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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Albert TSCHEPE, s.j., Histoire du royaume de Tch'ou, (1122-223 av. J.-C.). (1903)
Extrait


Une édition électronique réalisée à partir du texte du Père Albert TSCHEPE, s.j., Histoire du royaume de Tch'ou, (1122-223 av. J.-C.). Variétés sinologiques n° 22. Imprimerie de la Mission catholique de l’orphelinat de T’ou-sé-wé, Chang-hai, 1903, 6+402 pages+une carte. Une édition réalisée par Pierre Palpant, bénévole, Paris.

EXTRAIT :

Quelques petites anecdotes


sur Tchoang-wang (613-591)

Le fidèle conseiller et premier ministre de Tchoang-wang était Suen-chou-ngao, fils du seigneur Pé-yng ; après l’éclatante victoire de Pi, le roi voulut récompenser ce bon serviteur, et lui donner un fief ; celui-ci refusa absolument ; quand il fut sur le point de mourir, il appela son fils et lui dit :

— Le roi voudra certainement vous donner un beau fief ; refusez ; acceptez seulement une contrée rocailleuse, comme Tsing-k’ieou dont le nom même est de mauvais augure (tsing signifie tombeau) ; personne ne vous jalousera.

Il arriva comme il le désirait ; son fils reçut le territoire désigné. C’était un proverbe au pays de Tch’ou que les grandes dignités, les grandes richesses, ne passaient pas au-delà de deux généra­tions. Seule la famille de Suen-chou-ngao a conservé les unes et les autres jusqu’à ce jour ! Qui sait se modérer dure longtemps.

* * *

Yen-wang, prince de Siu, était un homme si éminent que 32 roitelets vinrent le saluer et lui faire hommage. Wang-suen-li, grand officier de Tch’ou, dit à Tchoang-wang :

— Si votre Majesté ne fait pas la guerre à Yen-wang, elle finira par aller aussi lui rendre hom­mage !

— Impossible de lui déclarer la guerre, répond le roi ; c’est un prince accompli, aimant la justice, l’humanité !

L’officier insista :

— J’ai ouï dire aux anciens que les grands près des petits, les forts près des faibles, sont comme des pierres près des œufs, des tigres près des porcs ; ces derniers périssent nécessairement ; quiconque fait profession de civilisation, et ne sait pas s’adapter à son temps, quiconque fait profession des armes et ne les fait pas prévaloir, est en contradiction avec soi-même ; il n’évitera pas les malheurs !

Tchoang-wang trouva la raison bonne ; il fit la guerre à la principauté de Siu, et se l’annexa.

sur Kong-wang (591-560)

Le roi de Ts’i avait envoyé comme ambassadeur le philosophe Yen-tse, qui était chétif et de petite taille ; les gens de Tch’ou pensèrent s’amuser de lui ; ils voulaient donc le faire entrer par une des petites portes du palais, au lieu de lui ouvrir la grande porte d’honneur ; mais Yen-tse leur dit avec malice :

— Ceux qui sont envoyés à une cour de chiens passent par la porte des chiens ; moi, j’ai été envoyé à la cour de Tcheou, je ne passerai pas par ce trou !

Il fallut donc l’introduire par la porte d’honneur.

Pendant l’audience, le roi de Tch’ou lui demanda :

— Votre prince n’a donc personne auprès de lui, puisqu’il a été obligé de vous confier cette ambassade !

Yen-tse lui répondit :

— Notre capitale Ling-tche est entourée de trois cents hameaux, dont la population est si dense que si les gens étendaient leurs manches ils obscurciraient le soleil ; s’ils jetaient leur sueur, ils feraient une pluie ; leurs épaules se touchent ; leurs talons se pressent : en vérité, la population grouille !

— S’il en est ainsi, reprit le roi, pourquoi vous a-t-on choisi ?

— Chez nous, dit Yen-­tse, c’est le prince qui est le maître ; c’est lui qui assigne à chacun son poste ; auprès des cours sages, il envoie des sages ; chez les gens grossiers, il envoie des rustauds ; voilà pourquoi moi, l’homme le plus intime, j’ai été envoyé ici.

Voilà une preuve que les Grecs n’avaient pas le monopole des facéties.

Quand à la cour de Tch’ou on apprit que Yen-tse allait venir en ambassade, le roi dit à son entourage :

— Cet homme est de tous les gens de Ts’i celui qui a la langue la mieux pendue ; il faut trouver le moyen de lui faire perdre la face affreusement.

Quelqu’un proposa le stratagème suivant :

— Quand il sera en audience, nous lierons un individu ; nous passerons devant votre Majesté ; vous demanderez qui est cet homme ? nous répondrons : c’est un étranger de Ts’i ; vous demanderez ce qu’il a fait ; nous dirons : c’est un voleur !

