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Collection « Les auteur(e)s classiques »

La Chine et la formation de l’esprit philosophique en France (1640-1740) (1932).
Avant-propos


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Virgile PINOT, La Chine et la formation de l’esprit philosophique en France (1640-1740). Thèse présentée à la Faculté des Lettres pour le Doctorat ès-Lettres.  Librairie orientaliste Paul Geuthner, Paris, 1932, 480 pages. Une édition réalisée par Pierre Palpant, bénévole, Paris.

Avant-propos

Lorsqu’on lit les ouvrages du XVIIIe siècle, récits de voyages ou articles de journaux, écrits des philosophes ou des économistes, on est étonné de voir revenir si souvent le nom de la Chine et de trouver tant de preuves de ladmiration quelle a provoquée : la Chine, à en juger seulement par le nombre des témoignages, semble plus en faveur que l’Angleterre elle-même, dont l’influence sur les idées a cependant été si grande à la même époque. La Chine sans aucun doute est à la mode au XVIIIe siècle.

Les différentes manifestations de la mode orientale et chinoise ont été décrites par M. Martino, et son travail n’est plus à faire. Mais qui dit mode ne dit pas nécessairement influence. On peut se faire habiller à Londres sans rien connaître de lesprit anglais, sans rien emprunter aux idées anglaises. On a pu costumer à la chinoise en France au XVIIIe siècle des personnages de romans ou de tragédies, sans que ces personnages aient rien de chinois. On a peut-être bu du thé dans de la porcelaine des Ming, voire en devisant de Confucius, sans éprouver le besoin de rectifier ses idées morales ou politiques d’après les idées des Chinois. Et même l’admiration pour une nation étrangère n’est pas une preuve d’une influence exercée par cette nation sur ceux qui l’admirent. Il y eut peut-être beaucoup de gens qui ont été dans le même état d’esprit que Saint-Evremond, qui était prêt à célébrer la vertu des Chinois, mais qui n’eût pas voulu vivre à Pékin, parce qu’on n’y trouvait pas de beurre et qu’on n’y mangeait pas d’huîtres. Le docte et grave Mathieu Marais, bien qu’en termes moins choisis, a exprimé exactement la même idée.

Leur admiration pour la Chine ne leur a pas donné le désir de « s’inoculer l’esprit chinois ».

Pour avoir le désir de « s’inoculer » l’âme d’une nation étrangère il faut semble-t.il éprouver d’abord une inquiétude d’esprit, ou de sentiment qui empêche de se satisfaire entièrement de tout ce qui constituait, jusqu’à ce jour, la vie intellectuelle et morale. Mais il faut, en outre, que cette nation étrangère vienne, au moment précis où se manifeste cette inquiétude, apporter de quoi satisfaire des besoins et des désirs qui, pour être informulés ou inconscients, n’en sont pas moins déterminés. Et le mot de Pascal s’applique ici aussi « Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais déjà trouvé ». Si Bernier, la dernière année de sa vie, s’appliqua à traduire la morale de Confucius, c’est que, après avoir philosophé cinquante ans, il doutait des choses qu’il avait cru les plus assurées ; et Confucius lui apportait, avec sa politique fondée sur la morale, de quoi satisfaire non seulement le philosophe qu’il avait toujours été, mais le philosophe vieilli qui ne voulait plus construire uniquement des systèmes dans les nuages, mais cherchait à les appuyer solidement sur les fondements de l’expérience.

