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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Maurice de Wulf, Histoire de la philosophie médiévale
précédée d’un Aperçu sur la philosophie ancienne
. (1900)
Introduction


Une édition numérique réalisée à partir du livre de Maurice de Wulf, Histoire de la philosophie médiévale précédée d’un Aperçu sur la philosophie ancienne. Louvain: Institut supérieur de philosophie. Paris: Félix Alcan, Éditeur; Bruxelles: Oscar Schepers, Éditeur, 1900, 480 pp. Collection: Cours de philosophie, Vol. VI. Une édition numérique réalisée par Francis SOMARRIBA, bénévole, La Tronche, France.

[1]

Histoire de la philosophie médiévale.
précédée d’un Aperçu sur la philosophie ancienne.

Introduction

1. Que faut-il entendre
par histoire de la philosophie ?


Jusqu'au début de ce siècle, on écrivait l'histoire de la philosophie, en dressant une nomenclature des philosophes, à la manière des biographes anciens. Telle n'est pas la méthode que nous suivrons dans ce traité.

Pour faire l'histoire de la philosophie, il faut, selon nous, étudier les systèmes philosophiques, les situer dans leur milieu historique et en montrer les filiations ; et par système philosophique, nous entendons une coordination de théories sur l'ensemble ou sur une partie des problèmes que soulève l'explication de l'ordre universel par ses causes dernières.

À qui veut écrire l'histoire de la philosophie, il ne suffit donc pas de faire un exposé dogmatique et critique des systèmes ; ceux-ci fussent-ils même groupés suivant leurs affinités, l'historien n'aurait pas satisfait à sa tâche. On doit encore replacer les systèmes dans la complexité des circonstances où ils sont nés et se sont développés, - et découvrir le fil souvent caché qui les rattache les uns aux autres.

Le milieu historique importe. Car les idées philosophiques sont à la civilisation d'une époque ce qu'est la réflexion dans une vie individuelle. Elles sont le produit des recueillements de l'humanité repliée sur elle-même à une étape de son développement. Or, les idées d'un siècle subissent l'influence de l'atmosphère sociale où ce siècle se meut, tout comme le mode de penser d'un homme se ressent de sa race, de ses traditions familiales, de son éducation, des événements de son existence. Aussi bien les circonstances de temps et de lieu font la lumière sur la genèse, l'évolution, les transformations, le déclin de la plupart des théories philosophiques.

[2]

En même temps que l'historien restitue à un système philosophique son milieu véritable, il doit poursuivre d'un regard attentif les liens qui l'apparentent au passé et au futur. Il n'y a pas de solution de continuité entre les siècles ni entre les idées. Chaque période porte en elle quelque chose de l'époque précédente, et prépare l'époque qui suivra. C'est pourquoi toute philosophie contient, à côté d'un élément rationnel et propre, des éléments traditionnels et empruntés. Les périodes de réaction même ne sont pas soustraites à l'empire de cette loi, mais en fournissent la confirmation. Quand, par exemple, au XVIIe siècle, Bacon et Descartes prétendirent renouveler la philosophie de fond en comble, ils n'en firent pas moins des emprunts, inconscients sans doute, mais réels, au moyen âge qu'ils ne se lassaient pas de railler ; si bien qu'on a pu les comparer aux enfants qui tournent leurs premiers fouets contre leurs nourrices.

2. Histoire de la philosophie et histoire de la religion.

Parmi les multiples éléments composant un milieu social, et dont l'action se retrouve dans les conceptions philosophiques d'une époque, il en est un qui mérite une attention spéciale, la religion.

La philosophie est la science de l'universalité des choses par leurs raisons les plus profondes [1] ; c'est la science qui a pour objet les causes premières et universelles des choses [2].

