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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Paul Pelliot, HISTOIRE SECRÈTE DES MONGOLS (1949).
Extrait


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Paul Pelliot, HISTOIRE SECRÈTE DES MONGOLS. Restitution du texte mongol et traduction des chapitres I à VI. Librairie d’Amérique et d’Orient Adrien-Maisonneuve, Paris, 1949, 198 pages. Oeuvres posthumes de Paul Pelliot, publiées sous les auspices de l’Académie des Inscriptions et Belles-lettres et avec le concours du Centre national de la Recherche Scientifique. Ouvrage numérisé grâce à l’obligeance de la Bibliothèque asiatique des Missions Étrangères de Paris. Une édition réalisée par Pierre Palpant, bénévole, Paris.

Extrait

[Nos filles aux jolies joues]

Däi-säčän dit : « Parent Yäsügäi, chez qui te rends-tu ? » Yäsügäi-ba’atur dit : « Je me rends demander une fille aux Olqunu’ut, les oncles maternels de ce mien fils. » Däi-säčän dit : « Ce tien fils est un fils dont les yeux ont du feu et dont le visage a de l’éclat. »

« Parent Yilsügäi, cette nuit j’ai rêvé un rêve. Un gerfaut blanc tenant à la fois le soleil et la lune est venu en volant et s’est posé sur ma main. J’ai raconté aux gens ce mien rêve, en disant : [Jusqu’ici] j’avais vu de loin le soleil et la lune ; à présent, ce gerfaut, en les tenant, les a apportés et s’est posé sur ma main ; et il s’est posé blanc ; qu’est-ce que cela peut bien me faire voir de bon ? Parent Yäsügäi, ce mien rêve m’a fait précisément voir que tu allais venir en amenant ton fils ; j’ai fait un bon rêve. Ce rêve, c’était un présage qui annonçait [la venue de] vous autres Kïyat. »

« Chez notre peuple Onggïrat, de vieille date, et sans que le monde le conteste, les fils de nos filles sont bien faits et les filles sont belles. Nos filles aux jolies joues, pour ceux de vous qui deviennent qahan, nous les faisons monter dans une charrette qasaq, nous attelons un chameau noir, et nous vous les passons en le faisant trotter ; nous les faisons asseoir sur tous les sièges de souveraines. Sans que le monde le conteste, nous élevons nos filles de grande beauté, nous les faisons monter dans une charrette qui a un siège sur le devant, nous attelons un chameau foncé et nous vous les passons en les mettant en route ; nous les faisons asseoir à l’un des côtés [du souverain] sur un siège élevé. De vieille date, notre peuple des Onggïrat a des femmes qui portent le bouclier rond, des filles qui présentent des requêtes, et il est [connu] par la bonne mine des fils de ses filles et par la beauté de ses filles. »

« Pour nos fils, on regarde le campement ; quant à nos filles, c’est leur beauté qu’on remarque. Parent Yäsügäi, allons à ma demeure. Ma fille est encore petite ; que mon parent la voie. » Ce disant, Däi-säčän [les] conduisit à sa demeure où il les fit descendre. 

 

[Qui a tiré de sur la montagne ?]

Činggis-qahan dit encore : « Lorsqu’à Köyitän les troupes rangées en bataille se ... mutuellement, du haut de cette colline une flèche est venue qui a brisé les os du cou de mon [cheval] armé, l’alezan à la bouche blanche ; qui a tiré de sur la montagne ?

A ces mots, Jäbä dit : « J’ai tiré de sur la montagne. Maintenant, si le qa’an me fait mettre à mort, je resterai à pourrir sur un peu de terre [grand] comme une paume. Si j’obtiens la grâce, en avant du qu’an, fendant l’eau profonde et mettant en pièces la pierre brillante, je m’élancerai pour lui. Au lieu où il m’aura dit ‘Va’, je réduirai en poussière le roc bleu ; quand il m’aura dit ‘Efforce-toi’, je briserai en miettes le roc noir ; ainsi je m’élancerai pour lui.

Činggis-qahan dit : « L’homme qui a été ennemi veut cacher son corps et retenir sa langue sur ce qu’il a tué, sur ce qu’il a fait en ennemi. Quand il en est ainsi, un homme qui au contraire ne se retient pas sur ce qu’il a tué, sur ce qu’il a fait comme ennemi et qui au contraire l’annonce, mérite qu’on lie compagnonnage avec lui. Son nom est Jïrqo’adaï. Mais, comme il a tiré sur les os du cou de mon cheval armé, l’alezan à la bouche blanche, je le nomme Jäbä et je l’armerai. T’ayant nommé Jäbä, tu marcheras à mes côtés.

