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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Léon WIEGER, Textes historiques, Histoire politique de la Chine, tome 2 (1929)
Extrait 2: Les réquisitoires de Hân-u contre le Buddhisme et le Taoïsme


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Léon WIEGER S.J. (1856-1933), Textes historiques, Histoire politique de la Chine, tome 2, De 420, début de la dynastie Sóng, à 906, fin de la dynastie des T’âng, pages 1068-1524. Imprimerie de Hien-hien, troisième édition, 1929. Une édition numérique réalisée par Pierre Palpant, bénévole, Paris.

EXTRAIT

Les réquisitoires de Hân-u
contre le Buddhisme et le Taoïsme

 

En 819, à sa dévotion pour le Taoïsme, l’empereur joignit la dévotion pour le Buddhisme. Comme il lui restait aussi quelque peu de dévotion confuciiste, l’amalgame, dans cette pauvre tête, fut complet. Des bonzes lui ayant raconté qu’une phalange du Buddha, conservée dans le stupa de la pagode Fā-menn à Fóng-siang (haute vallée de la Wéi), s’entr’ouvrait tous les trente ans, que ce phénomène produisait chaque fois une année de paix et d’abondance, et qu’il se renouvellerait en l’an prochain 820, l’empereur ordonna qu’on lui apportât la relique. Elle séjourna trois jours dans l’intérieur du palais, puis fut conduite processionnellement à toutes les pagodes, pour y être vénérée. A cette occasion, les nobles, les officiers et le peuple, firent à l’envi des largesses aux bonzes.

Hân-u trempa son pinceau, et déversa son indignation dans des écrits qui l’ont rendu très célèbre...