Or, la religion propose d'autorité à l'homme la solution toute faite sur une foule de problèmes qui intéressent l'ordre universel, - telles la nature de Dieu, ses relations avec le monde visible, l'origine et la destinée humaines, - problèmes que l'investigation philosophique rencontre et qu'elle cherche à résoudre par des procédés rationnels. Ainsi la dogmatique religieuse et la philosophie se retrouvent sur un terrain commun, [3] et la religion ayant précédé la philosophie, elle lui impose naturellement la prise en considération de ses points de doctrine. C'est pourquoi une religion erronée fausse l'orientation philosophique, tandis que la religion vraie est un adjuvant précieux pour les études spéculatives. C'est là une des grandes leçons qui se dégagent d'un examen comparatif de la philosophie indienne, de la philosophie grecque et de la philosophie médiévale.

Dans la mesure où les systèmes philosophiques ont eu des rapports avec les théologies et les religions, l'histoire de la philosophie doit être attentive à l'histoire de la dogmatique religieuse.

3. Philosophie et mysticisme.

Le mysticisme, efflorescence particulière de l'esprit religieux, présente aussi de l'importance à l'historien de la philosophie, car entre la philosophie et le mysticisme, les attaches sont nombreuses et intimes. À travers toutes les époques, mais avec une intensité très variable, on voit se développer des courants de mysticisme. Nous nous réservons d'en parler ex professo quand nous rencontrerons la forme la plus belle du mysticisme, celle qui s'épanouit en fleurs de poésie magnifique dans les siècles du moyen âge.

4. Utilité de l'histoire de la philosophie.

Dans ces trente dernières années, l'histoire de la philosophie a pris un essor remarquable. Tous ceux qui suivent le mouvement des idées en notre fin de siècle, peuvent se convaincre que dans l'enseignement supérieur, comme dans les productions littéraires, les systèmes didactiques font défaut et sont remplacés par une histoire des solutions proposées. Cette prédilection pour l'exposé et la critique des pensées d'autrui n'est que trop souvent le résultat d'un troublant scepticisme qui cherche à s'y dissimuler. Ne pouvant aboutir à une conviction personnelle, au milieu de l'anarchie intellectuelle contemporaine, la plupart [4] des philosophes trouvent plus aisé de faire le tour des théories, gardant ainsi une liberté de penser qui trouve en elle-même sa satisfaction, combien illusoire ! [3]

Pour nous, l'histoire de la philosophie présente une autre utilité. Sans compter qu'elle nous initie à l'état social des âges écoulés, en nous faisant connaître les principes directifs de leur civilisation, elle nous met entre les mains des éléments scientifiques d'une importance primordiale pour la constitution du système philosophique où nous croyons trouver la vérité. Elle nous fait toucher du doigt, en effet, les causes qui provoquèrent l'avènement, l'apogée et la décadence des doctrines qui nous sont chères. Elle nous apprend à discerner l'âme de vérité qui vibre dans les synthèses inconciliables avec nos idées, à accueillir les éléments vrais qui s'y trouvent avec autant de franchise que nous en mettons à répudier les éléments faux qui s'y mêlent. Ce contrôle scientifique des idées d'autrui est bien dans l'esprit du péripatétisme scolastique ; on peut s'en convaincre par ce texte du de Anima de saint Thomas d'Aquin, choisi entre beaucoup d'autres, et dans lequel l'auteur fait sienne la doctrine d'Aristote. « … necesse est accipere opiniones antiquorum, quicumque sint qui aliquid enuntiaverint de ipsa (anima). Et hoc guidem ad duo erit utile, primo quia illud quod bene dictum est ab eis, accipiemus in adjutorium nostrum. Secundo, quia illud quod male enuntiatum est, cavebimus » [4].

Les scolastiques ont eu le grand tort, jusqu'ici, de rejeter en bloc les théories de leurs adversaires, sans prendre la peine de les examiner par le menu. Par là ils perpétuent les griefs que les penseurs de la Renaissance nourrissaient contre les péripatéticiens décadents ; ils ressemblent à des gourmets qui repousseraient un plat de fraises qu'on aurait négligé de laver, au lieu d'en essuyer la poussière et de manger un fruit succulent.