Ce furent là les paroles souveraines. Telle est la manière dont Jäbä, venant de chez les Tayïčï’ut, lia compagnonnage [avec Činggis-qahan].

 

[Nous avons été devinés]

Jamuqa comprit que [Činggis-qahan] avait laissé ainsi son cœur s’éloigner. L’année du porc, au printemps, Jamuqa, Altan, Qučar, Qardakïdaï, Äbügäjin Noyakïn, Sügä’ätäi To’orïl et Qačï’un-bäki qui se trouvaient ici, s’étant trouvés du même avis, se rendirent auprès de Nïlga-Sänggüm aux Bärkä-älät, en arrière du Jäjä’är ündür. Jamuqa dit ces paroles de calomnie : « Mon anda Tämüjin est en relations et échange des messagers avec Tayang-qan des Naïman. Sa bouche continue de parler de « père » et de « fils », [mais] sa nature est de chercher son appui ailleurs. Si vous ne prenez pas les devants, qu’adviendra-t-il de vous ? Si vous montez à cheval contre l’anda Tämüjin, j’entrerai en même temps, moi, par le travers. » Altan et Qučar, les deux, dirent : « Pour ce qui est des fils de Hö’älün-äkä, nous tuerons l’aîné, et nous [te] donnerons les cadets pour en finir avec eux. » Äbügäjin Noyakïn Qarda’at dit : « Je lui lierai (?)les mains, je lui attacherai les pieds, et je vous le donnerai. » To’orïl dit : « Bien plutôt j’irai et je prendrai le peuple de Tämüjin. Quand son peuple aura été pris et qu’il sera sans peuple, qu’est-ce qu’il sera alors [de lui] ? » Qačï’un-bäki dit : « Nilga-Sänggüm, mon fils, quelle que soit ta pensée, j’irai avec toi à la cime élevée, à l’abîme profond. »

Quand ils eurent échangé ensemble ces paroles, Nïlga-Sänggüm envoya Sayïqan-Tödä’än répéter ces paroles-là à son père Ong-qan. Quand on lui eut répété ces paroles, Ong-qan dit :« Comment pouvez-vous avoir de telles pensées envers mon fils Tämüjin ? Alors que depuis longtemps nous nous appuyons sur lui, si nous avons maintenant de telles mauvaises pensées envers mon fils, nous ne serons pas chéris du Ciel. Jamuqa a la langue souple ; ce qu’il dit est-il donc [toujours] bel et bon ? » Et, il renvoya [le messager] sans donner son approbation. Sänggüm lui envoya à nouveau un messager pour dire : « Quand un homme parle, qui a une bouche et qui a une langue, pourquoi ne serait-il pas cru ? » Mais comme [Ong-qan] le renvoyant en disant la même chose, [Sänggüm], n’en pouvant mais, se rendit lui-même et en personne [auprès de son père] et dit : « Aussi longtemps que tu resteras ici, on ne nous y comptera pour rien. Si pour de bon on te perce par le [jour] blanc ou qu’on t’étouffe dans le noir, toi, le qan mon père, est-ce par moi que tu feras gouverner ce peuple rassemblé avec tant de peine par ton père Qurčaqus Buyïruq-qan ; [ou alors] par qui le feras-tu gouverner ? » A ces paroles, Ong-qan dit : « Comment rejeter mon enfant, mon fils ? Alors que depuis longtemps nous nous appuyons sur lui, comment conviendrait-il d’avoir de mauvaises pensées [envers lui] ? Nous ne serions pas chéris du Ciel. » A ces paroles, son fils Nïlqa-Sänggüm se fâcha, lâcha la portière et sortit. Mais, songeant avec amour à son fils Sänggüm, Ung-qan l’appela, le fit venir et lui dit : « Je me dis ‘Même alors que nous ne serons pas chéris du Ciel, comment abandonnerais-je mon fils ?’ Agissez selon ce que vous pouvez faire ; c’est vous qui décidez. »

