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Collection « Les auteur(e)s classiques »

LES ORIGINES DE LA FRANCE CONTEMPORAINE. (1875-1893)
Préface


Une édition électronique réalisée à partir du livre d'Hippolyte Taine (1828-1893), Hippolyte Taine (1828-1893), LES ORIGINES DE LA FRANCE CONTEMPORAINE. Une édition numérique réalisée à partir de l'édition de 1986 réimprimée en 1990, publiée avec le concours du Centre National des Lettres chez Robert Laffont, Éditeur, dans la collection Bouquins. Deux tomes XLVIII+840 pp. (tome I), 860 pp. (tome II). Première édition: Hachette, 1875-1893.Une édition numérique réalisée grâce à la générosité de M. Pierre Palpant, retraité et bénévole.

TAINE : LES ORIGINES DE LA FRANCE CONTEMPORAINE 

Présentation
extraite de
Jean Bourdeau, Les maîtres de la pensée contemporaine, Taine, pp. 48-53.

 

« L’objet de toute recherche et de toute étude est de diminuer la douleur, d’augmenter le bien-être, d’améliorer la condition de l’homme. » C’est dans cet esprit que [Taine] entreprenait de démêler les Origines de la France contemporaine. La remarque est de M. Brunetière : Une histoire des histoires de la Révolution française formerait un livre singulièrement instructif. Que de jugements contradictoires portés sur la Révolution depuis un siècle ! et quoi d’étonnant à cela ? Ne déroule-t-elle pas à divers moments des conséquences imprévues ? Les Thiers et les Mignet saluaient la Révolution libératrice, émancipatrice, lorsqu’avec les hommes de la Restauration on pouvait encore craindre un retour offensif. d’ancien régime. Lamartine dans son apothéose des Girondins sonnait l’assaut contre une oligarchie bourgeoise. Mais quand, sous sa forme césarienne, la Révolution venait de conduire pour la seconde fois la France au bord de l’abîme, ne devait-elle pas apparaître non plus comme un principe de régénération, mais comme un élément de débilité ; et, si, dans l’avenir, la France subissait une dernière défaite, alors s’achèverait la banqueroute définitive de la Révolution.

« En 1819, ayant vingt et un ans, j’étais électeur et fort embarrassé.  » Ne sachant pour qui voter, Taine nous dit dans sa préface qu’il pris cette immense détour, qu’il a dû faire cet effort considérable de travailler vingt ans dans les archives et d’écrire dix volumes, pour apprendre ce dont le dernier des politiciens de village croit posséder la science infuse. Voter semble à nombre de gens la fonction la plus simple, et ils ne verraient là qu’un excès de scrupule : autant vaudrait dire que pour digérer il est indispensable de connaître l’anatomie et la physiologie de l’estomac. Mais combien dans cette ignorance suivent une mauvaise hygiène ! Nous savons quel est le régime qui nous agrée, mais non celui qui nous convient. Nous ne l’apprenons qu’à nos dépens. Et assez de fois, depuis un demi-siècle, le suffrage universel s’est pris et dépris, engoué et dégoûté des partis et des hommes : ses erreurs nous ont coûté cher.

« La forme sociale et politique dans laquelle un peuple peut entrer et rester n’est pas livrée à son arbitraire, mais déterminée par son caractère et son passé... Dix millions d’ignorants ne font pas un savoir. Un peuple consulté peut, à la rigueur, dire la forme de gouvernement qui lui plaît, niais non celle dont il a besoin ; il ne le saura qu’à l’usage. »

C’est dans le goût des théories abstraites, dans notre rationalisme, dans notre absence de sens historique et de sens pratique, que Taine signale le vice radical de l’esprit français, qu’il a si merveilleusement analysé sous le nom d’esprit classique, esprit singulièrement dangereux, si on l’applique au gouvernement des sociétés, non plus aux idées, mais à la chair vivante. La Révolution a été avant tout une erreur de psychologie. Ses précurseurs et ses théoriciens considéraient l’homme naturel comme un être essentiellement raisonnable et bon, accidentellement dépravé par une organisation sociale défectueuse, qu’il suffirait de détruire de fond en comble pour ramener la paix idyllique de l’âge dor. L’expérience a été faite, et à peine les chaînes de l’ordre légal tombaient-elles avec fracas, que l’homme bon et raisonnable nous est apparu sous les traits d’un sauvage hideux et féroce : « Tout est philanthropie dans les mots, tout est violence dans les actes et désordre dans les choses. »

On a reproché à Taine d’avoir représenté de préférence les émeutes et les jacqueries, dans toutes ces pages d’où s’élève comme une buée de sang, admirables eaux-fortes, que l’on parcourt avec le même frisson que Les Désastres de la guerre d’un Goya. Schérer, M. Challemel-Lacour, s’émerveillent de cette découverte, que la Révolution ne s’est pas faite à l’eau de rose. Du moins, comme on l’a dit, le résultat de cette érudition microscopique, qui met en lumière le rôle des petits dans la vie sociale, rôle aussi important que dans la nature, devrait être de préserver de la légende cette grande époque, de l’affranchir de la superstition et du fanatisme.

Taine suit à travers la Révolution la marche éternellement monotone que la nature humaine imprime aux troubles civils. C’est un mécontentement populaire, exploité par des énergumènes, puis par des ambitieux qui, au nom des idées les plus généreuses, font la conquête du pouvoir et déplacent les abus à leur profit. Voilà l’histoire de la secte jacobine. « Le dogme qui proclame la souveraineté du peuple aboutit en fait à la dictature de quelques-uns. » Les Jacobins deviennent, au nom de l’égalité, une nouvelle aristocratie. On en retrouve parmi les grands dignitaires de l’empire, d’autres fondent des dynasties républicaines.

