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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Henri Sée, L’évolution commerciale et industrielle de la France sous l’ancien régime. (1925)
Préface


ne édition électronique réalisée à partir du livre d'Henri Sée, L’évolution commerciale et industrielle de la France sous l’ancien régime. Paris: Marcel Giard, Libraire-éditeur, 1925, 396 pages. Une édition numérique réalisée par Jean-Marc Simonet, professeur retraité de l'enseignement, Université de Paris XI-Orsay, bénévole.

Préface


Depuis cinquante ans, l’histoire du commerce et de l’industrie en France sous l’Ancien Régime a fait l’objet d’un grand nombre de travaux importants. Sans doute, bien des questions n’ont pas encore été élucidées par la science historique, beaucoup de monographies restent à élaborer. Mais, dès maintenant, on voit se dessiner assez nettement les grandes lignes du sujet pour qu’il soit possible d’en tenter une synthèse provisoire ; synthèse, qui, en groupant beaucoup de faits épars, mettra en lumière la façon dont les questions doivent se poser, signalera les lacunes de nos connaissances, en un mot provoquera sans doute de nouveaux travaux.

Tel a été notre dessein. L’époque que nous étudions est particulièrement importante. C’est le moment où l’ancienne organisation du travail semble se fixer définitivement, où la royauté achève d’imposer sa tutelle aux communautés de métiers. C’est l’époque aussi où s’établit fortement ce qu’on peut appeler l’économie nationale, caractérisée par la protection du travail indigène et la prohibition des produits étrangers, en un mot, par le système protecteur.

Mais ce système, comme le régime corporatif, va se trouver ébranlé par le développement économique qui se manifeste dans les pays les plus actifs de l’Europe. Ce développement, au xviie siècle et plus encore au xviiie, a pour principal facteur les progrès des relations commerciales. p002 Le grand essor du commerce, et surtout du grand commerce maritime et colonial, est un fait d’une importance capitale. En vain Colbert met-il toute sa confiance dans les compagnies privilégiées ; il est obligé lui-même, en partie du moins, d’en revenir à la liberté commerciale. En matière industrielle, au contraire, on s’en tient encore au régime des privilèges, du monopole, de la réglementation. Mais, dès la fin du règne de Louis XIV, le système protecteur est battu en brèche par les commerçants et l’on se décide à conclure des traités de commerce avec les puissances étrangères.

On voit par là combien il est indispensable d’étudier concurremment l’évolution commerciale et l’évolution industrielle ; on ne peut séparer ce qui, dans la réalité, est uni si étroitement. Et ainsi se trouve justifié le plan que nous avons suivi.

Pour le xviiie siècle, ce plan s’impose plus fortement encore. C’est, en effet, le développement si remarquable du commerce maritime, notamment du commerce avec les Antilles, qui contribue à déterminer le grand progrès industriel qui marque la seconde moitié du siècle. Les besoins nouveaux de la consommation et de la circulation imposent d’autres procédés de production, un autre mode d’organisation du travail. Et c’est ainsi que nous assistons à la décadence progressive du régime corporatif, aggravée encore par les mesures fiscales du pouvoir royal, que la réglementation industrielle est peu à peu battue en brèche, qu’on sent le besoin de nouveaux procédés techniques, que, pour combattre la concurrence des Anglais, on comprend la nécessité de leur emprunter leurs machines, que de nouvelles théories économiques agissent puissamment sur l’opinion et sur le gouvernement lui-même.

Toutefois, ce n’est encore que le début modeste de l’industrie moderne, de l’organisation capitaliste du travail.

p003 Mais rien n’est plus intéressant que d’étudier en son principe une nouvelle phase de l’évolution. C’est l’extension de l’industrie rurale et domestique qui a précédé la concentration industrielle, comme le capitalisme commercial a devancé le capitalisme industriel. On verra que c’est seulement dans quelques branches de l’industrie, dans la fabrication des textiles, la métallurgie et les mines, qu’apparaissent les premières grandes exploitations, les premières agglomérations ouvrières. En 1789, la transformation ne fait que s’annoncer, mais on peut déjà voir de quel côté est l’avenir.

Enfin, nous n’avons pas voulu nous borner aux questions purement économiques ; nous nous sommes préoccupés de montrer le retentissement social de l’organisation économique. On essaiera de décrire le mode d’existence des classes ouvrières et marchandes. Quelle est la condition sociale des diverses catégories de producteurs, et comment cette condition commence-t-elle à se transformer, grâce à l’évolution de l’organisation industrielle ? Voilà l’une des questions qu’il importe le plus de résoudre. Que toute une catégorie de maîtres artisans tombe au rang de salariés, que les négociants tendent à former une classe de plus en plus importante, qu’on puisse les considérer comme les prédécesseurs directs des grands patrons de l’époque contemporaine ; ce sont là des faits hautement significatifs. La condition des salariés expliquera aussi bien des aspects de l’histoire sociale et politique. Les compagnons, appartenant, en immense majorité, à la petite industrie, ne peuvent prendre conscience de leurs intérêts collectifs de classe. Ils ont pu créer des compagnonnages, résister par des grèves aux exigences de leurs patrons, se préoccuper de leurs besoins immédiats ; mais rien de plus. Il n’y a pas de classe ouvrière organisée : voilà un fait qu’il conviendra de bien mettre en lumière, si l’on veut comprendre p004 qu’à la veille de la Révolution, et pendant la Révolution même, il n’existe pas de question ouvrière, comme il existe une question paysanne.

Notre essai de synthèse pourra avoir une autre utilité, c’est de faire voir l’état actuel de nos connaissances, de montrer quelles sont les questions qui ont été élucidées d’une façon satisfaisante, quelles sont celles, au contraire, sur lesquelles devrait surtout porter l’effort du travail historique.