Sänggüm dit alors [à ses partisans] : « Ceux-là avaient demandé notre Ča’ur-bäki. A présent, fixons un jour, appelons-les et faisons-les venir en leur disant : ‘Venez manger le festin de fiançailles’, et alors nous les saisirons. » Il dit, et les autres tombèrent d’accord en disant « oui » ; il envoya alors dire : « Nous donnons Ča’ur-bäki ; venez manger le festin de fiançailles. » Comme Činggis-qahan, ainsi appelé, s’en venait avec dix soldats, il coucha en route dans la demeure de Münglik-äčigä. Münglik-äčigä dit alors : « Quand nous avions demandé Ča’ur-bäki, ceux-là nous avaient témoigné du mépris et ne l’avaient pas donnée ; à présent comment nous appellent-ils au contraire à manger le festin de fiançailles ? Ces gens qui se font une grande idée d’eux-mêmes, pourquoi nous appellent-ils au contraire en disant : ‘Nous la donnons’. Reste à savoir si tout cela est bel et bien. Mon fils, il faut agir à bon escient. Excusons-nous en envoyant dire par des messagers : ‘C’est le printemps. Nos troupeaux [de chevaux] sont maigres ; nous avons à engraisser nos troupeaux.’ » Et n’y allant pas, et ayant envoyé les deux, Buqataï et Kïrataï, en leur disant : « Mangez le festin de fiançailles », Činggis-qahan s’en retourna de la demeure de Münglik-äčigä. A l’arrivée des deux, Buqataï et Kïrataï, [Sänggüm et les autres] dirent ensemble : « Nous avons été devinés. »

 

[La clavette d’une roue de char]

Ayant fait anéantir les Tatar et achevé de les piller, Činggis-qahan, disant : « Que ferons-nous de leur peuple et de leurs gens ? », entra dans une demeure isolée et tint un grand conseil en délibérant uniquement avec ceux de sa famille. Ils dirent en délibérant ensemble : « Depuis des jours anciens le peuple Tatar a fait périr [nos] aïeux et [nos] pères. Pour effacer l’injure et venger la vengeance de nos aïeux et de nos pères, nous les détruirons tels la clavette d’une roue de char et les tuerons, nous les détruirons à les anéantir ; de ceux qui resteront nous ferons des esclaves et les partagerons de tous côtés ».

Le conseil ayant pris fin, et comme on sortait de cette demeure, Yäkä-Čärän, des Tatar, demanda à Bälgütaï : « Sur quelle décision vous êtes-vous mis d’accord ? » ; [Bälgütäi] dit : « Nous sommes convenus de vous détruire tous, tels la clavette d’une roue de char. »

A ces paroles de Bälgütäi, Yäkä-čärän fit passer le mot à ses Tatar, et ils se fortifièrent ; quand nos troupes durent attaquer les Tatar fortifiés, elles subirent de grandes pertes. Alors qu’avec peine on en était à soumettre et réduire les Tatar fortifiés et à les anéantir tels une clavette de roue de char, les Tatar dirent entre eux : « Que chaque homme cache dans sa manche un couteau ; [ainsi] nous mourrons en emportant un coussin » ; et ainsi on eut encore de grandes pertes.

Quand on eut fini d’anéantir ces Tatar-là, tels une clavette de roue, alors Činggis-qahan prononça ces paroles souveraines : « Parce que Bälgütäi a révélé le résultat du grand conseil tenu en famille, nos troupes ont subi de grandes pertes. Désormais, que Bälgütäi n’entre plus au grand conseil, et que jusqu’à la fin du conseil, il règle ce qui est au dehors et juge les querelleurs, les voleurs et les menteurs. Le conseil achevé, et après que le vin aura été bu, que Bälgütäi et Da’arïtaï entrent alors tous deux ! » Telles furent les paroles souveraines.

 

[L’amoureux de Yäsüi]

A cette occasion, Činggis-qahan prit [pour lui] Yäsügän-qatun, fille de Yäkä-Čärän des Tatar. Traitée avec faveur, Yäsügän dit : « Le qan, dans sa faveur, prend soin de moi et me pourvoie de gens et de choses. Mais j’ai une sœur aînée, appelée Yäsüi, et qui convient au qan encore bien mieux que moi. Il y avait juste un gendre qui était venu vivre comme gendre pour elle ; à présent j’ignore où, dans cette dispersion, ils se sont dirigés. »

A ces mots, Činggis-qahan dit : « Si ta sœur aînée doit être encore mieux que toi, je vais la faire chercher. Si ta sœur aînée vient, t’effaceras-tu devant elle ? »

Yäsügän-qatun dit : « Si le grand lui fait faveur, dès que j’aurai aperçu ma sœur je m’effacerai devant elle. »

A ces mots, Činggis-qahan lança l’ordre de rechercher [Yäsüi], et nos troupes la rencontrèrent qui, entrée dans la forêt, marchait en compagnie du gendre à qui elle avait été donnée. Son mari se sauva, et on amena alors Yäsüi-qatun. Yäsügän-qatun, à la vue de sa sœur aînée, fut fidèle aux paroles qu’elles avaient dites antérieurement ; se levant, elle la fit asseoir sur le siège ou elle était assise et elle-même s’assit plus bas. Comme Yäsüi-qatun était bien conforme aux paroles de Yäsügän-qatun, Činggis-qahan la fit entrer dans sa pensée, la prit et la fit asseoir à son côté.

