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Collection « Les auteur(e)s classiques »

George SOULIÉ de MORANT, Essai sur la littérature chinoise (1924).
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du texte de l'oeuvre de George SOULIÉ de MORANT (1878-1955), Essai sur la littérature chinoise. Éditions Mercure de France, Paris, 1924, 204 pages. Une édition réalisée par Pierre Palpant, bénévole, Paris.

Introduction

La littérature chinoise, à part les Livres Classiques, est si peu connue en Europe que nous étonnerons sans doute grandement en disant qu’elle est la plus abondante et la plus variée du monde entier. Un seul fait donnera l’idée de cette extrême richesse : L’Empereur Kien-Long, au XVIIIe siècle, voulut faire un choix parmi les principaux chefs-d’œuvre pour éditer une collection nouvelle : les lettrés chargés de ce travail retinrent les titres de cent soixante mille volumes.

La valeur de cette œuvre immense est parfois discutée par des critiques européens : on lui reproche de ne pas avoir les qualités que nous aimons à trouver dans un ouvrage, c’est-à-dire un plan harmonieux, la clarté de la pensée, la simplicité et la concision du style.

Les œuvres chinoises les plus belles, il faut le reconnaître, nous semblent confuses. Des divisions parfaitement conçues font croire tout d’abord au développement égal d’un ensemble calculé ; mais, dans chacun de ces casiers, nous avons une impression de désordre et d’exubérance comparable à ce que nous éprouvons devant les merveilleux temples hindous : l’exagération du détail ornemental nous gêne pour goûter l’aspect général.

En cela comme en tant d’autres choses, nous nous heurtons à la différence profonde qui existe entre les cerveaux européens et asiatiques. Avant donc de juger un procédé chinois comme défectueux, il serait indispensable de savoir si ce procédé n’est pas nécessité par quelque motif inconnu, ou bien employé volontairement pour obtenir un effet auquel nous n’avions pas encore songé.

Et c’est en recherchant ainsi les causes de ce qui nous semble bizarre, que l’étude de la littérature chinoise devient passionnante, car, par elle, nous pénétrons jusqu’au fond de ces âmes extrême-orientales que les uns jugent admirablement compliquées et obscures, les autres, à jamais incompréhensibles parce qu’inexistantes.

En réalité, il n’y a là aucun mystère : des dispositions primordiales différentes des nôtres ont été fixées et développées par des conditions d’existence qui n’ont presque pas varié depuis quatre mille ans. Les méthodes d’enseignement ont exercé sans cesse l’attention et la mémoire : aucune fièvre, aucune nervosité ne troublent l’effort prolongé et approfondi de ces facultés. La langue écrite a été faite par ces esprits et pour ces esprits : ses beautés multiples atteignent à une complexité d’expression qui représente presque directement la pensée sous ses formes coexistantes et innombrables.

Nous admirons la clarté parce que nous n’avons pas la force de percer ce qui n’est pas immédiatement compréhensible, ni de reconstituer les grandes lignes d’un plan sous le détail des ornements. La concision nous est nécessaire, parce que nous n’avons pas la patience de lire un livre un peu long : Balzac nous paraît déjà fatigant. Seules, les intelligences puissantes, parmi nous, comprennent et apprécient certains ouvrages que le public accuse d’obscurité ou de monotonie.

 

Malgré la destinée différente des civilisations européenne et chinoise, la littérature, dans l’une et dans l’autre, a traversé les phases d’un développement analogue. Au début, la grandeur et la force des idées, la simplicité du langage ; plus tard, la richesse des images et l’éclat du style : en décadence, les travaux des érudits.

En Grèce, Homère, puis tous les écrivains de la grande période : vers la fin, les bibliothécaires d’Alexandrie dont l’œuvre la plus remarquable est l’Alexandre de Lycophron.

En Chine, l’évolution a été la même, mais infiniment plus lente, car rien n’est rapide dans ce pays. La simplicité caractérise les premières œuvres qui remontent au XXe siècle avant notre ère. Plus tard, du IIIe au XVIIe siècle, le style fut brillant ; les images, d’une originalité et d’une variété incomparables. Les compilateurs et les écrivains modernes, enfin, semblent juger indigne d’eux d’être compris dès la première lecture : ils écrivent, comme Lycophron, uniquement par allusions et par métaphores. Ils ont même été si loin dans ce sens qu’un dictionnaire spécial d’allusions littéraires a dû aider les lecteurs assez patients pour s’attarder à des recherches de ce genre : les cent livres du Palais des Ornements du sigle (P’ei-wen yun-fou) sont encore insuffisants, et d’innombrables passages resteront inexplicables jusqu’à ce que ce monument soit complété.

Cette décadence, dont l’excès d’érudition est à la fois la cause et le symptôme le plus manifeste, est en voie depuis une dizaine d’années de faire place à une renaissance que la modernisation de la Chine explique et nécessite.

La diffusion de la presse et la traduction des ouvrages scientifiques européens et japonais ont amené la formation d’un style facile, rapide, énergique et clair qui tend à se rapprocher de plus en plus du langage courant. Le Japon, on le sait, écrit encore avec les caractères chinois concurremment avec ses deux syllabaires spéciaux : le Katakana et le hirakana. Son influence sur l’évolution de la Chine est ainsi grandement facilitée : des ballots de livres japonais vendus 10, 20 et 30 centimes, sont amenés chaque jour dans les ports du continent. La langue des journalistes à Changhaï et T’ien-tsin est déjà encombrée d’une quantité de groupements de mots dont l’origine se trouve dans les dictionnaires nippons. La proclamation de la République consacrera la renaissance du style.

 

Les conditions politiques et matérielles de chaque époque ont modifié la qualité et la forme de la production littéraire. En Asie comme en Europe, l’homme qui vit au milieu des troubles et des combats ne recherche pas les mêmes livres que celui qui jouit des plaisirs légers d’une paix prolongée.

L’histoire, ainsi, m’a fourni tout naturellement les divisions de cette étude : elle m’a servi à expliquer les œuvres des siècles successifs. La littérature, à son tour, m’a servi à pénétrer la formation lente de l’âme chinoise.

En m’efforçant de signaler à l’attention un trésor littéraire dont l’existence même est généralement ignorée, j’ai été amené à tracer les grandes lignes du passé de l’Asie : je me suis efforcé de me servir pour cela des livres de chaque époque. Le cadre de ce travail étant restreint, bien des œuvres importantes ont dû être omises : d’autres ont été laissées volontairement de côté comme trop éloignées de notre compréhension. Les textes cités, enfin, ont été traduits et revus soigneusement par moi-même.

Ce livre n’aura pas été écrit en vain, s’il peut aider à connaître et à respecter davantage une civilisation très ancienne, très loin de nous, dont le raffinement et l’originalité absorbent ou déroutent les âmes sans force.


Retour au livre de l'auteur: Laurence Binyon (1869-1943) Dernière mise à jour de cette page le vendredi 12 janvier 2007 7:37
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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