes et n'en ont pas reçu de Dieu ni de son Eglise, cette puissance exagérée ou ridicule attribuée aux saints, aux images, aux reliques, et invoquée, souvent, pour obtenir l'accomplissement de desseins criminels ; cette prétention enfin de produire des effets surnaturels par des moyens réprouvés par la Religion et le bon sens, ce sont autant d'attentats contre la. pureté de la foi, autant d'injures aux saints, autant d'outrages à Dieu lui-même.

Et cependant plût à Dieu que nous n'eussions pas de plus graves sujets de gémir! Mais nous sommes aux prises avec l'idolâtrie. Nombre d'Haïtiens rendent à des dieux imaginaires le culte souverain dû au seul Créateur, et vous savez combien ce fléau s'est répandu ces dernières années. C'est ici notre ennemi principal, celui auquel nous devons faire une guerre sans trêve, une guerre à mort. Regardons-le en face, afin d'en avoir plus d'horreur et de nous rendre plus à même de le combattre avec succès.

J'ai pu me convaincre, par mes observations et mes études, que les observances idolâtriques, dans le pays, se divisent en deux classes, si l'on envisage les obligations qu'elles imposent : elles sont ACCIDENTELLES OU HÉRÉDITAIRES.

Aux premières appartiennent généralement :

  • Les orgies désignées sous les noms de prières, services, gombos, noche bello, etc., où le papa-loi, le bocor pontifie, où il y a une part de nourriture pour les morts ou pour quelque génie, où il y a enfin immolation de victime;

  • Les neuvaines, qui se terminent par le bris du canari, pour délivrer l'âme d'un défunt ;

  • La consultation des bocors ou devins pour connaître des secrets ou pour guérir les maladies. L'autorité de l'Ecriture Sainte, et, entre autres, l'exemple du roi d'Israël Ochosias, l'ange ses actes parmi les pratiques idolâtriques ;

  • Les honneurs rendus aux anges gardiens des eaux, des arbres et d'autres choses, quand ils n'ont lieu qu'une fois, et par suite de circonstance passagère.

Parmi les Observances héréditaires, nommons

  • Tout d'abord le culte de la couleuvre ;

  • Le service des marassas ou des jumeaux, qui consiste en un devoir périodique, généralement annuel, en l'honneur de je ne sais quelle divinité, parce qu'une ancêtre a mis au monde des jumeaux; vous voyez que ce prétendu devoir peut s'imposer .au moment où l'on y pense le moins ;

  • Le culte de certaines pierres, appelées roches tonnerre, baca, etc., et d'autres cultes du. même genre ;

  • Enfin le service continu des anges ou génies des fontaines, des rivières, de certains arbres, etc.

Toutes ces pratiques se transmettent de générations en générations, perpétuant le paganisme dans les familles.

Vous voyez sans peine combien cette dernière classe d'observances idolâtriques est pernicieuse : une fois pris dans l'engrenage diabolique de ces devoirs, dont l'obligation n'est jamais discutée, ce n'est qu'au prix d'un véritable héroïsme que l'on peut se libérer, à moins que l'on ne mette un autre à sa place sous ce joug de fer. Ne croyez pas, en effet, que la conversion extérieure d'une personne livrée jusque-là à quelqu'une de ces observances mette toujours fin à la loi d'esclavage qui pèse sur sa famille; non. Avant de se décider à se rendre à Dieu, cette malheureuse a travaillé et s'est imposé des privations pendant dix ans, vingt ans peut-être, pour se mettre en état d'offrir un service d'actions de grâce au dieu qu'elle a servi jusque-là, et prendre congé de lui en même temps que de ses coreligionnaires. Mais, dans la même cérémonie, où elle a été déliée, une autre a été liée à sa place; le démon n'a rien perdu, il n'a fait que changer d'esclave.

Voilà quelque idée des pratiques du vaudoux. Combien s'imaginent que le vaudoux consiste en des danses obscènes et en des repas copieux ? Le vaudoux est un vrai culte diabolique; il a ses sacrifices et ses pontifes; les danses ne sont que les dehors grossiers d'un intérieur infernal ; pendant que le peuple se livre à ces bacchanales, au fond de l'antre, les vrais initiés accomplissent les plus horribles mystères.

Question : Cet ignoble fétichisme a-t-il de profondes racines dans l'âme de la nation ?

R. Oui et non.  Le vaudoux est un arbre dont les branches, en ces derniers temps, se sont prodigieusement étendues et se sont couvertes d'un abondant feuillage, en sorte qu'il projette au loin son ombre délétère; mais il en est très peu qui aiment cette ombre; la plupart de ceux mêmes qui s'y abritent en ont une secrète horreur. L'Haïtien ne met pas en parallèle  Jésus-Christ et le vaudoux ; son coeur est tout à Jésus-Christ. Serait-il à lui jusqu'au martyre? Hélas! les faits ne répondent que trop. La crainte, d'autres passions aussi, sans détacher du vrai Dieu, font courir aux idoles. De là ces nombreuses pratiques que j'ai appelées idolâtries accidentelles. L'étreinte de la maladie, la curiosité, la soif des richesses, mille et mille prétextes aussi faux les uns que les autres entraînent de déplorables défections, de nombreux actes d'idolâtrie ; toutefois ils ne fixent guère les délinquants dans l'amour des idoles; de ce qu'un homme a commis une faute, fût-elle très grave contre la pureté, il ne serait pas juste de l'appeler un impudique; ainsi, de ce qu'un chrétien a commis un acte d'idolâtrie sous l'entraînement d'une passion quelconque, on ne peut pas conclure qu'il est idolâtre dans le coeur.

