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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Albert Schatz, L’oeuvre économique de David Hume. (1902)
Notice biographique


Une édition électronique réalisée à partir du livre d'Albert Schatz, L’oeuvre économique de David Hume. Paris: Librairie Nouvelle de droit et de jurisprudence Arthur Rousseau, Éditeur, 1902, 303 pp. Une édition numérique réalisée par Philippe Folliot, professeur de philosophie au Lycée Ango de Dieppe en Normandie. Une édition électronique disponible chez Gallica de la Bibliothèque Nationale de France.

Notice biographique

David Hume semble avoir, par une singulière fortune, traversé, aux différentes époques de sa vie, toutes les situations les plus propres à développer les facultés d'un économiste. Philosophe doué d'un esprit critique dont la pénétration ne fut peut-être jamais égalée, commerçant par occasion sinon par goût, voyageur observateur et attentif, historien dont la gloire l'a longtemps disputé à celle du philosophe, secrétaire d'ambassade, chargé d'affaires et homme d'Etat, il conserva toute sa vie une humeur paisible, un esprit à la fois curieux et calme, une passion pour la lecture qui ne fut combattue par aucune autre, si ce n'est un irrésistible penchant aux jouissances désintéressées de la spéculation. Sans entrer dans des détails biographiques superflus, il nous semble indispensable de faire connaître l'homme avant d'étudier l'œuvre, en nous attachant, de préférence, aux traits qui, dans cette vie si bien remplie, concernent particulièrement l'économiste.

D. Hume naquit à Edimbourg le 26 avril 1711, d'une famille de petite noblesse et de fortune modique. Il perdit son père très jeune et passa son enfance avec sa mère, une sœur et un frère aîné qui recueillit, comme tel, la plus grosse partie de l'héritage paternel. Ce fut un enfant timide, sérieux, d'une nature concentrée, (10) donnant à sa mère, si l'on en croit les paroles qu'on lui prête, l'impression «  d'un excellent caractère mais d'un esprit extraordinairement faible » [1].

Les tuteurs du «  petit David » eurent une opinion sans doute analogue ; ils durent renoncer à faire de lui un avocat, car l'étude des lois le rebuta. Ils l'envoyèrent, en 1734, à Bristol dans une grande maison de commerce. Hume n'y passa que quelques mois, assez toutefois pour prendre conscience du rôle social du commerçant et pour sentir son inaptitude à le remplir. En réalité, Hume avait, depuis longtemps, le dessein arrêté de se consacrer à la philosophie. A dix-huit ans, il avait son opinion faite sur la philosophie morale alors enseignée. Il avait décidé de laisser de côté tout plaisir et toute affaire, pour se livrer à l'étude de la nature humaine, sans laquelle toute philosophie et toute science morale ou politique devait être, à son sens, oeuvre vaine.

Pour mener cette tâche à bien, Hume réclama sa légitime et vint s'installer en France, d'abord à Reims puis à la Flèche, où il demeura trois ans, dans une solitude à peu près complète et fréquentant presque exclusivement la bibliothèque des Jésuites. En 1737, il rentra en Angleterre et publia, l'année suivante, son Traité de la nature humaine. Sur la recommandation d'Hutcheson, il en fit parvenir un exemplaire à «  M. Smith », alors âgé de dix-sept ans et étudiant à Glasgow.

Hume passa ensuite cinq ans à Ninewells, dans les terres patrimoniales de son frère. Il y vit de près l'existence du gentilhomme campagnard, ses mœurs, ses (11) habitudes et son rôle économique. Il y prépara la première partie de ses Essais moraux et politiques qui parut en 1742 ; il entretenait, en même temps, une correspondance très suivie avec Hutcheson, avec Reid, avec le prédicateur Blair, l'historien Robertson, enfin  avec A. Smith à qui il communiquait le résultat de ses nombreuses lectures, sous la forme de notes qui ont été conservées et qui ont été en grande partie mises à profit par Smith dans son traité.

