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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Léon WIEGER, Textes historiques, Histoire politique de la Chine, tome 2 (1929)
Extrait 1: 756. La fuite de l’empereur et de la favorite


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Léon WIEGER S.J. (1856-1933), Textes historiques, Histoire politique de la Chine, tome 2, De 420, début de la dynastie Sóng, à 906, fin de la dynastie des T’âng, pages 1068-1524. Imprimerie de Hien-hien, troisième édition, 1929. Une édition numérique réalisée par Pierre Palpant, bénévole, Paris.

EXTRAIT

756. La fuite de l’empereur et de la favorite

 

Malheureusement, au dixième mois, Keûe chou-han qui défendait les passes de la Láo, fut battu à plate couture et pris par les insurgés, lesquels marchèrent droit sur Tch’âng-nan.

Épouvanté, l’empereur appela Yâng kouo-tchoung. Celui-ci lui déclara qu’il fallait fuir au plus vite vers le Séu-tch’oan. L’empereur s’y résolut. Pour dissimuler sa fuite, il annonça qu’il allait prendre en personne le commandement de l’armée. La garde de la capitale fut confiée à Ts’oēi koang-yuan, et celle du palais à Pién ling-tch’eng. Quand la nuit fut venue, ordre fut donné au général Tch’ênn huan-li d’appeler ses hommes aux armes, de leur donner une bonne gratification, de prendre les chevaux des écuries impériales, et de se tenir prêt à marcher. D’ailleurs, aucun préparatif, pas d’approvisionnements.

Avant le jour, l’empereur sortit du palais avec la favorite et ses sœurs, ses fils et ses petits-fils, ses eunuques préférés, et prit la route du Séu-tch’oan, suivi de son escorte militaire, sans bagages ni vivres (756)...

— Il partit, clame maître Fán, avec ses favoris et ses favorites, sans les Tablettes de ses Ancêtres, que les anciens souverains emportaient même dans leurs tournées d’inspection et de chasse, comme s’ils n’eussent pas pu s’en séparer. Il ne leur annonça même pas son départ. Il ne dit pas un mot de consolation au peuple. Il s’enfuit, lui le Fils du Ciel, avec ceux qu’il aimait. Quelle honte !

Quand le cortège impérial passa près des grands magasins établis à l’ouest de la capitale, Yâng kouo-tchoung demanda à l’empereur la permission de les incendier, pour qu’ils ne pussent par servir aux rebelles.

— Au contraire, dit l’empereur ; n’y touchez pas ! S’ils trouvent des ressources, les rebelles pressureront moins le peuple. Laissez-leur le tout, pour qu’ils ne fassent pas trop de mal à mes enfants.

Cependant le jour étant venu, quand les officiers se présentèrent au palais pour leur service, les femmes du harem s’évadèrent en masse par les portes ouvertes, et l’on apprit que l’empereur avait disparu. Aussitôt, dans la capitale, ce fut un sauve-qui-peut général. Les gouverneurs de la ville et du palais, mandirent à Nān lou-chan qu’ils étaient disposés à capituler.

Quand le cortège impérial eut traversé le pont de la Wéi, Yâng Kouo-tchoung voulut incendier ce pont, pour ralentir la poursuite des rebelles. L’empereur dit :

— Cela causerait la perte des fuyards de Tch’âng-nan ; laissez-leur la route ouverte !..

et il fit éteindre le feu.

Quand on arriva à Hién-yang, au Palais de l’Attente des Sages, il était midi. Personne, pas même l’empereur, n’avait pris aucune nourriture. De pauvres gens apportèrent une bouillie de blé et de fèves, que les petits-enfants de l’empereur se disputèrent, et dévorèrent avec leurs mains. Les soldats de l’escorte se débandèrent dans les villages environnants, pour trouver leur pitance. Enfin on reprit la marche. A minuit, on était à Kīnn-tcheng. Tout le peuple avait fui. On ne trouva même pas une lanterne. Chacun se tapit dans la paille, et l’on dormit comme on put, sans distinction de noble et de vil, dit le Texte.

Quand le jour fut venu, on poussa jusqu’au relais de Mà-wei. Là les soldats affamés et harassés se mutinèrent. Le commandant de l’escorte Tch’ênn huan-li fit demander, par l’eunuque Lì fou-kouo, au prince impérial, la permission de mettre à mort le ministre Yâng kouo-tchoung, cause des malheurs de l’empire. L’eunuque n’était pas encore revenu, quand le ministre traversant la rue, une bande de Tibétains affamés, soldats de la garde, courut à lui pour lui demander à manger.

— Voyez, cria Tch’ênn huan-li, il conspire avec les Barbares !..

et courant sus au ministre, ils le massacrèrent, piquèrent sa tête sur une lance, et l’arborèrent devant le pied-à-terre de l’empereur. Ils coururent ensuite massacrer deux sœurs de la favorite Yâng koei-fei. Effrayé par les clameurs des insurgés, l’empereur sortit, leur donna de bonnes paroles, et les pria de reprendre leurs rangs. Les mutins refusèrent. L’empereur leur envoya l’eunuque Kāo li-cheu, comme parlementaire. Tch’ênn huan-li lui dit :

Yâng kouo-tchoung ayant été exécuté comme rebelle, sa sœur est indigne de la faveur impériale. Que l’empereur la livre, pour qu’on la juge !..