Le Buddhisme est l’une des religions des peuples barbares. Elle s’est répandue en Chine depuis l’époque des Heóu-Hán. L’antiquité l’a ignorée... Jadis Hoâng-ti régna durant cent ans, et vécut 110 ans. Cháo-hao régna 80 ans, et en vécut cent. Tchoān-hu régna 79 ans, et en vécut 98. L’empereur K’ōu régna 70 ans, et en vécut 105. Yâo régna 98 ans, et en vécut 118. Choúnn et Ù moururent centenaires. Au temps de ces personnages, l’empire était en paix, le peuple était heureux, les hommes vivaient longtemps. Tout cela, sans qu’ils connussent le Buddha... Plus tard, T’āng-wang des Chāng vécut aussi plus de cent ans, son descendant T’ái-ou régna 75 ans, Où-ting en régna 59... Puis, Wênn-wang des Tcheōu vécut 97 ans, Où-wang 93 ans, Móu-wang régna 100 ans. Tout cela, sans qu’ils connussent le Buddha. Donc, s’ils vécurent si vieux, ce ne fut pas par la grâce du Buddha... Ce fut l’empereur Mîng des Heóu-Hán, qui fit connaître le Buddha en Chine. Pour sa peine, il ne régna que 18 ans. Puis l’empire fut bouleversé, les dynasties se renversèrent les unes les autres. C’est dans ces temps malheureux, que le Buddhisme se propagea. Il est vrai que l’empereur des Leâng, qui se fit bonze trois fois, régna 48 ans. Il protégea les animaux, jusqu’à défendre d’en immoler aux Ancêtres. Il ne faisait qu’un seul repas par jour, et ne mangeait que des légumes et des fruits. Tout ce qu’il gagna, fut que, assiégé par le rebelle Heôu-king, il mourut misérablement de faim. Alors on connaissait le Buddha. Constatez vous-même ce que cette connaissance rapporta de bon à la Chine... Quand l’empereur Kāo-tsou de la dynastie actuelle, eut recueilli la succession des Soêi il délibéra s’il n’exterminerait pas le Buddhisme. Malheureusement les ministres qui l’entouraient, hommes à l’esprit étroit, étaient peu versés dans les traditions des Anciens. Hélas, le projet de l’empereur fut abandonné. J’enrage, quand j’y pense... Et Vous, Sire, perspicace, sage, lettré, brave ; prince comme on n’en a pas vu depuis longtemps ; quand vous montâtes sur le trône, vous commençâtes par interdire l’entrée de nouveaux sujets dans les bonzeries et l’érection de nouvelles pagodes. Je me dis alors, voilà que le projet de l’empereur Kāo-tsou va se réaliser, enfin !.. Hélas, vos ordres n’ont pas été exécutés. Et maintenant qu’entends-je ? Est-il possible que Vous ayez ordonné aux bonzes, de quérir processionnellement à Fóng-siang un os du Buddha ? Quoique je sois le plus stupide des hommes, je pense toutefois ne pas me tromper, en supposant que Vous ne croyez pas aux fables de ces gens-là. C’est j’imagine, une manière de manifester votre contentement de l’abondance qui a signalé cette année. C’est un divertissement, un spectacle que Vous donnez au peuple. Car enfin, sage et éclairé comme Vous êtes, comment pourriez-vous croire à ces superstitions ?.. Mais, hélas, le peuple sot et borné, facile à pervertir et difficile à éclairer, n’ira pas au fond des choses. Quand il vous verra faire ce que Vous projetez, il croira que Vous croyez au Buddha. Les rustres vont tous dire : Voyez le sage Fils du Ciel, comme il sert le Buddha de tout son cœur ; et nous, son petit peuple, nous ne nous y mettrions pas ?!. Tous vont se faire brûler des moxas sur la tête, et s’useront les doigts à offrir de l’encens. Ils vont jeter en foule leurs vêtements laïques, et renoncer à leurs biens. Du matin au soir, les dévots vont affluer aux bonzeries, y portant leur fortune, pour se racheter de dangers imaginaires. Ils iront, si on ne les en empêche pas, jusqu’à se taillader le corps et se mutiler, par dévotion... Malheur ! ces choses ruinent nos mœurs, et nous rendent ridicules aux yeux des étrangers. Car enfin, c’est un Barbare que nous honorons de la sorte ; un homme qui n’a pas su parler notre langue, qui n’a pas su s’habiller comme nous, qui n’a rien vu ni connu des enseignements et des traditions de nos Sages, qui a méconnu ses devoirs de sujet et de fils ? S’il vivait encore, cet homme ; s’il venait ici, comme ambassadeur de son roi, vous devriez sans doute le recevoir, mais tout juste, une petite fois ; puis, après les cérémonies strictement indispensables, après lui avoir fait don d’une robe, vous devriez le faire reconduire à la frontière sous bonne garde, pour lui ôter toute possibilité d’infecter votre peuple. Voilà tout ce que Vous devriez au Buddha, venu à votre cour vivant et accrédité. Et maintenant que cet homme est mort depuis longtemps, vous laissez, sans recommandation aucune, présenter à Votre Majesté un de ses os décharnés, un morceau sale et néfaste de son cadavre, et Vous lui donnez accès jusque dans votre palais !.. Confucius a dit : Respectez les êtres transcendants, mais ne les approchez pas ; tenez-vous à distance !.. Les Anciens se précautionnaient contre le mauvais influx, chaque fois qu’ils approchaient d’un cadavre. Ils s’entouraient à cet effet de sorciers, lesquels chassaient les influences néfastes, à grands coups de rameaux de pêcher et de verges en jonc. Vous, sans motif plausible, vous faites apporter chez vous un os putride et infect, Vous en approchez, sans aucune précaution, sans rameaux ni verges. Et les officiers, les censeurs, ne Vous avertissent pas ! J’en rougis pour eux !.. Ah, je Vous en prie, faites livrer cet os au bourreau, qu’il le jette à l’eau ou au feu, pour en finir à jamais avec cette racine de malheur, pour ouvrir les yeux du peuple, pour préserver les âges futurs de la séduction et de l’erreur. Montrez à vos sujets, que le Sage pense et agit autrement que le vulgaire. Si le Buddha l’apprend et peut quelque chose, qu’il se venge sur moi, qui endosse bien volontiers l’entière responsabilité de vos actes. J’en appelle au Souverain Ciel, de la sincérité de cette protestation ; qu’il l’enregistre ? Oui, je me dévoue de tout cœur, pour protéger l’empire contre la superstition et la ruine.

