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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Léon Trotsky, JOURNAL D’EXIL.
Avant-propos


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Léon Trotsky, JOURNAL D’EXIL. Traduit du russe par Gustave Aucouturier. The President and Fellows of Harvard College, 1958, 1976. Paris: Les Éditions Gallimard, 1960 et 1977, 224 pp. Collection Folio. Une édition numérique réalisée par Claude Ovtcharenko, bénévole, journaliste à la retraite, France.

Avant-propos

par
Jean van Heijenoort

Léon Trotsky fut exilé de Russie au début de 1929. Il arriva à Stamboul, avec sa femme, Natalia, et son fils aîné, Liova, le 12 février 1929. Hormis un voyage de quatre semaines à Copenhague à la fin de 1932, il fut en Turquie jusqu’au 17 juillet 1933. Cette période de sa vie fut relativement stable ; il n’y eut, en particulier, pas de difficultés avec les autorités turques. Il y eut certes, des malheurs. Un incendie ravagea la maison dans laquelle il vivait à Prinkipo, à deux heures du matin, dans la nuit du 28 février au 1er mars 1931 ; une partie de ses archives et de ses manuscrits fut détruite, et son travail fut désorganisé pendant plusieurs semaines. Sa fille aînée ; Zinaïda, se suicida à Berlin le 5 janvier 1933. Et, sur le plan politique, il y eut, bien entendu, la montée du nazisme en Allemagne, Hitler devenant chancelier du Reich le 30 janvier 1933. Mais les années en Turquie furent pour Trotsky, des années très productives. C’est là qu’il écrivit ses œuvres majeures, Ma vie, et l’Histoire de la révolution russe, plus plusieurs livres de moindre envergure, un certain nombre de brochures et de nombreux articles, tout en entretenant une abondante correspondance.

Trotsky quitta la Turquie pour la France le 17 juillet 1933. Le gouvernement Daladier lui avait accordé un visa. Il n’y avait pas de restrictions explicites attachées au visa ; mais, comme il y avait beaucoup d’incertitude quant aux relations avec les autorités françaises, il fut décidé que Trotsky arrivé à une villa à Saint-Palais, près de Royan, sur la côte de l’Atlantique. Août fut un mois de grande activité. Après l’effondrement des partis socialiste et communiste en Allemagne, Trotsky avait appelé à la formation d’une nouvelle Internationale, et, durant ce mois d’août 1933, il y eut à Saint-Palais un flot ininterrompu de visiteurs : des membres des groupes trotskystes ou des dirigeants de divers groupes qui avaient rompu avec la Seconde ou la Troisième Internationale. Il y avait de longs entretiens, de longues discussions, et tout les deux ou trois mois. En septembre la santé de Trotsky s’altéra. Il y avait maintenant vents et tempêtes sur l’Atlantique. Natalia était partie passer quelques semaines à Paris. Après les discussions politiques animées et tendues du mois d’août vint une réaction. Trotsky restait au lit pendant des journées entières, ne faisant guère rien d’autre que de lire son courrier et de dicter quelques lettres.

Le 9 octobre il quitta Saint-Palais en voiture, avec Natalia et Jean Meichler, un membre du groupe trotskyste français (fusillé par les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale). Les voyageurs étaient partis vers le sud, en direction des Pyrénées. Ils séjournèrent à Bagnères-de-Bigorre, faisant des excursions dans les environs. C’est ainsi qu’ils en vinrent à visiter Lourdes, et le lecteur trouvera ci-dessous (à la date du 29 avril) des commentaires de Trotsky sur cette visite.

Durant le séjour à Saint-Palais, il n’y avait pas eu de difficultés avec les autorités françaises. Le préfet de la Charente-Inférieure avait été informé, bien entendu, de la présence de Trotsky dans son département. Mais le grand nombre de visiteurs, dont beaucoup étaient des étrangers, n’avait provoqué aucune réaction de la part des autorités françaises, ce qui semblait indiquer que la villa de Saint-Palais n’était pas directement surveillée par la police. Enhardis par cette situation, Trotsky et ceux qui l’entouraient décidèrent qu’il pouvait s’établir beaucoup plus près de Paris ; et le 1er novembre 1933, à son retour des Pyrénées, il vint s’installer dans une villa de Barbizon, à une cinquantaine de kilomètres au sud-est de Paris, à la lisière de la forêt de Fontainebleau. La Sûreté nationale avait donné son accord, mais l’arrangement gardait un certain côté clandestin. Les autorités locales, le maire en particulier, n’avaient pas été informés de la présence de Trotsky à Barbizon. Les seuls visiteurs qui venaient à la villa étaient Liova (qui vivait alors à Paris), Jeanne Martin, Henri et Raymond Molinier. Vivant dans la maison, avec Trotsky et Natalia, il y avait Rudolf Klement, Sara Jacobs (jusque fin janvier 1934), Gabrielle Brausch et moi-même. Nul, dans la petite ville tranquille de Barbizon, ne soupçonnait que l’homme âgé mais bien droit qu’on voyait certains après-midi passer dans la rue était Trotsky.