Kāo li-cheu porta ces paroles à l’empereur.

— J’y penserai, dit celui-ci ;

et rentrant dans la maison, il réfléchit longuement debout, appuyé sur un bâton (tout siège faisant défaut). Comme il ne se décidait pas, Wêi-neue s’avança et lui dit :

— Ne résistez pas à la colère de la multitude ; votre sort dépend de cet instant ; décidez vite !..,

et il se prosterna, battant de la tête à se meurtrir le front… L’empereur dit :

— La dame Yâng ayant vécu au fond du harem, comment pourrait-elle être complice de son frère ?...

— Elle n’est pas coupable de rébellion, dit l’eunuque Káo li-cheu, les officiers le savent bien ; mais, comme ils ont tué son frère, tant qu’elle vivra auprès de vous, ils auront, pensent-ils, à redouter sa vengeance. Pesez bien ces paroles. Votre vie dépend du bon plaisir de ces gens-là...

Huân-tsoung livra la favorite à l’eunuque, lequel la conduisit à la pagode du village, l’étrangla, puis appela Tch’ênn huan-li et les soldats mutinés, et leur montra le cadavre, Aussitôt ceux-ci déposèrent les armes, s’excusèrent, crièrent Vive l’empereur, et reformèrent les rangs. La femme de Yâng kouo-tchoung et sa troisième sœur, échappées au massacre, s’étaient réfugiées à Tch’ênn-ts’ang. Le mandarin du lieu, Sūe king-sien, les mit à mort (756).

 

Le lendemain, au moment où le cortège impérial s’ébranlait pour quitter Mà-wei, les notables de la localité supplièrent l’empereur de rester. Celui-ci chargea le. prince impérial de les haranguer.

— Alors vous du moins, ne suivez pas votre père, dirent les notables à celui-ci ; restez, ou l’empire n’aura plus de maître ; mettez-vous à notre tête, et conduisez-nous à Tch’âng-nan !..

et ils s’attroupèrent autour de lui, au nombre de plusieurs milliers...

— Je ne puis ! dit le prince, les larmes aux yeux ;

et sautant sur son cheval, il essaya de s’échapper. Son fils aîné T’ân, et l’eunuque Lì fou-kouo, saisirent la bride du cheval et dirent :

— Faut-il que l’empire des T’âng s’écroule sous les coups d’un misérable Barbare ? Si vous ne tenez aucun compte des offres de dévouement de vos sujets, quel espoir vous restera encore ? Restez ! Ramassez les troupes du Nord-Ouest, appelez à vous Koūo tzeu-i et Lì koang-pi, reprenez les deux capitales, restaurez l’empire, relevez le temple des Ancêtres. Voilà ce qu’il faut faire, et non pas fuir au Séu-tch’oan. Quand l’empire sera pacifié, vous rappellerez votre père, et vous serez un fils vraiment et pratiquement pieux. Ne perdez pas tout, par votre piété sentimentale !..

Chóu, le cadet de T’ân, joignit ses instances à celles de son frère. Les notables de Mà-wei se serrèrent autour du prince impérial, en masse si compacte, que tout mouvement lui devint impossible. Le cortège impérial était déjà parti. Le prince envoya à son père son second fils Chóu, pour l’avertir de ce qui se passait.

— La voix du peuple est la voix du Ciel, dit l’empereur ;

et il ordonna que l’arrière-garde de son cortège laissât deux mille hommes de cavalerie à son fils. Il dit à ces soldats, en les congédiant :

— Le prince est humain et pieux ; il pourra restaurer l’empire ; aidez-le de votre mieux !..

Il fit dire au prince, qu’il ne revit pas :

— Fais comme tu l’entendras, et ne te mets pas en peine de moi ! Tous les Hôu du Nord-Ouest m’étaient très attachés. Sollicite leur aide. Si tu veux, je suis prêt à abdiquer formellement en ta faveur, pour te donner plus d’autorité...

Le prince refusa, ou plutôt l’Histoire suppose qu’il refusa.

On lit aisément entre les lignes de cette page alambiquée, et les Commentateurs sont unanimes à affirmer, que le prince impérial fut de connivence avec ceux qui le séparèrent ainsi de son père. Il alla s’établir au nord, à P’îng-leang, vers les sources de la King (Kān-sou actuel), tandis que son père franchissait les passes du sud et descendait vers le Séu-tch’oan.

Pendant que ces événements se passaient à l’ouest de Tch’âng-nan, Soūnn hiao-tchee lieutenant de Nān lou-chan, était entré dans la capitale sans coup férir. Trop occupées à boire, piller, et le reste, ses bandes ne coururent, ni après l’empereur, ni après le prince impérial.

Au septième mois de l’an 756, ce dernier prit le titre d’Empereur, dans le Nîng-hia-fou actuel. Il conféra à son père le titre d’Empereur Suprême, c’est-à-dire d’Empereur en retraite. Cela veut dire, dit sèchement Maître Fán, qu’il secoua l’obédience de son père. Le nouvel empereur porte dans l’histoire le nom de Sóu-tsoung.



Retour au livre de l'auteur: Léon Wieger (1856-1933) Dernière mise à jour de cette page le mercredi 26 septembre 2007 13:44
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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