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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Philippe Sagnac, La formation de la société française moderne.
Tome I.
La société et la monarchie absolue (1661-1715).
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Philippe Sagnac, La formation de la société française moderne. Tome I. La société et la monarchie absolue (1661-1715). Paris: Presses Universitaires de France, 1945, 240 pages. Une édition numérique réalisée par Jean-Marc Simonet, professeur retraité de l'enseignement, Université de Paris XI-Orsay, bénévole.

Introduction

On sait que la monarchie française fut, au temps de saint Louis, de Philippe le Bel et de leurs successeurs, une monarchie tempérée par des coutumes, et même, à partir du xive siècle, par une sorte de représentation nationale, les États généraux, qui, sans être périodique, eût pu devenir une institution régulière, si l’entente s’était faite entre la nation et le roi, et entre les trois « ordres » de la nation. Mais, quand l’unité du royaume commença de s’établir, et que, pour rivaliser avec la puissante Maison d’Autriche qui entendait dominer l’Europe, les rois furent entraînés à des guerres interminables en dehors des limites du territoire, l’autorité royale ne connut plus les États généraux ni les vieilles coutumes que respectait tant saint Louis : le danger national fit accepter le pouvoir absolu de François Ier et d’Henri II. Puis les guerres religieuses et politiques affaiblirent le pouvoir, qui, guetté par des factions fanatiques, se vit forcé de faire appel à la nation et de réunir à Orléans, à Blois ou à Paris même, les États généraux, déjà bien oubliés, mais que les dangers intérieurs et extérieurs réclamaient comme une suprême ressource. Ce ne fut là qu’une période, fort triste à la vérité, où l’on put se demander si la France allait disparaître dans des flots de sang et tomber au rang de colonie espagnole, mais qui, heureusement, prit fin, quand le pays revint à son bon sens national et trouva un roi d’une dynastie nouvelle qui le comprit et le ramena à la claire lumière française.

Henri IV parut : son habileté politique, ses talents de chef militaire et d’homme d’État, son arbitrage suprême, qui savait concilier, pour l’instant, les factions encore déchaînées, le charme de sa personne, son éloquence primesautière et familière, qui lui gagnait les esprits et les cœurs, tout le favorisa. En ayant l’air, d’abord, de se mettre au niveau de ses sujets et de leur parler sans ambages, comme un père à ses enfants, il eut tôt fait de rétablir l’autorité royale sans dépendance et sans partage ; et, se voyant solide sur le trône, depuis ses victoires sur les factions et sur l’Espagne, il ne fit plus appel, après avoir réuni les Notables à Rouen, à aucune assemblée de la nation, et, sous des p002 apparences patriarcales et des formes populaires, se mua en monarque absolu. Il reprenait la tradition de Louis XI, de François Ier et d’Henri II, avec un progrès de plus vers l’absolutisme. Le danger que faisait toujours courir à la France l’encerclement espagnol et autrichien était encore là ; un gouvernement puissant était nécessaire plus que jamais ; la nation le sentit, surtout cette bourgeoisie de patriotes qui s’était dressée contre les factions extrêmes, et laissa faire au roi.

La minorité de Louis XIII renouvela les troubles, les intrigues et les périls du temps de la Ligue. Avec une reine-mère italienne et une reine espagnole, une aristocratie féodale relevant la tête, reprenant la tradition des guerres civiles, trahissant le roi, s’alliant à l’Espagne, complotant sans cesse contre lui, l’autorité s’affaiblit dangereusement, pendant que l’Europe était en feu. Alors parut Richelieu. Il reprit la tradition d’Henri IV, avec plus d’obstination et de continuité, même avec une violence inusitée, contre l’aristocratie féodale qui faisait des grandes provinces du royaume de véritables fiefs indépendants, et qui n’hésitait pas à s’entendre avec l’Espagne, soutenue par les deux reines et le propre frère du roi. On sait comment Louis XIII sut faire taire devant la raison d’État ses sentiments d’affection filiale, déjouer la conspiration et maintenir à la tête des affaires le cardinal-ministre, désormais tout puissant : ce jour-là, il sauva son royaume, marcha résolument vers l’absolutisme et en même temps vers de nouvelles conquêtes territoriales.

Sans doute la révolution politique que fit Richelieu, au milieu des complots, des menaces d’attentat sur sa personne, des guerres de toute sorte, à l’intérieur et à l’extérieur, ne put-elle tenir, après sa mort, toutes ses promesses ; tant ce régime nouveau, encore très imparfait, paraissait contraire aux vieilles traditions monarchiques et aux ambitions d’une aristocratie férue de son antique idéal féodal ; mais, malgré la Fronde de la Noblesse d’épée et même de la magistrature, qui se déchaîna en pleine guerre, le soutien que la royauté trouva, comme jadis, dans la bourgeoisie de toutes les provinces, et les nécessités de la guerre qui se poursuivait avec l’Espagne, rallièrent la nation entière autour du jeune roi Louis XIV ; et, grâce à la souplesse tenace de Mazarin, l’ordre revint peu à peu : dès 1653 reprirent les procédés de la monarchie absolue, et, insensiblement, la soumission de tous à l’autorité, même du prince de Condé, ce transfuge, qui, vaincu aux Dunes avec l’armée d’Espagne, vint enfin à résipiscence. Des commissaires du roi, des « intendants », comme au temps de Richelieu, apparurent dans les provinces, plus nombreux, revêtus de grands pouvoirs, résolus p003 à faire plier tous et chacun devant l’autorité royale, pendant qu’aux armées d’autres « intendants », secondés par des « commissaires des guerres », s’efforçaient, sous la sage direction du secrétaire d’État Le Tellier, de mettre un peu plus d’ordre et d’économie dans toute l’organisation militaire. La monarchie absolue s’établissait peu à peu.