Des réformes étaient urgentes, on entreprenait de les accomplir, lorsque le soulèvement populaire est venu les entraver. Du bilan de la Révolution, il ressort que les gains n’ont pas compensé les pertes. Ceux-là même au profit desquels les Jacobins prétendaient tout bouleverser ont été les premiers à pâtir. Combien périrent sur les champs de bataille de l’Europe ! L’effort de Taine est d’ébranler ce préjugé infiniment redoutable, que le progrès politique et social n’a été réalisé dans le passé et ne pourra l’être dans l’avenir que par la violence.

L’histoire des Origines de la France contemporaine paraît écrite sous l’influence d’une philosophie purement pessimiste, et bien des pages justifieraient en apparence cette opinion. Taine a de la nature humaine, de ses folies et de ses dangers, de sa méchanceté surtout, une conception tragique ou sombre, qui dépasse parfois en force et en éloquence celle d’un Swift, et qui contraste étrangement avec la douce quiétude, l’ironie souriante qui éclaire l’œuvre de Renan. « Que l’homme est bon, Messieurs ! » Taine est aux antipodes de l’optimisme humanitaire de Condorcet et de Rousseau. Vous admirez le silence, la paix de la nature : si vous aviez seulement la vue assez pénétrante, vous n’y verriez qu’un carnage et qu’un charnier ; si votre ouïe était assez fine, vous entendriez surgir un gémissement éter­nel, plus douloureux que celui qui monte de l’enfer de Dante : « La condition naturelle d’un homme, comme d’un animal, c’est d’être assommé ou de mourir de faim. » L’homme par sa structure est une bête très voisine du singe, un carnassier. Il est mauvais, il est égoïste et à moitié fou. La santé de l’esprit, comme celle des organes, n’est qu’une réussite heureuse et un bel accident. Dans la conduite de l’homme et de l’humanité, l’influence de la raison est intime, sauf sur quelques froides et lucides intelligences. Au vice de l’intelligence se joint d’ordinaire le vice du cœur ; à l’imbécillité s’ajoute l’égoïsme : il n’y a peut-être pas un homme sur mille dont la conduite soit déterminée par des mobiles désintéressés. La brutalité, la férocité primitive, les instincts violents, destructeurs, persistent en lui, et il s’y ajoute, s’il est Français, « la gaieté, le rire, et le plus étrange besoin de gambader, de polissonner au milieu des dégâts qu’il fait ». — Malgré ces citations, que nous pourrions multiplier, il n’est pourtant pas exact de dire que Taine soit un pessimiste. Pessimisme et déterminisme se concilient mal ; les choses sont ce qu’elles sont ; peu importe le blâme ou la louange que le spectateur, qui est aussi acteur et victime, leur attribue. Taine n’est pas seulement observateur de détail, il s’élève à des vues d’ensemble. Ce n’est pas assez d’une observation exacte, il faut encore une observation complète, et le spectacle du présent n’est pas vrai sans le souvenir du passé. Mesurez le point de départ et le chemin parcouru, songez que le gorille féroce et lubrique, dans la lente évolution des âges, s’est élevé à l’idée de pitié, de pureté, de justice, qu’il en a réalisé quelques parcelles, que son intelligence débile a fini par créer l’art et la science. Si le présent est encore plein de misères, l’homme d’autrefois en soutirait bien davantage. L’expérience agrandie a diminué la folie des imaginations, la fougue des passions et la brutalité des mœurs. Chaque siècle voit s’accroître la science et la puissance de l’homme, sa modération et sa sécurité. Mais ne nous laissons point bercer par les chimères, réduisons le progrès à sa mesure et à ses limites. Notre bien-être grandit notre sensibilité. Nous soutirons autant pour de moindres maux ; notre corps est mieux garanti, mais notre âme est plus malade... Une seule chose s’accroît, l’expérience, et avec elle la science, l’industrie, la puissance ; dans le reste on perd autant qu’on gagne, et nous devons nous y résigner... L’homme n’est point transformé, il n’est qu’adouci. Jamais la nature et la structure ne laissent effacer leur premier pli : l’homme est un carnassier ; comme le chien et le renard il possède des canines, et il les a enfoncées dès l’origine dans la chair d’autrui. Le bienfait de la civilisation serait d’en faire un carnassier apprivoisé et domestiqué, de lui tenir soigneusement limés les dents et les ongles.

De cette idée de l’homme découle logiquement la philosophie politique de Taine. Le pur pessimisme, à la façon de Hobbes, conclut à la nécessité du despotisme, le pur optimisme à la façon de Rousseau mène droit à l’anarchie. Taine éprouve une égale horreur pour la tyrannie et pour le désordre. Les hommes ont besoin d’être contenus ; c’est la fonction de l’État de les empêcher de se ruer les uns sur les autres, et c’est la seule. Qu’il soit bon gendarme et bon chien de garde, hors de là il est malfaisant. Que les hommes se groupent donc en dehors de lui selon leurs affinités naturelles, qu’ils se créent dans des associations de toute sorte, formées selon leur libre initiative, des tutelles volontaires, qu’ils choisissent des guides expérimentés, mus par le sentiment de leur responsabilité individuelle, mais que l’État, cet être si aisément corrompu et si corrupteur, ne se mêle ni de l’éducation ni de la religion, ni de l’industrie ni du commerce, ni de l’art ni de la science. Son incompétence générale fait son incompétence spéciale.


Retour à l'oeuvre de l'auteur: Hippolyte Taine (1828-1893) Dernière mise à jour de cette page le mardi 14 novembre 2006 8:25
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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