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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Simone Weil, LA CONNAISSANCE SURNATURELLE. (1950)
Prologue


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Simone Weil, LA CONNAISSANCE SURNATURELLE. Paris: Éditions Gallimard, 1950, 19e édition, 339 pp. Collection Espoir. Une édition numérique réalisée par ma grande amie Gemma Paquet, bénévole, professeure de soins infirmiers à la retraite du Cégep de Chicoutimi.

[9]

LA CONNAISSANCE SURNATURELLE (1950)

Prologue

Il entra dans ma chambre et dit : « Misérable qui ne comprends rien, qui ne sais rien. Viens avec moi et je t'enseignerai des choses dont tu ne te doutes pas. » Je le suivis.

Il m'emmena dans une église. Elle était neuve et laide. Il me conduisit en face de l'autel et me dit : « Agenouille-toi. » Je lui dis : « je n'ai pas été baptise. » Il dit : « Tombe a genoux devant ce lieu avec amour comme devant le lieu où existe la vérité. » J'obéis.

Il me fit sortir et monter jusqu'à une mansarde d'où l'on voyait par la fenêtre ouverte toute la ville, quelques échafaudages de bois, le fleuve où l'on déchargeait des bateaux. Il me fit asseoir.

Nous étions seuls. Il parla. Parfois quelqu'un entrait, se mêlait à la conversation, puis partait.

Ce n'était plus l'hiver. Ce n'était pas encore le printemps. Les branches des arbres étaient nues, sans bourgeons, dans un air froid et plein de soleil.

La lumière montait, resplendissait, diminuait, puis les étoiles et la lune entraient par la fenêtre. Puis de nouveau l'aurore montait.

Parfois il se taisait, tirait d'un placard un pain, et nous le partagions. Ce pain avait vraiment le goût du pain. Je n'ai jamais plus retrouvé ce goût.

Il me versait et se versait du vin qui avait le goût du soleil et de la terre où était bâtie cette cité.

Parfois nous nous étendions sur le plancher de la [10] mansarde, et la douceur du sommeil descendait sur moi. Puis je me réveillais et je buvais la lumière du soleil.

Il m'avait promis un enseignement, mais il ne m'enseigna rien. Nous causions de toutes sortes de choses, à bâtons rompus, comme font de vieux amis.

Un jour il me dit : « Maintenant va-t’en. » Je tombai à genoux, j'embrassai ses jambes, je le suppliai de ne pas me chasser. Mais il me jeta dans l'escalier. Je le descendis sans rien savoir, le coeur comme en morceaux. Je marchai dans les rues. Puis je m'aperçus que je ne savais pas du tout où se trouvait cette maison.

Je n'ai jamais essayé de la retrouver. Je comprenais qu'il était venu me chercher par erreur. Ma place n'est pas dans cette mansarde. Elle est n'importe où, dans un cachot de prison, dans un de ces salons bourgeois pleins de bibelots et de peluche rouge, dans une salle d'attente de gare. N'importe où, mais non dans cette mansarde.

Je ne peux pas m'empêcher quelquefois, avec crainte et remords, de me répéter un peu de ce qu'il m’a dit. Comment savoir si je me rappelle exactement ? Il n'est pas là pour me le dire.

Je sais bien qu'il ne m'aime pas. Comment pourrait—il m'aimer ? Et pourtant au fond de moi quelque chose, un point de moi-même, ne peut pas s'empêcher de penser en tremblant de peur que peut-être, malgré tout, il m'aime.



Retour au texte de l'auteure: Simone Weil, philosophe Dernière mise à jour de cette page le mercredi 18 septembre 2013 19:23
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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