Établi à Barbizon, Trotsky se remit à travailler régulièrement. Après avoir hésité entre plusieurs projets pour un nouveau livre, il avait décidé d’entreprendre une biographie de Lénine. Liova lui apportait d’abondants matériaux puisés dans les bibliothèques de Paris, et ces matériaux commençaient à s’organiser par chapitres, dans des dossiers marqués d’un L cyrillique au crayon bleu. Il y eut aussi un nouveau flot d’articles sur les événements politiques du jour, plus, bien entendu, la correspondance.

Il y eut aussi bientôt des voyages à Paris. Toutes les deux ou trois semaines. Trotsky se rendait à Paris le dimanche pour y rencontrer des membres des groupes trotskystes, des communistes dissidents ou de socialistes de gauche. Ces rencontres avaient lieu dans différents appartements, qui étaient fréquemment changés.

Un incident se produisit à la mi-avril 1934. Les habitants de la villa de Barbizon étaient assez étranges pour avoir provoqué des commérages dans la petite ville de Barbizon, alors bien calme. La gendarmerie avait commencé à s’intéresser discrètement à la villa. Le 12 avril 1934, à onze heures du soir, deux gendarmes interpellèrent Rudolf Klement, qui revenait de Paris à Barbizon en vélomoteur sous prétexte de défaut d’éclairage, alors qu’il était encore à une certaine distance de la maison. Ils trouvèrent un jeune homme qui parlait français avec un accent allemand assez marqué, qui transportait des publications révolutionnaires, dont les poches étaient bourrées de lettres venues du monde entier et qui était incapable d’expliquer clairement qui il était et où il allait. Ils l’arrêtèrent, et ce fut là le commencement d’une affaire qui allait bouleverser la vie de Trotsky (voir le journal à la date du 18 mars et à celle du 21 mars).

Le 15 avril, Liova arriva à Barbizon et emmena Trotsky et Natalia ; il les conduisit à une villa de Lagny, dans la banlieue est de Paris. Quelques jours plus tard Trotsky partit pour Chamonix en voiture avec Jean Meichler. Les autorités françaises ne toléraient plus sa présence près de Paris. Du 10 au 28 mai, il vécut incognito, dans une pension de famille, à La Tronche, près de Grenoble, avec Natalia et moi-même (voir le Journal à la Date du 8 mai). Entre-temps Henri Molinier menait des négociations avec les autorités françaises à Paris pour arriver à un nouvel arrangement. Il y avait eu de tumultueux événements politiques en France. La manifestation protofasciste de la place de la Concorde le 6 février avait provoqué la contre-manifestation du 12 février, et le gouvernement centre gauche de Daladier avait cédé la place au gouvernement de centre droit de Doumergue. Les négociations d’Henri Molinier avec les autorités françaises étaient difficiles. On parlait d’envoyer Trotsky à Madagascar ou à la Réunion. Le gouvernement turc, discrètement pressenti, fit savoir qu’il ne tenait guère à ce que Trotsky revînt en Turquie. C’était vraiment la planète sans visa.

Ne pouvant se débarrasser de Trotsky, le gouvernement français accéda à un arrangement temporaire, aux termes duquel Trotsky pouvait rester en France, mais loin de Paris et sous surveillance constante de la part de la police. C’est ainsi qu’en juin 1934 Trotsky vint s’installer à Saint-Pierre-de-Chartreuse, un petit village de montagne dans les Alpes, avec Natalia, Raymond Molinier et Véra Lanis. Trotsky et Natalia avaient reçu de la Sûreté nationale des cartes d’identité portant des noms fictifs. Mais toute la situation restait précaire et, en fait, ne dura pas longtemps. Il y eut un incident avec le préfet, que Trotsky raconte dans son Journal (à la date du 8 mai).

