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Collection « Les auteur(e)s classiques »

George SOULIÉ de MORANT (1878-1955), La passion de Yang-Kwé-Feï (1924).
Extrait


Une édition électronique réalisée à partir du texte de l'oeuvre de George SOULIÉ de MORANT (1878-1955), La passion de Yang-Kwé-Feï. L’Edition d’art, Paris, 1924, 204 pages. Une édition réalisée par Pierre Palpant, bénévole, Paris.

Extrait

CHAPITRE PREMIER

 

Des nuées printanières planent au-dessus de la ville, et promènent leurs ombres, par-dessus les murs, dans les jardins. — Le fleuve bordé de palais est diapré par le soir, et, de partout, monte la pureté plaisante des parfums de la saison. — Les fleurs, dans les vergers fouettés par l’averse, voient tomber une partie de leurs fards.
Les nouveaux Gardes du Dragon-combattant sont en rangs épais autour du Trône Impérial. — Dans le Palais-des-jasmins, les parfums brûlent lentement. — Quand reverrons-nous la Fête du Don-des-pièces-d’or ? — Quand nous griserons-nous encore à la vue des Beautés vêtues d’étoffes chatoyantes, en écoulant les luths harmonieux ? — TOU FOU.

 

Dans la Salle du trône, le soleil matinal pénètre librement de trois côtés, caressant au passage les colonnes de cinabre, les tapisseries brodées de vives couleurs et, sur les tapis épais aux tons d’or, le triple rang des ministres et des courtisans aux robes somptueuses. Des fumées bleues s’élèvent en spirales des hautes torchères ciselées où brûlent de subtils parfums. En haut des marches, sur le trône de jade aux griffes de dragon, le Maître du Monde, vêtu de brocart d’or, est assis, grave et songeur.

Sur les larges degrés, des objets rares sont posés sans ordre : coffrets de métaux enrichis de pierres précieuses venus du Sud éloigné, vases de néphrite sculptée débordant de grosses perles, coupes de verre translucide apportées de l’Occident lointain, rouleaux de soieries et autres offrandes de tous les peuples de la terre pour la fête des Mille-automnes, la fête du Don-des-pièces-d’or, anniversaire de la naissance du Fils du Ciel.

Derrière le Siège Élevé, des jeunes femmes aux cheveux en nuages, aux longues robes flottantes, aux visages habilement fardés, jouent une mélodie douce, accompagnant les hautbois et les flûtes avec des guitares et de courtes harpes.

Des eunuques en tuniques blanches se tiennent près d’elles, portant des plateaux d’or chargés de lourds miroirs ciselés.

Le Seigneur fait un signe : la mélodie devient rythmique. Il déclame d’une voix grave :

 

J’ai fait fondre aujourd’hui ces miroirs en souvenir des Mille-Automnes. — Leur éclat non pareil est fait de cent métaux mêlés, — Et je veux les donner à tous mes dignitaires, — Afin que chacun d’eux, y cherchant son image, puisse y voir à jamais la pureté de son coeur.

Sur la terrasse entourée de fleurs éternelles, au bord de l’eau transparente, — Le soleil brille et fait jouer des ombres. — Les hauts dignitaires ont crié leurs voeux. — Je garderai toujours leur souvenir avec douceur dans la profondeur de mon coeur ému.

 

Quand le dernier écho du tonnerre des acclamations s’est éteint sous la voûte aux peintures d’or, d’azur et de pourpre, le Grand Cérémoniaire prononce les mots sacramentels :

— Si les ministres n’ont pas d’affaire urgente à exposer, l’audience est levée.

A ce moment, un vieillard à la longue barbe blanche, dont la robe d’un bleu profond est brodée d’astres, s’avance, et s’étant agenouillé devant les marches du Trône, il dit :

— Votre humble sujet, le Grand observateur du Ciel, ose élever la voix.