Bien plus, le peuple sent tout le poids du joug que font peser sur lui les Bocors ; la terreur le tient toujours soumis à ces hommes néfastes, il se soumet encore à leurs prescriptions intéressées, il n'a pas même cessé jusqu'ici de recourir à eux, surtout dans ses maladies ; mais il les regarde désormais comme des oppresseurs; tout son bien, ces vampires le lui absorbent ; il en est révolté ; toutefois il attend, et il sera heureux le jour où il lui sera possible de s'affranchir de la tyrannie de ces malfaiteurs. Aussi, quand il connaîtra l'oeuvre que nous fondons (car c'est une oeuvre que nous inaugurons, une oeuvre de délivrance et de régénération), il nous bénira comme des sauveurs. Qu'il nous voie unis, décidés, et il se joindra à nous pour achever la conquête de son indépendance.

Qu'y a-t-il à renverser pour atteindre ce résultat ? Des croyances fermes et des convictions solidement établies ? Non, je viens d'affirmer que la masse du peuple n'est point attachée au vaudoux par conviction. Je vais plus loin : ceux mêmes qui font métier des pratiques du fétichisme ne croient pas, en général, à leurs jongleries, et quant à la foule de viveurs qui les secondent, ils s'en moquent, ouvertement. Non contents de ce qu'ils mangent et boivent avec toute l'assemblée, ils dérobent adroitement la part des morts ou des génies : tout le monde, du reste, est au courant de leurs larcins sacrilèges, et personne ne s'en scandalise ni essaie de s'y opposer : preuve sans réplique que la foi manque à tous.

Un trait pour montrer que le Bocor lui-même ne croit pas à ses tours grossiers. Devant la masse il se monte convaincu, il essaie même d'en imposer à l'autorité, : l'existence du métier est à ce prix, mais il se rend, bientôt devant les arguments sérieux. Un commandant de Commune, pourquoi ne le nommerai-je pas ? le général Catabois surprend  un opérateur fameux  dont je regrette d'avoir oublié le nom, en flagrant délit de cérémonie prohibée : il avait les Anges dans la tête ; sous leur influence, il s'agitait, il bondissait, le tambour faisait rage ; déjà les anges commençaient à se répandre dans les têtes de la foule ; c'était un délire universel. — Tout à coup un cri retentit :

« Voilà le général ! » Aussitôt chacun se sent débarrassé des anges, joue des jambes au plus vite. Seul, l'homme du métier continue de s'agiter ; l'arrivée du terrible général ne paraît avoir fait peur aux esprits qui le possèdent. Le chef le fait saisir et mener à Milot ; là il donne l'ordre de l'enfermer étroitement. Alors l'énergumène éclate en protestations, en menaces ; il s'écrie trois fois : Sauve gué mi! puis, pendant qu'on l'entraîne, il dit au général : « Vous verrez ! » Au bout de deux jours, le, général n'avait rien vu, mais l'homme aux anges demandait grâce, avouant humblement, qu'il n'avait plus rien dans la tête.

Voilà la clef, n'en doutez pas, des neuf dixièmes an moins des mystères qu'on nous raconte. Faut-il conclure de là que le fétichisme n'a rien de sérieux et dès lors n'a aucune importance, qu'il n'y a, par conséquent, rien de mieux que de laisser faire le bon sens public pour le réduire à mourir de sa belle mort ?

Gardons-nous bien de le croire : ce serait la plus dangereuse des illusions. Si ce mal n'a pas la racine des convictions religieuses, il en a une autre, et celle-ci est peut-être plus difficile à arracher, car elle s'alimente dans des calculs ignobles, des intérêts sordides, que l'on est bien décidé à ne pas sacrifier sans combat. Une immoralité immonde s'est abattue sur Haïti ; elle est venue d'en haut. On vit naguère presque autant de comptoirs où se faisait en plein jour le commerce des consciences qu'il y avait d'administrations publiques ; le vol était devenu une institution ; un certain nombre d'hommes se partageaient une bonne partie des revenus du pays, et continuaient d'être respectés; tandis que l'on traquait et que l'on tuait à coups de bâton les malheureux qui avaient dérobé une poule ou un régime de bananes, ceux qui avaient détourné des centaines de mille gourdes jouissaient de la considération publique, au moins extérieure. Donc deux classes de voleurs, l'une maltraitée, l'autre jouissant en paix de ses rapines. Les hommes de l'espèce dont je parle, reçurent de là un trait de lumière : pourquoi n'entreraient-ils pas dans la première classe de voleurs ? Rien ne les distingue de ceux dont elle se compose : pas plus qu'eux ils n'enlèvent rien à la manière des voleurs vulgaires ; chacun leur apporte librement ses dons ; sans doute, ils emploient les moyens d'aider cette libre générosité, mais c'est toujours comme ceux de première classe. Ce fut sous le coup de celte inspiration que les artisans du fétichisme ranimèrent leur métier, et firent peser sur le pays une exploitation en coupe réglée. Comment amenèrent-ils le peuple à entrer dans leurs vues ? C'était bien simple : le peuple est crédule, et, surtout, abandonné qu'il est si souvent, il est timide devant les audacieux. Le Papa-Loi se fit des agents partout, agents pour lui amener des clients, agents pour l'aider à préparer ses oracles. Instruit d'avance de ce qui se passe chez l'homme qui vient le consulter et sur tout ce qui le concerne, le Papa lui fait des révélations qui l'étonnent et l'épouvantent ; dès lors il est prêt à tout. Il faut des victimes pour un sacrifice, pour une grande orgie : le pauvre ignorant, terrorisé, livre tout son bien.