C’est alors que j’allai rendre visite à Maurice Dommanget, dans le petit village de l’Oise où il était instituteur. Dommanget était l’in des dirigeants du Syndicat des instituteurs, et je lui demandai s’il connaissait un instituteur qui fût prêt à héberger Trotsky dans des conditions qui fussent acceptables aux autorités françaises. Peu après, Dommanget me fit savoir qu’il avait trouvé quelqu’un, Laurent Beau, instituteur à Domène, un petit village à une dizaine de kilomètres à l’est de Grenoble. Beau avait une maison à trois étages, entourée d’un grand jardin, sur la route de Savoie, à un ou deux kilomètres du centre de la petite ville. C’était une situation idéale. Beau n’était pas trotskyste ; il était membre du Syndicat des instituteurs, alors fort à gauche, et il était prêt à louer une partie de sa maison à Trotsky.

Trotsky, Natalia et moi-même arrivâmes à Domène peu avant la mi-juillet 1934. Il fallut se débrouiller avec dactylo russe, et Trotsky se lit à écrire à la main. Natalia préparait de petits repas pour Trotsky et elle-même, aidée un peu par Mme beau. C’était souvent moi qui faisais les courses et le plus souvent je mangeais dehors, pour faciliter les choses. Tout cela n’était guère satisfaisant. Un inspecteur de la Sûreté nationale Gagneux, s’était installé à Domène et surveillait la maison.

Sur le derrière de celle-ci, il n’y avait pas de voisins, et du jardin, on montait directement dans les contreforts des Alpes. Là, Trotsky et Natalia pouvaient aller se promener, sûrs de n’être pas vus. Parfois, le soir, Beau nous emmenait dans sa petite voiture faire une promenade d’une demi-heure ou une heure dans la campagne, sans arrêts. Trotsky et Natalia s’asseyaient à l’arrière, j’étais à côté de Beau. La conversation avec Beau était plutôt pauvre.

Il y avait à Grenoble un petit groupe trotskyste et l’un de ses membres, Alexis Bardin, avait été informé de la présence de Trotsky à Domène. Sa femme (Violette) et lui devinrent des visiteurs fréquents de la maison, et les conversations avec Trotsky concernèrent souvent la politique locale de Grenoble ; le lecteur trouvera ci-dessous des échos de cet intérêt de Trotsky (à la date du 14 février et à celle du 2 mai).

La France entrait alors dans une période politique tumultueuse et il y avait beaucoup à faire dans le groupe trotskyste de Paris ; il fut bientôt décidé que je partagerais mon temps entre Domène et Paris. Je passais trous ou quatre semaines, et ainsi de suite. L’arrangement n’était évidemment pas rigide, mais dépendait des besoins du moment. J’en viens peu à peu à passer de plus en plus de temps à Domène. J’y étais en octobre et en novembre, pour traduire la première partie de Où va la France ? Je traduisais le manuscrit à mesure que Trotsky écrivait. La brochure était une analyse de la situation politique en France et, bien entendu, ne pouvait pas être alors publiée sous le nom de Trotsky. Ma traduction était arrangée de manière à oblitérer les marques les plus voyantes de son style. Le texte fut publié comme étant écrit par la direction du groupe trotskyste français. Néanmoins, le manuscrit russe devait être sauvé. Natalia le cousit dans la doublure de mon veston lorsque j’allais rentrer à Paris. J’étais à Domène durant le mois de janvier 1935, traduisant la brochure de Trotsky sur l’assassinat de Kirov. En février et en mars j’y étais pour traduire la seconde partie de Où va la France ? C’est alors que Trotsky commença à tenir son Journal.

À ce moment-là la manière de vivre dans la maison avec quelque peu changé. Trotsky et Natalia avaient maintenant tout un étage à eux, et une nouvelle salle de bains y avait été construite. Les livres étaient arrivés de Paris et avaient été rangés sur des étagères dans un couloir. Mais précisément parce que ce nouvel arrangement avait soulevé des questions d’argent, les rapports avec les Beau s’étaient gâtés. La construction de la nouvelle salle de bains avait demandé une somme relativement importante (ni Trotsky ni Beau n’avaient beaucoup d’argent) et on s’était chicané sur le prix. La remarque de Trotsky dans son Journal, à la date du 12 février, a trait à cet épisode. Son allusion à l’accumulation primitive est certainement déplacée et on peut même se demander si elle est correcte du point de vue de la doctrine économique marxiste. Laurent Beau recevait un loyer, mais Trotsky n’était pas un locataire ordinaire et, vu l’instabilité politique qui régnait alors en France et en Europe, il y avait un élément de risque, pour lui-même et pour sa famille, dans ce que faisait Beau. D’ailleurs, Natalia,  dans ses souvenirs, parle des Beau comme de « ces excellentes gens ».