Il semble bien que, grâce notamment aux travaux de MM. Boissonnade, Hauser, Drapé, Rebillon, etc., l’organisation des corporations et des jurandes, ainsi que leur décadence progressive soient maintenant suffisamment connues. De nouvelles monographies auraient surtout l’intérêt de confirmer les conclusions qu’on peut dès aujourd’hui formuler. Mais il faudrait se rendre compte plus nettement de l’importance relative des divers métiers dans la vie, économique des villes. A cet égard, les rôles de capitation, les archives notariales et judiciaires fourniraient de précieux renseignements. Quant au travail libre, pratiqué par des ouvriers en chambre (chambrelans), il semble avoir joué un rôle plus important qu’on ne se l’imagine ordinairement ; c’est une question qui mériterait de sérieuses études, pour lesquelles les archives judiciaires fourniraient sans doute des données précieuses [1].

L’évolution commerciale a fait l’objet de nombreux travaux, qui, d’ailleurs, ont porté surtout sur l’histoire du commerce maritime et colonial. Mais ce qui a été le moins étudié, ce sont les pratiques commerciales, le détail des transactions, le rôle des commissionnaires, courtiers et banquiers. A cet égard, presque tout reste à faire. Les p005 archives des amirautés, des Chambres de commerce, des tribunaux consulaires et aussi les papiers des maisons de commerce qui ont pu parvenir jusqu’à nous fourniraient à cet égard les plus précieux renseignements, dont l’étude est à peine ébauchée [2].

Sur le commerce intérieur, nous ne possédons encore que fort peu d’études. On voit seulement avec assez de clarté que ce commerce est entravé, tout à la fois, par le régime fiscal et par l’insuffisance des voies de communication. Mais il faudrait se rendre compte avec précision des diverses sortes de commerces, de leurs principaux centres, des pratiques commerciales, de l’importance économique respective des diverses catégories de marchands et de négociants.

Le développement de l’industrie, le rôle de l’État en matière industrielle, l’histoire des manufactures sont suffisamment connus, surtout grâce aux travaux de Levasseur et de M. Germain Martin. Mais des monographies intéressantes, soit sur les divers métiers, soit sur la capacité industrielle des diverses régions, resteraient à écrire.

Quelques travaux récents, notamment ceux de Rouff et p006 de Ballot, de Robert Lévy, de Sion, de Ch. Schmidt, de J. Hayem et de ses collaborateurs, nous donnent des aperçus précieux sur les origines de la grande industrie. Mais, à cet égard, il reste encore beaucoup à faire ; de nouvelles monographies s’imposent, des recherches, non seulement dans les dépôts publics, mais dans les archives privées.

Quelques bonnes monographies (notamment celles de Tarlé, Bourdais et Durand, Musset, Elie Reynier, etc.) nous font comprendre le caractère de l’industrie rurale, les causes de son extension, ses luttes avec les métiers urbains. Mais de nouvelles monographies seraient précieuses à cet égard, nous montreraient d’une façon plus précise encore comment cette industrie rurale est l’une des sources les plus importantes de l’industrie capitaliste.

Il faudrait aussi déterminer avec plus de précision la répercussion sociale du développement industriel, essayer de se représenter la condition économique et sociale des négociants qui « contrôlent » les nouvelles manufactures, des entrepreneurs et directeurs de manufactures. C’est là un vaste champ de recherches qui s’ouvre aux travailleurs ; archives notariales, judiciaires, privées offriraient d’abondantes ressources.

On connaît avec assez de détail la condition des compagnons, leurs organisations (confréries, compagnonnages). Mais bien des données nouvelles seraient à recueillir sur les salaires, la durée de la journée de travail, les grèves, l’état d’esprit des salariés, le rôle qu’ils ont pu jouer à la veille de la Révolution et pendant la Révolution même. A cet égard, les archives judiciaires (des Parlements, des présidiaux, etc.) seraient particulièrement précieuses.

En un mot, si, dès maintenant, dans l’ensemble, on peut se faire une idée satisfaisante de l’évolution commerciale et industrielle de la France sous l’Ancien Régime, si les p007 conclusions auxquelles on aboutit sont fort instructives pour l’histoire et la sociologie, il faut souhaiter cependant que de nouveaux travaux confirment les résultats acquis ou portent la lumière sur des questions qu’on n’a fait encore qu’effleurer [3].



[1] Voy. H. Hauser, Travailleurs et marchands de l’ancienne France, pp. 48-49.

[2] Dans celle catégorie de documents, signalons les papiers des frères Delage. qui fondèrent, en 1770, une importante maison de commerce à Lorient ; ce fonds très riche est conservé aux Archives départementales du Morbihan ; voy. J. de la Martinière, dans les Rapports du Congrès des comités départementaux pour la recherche des documents économiques de la Révolution (Bulletin d’histoire économique de la Révolution, 1913). Plus intéressant encore nous apparaît le fonds des Magon, les grands armateurs malouins (conservé aux Archives d’Ille-et-Vilaine). Rien de plus instructif que les papiers des maisons de commerce, qui permettent de saisir sur le vif l’activité des négociants. Voy., à cet égard, A. Lesort, Les transactions d’un négociant malouin (1719-1721) ; Paul Decharme, Le comptoir d’un marchand au XVIIe siècle, Paris, 1910 ; H. Sée, Le commerce de Saint-Malo au XVIIIe siècle d’après les papiers des Magon.

[3] Voy. mon article, L’évolution commerciale et industrielle de la France sous l’Ancien Régime (état des travaux et questions à traiter) (Revue de synthèse historique, juin 1923).



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le lundi 11 octobre 2010 16:20
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cegep de Chicoutimi.
 



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