Cependant tous ne sont pas si faciles à se laisser tondre ; il y en a qui résistent ; on les harcèle ; ils ne trouvent de repos qu'après avoir cédé. Que si quelqu'un pousse l'audace jusqu'à refuser de sacrifier en un jour le fruit des travaux de plusieurs années, de toute une vie peut-être, des malheurs lui arrivent : ses jardins sont ravagés, ses animaux égorgés, sa maison prend feu. Il n'ignore pas d'où partent tous ces coups, mais à qui recourir ? Il n'a pas de preuve et d'ailleurs jamais il ne trouvera des témoins assez hardis pour déposer.

Ah ! l'on accuse le peuple haïtien d'être arriéré, d'être plongé dans un dégradant paganisme ; il n'est pas si arriéré, il comprend son mal, il en gémit, mais il n'est pas en son pouvoir de briser ses chaînes. Il est exploité d'une façon sauvage par une multitude de scélérats. Le nombre de ces exploiteurs s'est considérablement augmenté ces derniers temps. Voyant que le métier allait bien, beaucoup de gens s'y sont livrés ; on en trouve partout. On m'a dit qu'à Joli-Trou, section qui se- trouve entre la Grande-Rivière et. Saint-Raphaël, il y en a trente-deux !

Je crois l'avoir bien établi : ce qu'on appelle vaudoux, c'est surtout une vaste exploitation ; les chefs de cette odieuse institution sont d'abominables malfaiteurs, des ennemis publics qu'il importe de traiter comme tels. N'y en a-t-il pas de convaincus, de sincères ? Sans doute il y en a ; j'ai laissé, supposer que j'en admets un dixième ; c'est exagéré, il ne doit pas y en avoir autant, mais encore une fois, on ne peut raisonnablement douter qu'il y en ait. Quelque absurde, quelque criminel même que soit un culte, il réunit des adeptes de bonne foi, tant l'esprit humain est facile à égarer.

Il y a donc, n'en doutons pas, et des papas et des adeptes qui croient en leur dieu et ont confiance dans leurs observances.

Quelques traits.

À Mirebalais, il y a quelque quinze ans, un fameux opérateur prétendait rendre invulnérable au moyen de certaines passes et cérémonies. Un chef militaire de l'endroit voulut s'assurer le bénéfice de l'invulnérabilité ; jugez donc, combien c'était avantageux pour un soldat ! Après avoir subi le cérémonial, le brave militaire s'éloigna de vingt pas, et se fit tirer une balle en pleine poitrine. Le tireur ne manqua pas cette cible nouveau genre, et la balle traversa le malheureux de part en part.

Nos deux imbéciles, le papa, et sa victime, étaient jusque-là convaincus.

Tout récemment, à Saint-Marc, vivait aussi un de ces artisans, qui croyait sans doute à son art. Il osa offrir à un prêtre, qui faisait semblant de le prendre au sérieux, de le mettre à l'abri, non seulement de toute lésion du corps, mais même de tout sentiment de douleurs quelques coups qu'il reçut. Même, pour le prêtre, il n'y aurait aucun cérémonial : le papa donnerait un papier portant des mots cabalistiques, et lui enseignerait un autre mot, à vertu toute puissante, qu'il devait dire et répéter en cas de danger. « Il va de soi, lui dit le prêtre, que vous avez vous-même ce privilège ? » - « Oui, oui, répondit l'homme avec fierté. » Alors le prêtre, qui avait quelque vigueur et beaucoup de bonne volonté, saisit le bâton de l'individu, et lui donna .une volée de coups, qu'il sentit fort bien : on le voyait à ses cris désespérés. Voilà pour les chefs. Ils ont quelques fidèles sincères.

À Saint-Raphaël, il n'y a pas encore deux ans, une femme donnait publiquement, malgré l'autorité militaire du lieu, malgré le curé qui la menaçait d'excommunication, un grand service où il était immolé force victimes en l'honneur du maître de l'eau (maître a dlo). Le père de. cette malheureuse, abattant des bois sur le bord de la rivière, avait commis le crime irrémissible de ne pas épargner un bosquet de bambous, qui était le séjour du maître a dlo : de là l'obligation à perpétuité, pour la descendance de ce profanateur, d'offrir périodiquement des sacrifices au dieu offensé ! Et sa digne fille n'y manque pas.

Un jour, je fus appelé à voir une poitrinaire ; la personne qui me conduisait me mit au courant de tout le passé de celle que j'allais visiter. Avant toute autre question, je demandai à la malade où étaient ses plats de marassas. « Je n'en ai pas, me répondit-elle, je ne connais pas cela. » J'insiste, je lui déclare que je ne m'occuperai pas d'elle, si elle ne me livre ses plats. Elle persiste à tout nier. Alors je me lève, je pousse une porte que l'on m'a indiquée, et que vois-je ? Les fameux plats et une quantité de vaisselle et d'ustensiles de toutes sortes : un véritable autel de fétichisme. Je me hâte de tout briser, puis je reviens à la malade. Elle tremblait de tous ses membres, une sueur abondante l'inondait; elle était étreinte par la terreur, convaincue qu'elle allait être victime, de mon forfait. Il n'en fut rien, comme bien vous pensez.

