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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Terrorisme et communisme. (1920)
Préface, par Léon Trotsky


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Léon Trotsky (1920), Terrorisme et communisme (L’Anti-Kutsky). Paris : Union générale d’Éditions 1963, 316 pages. Collection Le monde en 10-18 ‘Textes politiques’.

PRÉFACE

Par Léon Trotsky

Ce livre nous a été suggéré par le savant libelle de Kautsky, publié sous le même titre. Notre travail, commencé au moment des luttes acharnées contre Denikine et Youdénitch, a été souvent interrompu par les événements au front. Aux jours pénibles où nous en écrivions les premiers chapitres, toute l'attention de la Russie des Soviets était concentrée sur des tâches purement militaires. Il importait de sauvegarder tout d'abord la possibilité même d'une oeuvre économique socialiste. Nous ne pouvions guère nous occuper de l'industrie, en dehors du travail qu'elle devait fournir pour le front. Nous nous trouvions dans l'obligation de dévoiler les calomnies de Kautsky dans les questions économiques, en faisant ressortir leur analogie avec ses calomnies en matière politique. En commençant ce travail - il y a de cela presque un an - nous pouvions réfuter les affirmations de Kautsky sur l'incapacité des travailleurs russes à s'imposer une discipline du travail et à se restreindre économiquement, en signalant la haute discipline et l'héroïsme des ouvriers russes sur les fronts de la guerre civile. Cette expérience nous était largement suffisante pour démentir les calomnies bourgeoises. Mais aujourd'hui, à quelques mois de distance, il nous est possible de citer des données et des faits empruntés à la vie économique de la Russie des Soviets.

Aussitôt que l'effort militaire se fut un peu relâché, après l'écrasement de Koltchak et de Youdénitch, après que nous eûmes porté à Denikine les premiers coups décisifs, conclu la paix avec l'Estonie et entamé des négociations avec la Lithuanie et la Pologne, un retour à la vie économique se fit sentir dans tout le pays. et le seul fait que l'attention et l'énergie du pays se sont rapidement reportées et concentrées d'une tâche à une autre, profondément différente bien qu'elle n'exige pas moins de sacrifices, nous est une preuve indiscutable de la puissante vitalité du régime soviétique. En dépit de toutes les épreuves politiques, de toutes les misères et les horreurs physiques, les masses laborieuses russes sont loin de la désagrégation politique, de la défaillance morale ou de l'apathie. Grâce à un régime qui, s'il leur a imposé de lourdes charges, a donné un sens à leur vie et un but très haut, elles ont conservé une remarquable élasticité morale et l'aptitude, sans égale dans l'histoire, à concentrer leur attention et leur volonté sur des tâches collectives. Une campagne énergique est actuellement menée dans toutes les branches de l'industrie pour l'institution d'une stricte discipline du travail et pour l'intensification de la production. Les organisations du parti et des syndicats, les administrations des usines et des fabriques rivalisent, dans ce domaine, avec le concours sans réserves de l'opinion publique de la classe ouvrière tout entière. L'une après J'autre, les usines décident, par l'organe des assemblées générales des travailleurs, la prolongation de la journée de travail. Pétersbourg et Moscou donnent l'exemple, et la province marche de pair avec Pétersbourg. Les « samedis » et les « dimanches communistes » - c'est-à-dire le travail gratuit volontairement consenti aux heures de repos - sont de plus en plus largement pratiqués par des centaines de milliers de travailleurs des deux sexes. L'intensité et la production du travail des samedis et des dimanches communistes sont, de l'avis des spécialistes et d'après le témoignage des chiffres, vraiment remarquables.

Les mobilisations volontaires du parti et celles des Unions de la jeunesse communiste s'accomplissent avec autant d'enthousiasme pour le travail que, naguère, pour le front. Le volontariat du travail complète, vivifie l'obligation du travail. Les Comités du Travail obligatoire, récemment créés, couvrent tout le pays. La participation des populations au travail collectif des masses (déblaiement des routes ou des voies obstruées par les neiges, réparation des voies ferrées, coupe du bois, préparation et transport du bois à brûler, simples travaux de construction, extraction de l'ardoise et de la tourbe) revêt chaque jour un caractère plus large et plus rationnel. La mise au travail toujours plus fréquente des unités militaires serait absolument impossible sans un véritable entrain au travail...

Nous vivons, il est vrai, dans des conditions de terrible ruine économique parmi l'épuisement, la pauvreté, la faim. Mais ce n'est pas là un argument contre le régime des Soviets ; toutes les époques de transition ont été caractérisées par ces aspects tragiques. Toute société d'esclavage (esclavagiste, féodale, capitaliste), ayant terminé son rôle, ne quitte pas tout bonnement la scène : il faut l'en arracher par une âpre lutte intérieure qui cause souvent aux combattants des souffrances et des privations plus grandes que celles contre lesquelles ils se sont insurgés.

