RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les auteur(e)s classiques »

Antoine REDIER, LA GUERRE DES FEMMES.
Histoire de Louise Bettignies et de ses compagnes.
(1924)
Dédicace


Une édition électronique réalisée à partir du livre d'Antoine REDIER, LA GUERRE DES FEMMES. HISTOIRE DE LOUISE BETTIGNIES ET DE SES COMPAGNES. Paris: Les Éditions de la Vraie France, 1924, 317 pp. Une édition numérique réalisée par Diane Brunet, bénévole, guide de musée, La Pulperie, Chicoutimi, Ville de Saguenay.

Dédicace
_____


Je dédie ce livre à la mémoire d'une des plus nobles femmes qui aient jamais honoré le nom français. Louise de Bettignies est peu connue, et ce n'est pas à l'éloge de ceux qui ont mission d'informer le public. J'ai l'ambition d'aider par mon témoignage à réparer cette injustice des hommes, dont ne pâlit pas seulement la gloire d'une jeune fille héroïque et charmante, mais la couronne française, qu'il ne faut priver d'aucun de ses fleurons.

Je me tourne aussi vers d'autres jeunes filles, celles qui ont vécu comme Louise de Bettignies de grandes heures, et qui ne sont pas mortes. Celles-là, si je voulais, leur apportant mon hommage, les nommer comme je les vois, j'inscrirais ici ces seuls mots : Aux vraies mortes.

Car je les plains et je sens toute la mélancolie d'un destin qui fut si grand et se mesure maintenant à notre taille misérable. Quand on a pensé, senti, agi d'une certaine haute façon, il est triste de s'abimer en plein vol, mais plus triste de redescendre doucement sur la terre, pour y traîner, dans la foule médiocre, des jours sans consolation.

Je pense aux plus humbles d'entre elles, qui ne connaissent ni les compensations matérielles ni cette paix du cœur qu'apporte parfois la richesse avec ses loisirs. Elles ont éprouvé, parmi des souffrances sans nom, quelques-unes de ces joies dont le souvenir embaume une âme pour toujours, mais il y a le contact avec la bassesse humaine qu'elles avaient cessé de voir et qui s'étale maintenant avec cynisme et va les étouffer. Je les plains. On a mis un ruban, deux rubans à leur corsage, et c'est tout. Elles passent, et les hommes et les femmes qui courent par les rues, cherchant de l'or ou des plaisirs, ne se détournent pas pour les voir. J'en connais de sublimes, qui ne se marieront jamais. Pourquoi ? Pas de dot. Mais leur, âme robuste, et le feu qui brûle dans leurs cœurs, et ces preuves qu'elles ont données de leur bravoure devant les hommes, les choses et la mort, qu'en font-ils, les épouseurs ?

On ne leur donne même pas leur part de gloire, car c'est aux morts que vont les couronnes et les discours, les livres aussi. Oui, j'ai choisi Louise de Bettignies, parce qu'elle a été la plus belle parmi les mortes. Peut-être aurais-je fait une œuvre plus opportune en racontant l'histoire d'une de nos sœurs vivantes. Elles ont le cœur lourd de, souvenirs magnifiques, et ceux qu'elles ont voulu sauver au prix de leur sang les éclaboussent ou les dédaignent et les laisseraient mourir de faim sans un regard. J'ai voulu qu'il y eût un sourire pour elles dans mon livre. Il ne faut pas que les vivantes soient jalouses de la paix qu'a trouvée la morte, ni des hommages qu'à mon appel lui rendra, j'espère, la postérité.

Je l'ai appelé La Guerre des Femmes, mon récit de la vie héroïque et de la mort de Louise de Bettignies, parce que j'ai entendu célébrer toutes les femmes qui, comme elle, ont fait la guerre. La première qui ait retenu mon attention fut cette Ceneviève Hennet de Goutel, âme de feu, qui disait, après avoir pansé l'horrible blessure d'un soldat « Il ne sait pas que sur sa pauvre plaie rongée, en grattant les croûtes et les lambeaux de chair décomposée, et en respirant la pourriture qui s'en exhalait, j'ai vraiment passé une heure divine. » Celle-là était de ce côté-ci du front et elle est morte en Roumanie d'avoir servi sa patrie comme une amante.

Mais voici toutes les autres que j'ai rencontrées autour de Louise de Bettignies sur les routes de la France et de la Belgique occupées ou dans les prisons d'Allemagne. Les unes couraient la nuit, poussant devant elles des hommes que traquait l'ennemi, et les conduisant par étapes à la frontière hollandaise, d'où ils gagnaient les armées de l'Entente. D'autres recueillaient des renseignements sur l'occupant et les portaient aussi à la frontière. Deux noms de Françaises devraient être connus et honorés de nous tous : ceux de Louise Thuliez, de Lille, et de Marie-Léonie Vanhoutte, de Roubaix. On les trouvera dans mon récit, surtout celui de la dernière, qui fut le lieutenant de mon héroïne. Et toutes les autres, nous les verrons réunies à la fin, dans la geôle sinistre où l'ennemi les jetait à mesure que les dénonciations ou la malchance s'abattaient sur elles.

Nous qui avons tiré de la guerre, malgré ses horreurs, tant de grands souvenirs, nous serions coupables de ne pas saluer très bas ces femmes qui se sont battues à leur façon. Leur sacrifice a sauvé des milliers d'entre nous, et c'est de quoi nous émouvoir. Et puis, vivantes ou mortes, on peut bien les mettre dans la gloire : elles ont toutes fini de vivre, car leur sensibilité, plus aiguë que la nôtre, mesure mieux dans quel bas-fond la paix a replacé les humains, qu'on voyait si beaux au feu des combats.

Ainsi c'est au petit nombre de celles qui se sont jetées dans la bataille que j'ai consacré ces pages, mais les tribulations et les tourments de toutes les autres, des mères, des épouses, des fiancées, des sœurs, j'envie celui qui saura bien nous les conter. J'ai toujours pensé que le temps où l'on se battait avait été dur aux honnêtes femmes, elles souffraient autrement que nous, et sans les glorieuses compensations dont s'enivre en face du danger toute âme bien faite. Leur devoir était à la maison, qu'il fallait garder. Impuissant à honorer ces vestales selon leurs mérites, je leur offre des deux mains ce livre, et plus pieusement à l'une d'elles, qui veillait alors sur mon foyer, sur mes fils, et qui, l'épreuve finie, m'a tout rendu, avec sa tendresse agrandie.

Noël 1923.

A. R.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le dimanche 11 octobre 2009 13:54
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cegep de Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref