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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Simone Weil (1909-1943), LETTRE À UN RELIGIEUX. (1951)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Simone Weil (1909-1943), LETTRE À UN RELIGIEUX. Paris: Éditions Gallimard, 1951, 96 pp. Collection: Livre de vie. Les meilleurs livres de vie chrétienne. Une édition numérique réalisée par mon amie Gemma Paquet, bénévole, professeure de soins infirmiers à la retraite du Cégep de Chicoutimi.

[7]

Lettre à un religieux


Introduction



Simone Veil est née à Paris le 3 février 1909 dans une famille agnostique. Au lycée Henri IV, elle suit les cours d'Alain qui aura sur elle une importante influence. Agrégée de philosophie en juillet 1931, elle enseigne aux lycées du Puy, d'Auxerre, de Roanne, de Saint-Étienne, de Saint-Quentin, avec de longues interruptions : en 1934-1935 elle est ouvrière en usine. En 1936, elle part pour Barcelone, afin de prendre part à la guerre civile espagno1e dans les rangs républicains. En mai 1942, elle quitte la France pour rejoindre les Forces françaises libres à Londres, après avoir séjourné à New York. Elle meurt de consomption au sanatorium d'Ashford, dans le Kent, le 24 août 194l.

Ces quelques repères biographiques [1] pourraient être ceux d'une honnête intellectuelle moderne, qui n'a pas [6] voulu rester étrangère à son temps. Ils ne disent pas 1a force et la faiblesse d'une femme qui a voulu tout connaître de façon active et sans compromission, et qui s'est heurtée, jusqu'à en mourir, aux ambiguïtés misérables du concret. Les nuances qu'apporterait l'anecdote sont trompeuses, et beaucoup s’y sont arrêtés. Il est vrai que la grande majorité des écrits de Simone Weil sont des ébauches, des notes, des cahiers qui forment le matériau d'une œuvre jamais réalisée, dans laquelle les articles publiés de son vivant sont relativement secondaires ; et la tentation est forte de chercher dans sa vie l'explication, et non l'enracinement, de ses paroles. Cet inachèvement des textes qui les rend plus vivants parce que plus proches de leur jaillissement, fait apparaître Simone Weil à la fois spontanée et fragile, plus vraie et plus marginale, et sans doute plus marginale parce que plus vraie.

Sur sa quête religieuse en tout cas, Simone Weil n'a pratiquement rien publié de son vivant. Et nous sommes réduits à lire ses notes, à entendre ses paroles par le biais des textes ébauchés et de la mémoire de ceux qui les ont entendues. C'est entre 1936 et 1938, à l'occasion de rencontres à Assise et à Solesmes, que le christianisme cesse de lui être étranger. La rencontre est à la fois d'ordre esthétique et social - la beauté lui parle, et l'accueil des méprisés. Désormais, la conversion, et son impossibilité, fait l'objet de ses recherches, de ses notes, de ses conversations. Le début de la guerre est pour elle une période d'intense spéculation.

Début juin 1941, elle rencontre à Marseille un dominicain, le Père Jean-Marie Perrin, à qui elle exposera ses doutes, ses indignations, ses certitudes. Quand elle s'embarque pour New York avec le seul désir de rejoindre Londres, puis la France avec une mission, l'adhésion à l’Église lui fait toujours problème. À New York, où elle arrive en juillet 1942, elle sollicite tous ceux qui [7] sont susceptibles de lui faciliter le départ pour Londres : elle écrit aux autorités militaires, à Jacques Soustelle, à Maurice Schumann ; à Jacques Maritain aussi, qu'elle entretient accessoirement de sa « situation spirituelle ». Maritain lui conseille de se mettre en rapport avec le Père Couturier, un dominicain dont on connaît l’œuvre dans le domaine de l'art sacré. Les rencontres de Simone Weil avec le Père Couturier seront rares mais ouvertes. Elle ne connaîtra pas avec lui les discussions très vives sur le plan de l'orthodoxie ou les réponses très floues à ses exigences qu'elle reçut d'autres interlocuteurs en France ou aux États-Unis.

En octobre 1942, une occasion lui est offerte de gagner Londres. Avant de s'embarquer, le 10 novembre, elle rédige une lettre à Jean Wahl et, pour le Père Couturier, le texte de la Lettre à un religieux. Elle reprend en les développant les thèmes d'une discussion antérieure, avec un bénédictin à Dourgne, et qui avait tourné court. Le Père Couturier ne répondit pas, et il ne revit jamais Simone Weil, à qui il restait dix mois à vivre.

Il faut peut-être rappeler l'atmosphère de l'époque : le 21 juin 1942, Tobrouk est tombé aux mains des Allemands. En octobre commence la bataille de Stalingrad. Début novembre, c'est la débâcle de Rommel. Le 8 novembre les Anglais sont à Alger et, en France, le 11 novembre, Hitler fait franchir la ligne de démarcation.

Simone Weil écrit au Père Couturier : « il n’y a pas d’urgence » et à la fois : « ces problèmes sont d'une importance capitale, urgente et pratique ». Au moment où la guerre va l'anéantir, elle exprime, dans un état d'esprit tout à fait grec, qu'elle-même n'est pas pressée puisqu'elle est de toute façon condamnée, mais que sa question est urgente pour les valeurs spirituelles menacées.