J'en ai trouvé d'autres, qui étaient sincèrement attachés à .leurs observances ; mais le nombre en est restreint, grâce à Dieu et à l'esprit de son saint Evangile qui pénètre partout de plus en plus. Quoi qu'il en soit, le vaudoux fait partout et en toute publicité ses exhibitions sauvages, il a partout ses temples, partout s'immolent des victimes, et grand, bien grand, est le nombre de ceux qui y participent. Les chefs du fétichisme exploitent le peuple par la terreur qu'ils lui inspirent, par leurs maléfices, par leur poison. Pratiquement ils tiennent le pays sous leur tyrannie, ils le forcent à l'idolâtrie et à ce qu'elle entraîne à sa suite. De là les conséquences les plus désastreuses pour les individus, pour la société, pour l'honneur national.

La mort est le châtiment auquel le Seigneur condamne les idolâtres, les devins, ceux qui jettent des maléfices. Je sais bien que cette loi, faite surtout pour le peuple juif, n'est plus en vigueur sous l'Évangile, mais les crimes qu'elle punit si sévèrement n'ont pas changé de nature, et Dieu en tire toujours vengeance. Il ouvre à la mort la porte des maisons où l'on a invoqué Satan pour obtenir la guérison : que de personnes, enlevées par des morts mystérieuses, seraient pleines de vie, si l'on n'avait pas eu recours aux devins pour les guérir !

Et la société qui tolère ce continuel outrage au Créateur, est-elle exempte de crime ? N'aura-t-elle pas aussi son châtiment ? Oh ! que le peuple haïtien paie cher sa lâcheté à se laisser exploiter parles prêtres païens ! D'abord ces misérables absorbent le fruit des travaux des pauvres laboureurs, de là le découragement et le dégoût du travail gagnent de plus en plus; et quoi de plus naturel ? Pourquoi  voulez-vous que je me. fatigue à produire puisqu'il faudra dépenser le prix de mes sueurs en des orgies que j'ai en horreur ? Ce n'est pas tout. Une sentence de mort pèse sur nous à cause de nos idolâtries. Nos luttes fratricides sont les exécuteurs de la justice divine et de sa Majesté outragée : elles semblent inévitables ; nous sommes un malade qui paraît incurable ; l'Haïtien, si pacifique, est pris périodiquement de fureurs qui le poussent à la guerre, au pillage, à l'incendie, à tous les crimes antisociaux. Pour moi, il n'y a qu'une explication de ce mystère, et c'est ma conviction que l'abolition radicale du Vaudoux ferait disparaître une des principales causes de nos révolutions.

Que dirai-je de l'atteinte portée à notre honneur national par nos attaches aux vieilles observances africaines ? Il me faut du courage pour répondre à cette question; ayez-en, je vous en prie, pour m'écouter. Un journal de là Dominicaine disait, en 1892, qu'Haïti était la seule puissance américaine qui eût encore des magiciens et des danses d'Afrique, et concluait qu'Haïti est une petite Guinée transplantée en Amérique, et la honte des Etats américains. Voilà ce qu'on a le droit d'écrire de nous; et vous savez que l'on dit pis encore. Laissez-moi vous faire part d'un tourment qui a été souvent infligé à mon coeur. Que de fois, au-delà des mers, on m'a posé cette question, qui équivalait pour moi au plus sanglant soufflet : Danse-t-on encore le Vaudoux en Haïti ? Y mange-t-on des enfants ? Telle est notre réputation ? Pardonnez-moi d'avoir fait saigner vos coeurs; le mien saigne aussi. Mais il fallait bien découvrir notre mal afin de nous en inspirer toute l'horreur nécessaire pour nous décider à y porter remède à n'importe quel prix.

Qui nous délivrera de cette plaie et de cette honte ?

-- Le Gouvernement, répondent les uns ; le clergé, disent les autres.

-- Le Gouvernement ? Assurément on ne saurait contester qu'il n'y ait une part d'action à fournir. Les crimes que je viens de qualifier relèvent, pour la plupart, de la police et de la justice publique. Le Gouvernement a le devoir de protéger les individus et la société contre tous les malfaiteurs ; les pas-lois, les Bocors et leurs pareils sont des malfaiteurs de la pire espèce : ils sont coupables d'une foule de crimes de droit commun.

Je suis heureux de profiter de cette occasion pour bénir le Gouvernement du Président Sam de l'effort qu'il a tenté et des succès déjà obtenus contre le Vaudoux. Le pays honnête a applaudi à son acte, nous en avons tous été soulagés. Le Gouvernement, je le sais, ne croit pas avoir terminé sa tâche, et il est résolu de la poursuivre jusqu'au bout. Le culte du Vaudoux étant prohibé, ses temples doivent disparaître ; or ils sont debout ; il ne doit avoir plus de ministres, ils doivent cesser d'exister à ce titre ; or ils exercent jusqu'à présent. Encore une fois, je crois que, les hommes qui nous gouvernent sont résolus de, ne pas faillir à leur mandat. 

Mais aux mesures de police extérieure se borne leur devoir, là aussi s'arrête leur droit : il ne leur est pas permis de descendre dans les consciences. C'est au clergé qu'il appartient, de détacher les coeurs du paganisme, en enseignant et en faisant aimer la loi du vrai Dieu. Je ne m'étendrai pas sur ce point : je ne parle pas à des prêtres. Jugez vous-mêmes, du reste, si votre clergé, à ce point de vue comme aux autres, s'est montré à la hauteur de sa vocation.

