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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Turgot. (1887)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre Léon Say (1887), Turgot (1887). Paris: Librairie Hachette et cie., 1887. Collection: Les grands écrivains français, 208 pp. Une édition réalisée grâce à la précieuse coopération de Serge D'Agostino, professeur de sciences économiques et sociales en France.

Introduction

On a beaucoup écrit sur Turgot ; on a fait l'histoire de son enfance, de sa jeunesse, de son âge mûr ; on nous l'a montré se cachant tout enfant sous les meubles pour se soustraire, par timidité, aux visites que recevait sa mère, et on nous a raconté comment, plus tard, dans sa jeunesse, il jouait au volant, en soutane, avec la belle jeune fille qu'on appelait Minette et qui devait bientôt se nommer Mme Helvetius. On a conservé les discours qu'il a prononcés comme prieur de la maison de Sorbonne à l'ouverture et à la clôture des sorboniques de 1750. On a su quelles raisons l'avaient déterminé à renoncer à la prêtrise, et comment il a rempli des fonctions dans la magistrature, d'abord à titre de conseiller substitut du procureur général, ensuite de conseiller au Parlement, puis de maître des requêtes. On nous a fait assister à sa première brouille avec le Parlement, en 1754, le jour où il accepta de faire partie d'une Chambre royale, chargée de juger au lieu et place du Parlement exilé.

On nous a cité les mots de ses amis, joyeux de sa nomination à l'intendance de Limoges en 1761, et on nous a rappelé l'espérance que cette nomination avait fait concevoir à Voltaire : « Un de nos confrères vient de m'écrire qu'un intendant n'est propre qu'à faire du mal; j'espère que vous prouverez qu'il peut faire beaucoup de bien. »

Il reste treize ans à Limoges, et pendant les vingt-cinq années qui se sont écoulées depuis son entrée à lit Sorbonne jusqu'à son départ de Limoges, il ne cesse d'être l'idole des encyclopédistes et des économistes. Il a connu successivement Quesnay, Gournay, Dupont de Nemours, Voltaire, Hume, Adam Smith, Condorcet. Sa correspondance est très étendue. C'est un véritable chef d'école, et, quoique le duc de Choiseul ait dit, en parlant de lui en 1769, qu'il n'avait pas « une tête ministérielle », ses maîtres, ses amis, ses disciples, le considèrent déjà comme le seul ministre capable de rétablir l'ordre dans l'administration et dans les finances de la monarchie ébranlée.

On a recueilli les lettres, les plans, les mémoires, les avis, les arrêtés, les circulaires, les comptes rendus, tout ce qu'il a écrit pendant la première partie de sa vie. On peut le suivre, pour ainsi dire jour par jour, pendant tout le temps qu'il a rempli les diverses fonctions dont il a été revêtu de 1750 à 1774.

Il arrive enfin au ministère, à quarante-sept ans, préparé par toute une vie de réflexion, d'étude et de pratique administrative. Il est prêt à réaliser les réformes les plus larges et les plus fécondes.

Il rétablit la liberté du commerce des grains et soulève par cette mesure, pourtant si justifiée, les colères populaires. Il vient à bout - bien des gens s'en étonnent - de la guerre des farines, et couronne son œuvre par la proclamation de la liberté du travail. L'abolition des jurandes et des maîtrises a été le grand acte de sa vie et comme son testament économique.

On a conservé ses mémoires au roi, ses notes, les arrêts du Conseil qu'il a rédigés, les préambules qu'il a mis en tête de ses édits pendant son ministère. On connaît dans les moindres détails tout ce qu'il a pensé, écrit et fait pendant une administration de vingt mois, très courte, comme on le voit, mais la plus admirable et la plus remplie qu'on puisse imaginer. Il succombe, après avoir lutté vigoureusement, vaincu par la coalition des intérêts et des préjugés, ou, comme dit Voltaire, des financiers, des talons rouges et des bonnets carrés, et ceux qui ont parlé de lui discutent à perte de vue sur les causes de son insuccès.

On attribue sa chute à ce qu'il a trop entrepris à la fois, à ce que son caractère manquait de souplesse et à ce qu'il était animé par un esprit de secte. On recherche quelles sont les qualités de l'homme d'État qui lui ont manqué pour réussir.

Ses biographes le suivent dans sa retraite pour le mieux comprendre ; ils le voient occupé d'expériences scientifiques, reprenant les travaux de prosodie qui l'ont intéressé dès sa première jeunesse.