Nous risquons donc de trouver une influence étrangère à des époques névralgiques, à des moments de crises, crises individuelles ou crises sociales, et c’est le cas pour la Chine dont l’action s’est exercée surtout à deux périodes : après 1685, lorsqu’on commence à passer au crible les idées religieuses, politiques et morales traditionnelles, et après 1760 lorsque les philosophes et les économistes cherchent à constituer une science sociale, qui doit servir de base à la politique et à la morale. Or, remarquons-le, au moment où l’influence de la Chine est le plus considérable, cest-à-dire après 1760, l’admiration pour la Chine, qui avait été pour ainsi dire un dogme jusque vers 1750, nest plus entière. On doute même alors de la vertu des Chinois. On range le gouvernement chinois dans les gouvernements despotiques, et les physiocrates, pour faire admettre le gouvernement chinois comme modèle de tout bon gouvernement, sont obligés de constituer leur théorie du despotisme légal. D’autre part, la plus belle époque de la mode chinoise ne coïncide pas avec ces périodes d’influence. Elle se place entre 1745 et 1755 lorsque Mme de Pompadour, qui donne le ton, se plaît à s’entourer de chinoiseries : c’est le moment où la Compagnie des Indes fait ses plus beaux bénéfices (qui diminueront ensuite), c’est le moment où Boucher dessine ses femmes chinoises, où tout le monde veut avoir dans ses appartements des trumeaux à sujets chinois. Sans doute il serait faux de prétendre que cette mode a été sans action sur la période qui l’a suivie — Quesnay, l’inventeur de la théorie du despotisme légal, qui était le médecin de Mme de Pompadour, a vécu dans sa familiarité —mais les deux courbes, celle de la mode et celle de l’influence pendant une période déterminée de l’art et de la littérature, restent indépendantes lune de l’autre ; bien qu’elles se rapprochent ou se confondent même quelquefois pendant un certain temps, elles conservent chacune leur individualité.

C’est l’influence exercée par la Chine au XVIIIe siècle sur les idées et les mœurs françaises, et rien dautre, que nous avons l’intention d’étudier, sans pour cela négliger à l’occasion l’action que la mode des chinoiseries a pu avoir à certaines époques. Nous avions songé tout dabord à traiter ce sujet en un seul ouvrage en prenant Voltaire pour centre, puisquaussi bien il est souvent considéré comme le grand propagateur du « virus » chinois. Mais nous avons dû nous rendre compte que bien longtemps avant que Voltaire parlât de la Chine, ce pays avait préoccupé et passionné érudits, savants et philosophes. Entre 1640 et 1740, il se fait un lent travail d’information et l’on déploie beaucoup d’érudition pour arriver à connaître la chronologie, l’ancienne histoire, la philosophie, la morale des Chinois. Il faut donc connaître tout cette période d’élaboration pour savoir quelle est la grandeur de la dette de Voltaire à l’égard de ses devanciers, pour savoir par suite quel est son apport personnel. Avant de parler de Voltaire et la Chine, ce qui, nous l’espérons, ne tardera guère, il faut étudier le rôle de la Chine dans la formation de lesprit philosophique du XVIIe siècle.

Et d’autre part, en examinant les ouvrages d’information sur la Chine dans la première moitié du XVIIIe siècle, on ne peut pas ne pas être frappé de ce fait que ce sont uniquement — à par quelques relations de voyages sans grande importance — des écrits de Jésuites. Contre l’impartialité de ces ouvrages, quelque voix se sont élevées : St-Simon, Fréret, d’autres encore, sans parler des Missionnaires de la Société des Missions étrangères, ou des Dominicains, ennemis des Jésuites. Il était donc nécessaire de faire une étude critique de ces ouvrages, pour savoir si les Jésuites nous ont donné au début du XVIIIe siècle une idée — nous ne dirons pas exacte — mais tout au moins impartiale de la Chine. Etude critique qui devait aussi être historique, à cause de cette Querelle des Cérémonies chinoise que quelques-uns de ces écrits ont déchaînée et qui a duré pendant tout le temps que se sont élaborés les principaux éléments d’information sur la Chine au XVIIIe siècle, Lettres édifiantes et curieuses et Description de la Chine du P. du Halde.

Au moment de publier les premiers volumes de cette étude générale sur la Chine et l’esprit philosophique en France au XVIIIe siècle, je manquerais au plus grave des devoirs et en même temps à celui qui coûte le moins, j’entends au devoir de la reconnaissance, si je ne disais tout ce que je dois à M. Gustave Lanson. Il a bien voulu me signaler en 1905, alors que j’étais étudiant à la Sorbonne, limportance de la Chine pour le développement des idées au XVIIIe siècle ; depuis cette époque, il a sans cesse encouragé les travaux que j’ai entrepris sur cette question, et il m’a fourni avec une bonne grâce dont je ne saurais trop le remercier, non seulement des renseignements utiles mais les directions nécessaires. Puisse ce travail n’être pas trop inférieur à ce qu’il pourrait en attendre !


Retour au livre de l'auteur: Laurence Binyon (1869-1943) Dernière mise à jour de cette page le samedi 13 janvier 2007 6:18
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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