Le Gouvernement, le clergé : voilà les deux premiers ouvriers du travail d'assainissement que réclame impérieusement l'état du pays; la grande part de l'oeuvre incombe au clergé, le Pouvoir n'est appelé à intervenir que contre les délits extérieurs, il n'a pas à agir sur les consciences. Le clergé, aidé, en tant que besoin, de la police de l'Etat, nous délivrera-il ? Non, pas sans le concours de la société. Vous devez apporter à l'oeuvre un double concours : un concours négatif d'abord, puis un concours positif. Dans une autre circonstance j'ai fait appel à la classe dirigeante, et je lui disais alors que, bon gré mal gré, elle dirige la masse, elle la dirige vers le bien ou vers le mal ; elle fait le peuple bon ou mauvais, imbu d'une vraie, civilisation, ou abruti et demi-sauvage. J'allais plus loin, et je disais à la classe dirigeante : vous avez fait ce peuple tel qu'il est, vous avez l'impérieux devoir de le refaire, car vous l’avez mal formé. Je reprends toutes ces idées, sans en rien retrancher, et, puisque j'ai la bonne fortune de me trouver aujourd'hui au milieu de cette classe dirigeante que j'interpellais alors de loin, je vous répète que vous portez toute la responsabilité de l'état dégradé de la nation haïtienne. Le peuple vous regarde, et il vous imite.

Quoi donc ? Répondrais-je que ce sont vos exemples qui ont entraîné nos masses à ce débordement de fétichisme ? Supportez-moi, je vous prie, Mesdames, Messieurs; laissez-moi dire toute ma pensée. Vous me jugerez après, et si je n'ai pas dit la vérité, je veux que vous me condamniez. Je vais porter (oh ! le plus délicatement possible) une main impitoyable sur une plaie trop commune et trop pernicieuse pour que je la respecte, mais que l'on ne peut avouer sans honte.

Ces orgies qui dégradent nos populations rurales et même les habitants de nos villes, qui en fait les frais ? Trop souvent des personnes instruites, ayant une position, essentiellement dirigeantes pour tout l'ensemble de leur condition. — Un Bocor traverse nos rues; on le connaît, chacun l’épie ; où va-t-il ? Dans une masure, chez quelque pauvre qui prétextera qu'il ne peut pas payer le médecin ni le pharmacien ? Non, il entre dans une maison de superbe apparence, il va opérer sur un père de famille de la première société. — Qui voit-on dans ces repaires où s'accomplissent les plus honteux et les plus criminels mystères du vaudoux ? Messieurs, à vous de répondre. Il y a, tout près d'ici, un de ces repaires, fameux entre tous : que de visites sont faites à Campèche par des gens que l'on appelé comme il faut ! Que de maisons de commerce y ont déposé des gages pour obtenir les faveurs du dieu que l'on y adore !

Rien ne parle comme les faits. Un jour, j'ai surpris un papa, en pleine opération : il était accroupi auprès d'une jeune femme sans connaissance, poussant dans ses oreilles des cris de vrai sauvage. À quelle famille, appartenait cette femme ? À l'une des premières du pays.

Je pourrais citer deux docteurs en médecine qui ne se font traiter, dans leurs maladies, que par le Papa-loi ! On a vu un avocat célèbre, se rendre annuellement pendant plusieurs années auprès d'un papa-loi, accompagné de tout ce qu'il fallait pour un sacrifice ! Ah ! encore une fois, l'on condamne le peuple ! Comment veut-on qu'il fasse ? Il a moins de retenue, je l'avoue, que ses modèles de la classe dirigeante, mais le plus coupable, ce n'est pas lui.

Je me hâte de revenir à vous, chers auditeurs ; vous n'êtes pas de ceux dont je viens de parler. Ceux-là ont à apporter à notre oeuvre de moralisation un concours négatif, en rompant avec leur passé inavouable. Mais vous-mêmes, n'avez-vous rien à faire ? C'est de votre attitude a vous que dépend notre succès ; car pour cette oeuvre d'assainissement, il serait insensé de rien attendre de sérieux de ceux que je viens de vous montrer si malades.

Dénoncez la superstition : ce ne sera pas trop des voix de tous les honnêtes gens pour faire reculer la bande de malfaiteurs qui s'est ruée sur notre pauvre pays ; démasquez la supercherie de nos Bocors et de nos devins ; prêchez à vos voisins, profitez de toute occasion pour éclairer les habitants des campagnes. Coalisez-vous contre le Bocor ; entendez-vous, trois ou quatre, cinq ou six, dans chaque quartier de la ville pour le livrer à la justice chaque fois qu'il traitera des malades. Faites une guerre toute pleine de charité, mais persévérante à ceux qui ont des attaches au. fétichisme. Par dessus tout, dénoncez au clergé ceux qui allient la superstition, à la fréquentation des sacrements. Gardez-vous bien de croire que je veuille organiser la délation ; rien n'est plu éloigné de ma pensée : je ne vous excite à. faire aucun mal à votre prochain, mais au contraire, à lui procurer le plus grand bien. Lorsqu'un homme a un mal secret qu'il n'a pas le courage de révéler au médecin, est-ce que ses parents, ses amis les plus intimes croient le trahir en faisant connaître son état ? Tel est notre cas. Mais il y a plus. Celui qui fait le mal dont nous parlons atteint la société ; la société a le droit, le devoir même de se défendre. Or les faux chrétiens que j'attaque sont particulièrement nuisibles à notre honneur, chacun le voit : ils sont particulièrement pernicieux, en ce que leur exemple tend à faire croire aux simples que le vaudoux non seulement n'est pas criminel, mais s'allie très bien à la Religion. Défendons-nous.

