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Collection « Les auteur(e)s classiques »

Les origines intellectuelles de la Révolution française (1933)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du texte de Daniel Mornet (1878-1954), Les origines intellectuelles de la Révolution française. Lyon: Éditions La Manufacture, 1989, 632 pages. Première édition: Librairie Armand Colin, Paris, 1933. Une édition numérique réalisée grâce à la générosité de M. Pierre Palpant, retraité et bénévole.

Introduction

Je me suis proposé, dans cet ouvrage, d’écrire l’histoire des origines intellectuelles de la Révolution et non pas celle des idées révolutionnaires. Ces idées, liberté, égalité, fraternité, contrat social, etc., existent sans doute, plus ou moins confusément, depuis qu’il y a des hommes vivant en société et qui pensent. Dans tous les cas elles ont été ébauchées, précisées, commentées dès l’antiquité grecque. Pour en faire l’histoire il faut surtout les suivre, à travers les siècles, dans les grandes œuvres, chez les grands esprits ; car ce sont ces grandes œuvres qui, tant que les idées n’ont pas été réalisées, leur donnent leur forme durable, les transmettent et les transforment. Le sujet que j’ai choisi est tout autre et demandait une méthode différente.

Il y a, quand on voit les choses en gros, trois sortes de révolutions : révolutions de la misère et de la faim, soulèvement confus d’hommes las de souffrir cruellement et que poussent des besoins et des fureurs aveugles, elles aboutissent à l’anarchie ou à des répressions sanglantes ; révolutions où une minorité intelligente et audacieuse sempare du pouvoir, puis entraîne ou domine des masses jusque-là indifférentes ou inertes ; révolutions enfin où sinon la majorité, du moins une très large minorité, plus ou moins éclairée, conçoit les défauts d’un régime politique, les réformes profondes qu’elle désire, puis entraîne peu à peu l’opinion publique et accède au pouvoir plus ou moins légalement ; les masses suivent parce qu’elle sont, au moins vaguement, préparées à comprendre et à préférer les idées au nom desquelles se fait la révolution. Il n’est pas douteux que, dans son ensemble, la Révolution française est de cette troisième sorte. Ses causes essentielles ont été, comme toujours, des causes politiques ; on a voulu changer parce qu’on était ou se croyait matériellement misérable. Mais on ne s’est peut-être décidé, et certainement l’on n’a décidé les moyens et les buts du changement, que parce que l’on y avait réfléchi. Ces réflexions n’ont pas été le fait de quelques audacieux ; c’est une très nombreuse élite qui, à travers toute la France, s’est appliquée à discuter la cause des maux et la nature des remèdes. On peut le croire, du moins, à première vue. Notre étude se propose justement de rechercher quel a été exactement ce rôle de l’intelligence dans la préparation de la Révolution. Quelles ont été les idées des grands écrivains ; quelles ont été celles des écrivains de second, de troisième ou de dixième ordre, puisque ceux qui sont pour nous le dixième ordre ont été parfois, pour les contemporains, du premier ? Comment les uns et les autres ont-ils agi sur l’opinion publique générale, sur ceux qui n’étaient pas des gens de lettres, des gens de métier ? Comment, dans quelle mesure la diffusion s’est-elle faite au fur et à mesure que l’on s’enfonce plus profondément des classes très cultivées vers les bourgeois, les petits bourgeois, le peuple ; au fur et à mesure qu’on s’éloigne de Paris vers les provinces les plus lointaines ? En un mot, comment d’innombrables Français ont-ils réfléchi à la nécessité de réformes profondes et à la nature de ces réformes ?

Cette étude de diffusion imposait une méthode complexe et encombrante. Il fallait sans cesse tenir compte de la chronologie ; la por­tée dune même idée nest pas la même en 1720, en 1760, en 1780 ; et cependant il était impossible de découper le siècle en tranches trop nombreuses. Je m’en suis tenu à trois périodes que je crois justifiées : 1715-1747 ; c’est de 1748 à 1750 que paraissent Les Mœurs de Toussaint, l’Esprit des lois, les premiers volumes de l’Histoire naturelle de Buffon, la Lettre sur les aveugles, le Prospectus et le Discours préliminaire de l’Encyclopédie (premier volume 1751), le premier Discours de Rousseau, etc. Il y a vraiment là une coupure. Elle est beaucoup moins nette pour notre seconde période (1748-1770) ; mais il en fallait une ; et c’est vers cette date de 1770 que s’achève l’œuvre d’expression des idées et que commence leur dif­fusion générale. Notre enquête le montrera. (C’est, par exemple, entre 1764 et 1770-1772 que paraissent les plus violents ouvrages polémiques de Voltaire et d’Holbach.)

