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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Les idéologues (1891)
Avertissement de l'auteur


Une édition électronique réalisée à partir du livre de François Picavet, Les idéologues. Essai sur l'histoire des idées et des théories scientifiques, philosophiques, religieuses, etc. en France depuis 1789. (1891). Ouvrage originalement publié en 1891. Nouvelle impression. New York: Burt Franklin, 1971. 628 pages. Collection Burt Franklin Research and Source Wordk: 786; Philosophy Monography Series: 70.

Avertissement de l'auteur:



Pourquoi, dira le lecteur, un livre et un gros livre sur les Idéologues? C'est ce que je vais brièvement expliquer.

En lisant le Génie du Christianisme, que tout bon élève des écoles primaires recevait en prix au moins une fois, j'avais toujours été frappé de voir avec quel mépris, avec quel dédain Chateaubriand parlait des Idéologues, dont cependant il combattait sans cesse les doctrines, comme le plus puissant obstacle au triomphe de son néo-catholicisme. Puis les historiens me montraient, en Napoléon, un adversaire qui, contre les Idéologues, employait non seulement les armes du despotisme, mais encore la raillerie et l'invective. Même ils me laissaient croire que leur opposition avait contribué presque autant à la chute de l'empire qu'à la fondation du consulat.

Dans le domaine spéculatif, je voyais sans cesse revenir leurs noms. Lavoisier ne semble avoir fait une révolution en chimie, que parce qu'il a appliqué la méthode décrite par Condillac. Les travaux de Pinel sur la Nosologie ou sur l'Aliénation mentale ont la même origine. Darwin et Haeckel renvoient à Lamarck comme à un ancêtre. Spencer s'est appuyé, en lui donnant une force nouvelle, sur l'hypothèse de Laplace. Le calcul des probabilités ramène à Laplace et à Condorcet. S'agit-il de la philosophie positive? Les sources en sont dans l'Encyclopédie, mais aussi dans les idées développées par les successeurs des Encyclopédistes et devenues vivantes, pour ainsi dire, à l'Institut et à l'École polytechnique. De même l'utopie idéologique de Condorcet paraît le point de départ de toutes les explications historiques ou politiques par le progrès ou la perfectibilité, aussi bien que des théories socialistes ou humanitaires qui ont voulu, dès cette vie, donner à l'humanité perfection et bonheur. Chez les économistes reviennent souvent les noms de J.-B. Say et de D. de Tracy. Les philologues critiquent les travaux de Volney, de D. de Tracy et de Thurot ; Alexandre Bain renvoie à la Grammaire, à l'Idéologie et à la Logique du second. Stuart Mill défend énergiquement contre Hamilton, Brown que Jouffroy présente comme ayant transporté en Écosse les doctrines de D. de Tracy. Schopenhauer cite, parmi ses inspirateurs, Lavoisier, Cabanis et Bichat. Est-il question de théories sur l'éducation ou de l'organisation de l'enseignement? Les livres, les journaux, les discours politiques rappellent les travaux de Cabanis (Mirabeau) et de Talleyrand, de Condorcet, de Lakanal, de Daunou, etc. Parle-t-on de professeurs éloquents, de Cousin et de Caro ? ils ont été précédés par Garat et Laromiguière. Augustin Thierry compare même Cousin et Daunou. Vante-t-on la philosophie classique de Royer-Collard, de Biran, de Cousin, de Jouffroy ? M. Taine répond que le premier ouvrage de Biran, le Traité de l'Influence de l'Habitude restera, parce que son autour était contenu par D. de Tracy, et il complète la critique des spiritualistes et des éclectiques par l'éloge des Idéologues et surtout de Laromiguière.