 

Voici maintenant les passages principaux de la Doctrine Originelle, le chef-d’œuvre de Hân-u.

Aimer tous les hommes, voilà la Bonté. Faire ce qu’il sied de faire, voilà la Convenance. Agir d’après ces deux principes, c’est marcher dans la Voie. S’en tenir à son dictamen intérieur, au verdict de sa conscience, sans se laisser influencer par les appréciations des hommes, voilà la Conduite. La Bonté et la Convenance, sont des principes généraux précis. Mais leur application dans le détail, est sujette à des interprétations diverses. De là vient qu’on a défini des Voies et des Conduites diverses. Lào-tzeu a rétréci les notions de la Bonté et de la Convenance. Homme à l’horizon étroit, grenouille tombée dans le puits pour laquelle le ciel est réduit à un tout petit cercle, il a fait de la Bonté une bienfaisance mesquine, et de la Convenance un quiétisme égoïste. De ces principes étriqués, il a déduit une Voie et une Conduite, qui ne sont plus celles de nous Lettrés. De là vient que son langage et celui de son école sont équivoques, leurs termes ne signifiant plus ce qu’il signifient parmi nous... A la fin des Tcheōu, après la mort de Confucius et la destruction des livres, ce fut une grande débâcle. Le Taoïsme se développa sous les Hán ; le Buddhisme se propagea à partir des Tsínn ; les Lettrés même varièrent, influencés par Yâng-tzeu ou Méi-tzeu, par Lào-tzeu ou par le Buddha. Puis les sectes exaltèrent chacune sa propre doctrine, et démolirent celle des autres. Chacune voulut accaparer Confucius. Il a été le disciple de notre Maître, disaient les Taoïstes. Ce qu’il sut, il l’avait appris du Buddha, criaient les Buddhistes. Cela se dit. Cela s’écrivit ! Faut-il que les hommes aiment les fables, pour en avoir cru de cette force !.. La constitution de l’État et de la famille, les règles qui régissent l’État et la famille, c’est aux Sages que nous devons tout cela. Et voici que ces gens-là disent : Renoncez à tout, quittez tout, ne désirez que la pureté du cœur et l’extinction de tout souci. Or la vraie culture du cœur consiste, les Sages l’ont dit, dans la direction vers le but, de toutes les intentions. Appliquez ce principe unique à l’individu, à la famille, à l’État, et tout sera parfait. Et voilà que ces gens-là prêchent une culture du cœur égoïste, le mépris de tous les liens, l’oubli de tous les soins. Ils nous apportent en preuve des écrits barbares, par lesquels ils veulent remplacer ceux de nos Sages. C’est vouloir nous barbariser !.. Bonté et Convenance, voilà nos règles à nous ! Elles sont développées tout au long dans nos livres. Nous avons, nous, notre société, notre civilisation, notre gouvernement, nos mœurs, nos usages, en tout conformes à nos principes. Chez nous tout est rationnel et logique. Grâce à nos principes si simples, nous vivons en paix, nous mourons à notre heure, les Chênn du ciel agréent nos sacrifices, les Koéi des défunts goûtent nos offrandes. Voilà ce que nous devons à notre doctrine, à la Doctrine Originelle. Défendons-la donc !.. Je l’appelle originelle, parce qu’elle date du commencement. Yâo la transmit à Choúnn, Choúnn à Ù, Ù à T’āng-wang. Elle passa ensuite par Wênn-Wang, Où-wang, et le Duc de Tcheōu, aux mains de Confucius, lequel la transmit à Mencius. Là s’arrêta la transmission magistrale directe. Après cela, elle tomba dans le domaine commun. Pour l’avoir mal comprise, il y eut ensuite des hérétiques, Sûnn k’ing, Yâng-hioung, et autres. Ah de grâce, empêchez que les erreurs ne se multiplient ! Si Vous n’endiguez pas les sectes, le cours de la doctrine des Sages va s’arrêter ; si Vous ne les rembarrez pas, c’en est fait ! Faites des hommes de ces sectaires (bonzes et táo-cheu), en les obligeant à vivre à la manière des hommes. Condamnez au feu tous leurs livres. Dispersez les personnes parmi le peuple. Ils auront ainsi l’occasion d’apprendre la doctrine des Sages, et reviendront à des idées plus saines, à la pratique de la piété filiale, de la vie familiale, de la Bonté et de la Convenance.

