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Collection « Les auteur(e)s classiques »

La victoire en déroute. (1925)
Préface de Léon Blum


Une édition électronique réalisée à partir du livre Marcel Sembat (1925), La victoire en déroute. Préface de Léon Blum. Paris: Éditions du Progrès civique, 1925, 260 pages. Une édition numérique réalisée par Roger Deer, bénévole, ingénieur diplômé de l'ENSAIA de Nancy (école nationale supérieure d'agronomie et de industries alimentaires) maintenant à la retraite.

Préface

par Léon Blum


Quand il revenait à la Chambre, ayant pris quelques jours de repos — tantôt dans la maison de Bonnières où s’était passée son enfance, tantôt dans la maison de Chamonix où ils sont morts — avant même de me répondre sur sa santé, il me criait de sa voix joyeuse :

— Ça va bien ! Le bouquin avance !

C’était vrai le bouquin avançait.

Lorsque, après l’atroce et sublime tragédie de Chamonix, ses deux neveux, André Varagnac et Pierre Collart, ont dressé l’inventaire de ses papiers, ils ont trouvé les deux tiers au moins du “ bouquin ” en état de complet achèvement.

La copie dactylographiée avait été revue par lui jusqu’à satisfaction finale et n’attendait plus que le bon à tirer. Le reste du manuscrit, également copié, n’exigeait qu’une dernière révision, dont lui-même, par des réflexions marginales, avait dirigé le sens avec une précision parfaite et qui pouvait être opérée sans peine, et sans risque.

Seule, l’extrême conclusion du livre comportait encore, de sa part, un sensible apport de travail, auquel personne ne pouvait songer à suppléer.

Il avait hésité longtemps entre divers modes de présentation, et le parti final, ainsi qu’une note de sa main en fait foi, n’avait été pris que très peu de jours avant leur dernier départ pour Chamonix.

Quelques semaines lui avaient ainsi manqué pour l’achèvement total de son oeuvre. Mais le travail de rédaction, cependant, était suffisamment avancé pour que ses neveux, et moi-même — chargé, par une des dernières volontés de Mme Marcel

Sembat, de surveiller la publication — n’ayons eu d’autre tâche à accomplir que de disposer et de rapprocher les fragments déjà composés.

Le développement, sans doute, demeure incomplet. La conclusion du livre se pré-sente, sous une forme plus courte et plus grêle que si l’auteur avait pu y apporter la dernière main. Mais, connaissant son plan par le menu., nous pouvons déclarer que, par chance, aucune lacune importante n’apparaît dans le dessin logique de sa pensée. Et je crois bien que si un devoir de conscience ne m’avait fait donner cet avertissement, le lecteur le plus attentif n’y eût pas pris garde.


Sembat attachait une grande importance à son livre, et je puis bien dire qu’il l’aimait. Par humeur et par don, il était, avant tout, un journaliste, c’est-à-dire un journalier. Il satisfaisait comme un besoin organique en jetant dans ses articles ou dans ses propos quotidiens, avec sa verve improvisée et toute chaude, les idées, les jugements, les railleries que lui inspirait l’événement immédiat.

Mais, en écrivant ce livre, au lendemain de la guerre, il avait cédé au même appel de sa conscience qu’à la veille même de la guerre, lorsqu’il avait écrit : Faites un Roi ou bien faites la Paix.

À des moments diversement critiques de l’histoire, sentant l’avenir lourd d’événements redoutables, il avait senti la même nécessité, ou, pour mieux dire, il s’était reconnu le même devoir de se recueillir, de se séparer pour un temps du courant quotidien des faits, d’envisager avec le recul d’une réflexion plus approfondie l’ensemble du problème politique.

À deux reprises, et avec huit années d’intervalle, il avait voulu ramasser et livrer, sous forme systématique, la somme de l’expérience longuement accumulée dans son esprit, mais dont les éléments, jusqu’alors, semblaient dispersés au jeu des polémiques journalières.

Certes, c’est toujours le polémiste qui continuait à tenir la plume, mais ce qu’il exprimait, c’était la pensée gravement méditée de l’homme politique — je ne force-rai pas le sens des termes en ajoutant : de l’homme d’État.

Car ces deux livres, Sembat les a écrits exactement comme ses articles, sans changer de ton ni de manière, sans modifier en rien, pour la dignité du sujet, ses habitudes de dialectique ou ses préférences de style.

Dès les premières phrases, le lecteur y retrouve cette tonalité, cette sonorité particulière qui font qu’une page de Sembat est bien de lui et ne saurait s’attribuer à nul autre, cette verve tranchante ou cassante, cet éclat gouailleur, cette liberté souvent cocasse ou truculente que relève toujours le goût savoureux et savant du langage.

Ils se présentent sous le même aspect : l’auteur poussant toujours en scène sa propre personne, tantôt monologuant, tantôt interpellant et prenant à partie, avec sa puissante familiarité, un interlocuteur réel ou imaginaire.

Il existe, en matière de polémique, une manière Sembat, un style Sembat que ses milliers de lecteurs reconnaissaient au premier coup d’œil, à la première gorgée, et qui demeurent intacts dans ses livres.

Mais quelle gravité sous l’ironie verbale ou logique de ces soliloques et de ces dialogues, quelle gravité, et même, dans le fond, quelle anxiété !



Car il faut avoir connu Sembat, et précisément un livre comme celui-ci le fera connaître à ceux qui t’ont méconnu.

Ce n’était pas un amuseur, ce n’était pas un amateur, ce n’était pas un sceptique, c’était un homme grave jusqu’au scrupule et sincère jusqu’à la passion.

