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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Léon Trotsky, L’année 1917. (1918) [1976]
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Léon Trotsky, L’année 1917. Textes publiés pour la première fois en Russie en juin-juillet 1917. Paris: François Maspero Petite Collection Maspero, 1976, 140 pp. Une édition numérique réalisée par Claude Ovtcharenko, bénévole, journaliste à la retraite, France.

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Introduction

Ce livre est un recueil des articles écrits par Trotsky après son retour en Russie (mai 1917) et avant la révolution d’Octobre. Ecrits sur le vif, au feu de la bataille, ils n’ont pas la richesse et l’équilibre des chapitres de L’Histoire de la révolution russe de 1932. Ils constituent néanmoins un document irremplaçable de l’extraordinaire lutte idéologique qui a permis aux révolutionnaires, dirigés par Lénine et Trotsky, d’arracher les secteurs d’avant-garde d’abord, les masses prolétariennes ensuite, à l’hégémonie idéologique des réformistes (mencheviks et S.R. [1]). D’autre part, malgré leur caractère de journalisme polémique, quelques-uns des articles sont de vrais modèles d’analyse marxiste du présent et de la conjoncture en tant que moment d’un processus historique en perpétuelle transformation, tandis que d’autres (comme celui sur la nature de la révolution russe) contiennent une synthèse remarquable des conceptions stratégiques de Trotsky.

La clé de cette polémique – la présupposition implicite ou explicite de la plupart de ces écarts – est bien entendu la théorie de la révolution permanente, arme tranchante avec laquelle Lev Davidovitch va couper le nœud gordien de la « sociologie » plékhanovienne et profaner le saint des saints du pseudo-marxisme figé et métaphysique des mencheviks : le dogme du caractère bourgeois de la révolution russe. En effet, les événements de l’année 1917, avant même Octobre, ont confirmé, au-delà de toute attente, les thèses « hétérodoxes » développées par Trotsky dès 1906 dans Bilan et Perspectives, sur l’incapacité structurale de la bourgeoisie russe à jouer un rôle révolutionnaire décisif et la nécessité d’une direction prolétarienne à la tête des masses populaires (« plébéiennes »), de la ville et des campagnes. Il faudrait ajouter que l’alternative dont il parlait en septembre 1917 – ou bien révolution prolétarienne, ou bien « un formidable saut en arrière », dans lequel les soviets, les comités de paysans et de soldats « et beaucoup d’autres choses encore » seront détruits par la réaction – s’est posée chaque fois à nouveau dans le champ de la lutte de classes des pays dépendants au cours du xxe siècle. Et chaque fois, de la Chine en 1927 au Chili de 1973, quand il n’y avait pas un parti bolchevique capable et disposé à mener le prolétariat et les masses populaires au pouvoir, chaque fois que les héritiers des Dan, Martov et Tseretelli sont restés hégémoniques au sein du mouvement ouvrier, on vit s’abattre sur celui-ci « un formidable retour en arrière » dans lequel les comités ouvriers et paysans « et beaucoup d’autres choses encore » ont été écrasés dans le sang.

Trotsky avait été un des premiers marxistes au xxe siècle à prendre conscience du problème de la bureaucratisation réformiste des partis ouvriers, de leur « conservatisme » d’appareil ; dans un passage célèbre de Bilan et Perspectives (1906), il écrivait déjà : « Les partis socialistes européens, spécialement le plus grand d’entre eux, la social-démocratie, ont développé leur conservatisme dans la proportion même où les grandes masses ont embrassé le socialisme, et cela d’autant plus que ces masses sont devenues plus organisées. Par suite, la social-démocratie, organisation qui embrasse l’expérience politique du prolétariat, peut, à un certain moment, devenir un obstacle au développement du conflit ouvert entre les ouvriers et la réaction bourgeoise. En d’autres termes, le conservatisme du socialisme propagandiste dans les partis prolétariens peut, à un moment donné, freiner le prolétariat dans la lutte directe pour le pouvoir (2). » Inutile d’ajouter que cette intuition allait être mille fois confirmée par l’avenir, sous des formes bien pires que celles imaginées par Lev Davidovitch en 1906. La social-démocratie a pu devenir non seulement « frein » mais carrément force  contre-révolutionnaire active (Noske !). Or, pour venir à bout de cet « obstacle », Trotsky faisait confiance (dans la continuation de ce passage de Bilan et Perspectives) à la « formidable influence exercée par la révolution russe [qui] détruira la routine et le conservatisme de parti » ; la solution du problème était laissée au déroulement spontané du processus révolutionnaire, sans qu’aucune tâche organisationnelle ne soit définie. On trouve chez Trotsky à cette époque un certain « fatalisme optimiste », dont Nos tâches politiques (1904) explicite les prémisses : « Notre attitude vis-à-vis des forces sociales élémentaires, et donc de l’avenir, est la confiance révolutionnaire. […] Le social-démocrate révolutionnaire est persuadé non seulement de la croissance inévitable du parti politique du prolétariat, mais aussi de la victoire inévitable des idées du socialisme révolutionnaire à l’intérieur de ce parti [2]. »