Il meurt enfin, à cinquante-quatre ans, de la goutte qui n'avait cessé de le tourmenter depuis plus de vingt ans et qui lui faisait répondre à Malesherbes lui reprochant de trop se presser : « Que voulez-vous ! les besoins du peuple sont immenses, et dans ma famille on meurt de la goutte à cinquante ans. »

Pour tous ceux qui nous ont raconté sa vie, qui ont réuni avec un soin pieux ses moindres paroles et les moindres écrits sortis de sa plume, Turgot est un grand esprit, un des plus grands esprits du XVIIIe siècle, le plus grand peut-être après Montesquieu; mais tous, ils le considèrent comme un réformateur malheureux qui est mort à la peine, sous les coups d'adversaires moins forts, il est vrai, mais sûrement plus avisés que lui, d'hommes peu soucieux, sans doute, de connaître et d'appliquer les grandes vérités de l'ordre économique, mais admirablement dressés a faire jouer à leur profit tous les ressorts de l'intrigue des cours.

Il y a, on ne peut se le dissimuler, un cri qui échappe à ceux-là même qui ont le plus constamment vécu auprès de lui, qui n'ont jamais cessé de l'aimer ni de l'admirer. Tous disent, répètent, écrivent : Turgot n'avait pas les qualités qui assurent la victoire.

Je voudrais tirer de sa vie et de son oeuvre une conclusion bien différente et, en parlant de lui, le traiter non en vaincu, mais en vainqueur.

C'est que, s'il a échoué au XVIIIe siècle, il a, en réalité, dominé le siècle suivant. Il a fondé l'économie politique du XIXe siècle, et par la liberté du travail qu'il lui a léguée, il lui a imprimé la marque qui le caractérise le mieux dans l'histoire.

Grâce à la liberté du travail, le XIXe siècle a été le siècle de la grande industrie, de l'application des grandes découvertes scientifiques, géographiques, économiques, au développement da travail et de la richesse. En faisant pénétrer profondément dans la conscience française et européenne les principes de la liberté du travail, Turgot a préparé la conquête de l'univers par la civilisation occidentale, et c'est le XIXe siècle qui a fait cette conquête.

Ce qui est un indice très remarquable de l'action personnelle de Turgot dans le mouvement qui s'est produit dans notre siècle, c'est que son souffle paraît encore aujourd'hui nécessaire pour maintenir en action les principes dont il a recommandé l'application. On est obligé, pour empêcher le siècle de dévier de la route que Turgot lui a tracée, de se rattacher plus fortement que jamais il sa personne, à sa vie, à ses actes et d'engager de nouveau, en s'appuyant sur lui, des luttes très analogues à celles qu'il a soutenues il y a bientôt cent vingt ans.

La liberté du travail, qui était pour lui le commencement et la fin de toutes les lois économiques, est aujourd'hui l'objet des attaques les plus vives.

Ce ne sont plus les privilégiés, les maîtres de la richesse, les parlementaires, les classes qu'on appelait autrefois dirigeantes, qui se coalisent, comme jadis, contre Turgot.

La réaction qui se révèle se produit parmi les ouvriers, chez les fils de ceux qui ont été comme enivrés de joie quand il a proclamé l'édit d'abolition des maîtrises et des jurandes. Les ouvriers cherchent à ressaisir, pour s'en charger de nouveau, leurs fers brisés, croyant trouver une protection dans ce qui a été autrefois - ils l'ont oublié - l'instrument de leur oppression.

Le XIXe siècle est le vrai siècle de Turgot, parce que c'est celui où ses idées ont été appliquées et où il a manifestement régné sur les esprits et sur les choses. Aura-t-il été le siècle unique pendant lequel les principes de Turgot auront reçu une aussi éclatante satisfaction? Le siècle prochain brûlera-t-il ce que nous avons adoré ? Il ne manque pas de tristes prophètes pour nous en menacer. Ces prophètes de malheur seront démentis par l'événement. Turgot est entré dans sa gloire ; il y est entré pour toujours, et l'économie politique française, dont il a été le vrai fondateur, ne se sent pas encore désarmée. Elle n'est pas près d'amener son pavillon.

Retour au texte de l'auteur: Léon Say Dernière mise à jour de cette page le Dimanche 27 avril 2003 19:52
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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