Le passage de l'économie féodale à l'économie bourgeoise - dont la signification était énorme pour le progrès - est un martyrologe inouï. Quelles qu'aient été les souffrances des masses asservies au féodalisme, quelque pénibles que soient les conditions d'existence du prolétariat sous le capitalisme, jamais les calamités subies par les travailleurs ne furent aussi terribles qu'à l'époque où la vieille société féodale, brisée par la violence, cédait la place à un nouvel ordre de choses. La révolution française du XVIIIe siècle, qui n'avait atteint son immense ampleur que grâce à la pression des masses exaspérées par la souffrance, accrut elle-même leur misère pour une période prolongée et dans des proportions extraordinaires. Pouvait-il en être autrement ?

Les drames de palais, qui se terminent par des changements au sommet du pouvoir, peuvent être brefs et n'avoir presque pas d'influence sur la vie économique du pays. Il en est tout autrement d'une révolution entraînant dans ses tourbillons des millions de travailleurs. Quelle que soit la forme d'une société, elle repose sur le travail. En arrachant les masses au travail, en les jetant pour longtemps dans la lutte, en rompant les fils de la production, la révolution porte inévitablement autant de coups à l'économie, abaissant ainsi le niveau du développement économique par rapport à ce qu'il était lors de son début. Plus la révolution sociale est profonde, plus elle entraîne de masses, et, plus elle est longue, plus elle endommage le mécanisme de la production, plus elle épuise les réserves de la société. On ne peut en déduire qu'une chose qui n'a pas besoin d'être démontrée, à savoir que la guerre civile est préjudiciable à l'économie. Mais en faire un reproche à l'économie soviétique revient à imputer au nouveau-né les douleurs de la mère pendant l'enfantement. Il s'agit d'abréger la guerre civile. On n'y peut arriver que par la résolution dans l'action. Or, c'est précisément contre cette résolution révolutionnaire que tout le livre de Kautsky est dirigé.

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Depuis la publication du livre que nous examinons, de grands événements se sont accomplis, non seulement en Russie, mais encore dans le monde entier et surtout en Europe ; des processus profondément significatifs se sont poursuivis, qui détruisent aujourd'hui les derniers retranchements du kautskysme.

La guerre civile a revêtu en Allemagne un caractère de plus en plus acharné. La puissance apparente de l'ancienne organisation social-démocrate du parti et des syndicats, loin de faciliter le passage pacifique et « humanitaire » au socialisme, - ce qui résulterait de la théorie actuelle de Kautsky - a été, au contraire, une des principales causes de la prolongation de la lutte et de son acharnement croissant. Plus la social-démocratie est devenue inerte et conservatrice et plus le prolétariat allemand qu'elle a trahi doit dépenser de forces, de sang, de vie, dans ses attaques persévérantes contre la société bourgeoise, afin .de se forger, au cours de cette lutte même, une nouvelle organisation susceptible de l'amener à la victoire définitive. Le complot des généraux allemands, leur succès momentané et ses conséquences sanglantes, ont révélé de nouveau à quelle piètre et insignifiante mascarade se réduit ce qu'on appelle la démocratie dans les conditions créées par l'effondrement de l'impérialisme et par la guerre civile. En se survivant, la démocratie ne résout aucun problème, n'efface aucune contradiction, ne guérit aucune blessure, ne prévient ni les insurrections de la droite ni celles de la gauche : elle est impuissante, insignifiante, mensongère et ne sert qu'à tromper les couches arriérées de la population et notamment la petite bourgeoisie.

L'espérance, exprimée par Kautsky dans la dernière partie de son livre, que les pays de l'Europe occidentale, les « vieilles démocraties » de France et d'Angleterre, couronnées des lauriers de la victoire, nous offriront le tableau d'un développement normal, sain, pacifique, véritablement kautskyen, vers le socialisme, est la plus absurde des illusions. Ce qu'on appelle la « démocratie républicaine » de la France victorieuse, c'est aujourd'hui le gouvernement le plus réactionnaire, le plus sanguinaire, le plus déliquescent qu'il y ait jamais eu. Sa politique intérieure se fonde sur la peur, la cupidité et la violence autant que sa politique extérieure. D'autre part, le prolétariat français, plus trompé qu'aucune classe ne le fut jamais, passe de plus en plus à l'action directe. Les représailles du Gouvernement contre la C. G. T. montrent bien qu'il n'y a même pas de place légale dans la démocratie bourgeoise pour le syndicalisme kautskyen, c'est-à-dire pour une hypocrite politique de conciliation. L'évolution des masses vers le révolutionnarisme, l'acharnement des possédants et la débâcle des groupements intermédiaires - trois processus conditionnant et présageant, dans un avenir prochain, une âpre guerre civile - se sont rapidement accrus, sous nos yeux, en France, au cours des derniers mois.