--N'y a-t-il pas danger à le faire ?

Je ne veux pas, honorable auditoire, vous faire l'injure de prendre au sérieux cette objection. Eh quoi ! Il s'agit de sauver notre honneur national, de nous réhabiliter aux yeux du monde civilisé, il s'agit de sauver notre existence même gravement compromise par les vampires qui sucent notre fortune, il s'agit, ne l'oublions non plus, de répondre à la question de savoir si un peuple noir peut se civiliser, se gouverner, et, en définitive, former une nation digne de ce nom, et l'on demanderait s'il y a des risques à courir ? Quel est donc le peuple qui a grandi sans travail, sans souffrance, sans sacrifices ? Quelle est la cause belle, grande, noble qui a triomphé sans, martyrs ? Vous n'osez parler, avertir, exhorter, redresser par les moyens que nous avons dits. Ceux que vous voyez continuer de lancer la honte à la face du pays, vous craignez de vous attirer leur haine ? En vérité, je trouve que vous avez de vos concitoyens une bien triste opinion.

On raconte d'un loup qu'ayant été délivré par un homme d'un mal qui le tourmentait, il s'attacha à son bienfaiteur et ne le quitta plus, la reconnaissance l'ayant dépouillé de sa nature féroce. Et vous croyez que des hommes doués de raison vous paieraient de haine pour avoir voulu leur faire du bien ?

Eh bien ! j'admets que vous vous exposiez à la haine, à la vengeance. Vous reculerez quand il s'agit d'intérêts si grands ?

Ce sont peut-être les vengeances des Bocors que vous redoutez ? Rassurez-vous : le scorpion ne pique que les imprudents qui le touchent; le chien le plus méchant, s'il est enchaîné, ne mord que les étourdis qui l'approchent. Il est vrai, les Bocors sont aussi venimeux que des scorpions, aussi méchants que les chiens les plus prompts à se jeter sur les passants. Mais ils sont aussi lâches que méchants ; enchaînés par la crainte, ils n'opèrent pas avec audace, ils n'attaquent pas les places gardées, les maisons où ils n'entrent pas sont à l'abri de leurs méfaits. Il n'y a donc rien à craindre. Mais, je le répète de nouveau, qui oserait reculer, même quand il y aurait à faire les plus grands sacrifices ?

-- Très bien ! Nous voulons être prêts à tout pour secouer le joug d'opprobre qui nous écrase. Mais avons-nous chance de succès ?

-- Sans la moindre hésitation, je réponds : rien n'est plus assuré que la victoire, pourvu que nous combattions avec ensemble.  J'entends l'objection qui est dans des esprits. « Loin d'avancer, nous reculons ; depuis huit ans notre recul a été tel qu'il a de quoi briser le courage le mieux trempé.

L'Haïtien est de race idolâtre ; vous ne changerez pas sa nature ; la grande Religion de Jésus-Christ, qui est celle des peuples civilisés, ne lui suffit pas, car il est trop petit pour elle : il lui faut des idoles de sa taille : la preuve en est faite. »

Eh bien ... Non, la preuve n'en est point faite ; il n'y a pas de race idolâtre ; tous les hommes, créés de Dieu sont appelés à adorer Dieu, et capables d'adorer Dieu. Ma foi me prouve invinciblement que l'Haïten, comme tout autre, aidé de la grâce de Dieu, peut rivaliser avec les plus civilisés et les plus vertueux. Mais qu'ai-je besoin que ma foi me démontre cette vérité, et me fournisse cette donnée nécessaire pour appuyer mon espérance ? Est-ce que je ne suis pas devant un auditoire composé d'Haïtiens, et qui s'honore d'être indemne du mal que je déplore, qui le déplore autant que moi ? Qu'est-ce qui défend à vos concitoyens l'espoir d'arriver au degré que vous avez atteint ?

L'expérience du passé ?

Cette expérience ne prouve qu'une chose, c'est que la nation Haïtienne se trouve aux prises avec une épreuve qu'ont traversée tous les peuples aujourd'hui chrétiens et tout à fait civilisés. Etablissons ceci sur de solides exemples.

Si j'ouvre la sainte Bible, au livre des Psaumes, je lis, une description de Moïse qui me frappe d'étonnement. Le Roi-Prophète me montre des hommes dont les oeuvres nient l'existence de Dieu, quoiqu'ils le confessent de bouche, des hommes corrompus, aux désirs abominables, des masses entières livrées à tous les vices, respirant le sang et le carnage, et pendant ce temps tremblant de terreur, tremblant, sans qu'il y ait rien à craindre. Dans leur effroi, à qui recourent ces gens, qui cependant appartiennent au peuple de Dieu ? À Dieu ? Non, aux idoles. C'est sous ces traits que David peint les tristes époques du peuple juif, les époques où ce peuple eut la lâcheté de tourner le dos à Jéhovah pour se prosterner devant des dieux étrangers. Ne dirait-on pas qu'il parlait d'Haïti en révolution ? — Or, ces infidélités, qui furent si fréquentes et si graves, l'histoire nous le dit, empêchèrent-elles le peuple hébreu d'être un grand peuple ? L'empêchèrent-elles d'avoir l'honneur unique de donner le jour au Sauveur de tous les peuples ? C'est de l'Ancien Testament. Le nouveau n'est pas moins fécond en leçons propres à nous réconforter.