Après avoir brigué sans succès, par suite de l'opposition du clergé presbytérien, la chaire de philosophie morale de Glasgow, puis celle d'Edimbourg, Hume accepta, pour accroître ses trop modiques revenus, de séjourner quelque temps auprès du marquis d'Annandale, jeune gentilhomme d'esprit faible à qui il dut servir, à la fois, de précepteur et de garde-malade. Il était déjà las de cette tâche ingrate lorsque son compatriote, le général Saint-Clair, l'emmena, comme secrétaire, dans une expédition contre le Canada. L'expédition ne dépassa pas la Bretagne : la flotte jeta l'ancre dans la baie du Pouldu. Mais Hume conserva son emploi auprès de Saint-Clair, lorsque celui-ci fut envoyé en mission à Vienne et à Turin. Il accomplit ses fonctions de secrétaire d'ambassade à la satisfaction de tous, étonnant ceux qui étaient en relation avec lui, à la fois par sa sagesse et par son manque absolu d'élégance. On a conservé le journal qu'il tint de son passage à travers la Hollande, l'Allemagne et l'Italie du Nord. Le caractère économique de ces notes est frappant. «  Il s'y montre, dit Cucheval-Clarigny [2], assez peu sensible (12) aux beautés de la nature et aux chefs-d'œuvre de l'art. En revanche, il note soigneusement la nature du sol et ses produits, le degré d'avancement de la culture, la densité de la population, la condition sociale et les mœurs des habitants, la quotité des impôts. La tournure toute pratique de son esprit éclate donc dans ces notes rapides prises au jour le jour, mais le philosophe se retrouve dans les déductions que Hume tire des faits qu'il remarque. »

En 1748, pendant son séjour à Turin, paraissaient ses Recherches sur l'Entendement humain, tentative de vulgarisation, pour ainsi dire, de son Traité de la Nature humaine. En 1749, il retourne chez son frère à Ninewells. Là, il donne ses soins à une édition française de l'Esprit des Lois de Montesquieu, publiée à Edimbourg, et entre en relations avec l'auteur, qui lui fournit à cet effet des corrections et des notes. En même temps, il prépare ses Recherches sur les principes de la Morale et son oeuvre proprement économique, les Discours politiques, qui paraissent en 1752. Une seconde édition devait paraître en 1758. L'intervalle qui sépare ces deux dates mérite qu'on s'y arrête quelques instants, car les conceptions de Hume y subirent des modifications que nous aurons à relever.

Hume se considère alors comme parfaitement heureux. Il a atteint son idéal : une modeste aisance, la paix, des livres et du temps pour méditer. «  J'éprouve, écrit-il, à un de ses amis, le besoin de triompher un peu à vos yeux, car enfin, ayant atteint la quarantaine,  me voici à mon honneur, à l'honneur de la science et de l'époque actuelle, arrivé à la dignité de maître (13) de maison. Il y a environ sept mois, j'ai pris une maison à moi et j'y ai installé une famille au grand complet, composée d'un chef, qui est à moi, et de deux membres subalternes, une bonne et un chat. Ma sœur est venue depuis me rejoindre et demeure avec moi. Avec de l'économie, je trouve que je puis me donner la propreté, la chaleur, la lumière, l'abondance et le contentement. Que voudriez-vous avoir de plus ? L'indépendance ? Je l'ai au suprême degré. L'honneur ? Ce n'est pas là ce qui manque. La grâce ? Elle viendra en son temps. Une femme ? Ce n'est pas là une des nécessités indispensables de la vie. Des livres ? Voilà une de ces nécessités, mais, j'en ai plus que je n'en puis employer. Bref, je ne puis trouver aucune des jouissances importantes de la vie que je ne possède et, sans grand effort de philosophie, je puis être heureux et satisfait [3]. »

L'événement le plus propre à mettre le comble à son bonheur eut lieu en 1752. Il fut élu bibliothécaire de l'Ordre des Avocats à Edimbourg. Aucune fonction ne pouvait lui être plus agréable. Il renonce à son traitement, en faveur du poète aveugle Blacklock, mais s'enferme dans sa bibliothèque du matin au soir, dépouille avec passion les documents, compulse, annote et compile et deux ans après il publie l'histoire des Stuarts, en 1759 l'histoire des Tudors, en 1761 l'histoire de l'Angleterre, depuis l'invasion de César jusqu'à l'avènement de Henri VII. C'est donc le temps de son activité littéraire la plus intense. Sa réputation s'est étendue à toute l'Europe. Il est en correspondance suivie avec la plupart des hommes illustres du temps, il est en relations (14) constantes avec A. Smith, qui fait partie du «  Club de la pincette », comme Hume appelle le cercle de ses amis les plus intimes : il le forme, il contrôle et discute chacune de ses opinions et peut-être subit-il lui-même, en quelque mesure, son influence.