En Angleterre, les événements suivent sous une forme différente le même chemin. Dans ce pays, dont la classe gouvernante opprime et spolie le monde entier, mainte-nant plus que jamais, les formules démocratiques ont perdu toute signification, même dans les jongleries parlementaires. Le spécialiste le plus qualifié à cet égard, Lloyd George, n'invoque plus la démocratie, mais la coalition des possédants libéraux et conservateurs contre la classe ouvrière. On ne trouve plus trace, dans ses arguments, des effusions démocratiques du « marxiste » Kautsky. Lloyd George se place sur le terrain des réalités de classe et emploie, pour cette raison, le langage de la guerre civile. La classe ouvrière anglaise approche, avec l'empirisme pesant qui la caractérise, d'un chapitre de l'histoire de ses luttes qui fera pâlir les pages les plus glorieuses du chartisme, de même que la prochaine révolte du prolétariat français fera pâlir les fastes mêmes de la Commune de ]Paris.

Et c'est précisément parce que les événements historiques se sont développés au cours des derniers mois avec une rigoureuse logique révolutionnaire, que l'auteur de ce livre s'est demandé si sa publication répondait encore à un besoin; s'il fallait encore réfuter théoriquement Kautsky ; si le terrorisme révolutionnaire avait théoriquement besoin d'être justifié.


Malheureusement oui. L'idéologie joue dans le mouvement socialiste, de par sa nature même, un rôle immense. L'Angleterre même, si encline à l'empirisme, entre dans une période où la classe ouvrière exigera toujours plus l'étude théorique de ses expériences et de ses tâches. Sa psychologie - et même celle du prolétariat - comporte cependant une terrible force d'inertie conservatrice ; d'autant plus qu'il n'est question de rien autre que de l'idéologie traditionnelle des partis de la IIe Internationale qui éveillèrent le prolétariat et, récemment encore, avaient une puissance réelle. Après l'écroulement du social-patriotisme officiel (Scheidemann, Victor Adler, Renaudel, Vandervelde, Henderson, Plékhanov), le kautskysme international (l'état-major des indépendants allemands, Fritz Adler, Longuet, une fraction importante des socialistes italiens, les « indépendants » anglais, le groupe Martov, etc.) est le principal facteur politique grâce auquel se maintient l'équilibre instable de la société capitaliste. On peut dire que la volonté des masses laborieuses du monde civilisé, sans cesse tendue par le cours des événements, est infiniment plus révolutionnaire que leur conscience encore influencée par les préjugés parlementaires et par les théories conciliatrices. La lutte pour la dictature de la classe ouvrière signifie en ce mon-lent l'action la plus impitoyable contre le kautskysme au sein de la classe ouvrière. Les mensonges et les préjugés conciliateurs qui empoisonnent encore l'atmosphère, même dans les partis gravitant autour de la IIIe Internationale, doivent être rejetés. Ce livre est destiné à servir la cause de ceux qui, dans tous les pays, combattent sans merci le kautskysme peureux, équivoque et hypocrite.
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P.-S. - Les nuages s'accumulent de nouveau en ce moment (mai 1920) sur la Russie des Soviets. Par son agression contre l'Ukraine, la Pologne bourgeoise a inauguré une nouvelle offensive de l'impérialisme mondial contre la Russie des Soviets. Les plus grands dangers menaçant de nouveau la révolution, les immenses sacrifices que la guerre impose aux masses laborieuses incitent de nouveau les kautskystes russes à résister ouvertement au pouvoir des Soviets, c'est-à-dire à venir en aide aux assassins internationaux de la Russie des Soviets. La mission des kautskystes est de tenter de venir en aide à la révolution prolétarienne quand ses affaires vont assez bien, et de lui créer toute espèce d'embarras lorsqu'elle a le plus grand besoin d'être aidée. Kautsky a déjà maintes fois prédit notre défaite, qui doit être la meilleure preuve de la justesse de sa théorie. Cet « héritier de Marx » est, dans sa chute, tombe si bas que son seul programme politique n'est qu'une spéculation sur la chute de la dictature prolétarienne.

Il se trompe encore une fois. La défaite de la Pologne bourgeoise par l'armée rouge que conduisent les ouvriers communistes, manifestera une nouvelle fois la puissance de la dictature prolétarienne et portera ainsi un nouveau coup au scepticisme petit-bourgeois (kautskysme) dans le mouvement ouvrier. Malgré la folle bigarrure des apparences et des mots d'ordre, l'histoire contemporaine a simplifié à l'extrême son processus essentiel, en le réduisant au duel de l'impérialisme et du communisme. Ce n'est pas seulement pour les termes des magnats polonais en Ukraine et en Russie blanche, pour la propriété capitaliste et I'Église catholique, mais aussi pour la démocratie parlementaire, pour le socialisme évolutionniste, pour la IIe Internationale, pour le droit de Kautsky de demeurer, en critique, l'acolyte de la bourgeoisie, que Pilsudski fait la guerre. et nous combattons pour l'Internationale communiste, pour la révolution internationale du prolétariat. L'enjeu est grand des deux côtés. La bataille sera opiniâtre et difficile. Nous espérons en la victoire, ayant sur elle tous les droits historiques.

Léon TROTSKY.

Retour à l'auteur: Léon Trotsky Dernière mise à jour de cette page le dimanche 24 décembre 2006 13:59
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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