Saint Grégoire le Thaumaturge avait converti toute la ville de Néocésarée ; il n'y restait, à sa mort, que dix-sept païens. Mais quelques années après, la persécution fit retourner tout ce peuple aux idoles, et il commit des lâchetés et des crimes inconnus ailleurs. Cette défection, fruit de la terreur, ne dura pas plus que la tourmente qui l'avait causée ; ces idolâtres de la peur revinrent complètement, au vrai Dieu et à la vraie civilisation.

Saint Boniface, qui avait eu la consolation de gagner à Jésus-Christ tout le peuple des Prisons, eut aussi la douleur de le voir retomber dans l'idolâtrie; mais il le releva, et en fit un peuple définitivement chrétien.

Un exemple plus frappant encore. Vous me tiendrez compte du supplice auquel je me condamne de vous révéler les humiliations de mon pays, pour vous encourager à relever le vôtre de celles dans lesquelles il est plongé. Au commencement du XVII ° siècle, à la suite des longues guerres qu'elle venait de traverser, la France était plongée dans un état voisin du paganisme. J'ai, sur la Bretagne en particulier, des détails que l'on refuserait de croire s'ils n'étaient si précis et puisés aux sources les plus sûres. « Après lès guerres de religion en Bretagne, la Province apparaît comme un désert où campaient quelques sauvages ». 0n y trouve toutes nos superstitions, ou à peu près, et il y en a d'autres que nous ne connaissons pas. Notez que c'est après de longs siècles de christianisme que la France est tombée à ce degré, et voyez qu'après être descendue si bas elle est redevenue promptement cette belle et grande France que vous êtes habitués à admirer, sans songer peut-être que sa gloire a subi des éclipses ; remarquez que la Bretagne,- que je viens de vous faire voir si humiliée, est aujourd'hui, et depuis longtemps, le pays du monde le plus chrétien et une pépinière d'apôtres qui vont répandre dans tous les pays du globe les principes de la vraie civilisation. Devant de tels exemples, qui pourrait encore douter et manquer de courage ?

Je me résume en deux mots, et je conclus. La Nation haïtienne est malade, profondément malade ; elle est atteinte de paganisme ; le mal, il est vrai, n'a pas de fortes racines dans l’âme du peuple ; néanmoins il le fatigue.il l'ébranle, il mine ses forces, comme ces fièvres lentes qui, sans présenter au début aucune gravité épuisent le malade et finissent par le conduire, au tombeau. Et puis, notre mal est un mal honteux, il nous déshonore plus encore peut-être qu'il ne nous ruine. Tant que le vaudoux existera parmi nous, c'est en vain que nous prétendrions passer pour une nation vraiment civilisée. Il faut donc, coûte que coûte, nous défaire de ce chancre, il faut déclarer une guerre sans merci à cette armée de brigands, appelés bocors, dont l'existence, à elle seule, est pour nous un déshonneur. Je ne veux pas sortir de cette enceinte sans vous avoir enrôlés tous pour le combat contre ces ennemis publics.

Le vaillant journal La Croix nous a convoqués à la croisade et n'a pas craint de vous proposer comme mot de ralliement celui que répétait autrefois l'Europe chrétienne, en s'armant contre le Turc, ennemi de la civilisation : Dieu le veut ! Emparons-nous de ce mot glorieusement historique. Dieu veut que nous nous affranchissions de. tout joug étranger à sa loi, car il a des desseins de miséricorde et d'amour sur Haïti. Dieu le veut, Mesdames ; plus rien de commun, entre vous et la dégradante superstition, élevez-vous au-dessus de toutes ces craintes indignes de coeurs chrétiens. Dieu le veut, établissez dans le coeur de vos enfants les fortes convictions qui font les héros; méditez l'exemple de la mère des Macchabées, de sainte Félicité, de ces femmes magnanimes qui ont appris à leurs fils à affronter une mort glorieuse, plutôt que de consentir à traîner une vie déshonorée par l'apostasie. Dieu le veut. Messieurs ; unissons-nous, non pas pour égorger nos frères, mais pour régénérer ce cher pays ; nous aimerons ces hommes mêmes dont nous sommes résolus de détruire l'infernal métier, mais nous aimerons par dessus tout Haïti ; nous nous emploierons à la purger delà honte qui la souille, à la guérir du chancre qui la dévore ; nous ne nous donnerons de repos qu'après avoir relevé cette chère nation, cicatrisé ses plaies, lavé ses souillures ; nous ne cesserons d'agir qu'après avoir fait disparaître les dernières traces du vaudoux, et montré aux peuples habitués à nous mépriser que désormais c'est à leur estime que nous avons droit.

Après la conférence, l'auditoire a adopté par acclamation les points suivants :

La réunion

I. — Envoie ses respectueux hommages au Président SAM, applaudit à son premier effort et à celui des honorables membres de son Gouvernement contre le vaudoux, et leur dit très bien ! Nous sommes avec vous.

II. — Elle exprime sa confiance dans la fermeté du Pouvoir à faire exécuter ses ordres.

Elle s'engage :

I. — À combattre, partons les moyens en son pouvoir, toute pratique superstitieuse, tout commerce avec bocors, chapileurs, devineurs, etc., etc. ;

II. — À ne jamais hésiter à faire agir la justice, contre les faiseurs de capelatas ;

III. — À dénoncer à l'autorité, et au besoin à l'opinion publique, par la voie des journaux, toute pratique extérieure du vaudoux et l'existence de tout lieu affecté aux réunions du vaudoux.


APPENDICE

Cap-Haïtien, le. 3 août 1896.