Sur un signe de tête du Souverain, il continue :

— O Char de lumière ! O Dix mille années ! Un événement mystérieux s’est produit hier dans le Vide immense. A l’heure où le soleil déclinait, aux premiers scintillements des constellations, une étoile éclatante est apparue, traînant à sa suite des nébuleuses aux lueurs néfastes. Elle a pénétré dans le quadrilatère du Boisseau septentrional, siège même de la Maison auguste de notre Empereur. En même temps, d’un autre côté, s’avançait vers le même point une étoile aux reflets rougeâtres. Les mouvements de la terre et du ciel étant liés étroitement, nous avions là, sous les yeux, l’image même de ce qui allait se passer à l’intérieur des Quatre-Mers. La comète, selon les interprétations antiques, représente une femme dont l’influence bouleversera le monde. Les nébuleuses sont les membres de sa famille et ses amis. Quant à l’étoile aux reflets rougeâtres, elle est un présage de guerre et de rébellions. Ainsi donc, une Impératrice ou une épouse secondaire de rare beauté est ²entrée hier dans le harem. Sa famille et sa suite occuperont les plus hauts postes. Elle favorisera un étranger dont la révolte causera des désordres illimités. Inquiets dans notre cœur, nous, les Astronomes, nous avons aussitôt interrogé le Chef des Eunuques et le Ministre de la Maison... Or, aucune femme n’a pénétré hier dans le harem. Les signes étant certains, nous sommes devant un mystère que la Sagesse Souveraine peut seule comprendre et expliquer.

Ayant ainsi parlé, il se tait, et le silence règne dans la Salle immense. Le Fils du Ciel, la joue appuyée sur la main, l’avait écouté avec attention. Il reste quelque temps songeur ; puis lève enfin la tête :

— O Sage Ministre ! Depuis deux jours, aucune concubine n’est entrée dans mon palais. Ce que vous avez observé dans le firmament n’était que le reflet d’une émotion passagère en mon âme. J’avais résolu de garder le silence. Mais le Ciel, mon Père, a vu jusque dans les profondeurs de mon esprit, et je vous expliquerai ce mystère. Hier, à l’heure où le soleil rougissant allait toucher l’horizon, j’errais seul au bord du lac, et je buvais l’haleine parfumée du printemps. Bouleversé d’admiration devant la splendeur des cieux, l’éclat des reflets nacrés sur les eaux, la douceur des verdures nouvelles et la vivacité de teintes des buissons en fleurs, j’avançais lentement pendant que s’éteignaient la pourpre et l’or du couchant, et que le globe de la lune, déesse de l’amour, versait des flots d’argent fondu sur la terre apaisée. C’est alors qu’une vision merveilleuse frappa mes regards : une Fée endormie m’apparut soudain, étendue là devant moi, près de l’eau, sur des coussins de brocart sombre. La beauté miraculeuse, l’élégance flexible de son corps alangui, ses mains aux longs doigts fuselés, l’expression de son visage, tout en elle, enfin, la proclamait une Élue des Régions supérieures. Dans le sommeil, son âme était à demi détachée de son corps insensible et répandait autour d’elle comme un halo de lumière. Mon âme, que ses transports, devant la splendeur du couchant, avaient élevée au-dessus de moi-même, se baigna et se fondit délicieusement dans cette irradiation indéfinissable. Et moi, je percevais mille pensées brillantes et délicates. Il me semblait voir d’innombrables lueurs fugitives et charmantes dansant et s’éteignant tour à tour.

Il se tait, longtemps songeur. Alors le Grand Astronome prononce :

— Mais, Auguste Seigneur, les étoiles indiquent que la Beauté est entrée dans le palais. S’est-elle éveillée ? A-t-elle parlé ?

Le Souverain remue la tête :

— Je n’ai plus l’impétuosité irréfléchie de la jeunesse, et n’ai voulu, ni l’approcher, ni l’éveiller, ni lui parler. Quand le destin nous accorde la faveur d’une vision parfaite, il faut nous garder avec soin d’aller au delà. Nous risquerions d’en effacer l’acuité rare par une réalisation toujours inférieure. Non ! Depuis hier, je vis dans une extase de beauté dont je veux conserver à jamais l’impression pure... Vous avez l’explication du mystère.

Et sur un signe du Grand Cérémoniaire, les courtisans agenouillés touchent de leur front les tapis fleuris, se relèvent, et s’éloignent en silence, laissant le Souverain rêveur, immobile, seul.


Retour au livre de l'auteur: Laurence Binyon (1869-1943) Dernière mise à jour de cette page le vendredi 12 janvier 2007 8:19
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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