Sans doute, il aimait les tableaux, les livres et les fleurs; sans doute la curiosité illimitée de son esprit l’entraînait sur les terrains parfois les plus excentriques de la science, aujourd’hui la pathologie nerveuse, demain l’histoire des religions primitives ; sans doute ses effets favoris d’écrivain sont la dérision, l’ironie, ou même “ la blague ”; sans doute, ajouterai-je — car là réside une des raisons de la méprise — il défendait jalousement sa vie intime, resserrée entre sa famille la plus proche et un bien petit nombre d’amis.

Mais, dans son fond, l’homme était simple et fort, franc et rustique. De la souche purement terrienne dont il était issu, il avait hérité la droiture un peu rude, la puissance d’attache à tout le système d’idées qui était pour lui le sol nourricier.

Nul n’avait une vue plus prompte et plus sûre de la réalité. Nul ne débrouillait d’un regard plus clairvoyant et plus aigu la vérité des événements et des hommes.

Il avait des jugements libres, durs et nets, des convictions solides, des attachements inébranlables. Que le souci des choses publiques ait pu l’étreindre jusqu’à la souffrance physique, jusqu’à la maladie, j’en puis déposer comme témoin oculaire.

Que le don qu’il avait fait au socialisme de sa pensée, de sa personne ait été sérieux, volontaire, entier, nul n’en pourra douter ayant lu ce livre.


Ses neveux m’ont confié que, dans l’atelier de Bonnières — ce haut atelier ouvrant d’un côté sur la Seine, de l’autre sur les bois, où sa femme et lui travaillaient l’un près de l’autre, — ils avaient dé-couvert d’importants fragments de mémoires intimes.

Je n’ai pas eu ces fragments entre les mains ; je souhaite ardemment qu’ils soient en état d’être publiés, et sans doute mettront-ils très haut, à sa vraie place, l’écrivain que fut Marcel Sembat.

Le journal à la Saint-Simon, c’est sans doute la forme littéraire où ses dons de justesse dans la vision, de pénétration dans le jugement, de pittoresque et de relief dans le rendu, pouvaient le mieux trouver leur emploi.

Mais le livre que nous présentons aujourd’hui au public forme, en plus d’un sens, comme un fragment de ces mémoires. Si l’on veut bien y prendre garde, il est une confession, une confession publique, d’autant plus touchante aujourd’hui qu’elle est posthume.

Non seulement Sembat s’y livre lui--même et tout entier, mais il s’y livre, si je puis dire, par états particuliers et successifs, en nous laissant apparaître le lien de chaque réflexion, de chaque argument avec l’émotion personnelle qui les a dé-terminés.

La question centrale, c’est, au fond, celle qu’il avait déjà posée dans son premier livre : “Le monde veut-il vraiment la paix ? À quelles conditions la paix est-elle vraiment possible dans le monde ?”

Mais dans les données actuelles du problème, ce qu’il fait entrer avant tout, ce sont les contre-coups directs sur son intelligence et sur sa sensibilité des grands événements qui l’avaient passionné ou déchiré dans ces dernières années : révolution allemande, révolution russe, scission des communistes et des socialistes en France au Congrès de Tours.

Ah ! ceux qui l’ont entendu à Tours n’ont certes pas besoin qu’on leur remontre à quel point la conviction socialiste de Sembat était sincère, à quel point sa foi, et, comme il le dit lui-même, son enthousiasme socialistes étaient ardents.

Ceux-là conservent encore intacts dans leur mémoire son image, ses paroles, le son de sa voix à certaines phrases.

Je le répète ceux qui liront ce livre, si malveillants, si incrédules qu’on les suppose, ne pourront pas se dérober à la même certitude.

Ils seront bien forcés aussi d’admirer cette richesse d’expérience et cette hauteur de jugement qui permet à Sembat de dominer, par la vision ou la prévision, l’ensemble de l’Europe politique.

Ils n’échapperont pas non plus à quelque émotion en sentant avec quelle générosité de cœur, avec quelle richesse de sensibilité humaine, il rassemble et apprécie tous les grands enjeux de la guerre.

Et ainsi ce livre achèvera, je pense, de mettre à néant la légende menteuse qui s’était formée autour de son nom.

Pour nous, ses compagnons de lutte, il renouvelle son deuil, il rend plus vif et plus cruel encore le sentiment de sa perte.

Comme il nous a été pris brutalement, l’ami dont nous cherchions le regard et la main, le camarade dont nous attendions l’avis avant toute résolution importante !

Comme il nous manque, aujourd’hui plus que jamais !

Comme nous aurions besoin de sa raison, de son courage, de sa puissante sympathie avec la pensée et la volonté populaires !...

Et moi, qui ai passé de longs mois près de lui, dans la plus constante, dans la plus intime communauté de travail et de vie, que d’images je sens se lever et envahir ma mémoire !

Nul ami ne fut plus fidèle et plus sensible.

Quand, au cours de ces voyages que le soin de sa santé avait rendus plus fréquents, j’étais demeuré trop longtemps sans lui écrire, j’entends encore de quel accent il me disait :

— Allons, Blum, vous ne m’aimez plus...

Ah ! qu’il est vrai, qu’il est triste, le vers d’Hugo :

Comme le souvenir est voisin du remords !

Quand on évoque, comme je le fais en cet instant, le souvenir d’un ami aimé, d’un ami perdu, quel remords d’avoir vécu avec lui comme si on ne devait jamais le perdre !...

Mais je m’excuse de cet abandon que lui, si pudique, si secret, et, vis-à-vis de la peine, si stoïque, eût désapprouvé. Ce n’est pas de moi qu’il s’agit, c’est de lui, c’est de son livre. Il est temps que j’achève la présentation et que je leur laisse la place.

LÉON BLUM.


Retour au texte de l'auteur: Marcel Sembat Dernière mise à jour de cette page le Mardi 29 avril 2003 07:21
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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