Dix jours qui ébranlèrent le monde.
Préface à l'édition russe de 1923
N. Kroupskaïa.
Dix jours qui ébranlèrent le monde, tel est le titre que John Reed a donné à son remarquable livre. Il y décrit d’une manière extraordinairement forte et colorée les premiers jours de la révolution d’Octobre. Il ne s’agit pas d’une simple énumération de faits, ni d’un recueil de documents ; c’est une succession de scènes vivantes et caractéristiques à tel point qu’elles ne peuvent manquer d’évoquer, dans l’esprit de quiconque a participé à la révolution, des épisodes analogues dont il a été témoin. Tous ces tableaux pris sur le vif traduisent parfaitement l’état d’esprit des masses, cet état d’esprit qui, servant de toile de fond à la grande révolution, en rend chaque acte particulièrement facile à comprendre.
À première vue, il peut sembler singulier qu’un tel livre ait pour auteur un étranger, un Américain, qui ignore la langue du peuple russe, ses mœurs et coutumes… Il devrait, semble-t-il, tomber à tout bout de champ dans les erreurs les plus ridicules, passer à côté d’éléments importants.
Ce n’est pas ainsi que les étrangers parlent de la Russie soviétique. Ou bien ils ne comprennent rien aux événements qui s’y déroulent, ou bien ils s’emparent de faits isolés, qui ne sont pas toujours typiques, et ils les généralisent.
Il est vrai que bien peu furent témoins de la révolution. John Reed ne fut pas un observateur indifférent ; révolutionnaire passionné, communiste, il comprenait le sens des événements, le sens de la lutte gigantesque. De là cette acuité de vision sans quoi il n’aurait pu écrire un pareil livre.
Les Russes, eux aussi, parlent autrement de la révolution d’Octobre : ils formulent un jugement général, ou bien décrivent les épisodes auxquels ils ont pris part. Le livre de Reed, lui, trace un tableau d’ensemble d’une véritable révolution des masses populaires, aussi aura-t-il une importance particulièrement grande pour la jeunesse, pour les générations futures, pour ceux aux yeux de qui la révolution sera déjà de l’histoire. À sa façon, le livre de Reed est une épopée.
John Reed s’est voué corps et âme à la Révolution russe. La Russie soviétique lui est devenue chère et proche. C’est en Russie qu’il est mort du typhus et qu’il est enterré au pied du Mur rouge du Kremlin. Celui qui a décrit les funérailles des victimes de la révolution comme l’a fait John Reed est digne d’un tel honneur.
N. Kroupskaïa.
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