Sainte-Beuve, en ses jours de réaction, traite les Idéologues comme eût pu le faire Bonaparte (Condorcet, Daunou, Volney, Rœderer, etc.). Mais alors même, il s'étend avec complaisance sur leur personne, sur leur œuvre, et fait encore une part à l'éloge. Dans d'autres cas, il obéit, en homme d'opposition, à une inspiration contraire et se présente luimême comme leur disciple et leur continuateur : il écrit ainsi ses articles sur Biot, sur Ampère et surtout sa belle monographie de Fauriel où, louant Cabanis et D. de Tracy, il fait de l'ami filial du premier le prédécesseur de Cousin dans l'histoire de la philosophie et l'inspirateur de Stendhal, de Mérimée et de J.-J. Ampère. Enfin, à. ceux qui cherchent la psychologie chez Stuart Mill et Lewes, Bain et Spencer, Taine et Ribot, M. Paul Janet dit: « Quiconque voudra étudier avec soin l'école idéologique... y trouvera maintes propositions qui nous reviennent aujourd'hui d'Angleterre».

Ainsi « Toujours eux, eux partout », pourrait-on dire, en leur appliquant ce que V. Hugo disait de leur grand adversaire. Qu'étaient-ce donc que les Idéologues? à qui faut-il appliquer ce nom ? quelles doctrines scientifiques, philosophiques, sociales, religieuses ou littéraires ont-ils professées en commun? quelle influence ont-ils exercée sur leurs contemporains et leurs successeurs?

Il était moins facile de résoudre ces questions que de les poser. Cousin et Damiron se sont proposé d'être impartiaux, mais le plus souvent ils se Sont bornés à énumérer les passages qui leur semblaient les plus répréhensibles, pour enlever à leurs lecteurs toute envie de devenir idéologues. Mignet donne des renseignements fort intéressants sur Cabanis et D. de Tracy, sur Rœderer et Sieyès, sur Lakanal et Daunou, Laromiguière et Degérando. Mais souvent on ne s'aperçoit de la valeur des documents, fondus dans des formules générales, que lorsqu'on les a soi-même consultés. En outre, ces Notices, composées à des époques fort différentes, se ressentent des préoccupations politiques de l'auteur et de ses amis. Enfin elles sont d'un homme qui aimait à tenir un juste milieu entre le mysticisme et le sensualisme, comme entre la démocratie et le despotisme. Si M. de Rémusat s'est occupé de D. de Tracy et de Cabanis, c'est bien plus pour les combattre que pour les faire connaître. Quant au Dictionnaire philosophique de M. Franck, il contient surtout des articles polémiques, où l'on combat les doctrines de l'école, en lui enlevant quelques-uns de ses représentants et non toujours des moins célèbres. Il faut enfin, chez Sainte-Beuve, relier les indications sur l'école et ses représentants, réunir les doctrines et les hommes sur lesquels il a porté des jugements si divers.

C'est chose d'ailleurs à peu près convenue, en France et à l'étranger, de laisser de côté, dans l'histoire de la philosophie, les Idéologues. Si Lewes dit quelques mots de Cabanis et de D. de Tracy, Ueberweg traite, en douze lignes, de SaintLambert, de Volney, de Condorcet, et n'en donnait que cinq à Cabanis, D. de Tracy et Laromiguière, avant que M. Paul Janet lui eût envoyé, sur les deux premiers, une notice plus substantielle. Kuno Fischer, dans Baco und seine Nachfolgern, ne mentionne aucun des Idéologues. En France, M. Fouillée place Condorcet à la suite de Turgot parmi les philosophes du XVIIIe siècle. S'il cite Laromiguière, c'est pour indiquer en quoi il s'est séparé de Condillac. Il ne traite nulle part de l'école idéologique. Incidemment toutefois, il fait d'Auguste Comte un successeur de Cabanis et de Broussais, de sorte que, après avoir lu son livre, on peut ignorer qu'il y a eu, de 1789 à 1820, un mouvement philosophique d'une importance telle que, même après avoir été arrêté par la réaction politique et religieuse, Il a contribué à former A. Comte et Saint-Simon, Fourier, Leroux, Reynaud, etc. !

Fort intéressante comme fort peu connue, l'école idéologique présentait une rude tâche à qui voulait ne pas répéter des assertions inexactes ou laisser subsister des lacunes considérables. Il fallait faire la bibliographie du sujet, chercher et réunir les documents imprimés ou manuscrits, qu'on ne trouve nulle part indiqués en leur ensemble. J'ai exploré les quais et consulté les catalogues, visité les bibliothèques et demandé des renseignements à tous ceux que je croyais capables de m'en- fournir. De Paris, de la province, de l'étranger me sont venues de bien précieuses indications. MM. Caro, Beaussire, Ludovic Carrau et Ribot ont encouragé mes recherches. M. Paul Janet a mis à ma disposition sa riche bibliothèque, son érudition sans égale et ses précieux conseils. M. Gazier m'a communiqué les pièces curieuses qui, dans sa collection si importante, ont rapport à mon sujet.

M. Jules Simon m'a permis de consulter les manuscrits de ]'Académie des sciences morales et politiques, dont M. Pingard m'a fort obligeamment facilité l'accès. M. Léon Say a recherché, dans ses papiers de famille, s'il ne subsistait aucune trace des relations de son grand oncle avec les Idéologues. M. Henri Joly m'a signalé des ouvrages dont j'ignorais l'existence. M. Jules Gautier a demandé pour moi, dans sa Revue, des renseignements sur les écoles centrales et en a mis lui-même à ma disposition. MM. Rebut professeur à Tours, Sieur à Niort, Bonnerot à Angoulême, Feuvrier à Dôle, Xambeu professeur honoraire, Hinglais proviseur du lycée de Rodez, m'ont envoyé des documente-qu'ils ont eu bien de la peine souvent à se procurer. M. Saphary fils, à la prière de M. Caldemaison, m'a transmis des lettres où j'ai pu connaître, d'une façon plus exacte, les derniers représentants de l'école. M. Séguy, surveillant général au lycée d'Albi, a retrouvé, chez la veuve de M. Crozes, l'exécuteur testamentaire de l'abbé Roques, des Fragments et des Lettres de Laromiguière, dont l'existence m'avait été révélée par M. Compayré. MM. Bourdon et Wahl ont consulté pour moi les bibliothèques d'Allemagne et le Bristish Museum.

D'Italie, M. Louis Ferri, directeur de la Rivista di Filosofia italiana et professeur à l'université de Rome, a bien voulu compléter pour moi son Essai sur l'Histoire de la philosophie en Italie au XIXe siècle, en me renseignant sur les rapports de la philosophie française et italienne, au XVIIIe et au XIXe siècle. M. Credaro, professeur à l'université de Padoue, m'a fait parvenir deux opuscules qui ont jeté plus de clarté sur quelques-unes des questions que j'ai traitées. M. Robertson, directeur du Mind et auteur d'un Hobbes bien connu en France, s'est enquis, auprès de M. Veitch, de ce que pouvait être devenue la correspondance de Dugald-Stewart avec les Idéologues. Enfin M. Ernest Naville, de Genève, m'a fait parvenir, dès le début de mon travail, tous les manuscrits de Biran et sa correspondance inédite avec D. de Tracy, Cabanis, etc. Non seulement il m'a donné des documents d'un grand prix, que je n'aurais pu me procurer, mais il m'a fourni le moyen d'en chercher et d'en trouver d'autres aussi précieux.

Commençant, par le XVIIe et le XVIIIe siècle, j'ai, volume à volume et ligne par ligne, lu ou relu, analysé et annoté les œuvres des philosophes et des savants, en comparant les résultats auxquels j'arrivais à ceux qu'avaient obtenus mes prédécesseurs. J'ai procédé de même pour les manuscrits, les livres, les journaux et les recueils postérieurs à 1789. Profitant des indications bibliographiques que me fournissait chacun d'eux, j'ai, progressivement et sûrement, étendu le domaine de mes recherches. La collection de la Décade m'a fait connaître presque tous les représentants de l'école, les plus obscurs comme les plus illustres, et m'a servi à en tracer les cadres. Elle m'a éclairé sur les relations des Idéologues entre eux, et avec les savants ou les philosophes étrangers, avec B. de Saint-Pierre et avec Bonaparte; sur la guerre faite à la philosophie au sortir de la Terreur, sous le Directoire et le Consulat. Des documents, qui n'ont été nulle part utilisés ou cités, ont jeté un jour nouveau sur l'importance de Garat, de Rœderer, et surtout de Condorcet dans la première, de Cabanis dans la seconde génération d'idéologues, sur l'origine des doctrines professées par Saint-Simon, Comte et Littré. Le Conservateur et le Lycée m'ont rendu, dans une mesure moindre, des services analogues.