Il fallait multiplier les documents. La grande erreur de trop d’histoires analogues, ou le grand hasard quelles courent est de dire « tout le monde », « partout », etc., alors qu’il faudrait connaître tout le monde et qu’on dispose tout juste d’une demi-douzaine de témoignages. Je ne me fais pas d’illusions sur l’étendue de mon enquête. Elle est fort incomplète. Pour ne prendre qu’un exemple, j’ai dépouillé les journaux provinciaux du XVIIIe siècle qui se trouvent dans les bibliothèques parisiennes ; j’ai été chercher ceux qui se trouvent dans cinq villes de province ; il m’aurait fallu continuer mes recherches au moins dans huit ou dix autres villes. En bonne méthode, j’aurais dû aller passer plusieurs années dans une vingtaine de villes pour y poursuivre des recherches semblables à celles que MM. Bouchard et Grosclaude ont entreprises sur mes conseils et menées à bien. Mais du moins mon livre est le résultat de dix années de recherches directes et assidues sur ce sujet, de trente années d’études sur le XVIIIe siècle. L’expérience m’a appris quon risquait les pires erreurs en généralisant trop vite ; mais que, lorsqu’on dispose d’un nombre suffisant de faits, les enquêtes plus nombreuses et plus approfondies ne font que grossir les dossiers sans en modifier les proportions ; au lieu de cinquante faits ou textes pour une opinion, de vingt faits ou textes pour l’opinion contraire, on en a trente pour celle-ci et soixante-quinze pour celle-là. Au pis aller, je souhaite que mon livre soit le point de départ d’enquêtes provinciales qui le préciseront, le nuanceront ou le contrediront.

J’ai fait effort pour être rigoureusement impartial. Assurément c’est la prétention de tous les historiens, même de ceux qui sont le plus évidemment de parti pris. Mais cette impartialité m’était facile. J’ai trop vécu parmi les Français de l’ancien régime pour ne pas être convaincu qu’ils souffraient de très graves abus et que leurs revendications étaient justes, humaines. D’autre part, je n’ai aucune sympathie pour la Terreur et la guillotine. Surtout mon opinion, ou mon embarras importent peu. Mon étude aboutit à cette conclusion que ce sont, pour une part, les idées qui ont déterminé la Révolution française. Si l’on aime cette Révolution, on exaltera les grandeurs de l’intelligence qui l’a préparée. Si on la déteste, on dénoncera les erreurs et les méfaits de cette intelligence. Mon livre peut servir toutes les polémiques. C’est dire qu’il n’en sert aucune.

J’ai étudié les origines purement intellectuelles. C’est pour cela que je me suis arrêté à l’année 1787. Jusqu’en 1787 tout se passe en discussions ; les idées n’agissent pas directement ou elles n’agissent que sur des points de détail. Mais dès 1788 c’est l’action qui commence, et dès qu’elle commence c’est elle qui domine. L’his­toire des idées ne peut plus être faite qu’en fonction de l’histoire politique. Je n’ai pas voulu aborder cette histoire. A plus forte raison ne suis-je pas entré dans l’histoire de la Révolution. Dès qu’on y pénètre on se trouve en présence non seulement de laction, mais des chefs. Ce sont souvent les idées et les volontés de ces chefs qui importent plus que l’action diffuse des idées impersonnelles. Il faut faire non seulement lhistoire des idées révolutionnaires mais encore celle des idées des révolutionnaires.

Mon livre reprend une partie des études de Taine, de Tocqueville, etc. Ce n’est pas de l’outrecuidance. Les sujets quils ont traités étaient si vastes qu’il était impossible à une intelligence humaine de les étudier avec une précision suffisante en 1850 ou 1875. Mais, depuis plus de cinquante ou de soixante-quinze ans, dinnombrables études de détail ont été publiées qui mont permis des recherches d’ensemble dans toutes sortes de cas où les recherches directes auraient été impossibles. Je tiens à dire tout ce que je leur dois ; notamment à tous ces modestes travaux perdus dans les mémoires des sociétés savantes des départements, ainsi quà la bibliographie de M. de Lasteyrie et de ses collaborateurs qui permet de les découvrir.


Retour au livre de l'auteur: Jacques Bainville, historien Dernière mise à jour de cette page le mercredi 15 novembre 2006 8:15
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
 



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