[5]

5. Lois du développement de la philosophie.

Une étude attentive de la succession des systèmes philosophiques démontre que ceux-ci ne se déroulent pas au hasard, mais obéissent dans leurs filiations à certaines lois, dont le fondement dernier est la nature humaine. L'ensemble de ces lois constitue la philosophie de l'histoire de la philosophie, dont la Psychologie des peuples (Völkerpsychologie), récemment décrite par Lazarus et Steinthal, ne représente qu'un département. [5] Voici quelques-unes de ces lois :

1. Il y a une succession de cycles philosophiques.

La pensée philosophique n'est pas emportée dans un mouvement ascensionnel, ayant pour point de départ une vie rudimentaire, et pour terme idéal un progrès indéfini. Périodiquement elle s'épanouit dans toute sa puissance et, après un certain temps, se replie sur elle-même pour revenir à son point initial. Son histoire comporte donc des alternances de haut et de bas ; chaque période de cette histoire constitue un cycle autonome, régi par ce rythme inhérent aux choses humaines : un développement, une apogée, une décadence. La Grèce et l'Occident médiéval fournissent des exemples classiques de ce mouvement ascendant et descendant ; on les retrouve avec une régularité moindre dans le cycle indien et le cycle moderne. Cette première loi est la condamnation des trois états d'Auguste Comte et de la théorie du progrès indéfini.

2. Dans chaque cycle philosophique, les problèmes apparaissent successivement et suivant un ordre déterminé.

Entre le développement de la vie psychique des individus et de celle des civilisations, il y a des parallélismes frappants. À l'éveil de ses facultés cognitives, l'homme se porte spontanément vers le monde extérieur ; ce n'est que plus tard qu'il se saisit comme principe conscient et connaît la nature de son moi. Cette théorie, enseignée par Aristote et saint Thomas, [6] trouve [6] une confirmation remarquable dans le développement de la philosophie chez les divers peuples.

En effet, les peuples comme les individus commencent par l'étude du monde extérieur ; ils s'adonnent à la cosmologie et à la métaphysique avant de cultiver les sciences psychologiques. On peut observer le phénomène en toute sa pureté, dans le cycle indien, le cycle grec, et le cycle médiéval. L'étude de ces trois périodes nous fait assister à des débuts de civilisation ; nous y voyons la race assurer les conditions de sa vie intellectuelle, par elle-même, sans le secours prépondérant d'influences étrangères. La logique apparait, soit avec les problèmes métaphysiques, soit avec les problèmes psychologiques, suivant que l'on considère davantage la face objective ou la face subjective des opérations qui lui sont propres. Il en est de même de l'esthétique qui soulève des problèmes de métaphysique et de psychologie. Quant à la morale[7] elle suit le développement de la psychologie ; l'étude rationnelle de la fin dernière et de l'acte libre - les deux grands fondements de toute morale - reposant en dernière analyse sur la connaissance de la nature humaine et de ses opérations. Ainsi, dans chaque cycle historique, l'avènement complet de la psychologie coïncide avec la maturité de l'esprit humain, et dans le développement même des études psychologiques, il serait aisé de montrer que l'âge dogmatique est toujours antérieur à l'âge critique ou critériologique.

3. Les préoccupations dominantes et les points de vue de prédilection varient

dans chaque période historique suivant la race, le climat, le milieu ambiant. C'est ainsi, notamment, que la philosophie indienne s'applique fiévreusement à la recherche de l'être unique et éternel, le génie grec s'adonne volontiers à la conciliation du permanent et du muable, le moyen âge scrute les points de contact de ses solutions philosophiques [7] et de sa foi religieuse, les modernes affectionnent le point de vue critériologique.

6. Division générale
de l'histoire de la philosophie.

La succession historique des divers cycles philosophiques fournit les cadres naturels d'une histoire de la philosophie.

Parmi les nombreux peuples qui se sont succédés sur la surface du globe, il n'en est qu'un petit nombre qui se soient appliqués aux spéculations rationnelles. Si on laisse de côté les Égyptiens et les Chinois, on peut dire que deux groupes détiennent le monopole de la philosophie. : le groupe sémite et le groupe indo-européen. Dans le groupe sémite (Arabes, Babyloniens, Assyriens, Araméens et Chaldéens), probablement originaire des steppes de l'Arabie, les Arabes sont les dépositaires les plus fidèles du génie de la race, et ils ont joué le principal rôle dans l'histoire de ses idées.