Dans les papiers de l'Institut j'ai découvert une lettre curieuse de Lancelin, les deux Mémoires sur l'Habitude, qu'on croyait depuis longtemps perdus, et qui ont une importance capitale pour l'étude des rapports de Biran avec Cabanis et D. de Tracy. Le rapprochement d'un Mémoire et d'une lettre de Rey-Régis avec son Histoire naturelle de l'Âme, l'examen des Mémoires envoyés par tous les concurrents, m'ont convaincu que la seconde classe de l'Institut a provoqué un véritable mouvement philosophique. À Versailles, j'ai trouvé un important travail manuscrit, rédigé par Cabanis sous la direction de Dubreuil et dont la lecture m'a nettement expliqué, non seulement comment l'auteur des Rapports a pu écrire la Lettre sur les Causes premières, mais encore comment l'éclectisme moderne se rattache à l'éclectisme grec et romain.

Ainsi les Idéologues sont pour moi redevenus vivants, avec le milieu même où ils ont produit leurs doctrines.

Généraux, orateurs et politiques, prêtres et magistrats, romanciers et poètes, littérateurs et critiques, professeurs et journalistes, administrateurs et diplomates, ingénieurs et médecins, mathématiciens et naturalistes, physiciens et moralistes, historiens des hommes, des institutions et des idées, économistes et philologues, psychologues et métaphysiciens, lis m'ont apparu comme les héritiers des savants et des philosophes du XVIIe et du XVIIIe siècle, comme nos maîtres et nos initiateurs dans les, matières où nous croyons que le XIXe siècle a été surtout original.

Restait à les étudier de plus près ainsi que leurs prédécesseurs et leurs adversaires. C'était long, puisqu'il s'agissait de milliers de volumes; c'était difficile, puisque la plupart n'étaient plus en librairie; mais c'était possible. Je l'ai fait avec soin (1).

La mise en œuvre des documents ainsi réunis m'a donné un volume qu'il s'est agi ensuite de réduire considérablement. J'ai fait, défait et refait, quelquefois à plusieurs reprises, les différents chapitres, soit pour utiliser des documents nouveaux, soit pour donner à l'exposition une forme plus précise et plus brève, plus exacte et plus rapide (2).

Les professeurs de la Faculté des lettres de Paris et MM. Dumont, puis Liard, à qui je dois d'avoir été chargé des fonctions de secrétaire-bibliothécaire des conférences de philosophie et de langues vivantes à la Sorbonne, ont favorisé des recherches qui ailleurs n'auraient pu aboutir. L'Académie des sciences morales et politiques, par les prix qu'elle m'a décernés, m'a permis de continuer sans interruption mes multiples travaux. Puisse le présent ouvrage, pour lequel je n'ai épargné ni temps, ni argent, ni peine et où je n'ai cherché qu'à être vrai et juste, exact et impartial, prouver à tous ceux qui ont bien voulu s'y intéresser qu'ils n'ont pas eu tort de contribuer à en rendre l'exécution possible et moins défectueuse!

Paris, 1er octobre 1890.
NOTES:

(1) J'ai consulté les revues et les livres qui paraissaient en France et à l'étranger pour en extraire, la cas échéant, des documents nouveaux. Cf. passim.

(2) J'en ai détaché une Histoire du scepticisme dans l'antiquité et dans les temps modernes, une Histoire de la philosophie eu France depuis le IXe siècle, outre les volumes ou opuscules que j'ai fait paraître, Instruction morale et civique, Philosophie de Condillac, de Cicéron, La Mettrie, etc. J'ai exposé d'une façon plus complète la méthode que j'ai suivie dans l'Histoire de la philosophie, ce qu'elle a été, ce qu'elle peut être et dans L'Histoire des rapports de la philosophie et de la théologie.

Retour au livre de l'auteur: François Picavet Dernière mise à jour de cette page le Vendredi 02 août 2002 11:45
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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