Le 4 août 1914 (vote des crédits de guerre par la social-démocratie allemande) et l’écroulement de la IIe Internationale qui s’ensuit vont ébranler brutalement cette confiance spontanément dans l’autorégénération du parti ouvrier et la victoire de la révolution. Les articles de 1917 expriment encore la surprise et l’étonnement de Trotsky face à cet événement : « Personne ne pouvait prévoir que la destruction de ces gigantesques organisations serait aussi cruelle et aussi catastrophique [3]. »

À partir de ce moment, l’avenir n’apparaît plus aux yeux de Trotsky comme le mouvement linéaire et « inévitable » vers le socialisme, mais comme une redoutable alternative historico-mondiale : révolution permanente ou massacre permanent, l’organisation socialiste de l’économie ou la succession de guerres impérialistes répétées. Prévision qui, soit dit en passant, a été aussi largement – trop largement –  confirmée par l’histoire du xxe siècle.

Il est évident que, dans cette nouvelle perspective, le rôle du facteur subjectif devient décisif. Les « forces sociales élémentaires » ne peuvent pas mener à la victoire, et les vieux partis ont misérablement fait faillite. Le problème du nouveau parti, du parti révolutionnaire, se trouve ainsi inscrit « en filigrane » dans la démarche politique de Trotsky après 1914. Deutcher a donc raison de voir dans l’adhésion de Trotsky au bolchevisme en 1917 la conséquence logique d’une conception globale, internationale, du mouvement ouvrier : « les événements de la guerre […] avaient lentement amené Trotsky à admettre qu’on ne pouvait pas rétablir l’unité du mouvement ouvrier, que c’était une erreur et même une erreur dangereuse que d’essayer de la rétablir et qu’il était du devoir des internationalistes révolutionnaires de former de nouveaux partis. Lénine était arrivé à cette conclusion longtemps avant la guerre, mais pour le parti russe seulement. La guerre l’avait conduit à généraliser cette conclusion et à l’appliquer au mouvement ouvrier international. […] Trotsky était parti, au contraire, d’une perspective plus générale, internationale, pour en appliquer le principe à la Russie [4]. »

Dans l’article de 1917 « Question de tactique internationale », Trotsky revient sur son analyse de 1906 sur le conservatisme des partis social-démocrates, mais cette fois-ci il ne fait plus « confiance » à la simple « influence de la révolution russe ». Après avoir cité le passage de Bilan et Perspectives, il ajoute le commentaire suivant : « À temps nouveaux, nouvelles organisations. Dans le baptême du feu, des partis révolutionnaires se réent maintenant partout. Dans chaque pays, la tâche n’est pas de maintenir une organisation qui s’est survécue à elle-même, mais de rassembler les éléments révolutionnaires […] du prolétariat. »

C’est pour cette raison que Trotsky va reconnaître qu’en Allemagne la scission entre Rosa Luxemburg et les social-patriotes est nécessaire et inévitable et qu’en Russie l’union entre mencheviks et bolcheviks – prônée par Gorki dans son journal Novaia Zidn – est même « réactionnaire et utopique ». L’entrée au parti bolchevique sera le résultat de cette expérience accumulée depuis 1914 autant que ces conditions pressantes et concrètes de la lutte de classes en Russie au cours de l’année 1917. Ce ne sera pas une décision « tactique », mais le produit d’une mutation profonde et irréversible dans la pensée politique de Trotsky, mutation dont les articles de 1917 permettent de tracer l’itinéraire.

L’adhésion au bolchevisme en juillet 1917, la fondation de la IIIe Internationale et celle de la Ive en 1938 : cette moments décisifs de l’action politique de Trotsky sont les concrétisation organisationnelle d’une compréhension méthodologiquement fondamentale du rôle historique du facteur subjectif, des tâches cruciales de l’avant-garde consciente. Et cette compréhension découle à son tour d’une vision profondément lucide de l’histoire humaine, vision qui, refusant l’évolutionnisme plat, le mythe du progrès linéaire, pose le vrai problème de l’humanité : révolution ou guerre permanente, socialisme ou barbarie.

Carlos Rossi



[1] Socialistes-révolutionnaires.

2. Trotsky, Bilan et Perspectives, in 1905, Editions de minuit, 1969, p. 463.

[2] Id., Nos tâches politiques, Belfond, 1970, p. 186-187. Souligné par nous.

[3] Cf. l’article « Questions de tactique internationale ». On sait que Lénine, confronté avec un exemplaire de Vorwärts, quotidien de la social-démocratie allemande, proclamant le vote pour la guerre du Kaiser, s’était exclamé : « C’est un faux de l’état-major allemand ! »

[4] I. Deutscher, Le Prophète armé, Julliard, 1962, p. 343-344.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 3 mai 2014 12:12
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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