Ainsi fut fait. Pendant que Yen-tse était à boire le vin, on amena le prétendu larron : le roi demanda :

— Les gens de Ts’i sont-ils donc si fameux voleurs ?

Yen-tse se leva respectueusement de sa natte et répondit :

— J’ai ouï dire que les oranges des pays au sud de la Hoai sont de vraies oranges ; celles qui mûrissent dans les contrées au nord de ce fleuve, sont des fruits amers et acides ; les feuilles seules sont les mêmes dans les deux régions : ainsi en est-il des hommes ! ceux qui grandissent dans le pays de Ts’i sont honnêtes ; ceux qui passent au pays de Tch’ou deviennent des fripons ; c’est le climat qui cause cette différence !

Ainsi, c’est le roi lui-même qui perdait la face : il finit par en rire, et dit à son entourage :

— Il ne faut pas s’attaquer à un saint ; vous voyez comment la honte en est tombée sur nous !

Un autre jour, étant à table, on servit des oranges ; chacun avait un couteau recourbé pour les peler, et pour en tailler des tranches. Yen-tse attendit quelque temps, puis se mit à manger une orange sans la peler ni la tailler ; le roi lui en fit l’observation ; le malin lettré lui répondit :

— On m’a enseigné que si l’on dîne à la cour, on ne doit peler ni melon ni pêche, ni orange, ni les tailler en quartiers à moins d’y être invité par le roi ; j’ai attendu les ordres de votre Majesté ; voyant qu’elle ne disait mot, je me suis mis à manger une orange sans la peler.

Ainsi le philosophe donnait encore une leçon d’étiquette au roi lui-même.

 

Sur le traité d’alliance de 258, entre Tchao et Tch’ou

En 258, le prince de Tchao se voyait en grand péril ; l’armée de Ts’in guerroyait chez lui, et menaçait d’anéantir ses États. Il ordonna au seigneur de P’ing Yuen-kiun, son frère, d’aller en ambassade à la cour de Tch’ou former une nouvelle ligue, et demander du secours. Vous savons la valeur de telles conventions ; chacun des confédérés donnait son nom, mais il cherchait avant tout son intérêt privé ; il n’y avait pas d’action commune décisive pour le bien commun. Aussi, le roi de Ts’in avait beau jeu ; il attaquait les ligueurs l’un après l’autre, s’emparait de quelqu’un de leurs territoires, et devenait de jour en jour plus menaçant envers tous.

Avant de se mettre en route, le seigneur de P’ing-yuen fit savoir à ses familiers qu’il voulait avoir, dans son escorte, vingt hommes remarquables et courageux, pour l’aider à accomplir dignement sa mission. Or, parmi ces milliers de parasites, lettrés ou guerriers, il ne se trouva que dix-neuf hommes dans les conditions voulues. C’est alors qu’un certain individu nom­mé Mao-soei se présenta pour compléter le nombre de vingt.

P’ing-yuen lui dit :

— Depuis combien d’années mangez-vous mon riz ?

— Depuis trois ans, j’ai l’honneur d’être auprès de votre seigneurie, répondit Mao-soei.

— Je n’ai point encore enten­du parler de vos qualités éminentes, repartit P’ing-yuen ; cependant, d’après le proverbe, un homme remarquable est comme une aiguille dans un sac ; il attire bientôt l’attention sur soi ; depuis trois ans votre talent ne s’est pas encore fait jour ; c’est qu’il est bien médiocre ; vous ne pouvez me suivre à la cour de Tch’ou ; restez tranquillement chez vous.

— Si je ne me suis pas fait remarquer, répliqua Mao-soei, c’est que votre seigneurie n’a pas encore eu recours à mes services ; mettez-moi dans le sac ; non seulement la pointe percera, mais encore l’aiguille entière apparaîtra foncièrement bonne.

Content de cette réponse, P’ing-yuen admit le familier parmi les gens de sa suite. Les dix-neuf autres riaient sous cape de voir un si pauvre sire honoré d’une telle distinction ; ils se promettaient de se divertir à ses dépens ; mais ils furent bien détrompés quand ils le virent à l’œuvre !

Quand le seigneur de P’ing-yuen fut arrivé à la cour de Tch’ou, il exposa tous les avantages de la ligue, tous les dangers d’un refus, apportant tous les arguments pour et contre ; ayant commencé l’entretien au lever du soleil, à midi il n’avait encore rien obtenu. Les dix-neuf héros dirent à Mao-soei : voici le moment de montrer votre talent ! allons, en avant !

Celui-ci tira son épée, monta les degrés de la salle, et dit à P’ing-yuen :

— Il suffit de deux mots pour montrer tous les avantages de la ligue, et les malheurs d’un refus ; votre seigneurie parle depuis ce matin sans résultat ; pourquoi cela ? où en est la cause ?