C'est alors qu'en 1763, lord Hertford, ambassadeur envoyé en France à la suite du traité de Paris, propose à Hume le titre de secrétaire d'ambassade. Celui-ci d'abord surpris et un peu effrayé à l'idée de sacrifier son indépendance et sa tranquillité, mais séduit par la perspective d'un pareil voyage, finit par accepter. Il arrive en France le 14 octobre 1763.

Ce n'est pas seulement de nos jours que les Français ont mérité le titre, que nous donnait H. Heine, de «  comédiens ordinaires du bon Dieu ». La réception faite à Hume suffirait à le prouver. En ce temps-là, dans cette société la plus élégante, la plus spirituelle et la plus étourdie qui fut jamais, la mode était à la philosophie et à la science sociale. A ce double titre, Hume jouissait à Paris d'une réputation dont il ne soupçonnait pas l'étendue. Les philosophes avaient pris chez lui, souvent en les dénaturant, leurs meilleurs arguments contre le fanatisme et la superstition. La sensibilité ou la sensiblerie, dans laquelle on donnait si fort, lui savait gré d'avoir mis en lumière les facultés affectives et tendres de la nature humaine. Ses Discours politiques enfin, d'un abord facile et attrayant, suffisaient à donner, même après une lecture superficielle, ce minimum de connaissances économiques qui était considéré comme indispensable pour être du bel air. Hume était donc l'homme à la mode. Mais, le piquant c'est qu'il était aussi peu fait que possible pour remplir ce rôle. (15) Ceux qui ont connu Hume le décrivent comme un gros homme à la face large et grasse, avec une grande bouche, des yeux sans expression et une démarche lourde et maladroite. Dans l'intimité, sans doute, son esprit si vif et son intelligence si alerte paraissaient sous la forme d'une gaîté sans méchanceté et d'une grande finesse cachée sous ces apparences ingrates. Mais, à Paris où il ne connaissait personne, où il lui était même impossible de parler le français qu'il avait oublié depuis trente ans, c'était la plus plaisante idole dont on se puisse enticher. Il fut livré sans défense à l'engouement général. «  Il n'y avait aucune manie dominante dans ce pays lorsqu'il y est arrivé, dit Mme d'Epinay dans ses Mémoires. On l'a regardé comme une trouvaille dans cette circonstance, et l'effervescence de nos jeunes tètes s'est tournée de son côté. Toutes les jolies femmes s'en sont emparées [4]... » Aussi l'on s'en donna à cœur joie. Hume fut flatté, adulé, chanté, célébré. Il fut de tous les soupers fins. Il dut paraître à l'Opéra. Il fut présenté au Roi et reçut les compliments du futur Louis XVI, alors âgé de dix ans, du futur Louis XVIII qui en avait huit et du futur Charles X, personnage de six ans à peine qui ne put venir à bout de la harangue qu'on lui avait apprise. Mme de Boufflers qui depuis longtemps correspondait avec lui, Mme d'Epinay, Mlle de Lespinasse, Mme Geoffrin, Mme Riccoboni, pour ne citer qu'elles, se firent un devoir de le produire à chacune de leurs réunions où on le cajola, quoiqu'il en eût, et où son succès fut tel qu'il fut familièrement baptisé «  de gros et (16) d'aimable drôle ». Un jour on tenta de lui faire jouer une charade, mais il s'y montra si piètre et si peu au fait qu'il fallut toute l'indulgence de ses belles amies pour que «  l'aimable drôle » ne soit pas considéré comme un imbécile.

Hume fut d'abord interloqué de cette réception à laquelle il était si peu préparé. Puis, peu à peu, tout en plaisantant de ses succès mondains, il se laissa séduire par la société des philosophes et des économistes. Il se lia avec d'Alembert, Buffon, Malesherbes, Diderot, Crébillon, Helvétius, d'Holbach, Hénault, Raynal Suard, La Condamine, de Brosses, Morellet et enfin Turgot. Bref, son crédit était assez établi pour qu'en 1764, A. Smith, traversant la France avec le jeune duc de Buccleugh, s'adressât à lui, de Toulouse, pour lui demander une lettre d'introduction pour quelques hauts personnages politiques [5].