Personne alors n'était sûr de sa vie. La « bouteille à la mer » qu'est une « lettre », genre littéraire des périodes de trouble, s'impose. C'est en 1942 que Bernanos [8] publie à Rio sa Lettre aux Anglais ; c'est en 1913 que paraît à New York la Lettre à un otage de Saint-Exupéry. C'est en 1943 encore qu'Albert Camus, qui publiera la Lettre à un religieux en 1951, rédige dans la clandestinité ses propres Lettres à un ami allemand.

Telles sont les circonstances.

Elles expliquent suffisamment les aspects « en suspens » de l’œuvre, autant qu'elles interdisent de voir en eux de quoi en relativiser le message. Simone Veil, d'origine israélite, refusait le judaïsme mais elle n'était pas loin de partager les scrupules d'un Bergson devant le baptême, peu avant sa mort en 1941. Par ailleurs elle préférait le contact direct avec les grands textes et elle ignorait la lecture historique de la Bible qu'aurait pu lui ouvrir à l'époque la fréquentation de milieux protestants, bien que les von Rad n'eussent pas encore publié leurs travaux.

 Autrement dit, au-delà d'une lecture littérale, ou littéraire, la Lettre à un religieux demande une lecture fondamentale. Dans la forme, elle fait état de textes de conversations, de questions réglées et de contradictions non résolues. Dans le fond, Simone Weil veut faire tomber des réserves, afin que sa propre adhésion soit aussi sans réserves. Il y aurait donc sans doute un extrême malentendu à lire ici les conditions qu'elle mettrait à son baptême : « C'est par manque de foi qu'on a entouré les sacrements de conditions, dit-elle dans ses Cahiers. Cela changera ou le christianisme périra. » Il ne s'agit pas d'infirmer des dogmes, ou d'en affirmer de nouveaux. Ils perdent, dit-elle, toute leur vertu dès qu'on les affirme.

Certains ont vu par ailleurs dans les questions de Simone Weil une sorte de « notes de plaidoirie » pour user du langage de lie défense, une sorte de « propositions », selon le mot qui revient souvent dans l'histoire de la théologie, qui font que l'on est ou non orthodoxe. C'est oublier que Simone Weil ne s'est jamais déclarée catholique et qu'elle n'a jamais (demandé un procès. Après [9] une rencontre entre catholiques, protestants et orthodoxes, à Marseille, elle raconte à son frère qu'« il y a une seule chose sur laquelle ils se sont trouvés d'accord, c'est que le péché majeur est le péché d'hérésie ». Un peu plus tard son frère lui dit : « Tu as autant de raisons de te faire bouddhiste, taoïste, etc. que catholique. - Mais oui, répondit-elle, c'est exactement cela. » On comprend qu'elle ait refusé l'alternative qui lui eût donné un label d'orthodoxie, faute de quoi elle eût été déclarée hérétique. Elle n'a jamais demandé à être justifiée dans son universalisme, faute de quoi elle eut été syncrétiste. Elle a voulu être universelle, quitte à être hétérodoxe - ce qui est différent. Elle a demandé à être reçue non pas malgré mais avec certaines options fondamentales. On a vu de l'orgueil là où il y avait la volonté ferme de ne rien laisser dans l'ombre ou dans la contradiction. Elle est la première à reconnaître que certaines de ses opinions sont douteuses, mais c'est pour attirer une réponse catégorique et se donner le droit, en d'autres occasions, de refuser des réponses divergentes entre elles, où elle voit « quelque chose qui ne va pas ». Et elle a refusé cette sorte de pitié et de commisération où ont été - et sont encore souvent - remisés avec condescendance ceux qui demandent à voir avant que d'adhérer. Son besoin absolu de connaissance, de position nette et intellectuellement sans faille a pu la faire passer pour gnostique - ou cathare. Une élaboration de son oeuvre lui aurait permis d'exprimer en termes précis et modernes des problèmes qui ont été trop vite réglés, dans l'histoire, par la force. Mais elle est à New York sans ses livres, et le temps presse. Qu'elle cite les travaux de M Hermann, rencontré sur l'Atlantique, est sans doute secondaire ; qu'elle cite saint Jean une vingtaine de fois ne l'est pas.

Il reste que son intransigeante honnêteté refuse la tolérance tout autant que l'intolérance dans l'intelligence des choses de la foi : elle n'y voit que de la faiblesse intellectuelle. [10] En un sens l'interprétation élargie donnée aujourd'hui à la règle extra Ecclesiam nulla salus, de même que l'abandon, au concile de Vatican II, de la formule anathema sit qui scandalisait Simone Veil auraient peut-être modifié la forme de ses questions, mais en auraient renforcé le fond : « L’Église ne semble pas être infaillible, dit-elle, car en fait elle évolue ». À beaucoup d'égards, la Lettre à un religieux a devancé les questions d'aujourd'hui et de demain.

Jean-Pie Lapierre



[1] Voir Simone Weil telle que nous l'avons connue par J.-M. Perrin et Gustave Thibon, Paris, La Colombe, 1952, pour les années 1941-1942. La Vie de Simone Weil par son amie Simone Pétrement, Paris, Fayard, 2 vol. 1973, est désormais l'ouvrage de base, mais on aura toujours intérêt à se référer à L'Expérience vécue de Simone Weil par Jacques Cabaud, Paris, Plon, 1957, et, du même auteur, pour la période où fut rédigée la Lettre à un religieux, le petit livre intitulé Simone Veil à New York et à Londres, Plon, 1967.



Retour au texte de l'auteure: Simone Weil, philosophe Dernière mise à jour de cette page le jeudi 19 septembre 2013 8:20
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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