Quand on eut fini de piller le peuple Tatar, un jour Činggis-qahan s’assit dehors à boire de compagnie. Comme il buvait de compagnie, assis entre les deux, Yäsüi-qatun et Yäsügän-qatun, Yäsüi-qatun poussa un grand soupir. Alors Činggis-qahan, ayant songé en lui-même, fit appeler et entrer Bo’orču, Muqalï et autres seigneurs et leur donna l’ordre suivant : « Faites ranger clan par clan tous ces gens que nous venons de rassembler, et qu’on mette à part tout homme qui n’est pas avec son propre clan. »

Lorsque ces gens se tinrent rangés clan par clan, un homme jeune, beau, alerte, était debout à part des divers clans. Comme on lui demandait qui il était, cet homme dit : « Je suis le gendre à qui a été donnée la fille de Yäkä-Čarän des Tatar appelée Yäsüi. Comme nous étions pillés par l’ennemi, j’ai eu peur et je me suis échappé ; et à présent je suis venu en me disant que tout s’était calmé et qu’au milieu de beaucoup de gens je ne serais pas reconnu. »

Comme on rapportait ces paroles à Činggis-qahan, il donna l’ordre suivant : « C’était déjà un ennemi, qui est devenu un brigand errant ; à présent que vient-il espionner ? Peut-on hésiter à traiter les gens de son espèce comme la clavette d’une roue ? Qu’on le rejette en arrière de mes yeux ! ». Sur le champ, il lui fit trancher la tête.

 

[C’est un homme avec qui on peut lier compagnonnage]

Qalï’udar et Čaqurqan dirent à Činggis-qahan : « Ong-qan est sans soupçon ; il a fait dresser la « grande tente d’or » et festoie. Mettons-nous en mouvement en toute hâte, marchons [même] les nuits, et prenant les devants nous l’encerclerons. »

[Činggis-qahan], approuvant ces paroles, fit partir en avant comme éclaireurs les deux, Jürčädäi et Arqaï, marcha [même] les nuits, et arriva encercler [Ong-qan] qui se trouvait alors au débouché du Jär-gabčïqaï du Jäjä’är-ündür. Pendant trois nuits et trois jours on se battit. Comme ils étaient rangés encerclés, le troisième jour, ceux-là épuisés firent leur soumission. On ne sut pas comment Ong-qan et Sänggüm, les deux, étaient partis la nuit. Celui qui avait soutenu cette bataille était Qadaq-ba’atur, des Jirgin.

Qadaq-ba’atur, quand il vint faire sa soumission, dit : « Nous nous sommes battus trois nuits et trois jours. En voyant, le qan, mon maître légitime, j’ai dit : ‘Comment puis-je le saisir et le faire tuer ?’ ; ne pouvant causer sa perte, j’ai dit : ‘Qu’il sauve sa vie et parte au loin !’, et j’ai combattu en dirigeant la mêlée. A présent si on me fait mourir, je mourrai. Si Činggis-qahan m’accorde sa grâce, je lui donnerai mes forces. »

Činggis-qahan, approuvant les paroles de Qadaq-ba’atur, rendit cet ordre : « Celui-là n’est-il pas un brave qui lutte en disant : Je ne puis causer la perte du qan, mon maître légitime ; qu’il sauve sa vie et parte au loin !’ C’est un homme avec qui on peut lier compagnonnage. » Lui faisant grâce et ne le faisant pas mourir, [il dit] : « A cause de la vie [qu’a donnée] Quyïldar, que Qadaq-ba’atur et cent Jirgin donnent leurs forces aux femmes et fils de Quyïldar. S’il leur naît des garçons, qu’ils donnent leurs forces en suivant à jamais les enfants des enfants de Quyïldar. S’il leur naît des filles, que le père et la mère de celles-ci ne les fiancent pas à leur propre idée, mais que [ces filles] servent devant et derrière les femmes et fils de Quyïldar ! »

Tel fut l’ordre souverain qui fit grâce [à Qadaq-ba’atur]. Et à raison des [paroles pour lesquelles] Quyïldar-säčän avait antérieurement ouvert la bouche, Činggis-qahan, par faveur, rendit l’ordre suivant : « A cause du service rendu par Quyïldar, que les enfants des enfants de Quyïldar continuent de recevoir à jamais la part gracieuse [qui revient] aux orphelins ! » ; tel fut l’ordre souverain.


Retour au livre de l'auteur: Laurence Binyon (1869-1943) Dernière mise à jour de cette page le dimanche 14 janvier 2007 8:30
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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