Hân-u, l’ennemi des buddhistes

Du même, lettre à Móng-kien, résumé...

Non ! le bonheur ne s’attire pas, le malheur ne s’évite pas, par la prière des lèvres. Confucius a dit : Ma vie est ma prière ; c’est-à-dire, je vis bien, et ne demande rien. Bien vivre, voilà la prière des Sages. Celui qui vit bien, n’a lieu de craindre, ni le Ciel, ni les hommes, ni sa propre conscience. Le bonheur et le malheur suivent les bonnes ou les mauvaises actions. Alors quel besoin avons-nous de ces religions barbares ? Pourquoi rejetterions-nous les préceptes de nos Anciens Souverains ?.. Les Odes ne disent-elles pas (p. 333) : Au bon prince, sa vertu attire tous les biens... Et les Récits de Tsoùo : Il ne faut agir, ni par crainte d’un mal, ni par amour d’un bien ; il faut bien agir, uniquement, pour bien agir... Si le Buddha était l’arbitre du bonheur et du malheur, sans doute il faudrait se précautionner de son côté ; mais, en vérité il n’a absolument rien à y voir. Le Buddha ne fut qu’un homme. S’il fut bon, il ne veut pas faire de mal à ceux qui marchent dans la bonne voie. S’il fut mauvais, son corps étant réduit en cendres, son âme étant devenue un koèi stupide, il ne peut pas faire de mal à ceux qui marchent dans le bon chemin. D’ailleurs, à supposer qu’il ait survécu et qu’il s’occupe des hommes, les Esprits du ciel et de la terre étant justes et incorruptibles, ils ne le laisseront jamais donner bonheur ou malheur à qui ne le mériterait pas. Donc tout culte rendu au Buddha est vain, car le Buddha est impuissant... Ah ! les superstitions ! gémissait Mencius ; elles font oublier la doctrine des Sages ; pas étonnant alors que les mœurs, les rites, la musique périclitent, et que les Barbares pressent l’empire ; nous allons à la sauvagerie !... Mencius passa sa vie, à lutter contre les novateurs. Après sa mort, les Ts’înn brûlèrent les livres et tuèrent les lettrés. L’empire fut bouleversé de fond en comble. La doctrine des Anciens fut oubliée durant un siècle entier. Puis on retrouva quelques livres, on fit appel aux lettrés survivants. On récupéra ainsi, à grand’peine, pas beaucoup, mais quelque chose ; quelques miettes de la sagesse de Anciens. Puis ces restes précieux de l’œuvre de Confucius, passèrent, de la main à la main, des Lettrés d’alors, aux Lettrés de nos jours. Or la substance de cette sagesse antique, c’est qu’il faut pratiquer la Bonté et la Convenance. Hélas, ce qui a été sauvé est bien peu de chose, en comparaison de ce qui a été perdu. Heureusement que la lettre de bien des textes ayant péri, Mencius a du moins sauvé l’esprit du tout. Depuis lors, combien les Lettrés ont travaillé et souffert pour rapiécer les trous et guérir les plaies des lambeaux qui nous restent, pour sauver des périls qui les menacèrent d’âge en âge ces feuillets vénérables ! Et maintenant on voudrait que nous leur préférions les grimoires de Lào-tzeu et du Buddha !... Holà ! ces deux hommes ont fait à l’empire plus de mal, que les hérétiques Yâng-tzeu Méi-tzeu et tous les autres. Quelque incapable que je sois, je ferai ce que je pourrai, pour défendre contre ces intrus nos anciennes doctrines. Dussé-je mourir pour cette cause, j’y consens de grand cœur. Ciel, Terre, Chênn et Koèi, entendez-moi ! Aidez-moi à protéger la Vérité contre l’Erreur !



Retour au livre de l'auteur: Léon Wieger (1856-1933) Dernière mise à jour de cette page le mercredi 26 septembre 2007 13:45
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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