Le glorieux traité des Pyrénées (1659), succédant, à onze ans d’intervalle, aux non moins glorieux traités de Westphalie, agrandissant considérablement la France au nord, à l’est et au midi, la délivrant définitivement du danger de l’enveloppement espagnol et autrichien, semblait justifier, s’il en eût été besoin, le nouveau régime monarchique. Pour le roi et ses ministres, pour Richelieu, pour Mazarin, c’était l’absolutisme qui avait valu à la France ses victoires et ses conquêtes et sa glorieuse situation dans le monde. Ce régime nouveau ne s’était guère proposé la « réforme du dedans » : l’ordre des finances, la juste répartition des impôts, la réorganisation de la justice, le progrès de l’agriculture et de l’industrie, le bien-être des populations des campagnes et des villes. Peut-être la royauté, vers 1624 ou 1630, eût-elle pu entreprendre cette réforme intérieure, après l’anarchie et le gaspillage financier de la minorité de Louis XIII. Mais l’occasion inespérée que lui offrait la guerre de Trente ans était plus tentante et glorieuse, et c’est vers la grande politique extérieure, vers la conquête et la domination de l’Europe que Richelieu, puis Mazarin dirigèrent l’action de la monarchie : tradition ancienne certes, mais surtout nouvelle, qui allait prendre une ampleur inaccoutumée. Le monarque ferait avant tout la guerre, agrandirait son royaume, le mettrait à l’abri de toute attaque, deviendrait l’arbitre de l’Europe. Et, pour le rester, il soumettrait les Français à son autorité absolue, ne souffrirait plus chez les plus grands de ses sujets, princes du sang et autres, la moindre liberté ni la moindre critique, les enchaînerait à son auguste personne, par toutes sortes de charges honorifiques, de faveurs, de gratifications et de plaisirs. Il aurait une armée de ministres, de « commis », d’intendants de province, pour administrer son royaume à sa convenance, exigeant de tous l’obéissance absolue. Bien plus, il prétendrait exercer sur l’ensemble de la société française une sorte de magistère, qui eût fait, s’il avait toujours été obéi, des Français, des esclaves « rampant misérablement » [1] devant leur maître.

Cette œuvre, méthodique, suivie, servie par de grands ministres, mérite d’être exposée dans son ensemble, dans sa p004 continuité ferme et sévère. On verra comment, suivant quelles doctrines et par quels moyens la monarchie s’efforça de transformer la société, cette société si vivante vers 1660, peu ordonnée certes, mais riche d’initiative, capable de grandes choses, en ayant réalisé de son propre mouvement tant de belles et de glorieuses, dans tous les domaines de la pensée et de l’action. On sera peut-être surpris de voir comment cette société, se livrant à Louis XIV et à ses ministres, sembla d’abord succomber et se laissa prendre dans leurs filets de plus en plus serrés. Mais on constatera aussi qu’avant la fin du siècle elle regimba, pour se libérer au xviiie siècle. La tentative révolutionnaire de la royauté que fut l’établissement du régime absolu et administratif n’a pu en fin de compte parvenir à modeler la société française à sa guise. Il s’agira alors de savoir si la monarchie, fondée par Louis XIV après les tentatives de Richelieu et de Mazarin, pourra se réformer, s’adapter aux besoins et aux aspirations de la société, au lieu de la diriger despotiquement. A la société française, désormais, de commander, en fait.

Ce sont ces actions et réactions réciproques qui font, selon nous, l’intérêt principal de cet essai. C’est sur elles que nous nous proposons d’insister, sans entrer dans tous les détails de la vie économique, politique, intellectuelle, religieuse et morale de la société française.

Cet essai, nous le diviserons en deux parties : la première, de 1661 à 1715, comprend l’époque de la monarchie absolue où le pouvoir a cherché tous les moyens d’assujettir la société, mais où déjà sa défaite apparaît certaine. Non que la date de 1715 ait une signification profonde pour l’évolution de la société— la vraie date serait bien plutôt 1685 ou 1688, si l’on peut assigner une date à des transformations sociales qui ne s’opèrent que lentement ; mais la réaction contre le régime de Louis XIV a été assez violente, après la mort du grand roi, pour qu’on regarde cette année 1715 comme un nouveau point de départ, avec un nouvel essai de gouvernement. La deuxième partie de l’ouvrage comprendra l’époque 1715-1789 et les diverses transformations sociales qui conduisirent peu à peu la France vers la Révolution.



[1] Le mot est de Turenne.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 22 octobre 2010 15:33
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cegep de Chicoutimi.
 



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