Peu de visiteurs vinrent à Domène. Liova, Jeanne Martin, Henri et Raymond Molinier venaient assez régulièrement. Raymond Molinier amena un jour Marceau Pivert. Henryk Sneevliet et Pierre Naville vinrent pour des discussions politiques Yvan Craipeau vint une fois, mais, pour échapper à la surveillance de Gagneux, il dut se cacher dans le coffre de la voiture pour traverser le centre de Domène.

Le 8 juin 1935, j’arrivai à Domène avec la nouvelle que le gouvernement norvégien avait accordé un visa à Trotsky. Il fallait partir pour Paris le plus tôt possible. EN deux jours Natalia et moi empaquetâmes les vêtements, des manuscrits et quelques livres. Nous prîmes le train pour Paris à la gare de Grenoble le soir du 10 juin. Le directeur de la Sûreté à Grenoble nous accompagnait. Lorsque nous allions monter dans le wagon, il attira mon attention sur la présence du préfet, qui, sur un autre quai, surveillait de loin le départ de Trotsky de son département. Trotsky et Natalia eurent un compartiment à eux seuls et dormirent étendus sur les banquettes. Je me tins à la porte, dans le couloir, toute la nuit, et nous arrivâmes à Paris au petit matin. Trotsky et Natalia passèrent quelques jours dans l’appartement de Gérard Rosenthal, ou, plutôt, de son père, un médecin parisien bien connu. Là, pendant cette courte période, Trotsky rencontra d’assez nombreux trotskystes français. Ces quelques jours sont décris en détail par Trotsky lui même dans son Journal, à la date du 20 juin.

Dans la nuit du 13 au 14 juin 1935 nous quittâmes Paris pour Anvers par le train, Trotsky, Natalia et moi, plus Jean Rous. A Anvers nous rencontrâmes Jan Frankel, arrivé de Prague ; Rous rentra à Paris et le 15 au soir nous partîmes pour Oslo, sur le bateau norvégien Paris (voir ci-dessous les commentaires de Trotsky à la date du 20 juin). Nous arrivâmes à Oslo à Jevnaker, une petite ville à une cinquantaine de kilomètres d’Oslo ; nous y restâmes quelques jours dans une pension de famille. Le 23 juin nous nous installâmes dans la maison de Kondar Knudsen, à Honefoss, une petite ville à une soixantaine de kilomètres (à vol d’oiseau) au nord-ouest d’Oslo. Trotsky laissa dépérir son Journal, y écrivant quatre fois en juillet, pas une fois en août et une seule fois, la dernière, septembre.

Le Journal donne un tableau vivant des intérêts et des préoccupations de Trotsky. %ais, aux yeux de quelqu’un qui était avec lui durant cette période et aussi, ce qui permet la comparaison, avant et après, les proportions entre ces divers intérêts et préoccupations ne sont pas toujours les mêmes dans le Journal que dans la réalité. Par exemple, une grande partie du temps de Trotsky, même pendant la période couverte par le Journaln était prise par les problèmes organisationnels des groupes trotskystes dans quelque trente pays. Dans presque chacun de ces groupes il y avait une lutte entre deux ou trois fractions, pour des raisons idéologiques ou personnelles. Trotsky consacrait toujours une grande partie de son temps et de son énergie à ces luttes fractionnelles, et tout ceci n’apparait guère, ou plutôt pas du tout, dans le Journal.

Le lecteur ne doit pas non plus perdre de vue que la période couverte par le Journal occupe, dans l’exil de Trotsky, une place à part. Avant, en Turquie, et après, au Mexique, il n’était pas à la merci des tracasseries mesquines de la police ; il vivait dans une grande maison qui était entièrement à sa disposition ; il avait autour de lui trois ou quatre secrétaires, parfois en outre des gardes du corps ; il pouvait inviter les journalistes et leur donner des déclarations quand bon lui semblait. Aussi le lecteur ne doit)ile pas oublier que le journal fut écrit dans des conditions plutôt particulières (on peut se demander si ce n’est pas ces conditions mêmes qui incitèrent Trotsky à tenir un journal).

Le lecteur ne doit pas non plus oublier que, en dépit de toutes les afflictions et les épreuves de la période couverte par le Journal, Trotsky était un grand travailleur et un écrivain fécond. La liste de ses écrits de tout genre, durant cette période reste impressionnante. Même dans les sombres mois de cette fin d’hiver 1935, il y avait dans ses yeux, quand il m’apportait pour les traduire des feuilles couvertes de son écriture nette, une lueur de satisfaction et d’optimisme.

Jean van Heijenoort


Retour à l'auteur: Léon Trotsky Dernière mise à jour de cette page le mercredi 4 juin 2014 8:24
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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