Monseigneur,

Permettez-moi de vous renouveler mes respectueux et sincères compliments pour la  belle Conférence d'hier, écrite avec une clarté qui laisse bien peu à désirer sur tout ce que Votre Grandeur avait voulu dire.

Cependant,il. y a un point sur lequel je voudrais être absolument édifié. Plusieurs fois, vous avez parlé des victimes sacrifiées dans l'accomplissement du culte, du Vaudoux. Sont-ce des victimes humaines ? Vos fonctions épiscopales, dont la principale attribution est la police des moeurs, vous donnent la faculté d'être mieux renseigné que personne sur l'état moral de vos ouailles, chacune de vos paroles ont, à cet égard, un poids considérable ; et quoique je sois Haïtien, de naissance, de sang et de coeur, il est naturel que vous en sachiez beaucoup plus long que, moi ; ce que Votre Grandeur a prouvé par une abondance de détails pour lesquels je serais réduit à la plus complète impuissance. Un renseignement précis, venant de Votre Grandeur, serait chose bien précieuse pour tous ceux qui s'intéressent sincèrement au développement moral du peuple haïtien.

D'autre part, je vous soumettrai humblement l'impression que j'ai reçue, des diverses allusions que — pour illustrer votre thèse, — vous avez faites sur les premières familles du pays, des gens instruits, un grand avocat et deux médecins, ayant donné l'exemple des pratiques superstitieuses qui font, à juste raison, votre grande désolation, comme celle de tous ceux qui ont entendu et respectent votre parole. Il me semble qu'en ne nommant pas les personnes visées par ces allusions, le soupçon doit malheureusement planer sur chacune des premières familles, chacun des gens instruits, avocats ou médecins, appartenant à la société haïtienne, surtout à l'étranger où l'on ignore le vrai état des choses. N'est-ce pas là une contravention au principal engagement pris à la suite de votre, brillante Conférence el qui oblige chaque adhérent à dénoncer à l'autorité, ou à  opinion publique tous ceux qui s'adonnent à des pratiques superstitieuses ?

Eu nommant les individus, Votre Grandeur aurait évité une équivoque qu'elle réprouve certainement; elle aurait ensuite donné un exemple édifiant de l'exécution des engagements pris par la Réunion, en frappant moralement les coupables, sans que leurs méfaits puissent couvrir tous les Haïtiens, distingués ou non, d'une suspicion aussi humiliante qu'imméritée.

Excusez-moi, Monseigneur, de vous importuner ainsi ; mais je n'ai pas voulu conserver plus longtemps mes impressions sans les soumettre à votre bienveillance chrétienne et je saisis cette nouvelle occasion de me souscrire,

Monseigneur,

Votre très obéissant et dévoué, serviteur,

A. F1RM1N.


Cap-Haïtien, le 3 août 1896.

Cher Monsieur Firmin,

Votre bonne lettre datée de ce jour est de celles que l'on aime à recevoir. Je m'empresse de vous répondre.

1° Le mot victime, dans ma bouche ne signifie pas sacrifice humain. En existe-t-il dans le pays ? Je n'en ai jamais trouvé de preuves dans l'exercice de mon ministère ; mais il faut dire que les gens qui se livreraient à pareil crime ne sont pas de ceux qui. viennent au prêtre. D'autres sont à même de nous édifier sur ce point : ce sont MM. les Juges. Il y a dans nos prisons des personnes accusées de cannibalisme : que les assises s'entourent leur sujet de toutes les lumières, et qu'elles se prononcent.Il y a une chose que je n'hésite pas à affirmer, c'est que, s'il arrive que des victimes humaines soient immolées, c'est beaucoup plus rarement que ne le prétendent plusieurs auteurs qui ont écrit sur Haïti, avec plus d'intention, de faire des livres qui se vendent bien que de souci de la vérité. Que la justice fasse son devoir : on pourra compter alors les crimes dont tous se préoccupent ; je ne doute pas que l'honneur national n'y gagne considérablement. Si, de plus, on traite les coupables comme ils le méritent, le mal aura bientôt disparu.

2° Je vous prie de remarquer que si j'ai parlé de familles marquantes, des premières familles, de gens instruits, j'ai bien fait entendre qu'ils sont en petit nombre. Un seul exemple venant de haut produit un effet lamentable sur les masses ; qu'il y ait cinq ou six, dix familles dans une ville à sacrifier au Vaudoux, c'est assez pour égarer le bas peuple, et c'est assez, je trouve, pour justifier la responsabilité que j'ai fait peser sur la classe dirigeante, surtout avec le tempérament que j'y ai mis.

3° Quant au soupçon que je laisserais planer sur chacune des premières familles, chacun des gens instruits, avocats ou médecins, oh ! le croyez-vous ? Croyez-vous, par exemple, qu'il viendra, à un seul homme du pays, ou même de l'étranger de soupçonner Mr. A. Firmin ?

Nommer les délinquants, ce serait couper court à tout, mais il me semble que je ne puis être si sévère, surtout du premier coup. Il fallait d'abord avertir ces gens qui s'oublient; quand il faudra les nommer, ce n'est pas, à mon avis, dans nos Conférences qu'il conviendra de le faire ; nos Réunions perdraient par là. leur caractère pacifique, et nous devrions y renoncer, ce que je regarderais comme un malheur.

En espérant que ces explications vous tranquilliseront, et en vous remerciant de les avoir provoquées, je vous prie de croire, cher Monsieur Firmin. à mon respectueux dévouement.

FRANÇOIS-MARIE,

Évêque du Cap-Haïtien.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 15 octobre 2010 11:36
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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