Hume s'acquitta de ses fonctions officielles avec un tel succès qu'il fut maintenu à Paris, après le départ de lord Herlford, comme chargé d'affaires, et dut fournir toute une correspondance diplomatique qui figure encore, paraît-il, au Foreign-Office et qui lui fait le plus grand honneur.

Lord Hertford, appelé à la vice-royauté d'Irlande, offrit l'emploi de secrétaire d'Etat à Hume qui, désormais acclimaté, songeait à se fixer définitivement en France. Cette offre le décida à retourner en Angleterre. (17) Ici se place un épisode de sa vie qui l'affecta douloureusement : c'est sa querelle avec J. -J. Rousseau. Celui-ci, proscrit et recueilli par Hume à Wooton, mais déjà malade et possédé du délire de la persécution, s'imagina avoir été attiré dans un guet-apens, à la suite d'une lettre qu'il considéra comme injurieuse et dont il attribua faussement la rédaction et la mise en circulation à son protecteur. Nous n'estimons pas qu'il y ait lieu de nous arrêter à cet incident pénible, auquel la gloire de Hume ni de Rousseau n'a rien à gagner, et qui n'offre peut-être un intérêt qu'au seul point de vue de l'histoire littéraire. Il est d'ailleurs rapporté dans toutes les biographies de Hume [6].

Lord Hertford ne put mettre sa promesse à exécution et Hume fut élevé par le général Conway, frère de lord Hertford, et ministre des affaires étrangères, à la dignité de sous-secrétaire d'Etat. Il affirma dans ce poste élevé, qu'il occupa jusqu'en 1768, toutes les qualités que ses fonctions précédentes avaient mises en lumière.

Hume eut la vieillesse la plus heureuse qu'on puisse souhaiter. Parti de la pauvreté, il était arrivé à la fortune, sa gloire s'étendait à l'Europe entière ; il avait autour de lui plus d'affections sincères que n'en peut d'ordinaire espérer un célibataire : des neveux qui répondirent à son affection, des amis dont la fidélité ne se démentit jamais. Enfin il ne connut de maladie que celle qui l'emporta, et conserva jusqu'à son dernier jour (18) sa cordialité et sa gaîté affable. Un de ses derniers soins, sentant sa fin prochaine, fut d'écrire son autobiographie, qu'il termine en parlant de lui au passé et à la troisième personne.

Il mourut au printemps de 1776, d'une maladie d'entrailles, dont il put suivre pendant un an la marche progressive et fatale. Ses derniers moments furent calmes. Il mourut avec une sérénité tranquille qui fit l'admiration de ses amis, et que méritent, sans doute, ceux qui toute leur vie cherchèrent à atteindre la vérité avec une entière bonne foi et une sincérité de tous les instants. «  Je l'ai toujours considéré durant sa vie et depuis sa mort, disait A. Smith, qui fut son exécuteur testamentaire, comme approchant aussi près de l'idéal d'un homme parfaitement sage et vertueux que le permet peut-être la nature et la fragilité humaine [7] (1). »

D. Hume avait désigné lui-même le lieu de sa sépulture. Son corps repose sur une colline voisine d'Edimbourg, dans un vieux cimetière ; sur sa tombe environnée de solitude et de paix, il voulut que ces seuls mots fussent inscrits : «  David Hume, né en 1711, mort en 1776. Laissant à la postérité le soin d'ajouter le reste. »



[1] HUXLEY, Hume, traduct. Compayré, p. 3.

[2] Revue des Deux Mondes, 1856,1er nov., p. 122.

[3] Hill BURTON, Life and corresp., t.I, p. 377.

[4] Cité par Hill Burton, Life and Corr , II, p 224 (note)

[5] HILL BURTON —Life and Corr., II, 228. Smith –annonce en même temps à son ami qu'il a « commencé à écrire un livre en manière de passe-temps (in order to pass away the time).  » C'est la première mention faite de la Richesse des Nations.

[6] Pour plus amples détails, consulter l' « Exposé succinct de la contestation qui s'est élevée entre M. Hume et M. Rousseau, avec les pièces justificatives.  » A Londres, 1760

[7] A. Smith. — Lettre à Strahan, 9 nov. 1776. Léon Say. — Edit. de Hume, p. LXIII.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 19 décembre 2009 13:29
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cegep de Chicoutimi.
 



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