Rôle bien effacé cependant, à côté de la vie intellectuelle des Indo-Européens. C'est chez eux surtout que se déroulent les grands drames de la pensée philosophique. Suivant l'hypothèse la plus probable, l'Asie centrale est le berceau de la race indo-germanique et le point de départ de ses migrations. Elle se compose de sept souches principales. Deux d'entre elles, les Indiens et les Iraniens, se portèrent vers le Sud, et, arrivées sans doute aux régions de l'Afghanistan, s'en furent : les premières vers l'Ouest jusqu'aux confins des terres occupées par les Sémites, les autres par le bassin de l'Indus, puis du Gange, dans les régions lointaines de l'Est, où elles s'isolèrent définitivement de tout contact étranger. Dans l'entretemps, les autres souches du groupe indo-européen avaient pris le chemin de l'Europe, où elles s'étaient fixées ; les Grecs et les Italiques au Sud ; les Slaves, les Germains et les Celtes au Nord. [8]

Chose étonnante, la vie intellectuelle et philosophique ne se répand pas en flots parallèles chez les divers peuples indo-européens. [8] L'éveil de la réflexion se manifeste d'abord dans l'Inde, et pendant plusieurs siècles c'est chez les Indiens seuls qu'il faut chercher les leçons de la sagesse antique (philosophie indienne). Plus tard seulement, le groupe européen s'intéresse aux spéculations philosophiques : la race grecque d'abord, la race italienne ensuite (philosophie grecque et latine), et bien des siècles après elles, les peuples de l'Europe centrale et septentrionale (philosophie du moyen âge et philosophie moderne).

Nous l'avons dit, la race indo-européenne est de loin la plus importante au point de vue de l'histoire de la philosophie ; cela étant, comme aux diverses étapes de la vie indo-européenne correspond un cycle philosophique, les divisions ethnographiques que nous venons d'indiquer peuvent être transposées telles quelles dans l'histoire de la philosophie. Pour les compléter, il suffira de noter, à chaque stade de développement intellectuel du groupe indo-germanique, les mouvements d'idées moins saillants qui se produisent parallèlement chez les peuples sémitiques et chez d'autres peuplades de races diverses.

Enfin, il convient de remarquer que l'histoire de la philosophie, comme celle de toute chose humaine, est dominée par ce grand fait religieux qui sépare en deux versants les destinées terrestres : l'Incarnation de Jésus-Christ. Car, plus peut-être que tout autre domaine de l'activité humaine, la philosophie a subi les influences de la Révélation chrétienne.

Voici donc les quatre parties qui résultent de la succession historique des divers cycles philosophiques et qui nous fourniront les cadres naturels de cette histoire :

I. La philosophie indienne, à laquelle nous rattachons la philosophie chinoise.
II. La philosophie grecque.
III. La philosophie médiévale, à laquelle nous rattachons la philosophie patristique.
IV. La philosophie moderne.


[1] Cfr. Mercier, Introduction à la Philosophie, dans le Cours de Philosophie. Vol. I. Logique (1897), p. 1.

[2] S. Thomas, In Met. I. Lect. 2.

[3] Cf. notre étude sur l’Enseignement de la philosophie en France. (Revue Néo-Scolastique, 1894, p. 181 et 1895, p. 94.)

[4] De Anima, L. II, 1. 2, in fine.

[5] Cf. notre étude sur Les lois organiques de l’histoire de la psychologie. (Archiv. f. Gesch. d. Philos., 1807, p. 393.)

[6] V. Mercier, Psychologie, 5me édit. 3me partie. Ch. I, § 3.

[7] Nous parlons de la morale philosophique, et non des vérités et des préceptes de morale que le peuple puise dans la religion, avant les premières tentatives de culture philosophique.

[8] Nous empruntons ces cadres géographiques à Deussen, Gesch. der Philosophie, 1891. Ed. I, 1. S. 9.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 11 janvier 2017 11:07
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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