K’ao Lié-wang furieux de cette audace lui cria :

— Que viens-tu faire ici ? Je parle à ton maître ; cela ne te regarde pas ; va-t’-en !

Mao-soei, l’épée en main, s’avança jusque devant le roi :

— Votre Majesté, lui dit-il, ose me maudire, parce qu’elle se repose sur le nombre de ses soldats ; mais, à ce moment, sa vie est entre mes mains ; et elle ose me mépriser, m’injurier en présence de mon seigneur et maître ! Je n’admets aucun de vos prétextes ! L’empereur T’ang n’eut d’abord qu’un territoire de soixante-dix li d’étendue ; cependant il finit par devenir le maître de la Chine ; l’empereur Wen-wang n’eut d’abord qu’un territoire de cent li ; il soumit pourtant tous les vassaux ; est-ce que ces deux grands hommes avaient tant de troupes ? Votre royaume a cinq mille li d’étendue ; vous pouvez en un moment mettre cent mille hommes en ordre de bataille ; avec une telle armée, vous pouvez subjuguer tous les princes de la Chine ; aucun ne peut vous résister. Le général Pé-k’i, de Ts’in, n’est qu’un enfant, comparé à vous ; comment donc a-t-il pu, avec ses quel­ques milliers de misérables soldats, venir livrer bataille à une armée comme la vôtre ? Comment a-t-il pu, dans une première invasion, prendre les villes de Yen et de Yng ? dans une seconde, brûler I-ling ? dans une troisième, brûler les tombeaux de vos ancêtres ? Pareilles atrocités suffisent pour créer entre vos deux pays des inimitiés qui ne s’oublient pas pendant cent générations ! Notre royaume de Tchao lui-même a été indigné en apprenant une telle barbarie ; et votre Majesté n’en ressentirait aucune honte ! Si nous voulons cette ligue, c’est pour le bien de votre royaume, non pour le nôtre ; et vous osez me maudire, en présence de mon seigneur et maître !

K’ao Lié-wang se hâta de répondre :

— Oui, oui, ce que vous dites là est bien vrai ! Je vous suivrai donc avec mes troupes !

— Est-ce bien convenu ? reprit Mao-soei ; consentez-vous à faire avec nous un traite d’alliance ?

— Oui, c’est entendu répondit le roi.

Sur ce, Mao-soei s’écria devant l’entourage :

— Apportez du sang de coq, de chien et de cheval ; nous allons de suite faire le serment !

Prenant en main une cuvette de cuivre, il y versa le sang, se mit à genoux devant le roi et lui dit : que votre Majesté se frotte les lèvres ; ensuite ce sera le tour de mon maître, puis le mien !

C’est ainsi que Mao-soei réussit à faire conclure un traité d’alliance, dans le palais même de K’ao Lié-wang. Quand il eut fini, il fit signe à ses dix-neuf compagnons d’approcher, leur tendit la cuvette en disant :

— Vous autres, vous êtes ici pour faire nombre, et rien de plus ! Allez vous frotter les lèvres, en dehors de cette salle !

Le seigneur de P’ing-yuen retourna dans son pays ; là, il sentit, paraît-il, le besoin de s’excuser devant Mao-soei de n’avoir pas plus tôt découvert ce génie caché :

— Je n’oserai plus, lui dit-il, me flatter de ma perspicacité : je croyais qu’aucun homme de valeur ne pouvait échapper à mon coup d’œil ; je m’étais trompé ! A la cour de Tch’ou, Mao-soei a fait pencher la balance de nos intérêts, plus que ne l’auraient pu faire les neuf trépieds et les grosses cloches de l’empereur ; avec ses trois pouces de langue il s’est montré plus fort que les généraux et les guerriers de toute la Chine ! Non vraiment, je ne me flatterai plus d’être un connaisseur d’hommes ; puisque je n’avais pas su distinguer celui-ci !

Le lecteur a déjà compris que cet éloge enthousiaste est sorti du pinceau de l’historien ; la langue du seigneur de P’ing-­yuen à dû être beaucoup plus discrète ; si K’ao Lié-wang avait promis son concours à la ligue, il y avait encore un autre inter­cesseur intéressé à cette conclusion favorable : le prince de Tchao avait offert un cadeau magnifique au premier ministre de Tch’ou, le seigneur de Tch’oen-chen ; il lui avait donné en fief le territoire de Ling-k’ieou ; ayant accepté un tel présent, le premier ministre avait exhorté son maître, et K’ao Lié-wang avait accordé ce qu’on désirait ; les choses s’étaient passées bien plus prosaïquement que l’historien, ou plutôt le lettré, ne le donne à entendre. Quoi qu’il en soit, Mao-soei devint dès lors le chef des familiers du seigneur de P’ing-yuen.



Retour au livre de l'auteur: Laurence Binyon (1869-1943) Dernière mise à jour de cette page le samedi 12 mai 2007 14:13
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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